Prologue


La tour apparaissait au loin comme une haute canne d'ivoire embrassée par un entrelacs de lierre et de branches épaisses. Son dôme de pierre abritait une large fenêtre en verre et dominait la mer qui se brisait sur les fondations avec régularité. Les remous se faisaient violents au gré du vent. Niché dans cet ancien phare depuis des siècles, On'mori contemplait les embruns avant de reprendre la lecture de son vieil ouvrage. Son refuge était devenu un laboratoire hétéroclite composé d'inventions antiques dont plusieurs lunettes astronomiques, et de tout un attirail de montres et d'horloges qui avaient appartenues à son ancien maître, un savant connu de tous dans son siècle mais dont le nom s'était perdu dans ceux qui avaient suivis. On'mori l'avait rejoint pour devenir son apprenti puis l'avait vu mourir comme tous les humains qu'il avait admirés.

Partout autour de lui, on reconnaissait son écriture fine et penchée. Il s'abîmait les yeux pendant des nuits entières sur les parchemins de vélin d'un autre temps, puis, quand tout son corps protestait contre cet acharnement, On'mori se levait avec douleur et laissait ses étranges yeux argentés s'adoucir du spectacle des vagues. Le chant des flots le reposait et il s'endormait alors, basculant doucement la tête sur sa poitrine.

Cette fois-là, son sommeil se troubla d'un désespoir étranger. Comme tous les autres lyugans, il ressentait les émotions environnantes de la même façon qu'un homme se sent glacé d'effroi par un hurlement de détresse. Sans comprendre la raison de la frayeur devenue sienne, il sauta sur ses pieds, les sens bouleversés. S'il avait été éveillé, il aurait aisément pu garder son calme mais le sommeil l'avait privé comme à chaque fois de toutes ses défenses. Son rêve s'étiolait en même temps qu'il haletait, les yeux rivés sur la mer.

Dans l'immensité bleue, il distingua une forme disparaissant dans les vagues. L'être se battait pour ne pas s'évanouir sous la surface. On'mori ressentait sa ténacité et sa fatigue. L'eau tentait de le noyer avec une ardeur surnaturelle. Des bras diaphanes s'élevaient et s'activaient autour de la silhouette qui paraissait rétrécir devant l'immense créature. Le lyugan dévala les escaliers sans plus réfléchir. Une fois au pied de son logis, il récupéra la barque qu'il utilisait pour la pêche et rama avec frénésie. Il se trouvait déjà à quelques brassées du tourbillon créé par un élémentaire, d'où il distinguait mieux la victime, une humaine, lui semblât-il. Alors que le flux de sentiments faiblissait, il reprit ses esprits, analysant avec inquiétude la situation. La magie n'existait pas sur Ashirel. Seuls les dieux et les gardiens de l'île pouvaient donner vie aux éléments à leur convenance.

Cette chose qui se noyait était dangereuse.

Il hésita jusqu'à ce que le regard implorant de l'humaine le troublât. A nouveau, des sentiments étranges le submergèrent et il comprit avec stupeur que cette fille n'était pas ordinaire. C'était une étrangère. Cette vérité l'horrifia en même temps qu'elle le rongeait de curiosité.

Deux règles tacites existaient entre les ashiriens.

Celle de se méfier des étrangers. Les gardiens n'avaient jamais consenti à accueillir les autres habitants de l'Archipel, probablement fourbes et ambitieux. La deuxième règle était de ne pas révéler le secret de l'Archipel aux hommes des Terres Lointaines, car, il suffirait de la parole de quelques-uns pour qu'une conquête destructrice incise la civilisation et l'île. Ashirel et les autres îles gardaient pour meilleure défense leur incroyable mobilité.

Comment l'humaine avait-elle pu arriver ici ? On'mori progressa entre les bras d'eau qui ne semblaient pas préoccupés par sa présence. Il tâta le dos de la fille du bout de sa rame avec aversion et crut déloger une créature qui se réfugia dans le cou de la naufragée. L'étrangère saisit le bout de bois avec ferveur, résistant aux courants. Elle accusa le coup quand On'mori laissa tomber l'objet avec un cri mais elle attrapa la barque et s'agrippa à la coque. Ses cheveux formaient d'énormes tentacules, autour de son visage éprouvé. Malgré l'inquiétude, On'mori ne voyait devant lui qu'une enfant agonisante. Submergé une dernière fois par ses émotions, il attrapa son corps qui s'effondra dans ses vêtements imbibés d'eau et de sel.

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