Chapitre 3 : Le chemin entre les murailles - Silaria
Silaria suivait les deux silhouettes de noir vêtues. Elle n'avait pas prévu un tel revirement de situation.
Elle avait pensé s'infiltrer à l'arrière d'une caravane et se laisser porter par le hasard, se déguiser en homme et s'engager comme mousse à bord d'un navire. Bien sûr qu'elle savait que rien n'aurait été facile, car elle avait toujours été moins endurante et moins forte que ses sœurs humaines, mais elle ne pouvait empêcher ses rêves d'aventures d'occuper son esprit. Elle n'avait pas imaginé pouvoir avoir un toit sur la tête si vite, et en plus, un endroit au cœur des remparts.
Elle se sentait toute excitée à cette pensée et observait ses deux compagnons. Elle ne sentait pas de mauvaises intentions vis-à-vis d'elle. elle avait toujours pu faire confiance à sa grande sensibilité qui l'avait mise en garde contre ceux qui cherchaient à la tromper. Ils semblaient l'aider par pure générosité, chose qui dans le commun des royaumes ashiriens étaient plus rare ces temps-ci. Non pas par caractère mais la méfiance était de rigueur avec les inconnus même si Ostérion, son dieu priait d'aider son prochain.
Ses deux compagnons étaient étrangement sécurisants. C'était peut-être leur manière de parler ou leurs gestes. Elle notait l'apparente souplesse et la confiance de leur allure. Ils l'impressionnaient et même s'ils l'effrayaient un peu. Leurs pas étaient légers et tranquilles, complètement indifférents aux trous et aux racines alors qu'elle-même devait scruter prudemment la route tortueuse.
Ils se tenaient bien plus proches l'un de l'autre que ce qui est normalement convenable entre un garçon et une fille qui conversent, se réjouissant en cachette de leur complicité et quand la blague se faisait plus drôle, ils s'esclaffaient d'un même rire qui partait très vite se cacher. Un œil humain ne verrait probablement dans leur échange qu'un calme et un sérieux inhabituel chez deux adolescents. L'intensité de toute leur joie contenue dessina un sourire sur ses lèvres même si elle voyait bien qu'ils la tenaient à distance.
Un court instant, elle se rappela l'habilité et la facilité avec laquelle Aylin avait débité les lapins avant d'empaqueter les cadavres avec des gestes efficaces ; et ne pouvait s'empêcher de se demander si elle allait aussi finir écharpée avec la même finesse. Non, elle n'avait pas l'impression de devoir les craindre, mais elle restait sur ses gardes. Au moindre doute, elle prendrait la fuite.
Ils ne tardèrent pas à atteindre l'orée de la forêt et à marcher dans la plaine couverte de blés qui s'étendait jusqu'au marécage entourant l'ancienne porte du Nord. Silaria n'était jamais venue jusque-là mais elle savait que depuis des décennies le seigneur de Narranda s'efforçait de réhabiliter cet espace longtemps resté le plus pauvre et le plus chaotique de la cité. La jeune fille regardait de tous les côtés, impatiente de découvrir ce nouvel endroit toujours évoqué par le biais des histoires les plus sordides auxquelles elles n'avaient jamais cru.
Nayle et Aylin la guidaient à travers champs et ils rejoignirent un chemin caillouteux et boueux, perforée de deux lignes que les roues successives de multiples carrioles avaient imprimées au fur et à mesure du temps.
— Cette route est un calvaire, sommes-nous bientôt arrivés ? Lâcha Silaria.
— Bientôt bientôt, répondit Nayle avec bonne humeur.
Cette perspective le rendait enthousiaste et il accéléra le pas. Silaria peinait mais endurait la fatigue. Il lui semblait que cette marche ne serait jamais suffisante pour les rapprocher des remparts. Ils la dominaient, complètement inaccessibles.
Au bout de la route se tenait l'ancien pont de la porte du Nord, un pont qui n'enjambait que de la poussière et les nombreux stands douteux d'un marché connu pour être le plus étendu de la ville. Il ne restait des douves au nord de la cité qu'un fossé immense et verdoyant, seule réminiscence d'un bras de l'Euphalisia qui s'était desséché depuis déjà bien longtemps.
Silaria captait toutes les odeurs et les couleurs du marché, grouillant de vie et d'échanges pas toujours légaux. Elle était si curieuse mais elle se détourna pour ne pas perdre de vue ses guides. Au lieu de se diriger vers le hameau qui constituait le faubourg du nord, les deux membres du clan Rénai l'emmenèrent derrière le fossé et se glissèrent dans les taillis.
Elle toucha du bout des doigts la pierre froide et antique, parcourue de lierre. Ses souvenirs les plus anciens ne l'avaient jamais placée si proche de la cité.
Indifférents à son émotion Nayle et Aylin commencèrent à grimper, se faufilant le long d'un chemin étroit, inatteignable pour la plupart des adultes.
Personne n'avait dit un mot mais l'excitation de Silaria était palpable. Son cœur tambourinait si fort à l'idée d'enfin franchir cette muraille impénétrable.
Ses doigts tremblaient de fatigue et d'exaltation. Elle sentait la vie parcourir ces murs si anciens.
Enfin, l'ascension prit fin et le petit groupe arriva devant un temple dont on avait subtilisé le cercle divin, en flanc de colline. Il offrait une vue magnifique sur le faubourg du Nord et celui de l'Est qu'elle n'habitait plus désormais. Le repérer d'ici lui procurait un sentiment indescriptible.
Elle avait le tournis, l'envie folle de hurler sa joie mais se contenta de mettre difficilement un pied devant l'autre et de franchir le seuil de l'ancien lieu de culte. L'endroit était vaste et sombre, la lumière qui subsistait de cette fin d'après-midi tombait sur les dalles, colorée par les vitraux. L'espace semblait avoir été aménagé : quelques bols et ustensiles traînaient sur une table, plusieurs paillasses et coffres se trouvaient un peu plus loin dans la chapelle.
— Nous voilà arrivés, demoiselle, lui dit Aylin. Reste ici le temps qu'il te faudra. Il fait un froid glacial le soir, et le vent siffle parfois de façon sinistre pour les ouvertures, ajouta-t-elle en désignant un magnifique vitrail fendu et brisé par endroits, mais ces pierres te protègeront.
Silaria continuait de découvrir les lieux, s'arrêtant devant un chaudron, continuant vers une étagère où traînaient des boîtes remplies de nourriture. Elle ne put esquisser un mot malgré la reconnaissance qui l'étouffait.
-Bien sûr, cet ancien temple est une bénédiction. Nous l'avons pris à ses précédents occupants il y a quelques jours, d'autres viendront à leur tour alors il faudra le défendre. Le soir, il y a bien quelques enfants qui viennent mais nous nous sommes entendus pour qu'ils aient le gite mais qu'ils ne nous posent pas de soucis. Pour l'instant, personne ne s'est opposé à notre volonté. Mais, au moins pour quelques jours, tu seras ici à l'abri.
— Je vous remercie sincèrement, parvint-elle enfin à articuler. Et pour la nuit, comment vous assurez vous que nous sommes en sécurité et que personne ne vole ?
— Nous avons notre propre chien de garde, dit-elle en désignant une arcade autour de laquelle semblait suspendu une créature étrange.
Depuis l'obscurité, on voyait deux yeux ronds verts fixés sur la jeune fille.
Ce regard la tétanisa, mais Aylin n'y prêta pas attention. Elle fit un signe à la chose d'approcher, comme s'il était possible de commander à une telle chose.
Silaria vit la bête tomber au sol souplement avant de se glisser jusqu'à ses pieds.
C'était un serpent long de plusieurs pieds dotés d'étranges écailles cristallines qui prenaient les teintes du crépuscule. Un peu plus, loin, alors que la chose slalomait, elle remarqua que le corps se marquait des motifs colorés des vitraux. Elle arriva à sa hauteur et leva vers elle sa tête triangulaire pour la jauger.
Elle était horrifiée. Ce n'était pas un serpent anodin. Ce n'était pas un serpent du tout.
Etait-ce vivant ? Elle ne percevait pas de vie et pourtant la bête l'observait.
Elle ne sentait qu'un froid glacial, pas si différent des machines.
Ce serpent était comme une carcasse à laquelle on avait donné vie.
Une sorte de création immonde et tordue qui ne lui inspirait rien d'autre que du dégoût.
Pouvait-elle s'y fier ? Elle n'avait dans tous les cas aucune envie de s'opposer à elle. Elle resterait ici le temps qu'il lui faudra et partirait dès qu'elle le pourrait.
Alors qu'elle formulait cette pensée, la créature tira vers elle sa langue fourchue et se détourna pour retourner dans les profondeurs de la pièce.
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Coucou ! C'est bon, Silaria est passée de l'autre côté du mur! Merci d'avoir lu jusqu'ici !
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