Chapitre 5 : En quête de sens (1/3) - Silaria

Ce que Silaria entendit en premier, ce fut le chant d'un rouge-gorge et d'un coucou. Puis, en réponse, le sifflement du vent entre les vitraux. Le monde lui semblait calme et paisible. Elle était heureuse d'être là. Soeur Livia ne pouvait plus arracher ses draps et aucun enfant n'était là pour taper sur une casserole pour le plaisir du boucan. Mais il faisait chaud et le soleil l'éblouissait. Alors, elle se dégagea des couvertures où elle s'était réfugiée la veille et jeta un regard aux alentours. Les hamacs et les couches étaient vides.

— Me voilà seule, se dit-t-elle, rassérénée par le son de sa propre voix.

Elle partit au puits chercher de l'eau pour se rafraichir puis revint en trottinant gaiement d'un bout à l'autre du temple, fouillant les armoires, les coffres et les caches où Aylin et Nayle dissimulaient leurs provisions et les vêtements de rechange. Elle passa une robe bleu sombre qui lui semblait de meilleure facture que la sienne en se demandant à qui elle avait appartenue, car elle doutait qu'elle soit à Aylin ou à Nayle.

Son regard tomba sur la pièce percée de cent oléos qui pendait à son cou et s'mpressa de la glisser dans son col pour l'oublier. Même si l'objet la mettait souvent mal à l'aise et qu'il représentait une certaine somme, elle ne s'était jamais résolue à s'en séparer. C'était là, avec son prénom, la seule chose qui la reliait à ses parents. Elle grignota un quignon et quelques fruits, saisit un sac en cuir et une cape déposés là avant de s'engager dans la pente, pleine d'espérance.

Qu'allait-elle trouver sur sa route ? Qu'allait-elle faire maintenant qu'elle était arrivée à Narranda ?

Elle mourrait d'envie de fouiller la ville, mais il lui fallait avant tout trouver de l'argent.Elle ne savait pas faire grand-chose mais elle apprendrait. Elle était curieuse de tout, tenace et optimiste.

Elle se retint de dévaler la colline à grandes foulées pour ne pas risquer de s'étaler bêtement dans les feuilles et la terre. Elle descendit avec quelques difficultés le mur qui menait à la rue et atterrit sur les pavés, les yeux brillants d'excitation.

Les Narrandais se baladaient, se disputaient, riaient, négociaient comme si ce jour-là était un jour comme les autres.

Silaria sentait leurs émotions mais fait rare, c'était son émoi à elle, qui la faisait presque chanceler.

Enfin, elle était là. Elle qui avait tant rêvé de cette foule, imaginée son quotidien qui devait être si différent du sien car elle avait le privilège de vivre dans l'enceinte de le Cité.

Et maintenant, elle en faisait partie. C'était surréel.

Ici, tout était nouveau. Même si la boue envahissait les dalles pâles, elle restait subjuguée par la beauté du quartier. Une longue rue s'étirait au milieu de bâtisses en colombage construites sur deux ou trois étages, agrémentées de fleurs et d'aromatiques. La route était bordée afin de protéger les passants du passage des charrettes alors que chez elle, seule de la terre battue longeait les maisons qu'il fallait rafistoler d'une génération sur l'autre.

Elle se laissa guider par les habitants, découvrant de larges artères où passaient grand nombre de fiacres. Jamais elle n'avait vu autant de chevaux. Ici, les résidences paraissaient toujours plus grandes, plus solides, faites du même calcaire que les statues et les fontaines. Silaria retrouvait sur chaque bâtisses, fontaines et habitats, des ornementations florales qui mêlait parfois le métal à la pierre. 

Autre chose l'étonnait. Jamais elle n'avait vu d'aussi grandes fenêtres. Dans le faubourg, on se contentait de lucarnes ou de petites trouées car le verre était coûteux et les ouvertures fragilisaient les structures. Silaria peinait à imaginer la vie des propriétaires et de ces dames en robe cintrée, enfermée derrière les vitres qui invitaient tant de lumière. Cet univers lui était totalement étranger. Son imaginaire des nobles l'avait portée ailleurs, vers une terre plus ancienne peuplée de chevaliers aux armures rutilantes. Quelque chose de fort et de brave, mais de moins lisse, de moins vaste.

Elle se détourna et reprit un chemin plus tortueux vers un groupe d'habitations, sorte de cénacle regroupé autour d'une place en désordre. Elles étaient nombreuses, petites ou moyennes, souvent écrasées par leurs voisines mais chacune avait son coin. Derrière chaque maisonnée se trouvaient des planches de bois de toutes sortes, des pointes qui côtoyaient des petits ressorts en cuivre, des métaux qui brillaient à la lumière du jour, des cordes, du cuir, dont l'odeur fit frémir son nez, et toute sortes d'outils dont elle ne comprenait pas toujours l'usage. L'ensemble des maisonnettes constituait la majorité des guildes de la Cité et regroupait des artisans de toutes sortes qui s'échinaient avec fracas. Des bruits en tout genre cohabitaient : ça frappait, ça frottait, ça tressait, ça tissait. Et dans tout ce raffut, des voix de toutes les nuances, souvent marquées de l'accent trainant de Narranda, débattaient du monde et des conséquences d'un nouveau confinement.

Un confinement ? ça alors, que se passait-il ? Les travailleurs ne rentraient pas dans ces détails.

Silaria s'approcha de ce monde clos et observa, timide, la foule d'objets sur les étals et les différents maîtres. Plus qu'à la discipline, elle s'intéressait au professeur potentiel. Elle était convaincue que chacune lui serait profitable à condition que la personne qui transmette soit la bonne. Les sens en éveil, elle fouilla ; elle ne s'adresserait qu'à ceux qui lui sembleraient honnêtes et justes.

Elle remarqua avec stupéfaction une arme à feu presque cachée au milieu des pinces et des marteaux. C'était la première fois qu'elle en voyait une. Son intérêt fut remarqué.

— Quelque chose vous intéresse ?

— Oui... Bonjour, excusez-moi. Est-ce que vous acceptez de nouveaux apprentis ?

Le forgeron haussa un sourcil en détaillant sa fine silhouette, circonspect.

—Avec ces petits bras et cette mine blafarde ? Excusez-moi ma petite, mais je ne pense pas que vous pourriez tenir le coup.

Elle le sentait, il avait mâché ses mots pour ne pas lui faire plus de peine. Pour lui, c'était tout bonnement impossible. Après tout, c'était vrai qu'elle avait toujours été moins endurante que n'importe quelle humaine. Peut-être que très motivée... Pour l'heure, elle choisit de s'éloigner et fit le tour des stands à la recherche d'un autre maître. En passant devant une vieille tisserande concentrée à la préparation de la chaîne, elle eut une pensée pour l'usine et ses machines, effectivement si rapide. Elle lui demanda.

—Bonjour madame, accepteriez-vous de m'apprendre?

La vieille dame releva ses yeux usés pour la détailler. Elle eut une sorte de claquement de langue.

—Ma fille, avec quel argent, je te soutiendrais ? Non, je te donnerais plutôt un conseil. Ne t'engage pas dans ma voie, il y a des machines à quelques lieues d'ici qui font ce que j'ai appris tout au long de ma vie. A présent, mon tissu ne vaut pas le dixième de sa valeur d'antan.

Silaria restait songeuse face aux évolutions qu'elle constatait. Devant cette ancienne si calme et concentrée, elle repensait à la cadence folle des jeunes personnes au bord du désespoir qui s'activaient au rythme des machines.

Silaria la salua et continua mais essuya refus sur refus. Les potiers étaient déjà trop occupés, on n'avait pas confiance en elle. D'ailleurs on ne la connaissait pas.

Alors, elle se détourna. Ce n'était pas grave. Pour l'heure, il lui fallait réfléchir mais elle reviendrait le lendemain, et même le surlendemain. Elle finirait par en avoir un à l'usure.

Le forgeron l'arrêta, lui attrapant le bras :

—Petite, es-tu une orpheline ?

La question la prit au dépourvu. Devait-elle lui dire la vérité ? Son énergie ne lui semblait pas cacher de mauvaise intention alors elle hocha la tête.

—Plutôt que de venir ici, va au Foyer du Renouveau. Ils t'aideront là-bas. La famille Anishar prend soin de ses infortunés, n'est-ce pas ?

Le Foyer du Renouveau. Elle se souvenait bien de ce centre qui attribuait aux orphelins des apprentissages ou des métiers. C'est lui qui avait invité Sœur Livia à les emmener à la filature. Etant donné son expérience, elle n'y avait pas pensé, mais ici, c'était différent, elle était dans la Cité et on ne l'enverrait pas en dehors. Ce n'était pas une mauvaise idée et cela ne lui coûtait rien de jeter un coup d'œil. Quel drôle de destin que de toujours en revenir à cette famille souveraine, alors que la veille, elle voulait lui échapper. Elle lui demanda où se trouvait le Foyer. il la regarda d'un œil soupçonneux.

—Tu n'es pas d'ici ?

Elle prit l'air honteux d'un enfant pris sur le fait.

—Je viens du faubourg à l'Est. On m'a mise au défi donc je suis entrée par le marché de la porte Est mais je suis maintenant bloquée ici, je ne peux plus rentrer chez moi. Tous les gardes sont catégoriques, je ressortirai quand les portes seront à nouveau ouvertes.

—Eh bien, tu as de la ressource pour être arrivée là, mais tu as l'air bien maligne à présent, toute seule et démunie. Tu comprendras mieux maintenant pourquoi les règles doivent être suivies, n'est-ce pas ? la sermonna-t-il malgré son amusement.

Elle hocha la tête, les yeux baissés et l'homme lui indiqua la route. Elle le remercia avec chaleur et reprit la route vers le nord. L'endroit se trouvait au bout d'une rue calme, elle passerait devant l'orphelinat du Centre.

Elle repéra sans peine ce bâtiment et ne put s'empêcher de ralentir. Les bruits des quelques voix enfantines l'interrogèrent tout de suite. Ils avaient l'air serein malgré leur naissance. Elle se concentrait. Elle voulait savoir comment on vivait ici, ce qu'il y avait dans cette cour où elle entendait les enfants jouer. Elle sentait leur fougue, l'énergie forte et régulière d'un érable, la sève qui fluctue des racines jusqu'aux feuilles dansantes. L'endroit débordait de douceur, d'une sorte de poésie qui n'existait pas dans son faubourg. Elle aurait voulu vivre ici.

Elle sentit aussi une attention curieuse tout proche. Elle leva les yeux et vit devant elle, un adolescent d'une quinzaine d'années. Elle sursauta. Comment avait-elle pu ne pas le voir alors qu'il était là, immobile, les yeux dans les siens, partageant la même mélancolie, la même peine inouïe de l'enfant que l'on a laissé ?

Il posa la main sur la vitre et Silaria plaça la sienne en miroir.

Elle aurait pu être lui.

Elle, qui avait été découverte dans les rues, aurait dû vivre ici. Cela l'avait toujours questionnée. On avait prétexté que la ville, avec toute son agitation était trop difficile à supporter pour une jeune empathe et qu'un lyugan se développerait plus sereinement dans un faubourg plus calme. Mais elle se demandait si ce n'était pas là qu'un mensonge nécessaire pour la sortir de l'enceinte. Puisqu'on avait voulu la garder à l'écart, elle s'était promis de revenir comme de la mauvaise herbe.

Elle aurait dû vivre ici.

Elle aurait pu être son amie. L'adolescent se lassa et s'éloigna, l'air morne, disparaissant dans cette pièce dont elle peinait à voir les contours. 

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