Chapitre 2 : Rencontre inopinée - Nayle

Nayle s'immobilisa, incrédule. Le jeune homme se sentait électrifié, presque engourdi par ce contact, par la noblesse qui émanait de ses traits tirés, par l'étrangeté de ses cheveux blancs qui lui tombaient sur les épaules comme un voile argenté.

Qui était-elle ? pensa-t-il, presque effrayé par la fascination qui l'avait submergé.

Etait-elle une lyugan ?

A Tsouly, le village dont il était originaire, il n'en avait rencontré que dans les pages des contes et des récits qui foisonnaient dans les bibliothèques. Tous les peuples s'intéressaient à ces histoires car on disait les lyugans sages et de bons conseils en raison de leur longévité surhumaine.

Non, cette fille avait une sclérotique blanche comme celle des humains.

Etait-elle humaine pour autant ? Il en doutait.

Alors, les deux races à la fois ?

Il était stupéfié, pour l'instant incapable de détacher son regard de ces yeux en amande de la couleur des améthystes, de la courbe délicate de ses lèvres rosées, de son nez court, de cette peau pâle ; et ce constat l'incommoda profondément.

A ses côtés, Aylin nota sa réaction et s'approcha de l'inconnue.

- Avez-vous besoin d'aide ?

La voix grave de son amie sembla rompre l'état hypnotique du garçon. Il se ressaisit, conscient que fixer une dame avec tant d'insistance était malavisé dans toutes les cultures d'Ashirel. Il nota seulement maintenant qu'elle avait l'air fatiguée, la mise élimée et les chaussures trouées. Elle fixa Aylin avec attention mais ne répondit pas.

- Voulez-vous partager notre repas ? L'endroit est idéal, nous avons cueilli quelques fruits et nous venons d'attraper des lapins.

A cet instant, il aurait préféré repartir sans tarder avec son amie plutôt que de partager leur repas avec cette inconnue mais la jeune fille aux cheveux blancs hésitait mais Aylin la tirait déjà de terre et l'emmenait quelques mètres plus haut.

- La vue est plus belle d'ici. On peut même observer les tours blanches de Narranda. Installons-nous ici.

La jeune fille regarda la forêt alentour et les pierres immaculées esquissées au loin et sembla comme pénétrée par ce paysage. Les deux voyageurs improvisèrent des chaises et une table avec des bûches placées ci et là. Nayle posa un lapin et sortit de sa besace quelques fruits et des tranches de viande séchée aux épices dont ils raffolaient tous les deux. Ils s'inclinèrent pour témoigner le respect qui était dû à leur invitée puis l'invitèrent à entamer leurs victuailles. Silaria les regarda avec défiance et saisit une prune avant de la croquer avec délice. Aylin avait adopté un ton chaleureux et lui parlait de choses triviales, cherchant des sujets qui leur seraient familiers à toutes les deux. Nayle se plaisait à la voir dérider les gens Silaria mangeait avec appétit et répondait avec de plus en plus d'énergie.

- Je suis Aylin. Cela fait quelques temps que j'habite à Narranda et cette forêt, c'est celle que je préfère autour de la ville. J'en connais les moindres recoins...

La jeune fille écouta en silence, mais Aylin poursuivait. Elle avait quelques appréhensions sentant qu'elle l'amènerait doucement à parler d'elle-même.

-Lui, c'est Nayle. Il n'est pas très bavard pour l'instant mais cela lui passera. Cela fait quelques jours seulement qu'il est arrivé dans le Sud et il est souvent trop absorbé par tout ce qu'il découvre.

Nayle avait l'impression qu'on l'infantilisait mais il ne pouvait pas nier pour autant : depuis son arrivée, il était absolument fasciné par l'abondance de vie qu'il avait découverte dans chaque endroit qu'il avait traversé jusqu'ici, dans cette forêt. Pour les étrangers il était difficile d'imaginer la force immense des fantasmes qu'il avait patiemment cultivés alors qu'il maudissait le sable envahissant de son village d'origine, ce sable qui s'infiltrait partout dans ses affaires et qui tuait tout ce qui n'y était pas né.

-Alors... Que fais-tu ici ?

Elle ne répondit pas alors Aylin continua avec bonne humeur :

- Hmm... Une jeune ouvrière de l'usine de tisserands partie prendre l'air à la lisière ? Une sœur ou une cousine venue visiter sa famille ? Ou bien.... Une jeune fille en quête de liberté ? Demanda-t-elle de plus en plus grandiloquente.

La fille aux cheveux blancs parut s'étouffer de surprise et Nayle retint un petit rire. Ce n'était pas si difficile à deviner après tout : l'inconnue n'avait pas l'air d'être une chasseuse et l'usine se trouvait à moins d'une lieue. Il regardait Aylin s'amuser de la découvrir si naïve et si transparente. Cette inconnue ne correspondait en rien à ce qu'il s'imaginait d'une lyugane.

- Grand bien vous fasse, je vous souhaite toute la réussite pour votre nouvelle vie ! s'exclama son amie en lui tendant de la viande séchée que la fille s'empressa de mâcher.

- Pouvons-nous vous aider pour quelque chose d'autre ? lui demanda Nayle.

- Je n'ai rien à vous proposer en retour, répondit-elle.

Il se rappela que les cités du sud n'étaient tenues aux règles de son clan. Elle restait sur ses gardes. Ils étaient tous les deux des étrangers ; c'était naturel de se méfier, mais pour lui, les coïncidences n'existaient pas. Si le Dieu Créateur l'avait mise sur leur route, peut-être leur rôle était-il de lui porter secours. . Sans laisser paraître d'émotion, il lui dit simplement.

- Aldrae se rappellera notre don et vous n'aurez qu'à nous remercier en lui faisant une offrande à la nouvelle lune.

La fille releva brusquement la tête au nom d'Aldrae. Comme souvent, il vit le regard de son interlocutrice changer, il y vit la surprise, et une peur diffuse. Pour lui, c'était la divinité unique, sa gardienne ; pour elle, elle évoquait des sectes obscures, rompues aux armes et aux manigances.

La fille sembla hésiter mais demanda d'une voix faible :

-Vous êtes issus de la Famille Rénai ?

-Nayle Zyandrel, enfant de la terra Renai, pour vous servir, dit-il en s'inclinant respectueusement devant la jeune fille.

La confirmation provoqua chez elle un mouvement de recul.

Comme souvent, les sudistes étaient peu renseignés sur les mœurs de la contrée du sable. La Famille Rénai était crainte car assimilée aux mercenaires les plus cruels et aux espions les plus efficients de toute l'île d'Ashirel. Cette réputation avait toujours servi les intérêts de sa famille et avait gardé le village hors des campagnes conquérantes des différents souverains qui préféraient les inviter comme conseillers ou comme diplomates. Mais, Nayle trouvait ça presque amusant que la fable caricaturale de leurs exploits sournois soient inlassablement répétée sans que personne ne se doute que des êtres humains si monstrueux puissent vraiment exister.

-Aylin Thuriglar, enfant de la terra Renai pour vous servir, ajouta la grande femme brune, prenant exemple sur son compagnon.

La fille les dévisagea tous les deux. Elle semblait curieuse mais retenait sa langue, comme effrayée que des questions dérangeantes leur donnent l'envie de la lui couper. Se rappelant les convenances, elle opta pour une annonce moins dangereuse.

- Je suis Silaria quae Anishar.

Nayle savait que le noble nom du seigneur de Narranda était attribué aux orphelins de la seigneurie mais la particule « quae » était déshonorante, désignant les êtres les plus en bas de l'échelle sociale.

Il ne pouvait s'imaginer évoluer dans le monde sans sa famille.

Il y eut un froid et le regard de Silaria se durcit.

-Je n'ai pas besoin de votre pitié, reprenez votre route et votre charité si mon rang ne vous convient pas, lança-t-elle.

Il tiqua devant cette véhémence. Il se rappelait que les lyugans étaient empathes et comprit que son émotion avait été observée. Malgré tout, il trouvait vulgaire le spectacle enfantin de sa fierté blessée. Sa peine se mua en mépris. Il se redressa pour lui répondre mais Aylin s'interposa.

-Mettons de côté les préjugés, vous avez vous-même réagi en entendant notre origine. Nous venons en paix et mon ami vous a proposé son aide.

Silaria soupira :

- Oui, je me suis emportée et je m'en excuse. Prenons le temps de discuter un peu plus, je vous aiderai à allumer le feu.


                                                                                                 ****


Le feu brûlait avec énergie. Chacun s'attelait à la dégustation de sa part de lapin. Silaria les remerciait d'un sourire.

-Jeremercie les trois Dieux de vous avoir placés sur ma route. Ce repas est délicieux.

Nayle lui renvoya son sourire. Il se demandait si cette créature frêle pouvait représenter un danger potentiel pour lui ou pour Aylin. On lui avait toujours appris à ne pas se fier aux inconnus mais il avait mauvaise conscience à la laisser là, toute seule, dans cette forêt.

- D'où viens-tu ? l'interrogea-t-il d'un ton curieux.

- Du Faubourg de l'Est, répondit Silaria

- Nous n'y avons jamais posé les pieds... Comment est-ce ? l'invita Aylin.

- Il n'y a pas grand-chose à en dire. Ce n'est qu'un hameau composé de quelques maisons mais il y a un orphelinat seigneurial où j'ai grandi. C'est chaleureux mais on s'y sent très à l'étroit. C'est pourquoi, moi et quelques autres petits, on regardait souvent vers l'ombre écrasante de la Porte de l'Est qui mène au centre de Narranda. Quand elle s'ouvrait, on regardait avec attention mais les gardes nous repoussaient toujours avec mauvaise humeur. Alors, on restait à distance : on voyait les marchands venir de partout pour y porter toutes sortes de ressources et, plus rarement, un autre qui en sortait avec des jouets et des merveilles des plus étonnantes. Ils allaient de bourg en bourg et c'était pour nous le plus incroyable jour de la saison !

Elle avait parlé longtemps, un sourire vague aux lèvres, comme pour immortaliser un souvenir qu'elle ne pourra plus vivre.

- Où iras-tu quand la nuit tombera ?

Un silence.

- Nous connaissons un endroit. Ce n'est pas le plus confortable mais tu pourras y dormir, t'y reposer le temps de trouver un autre lieu.

La jeune fille les regarda. Le reflet des flammes dans ses yeux les transperça comme si elle essayait de voir leur âme. Elle les sondait et Nayle se demanda si elle pouvait lire dans ses pensées de cette façon.

Puis, elle approuva.

- Je vous remercie. Cette nuit seulement. Puis, je trouverai autre chose. Où allons-nous?

Aylin désigna les tours blanches avec un sourire. Alors, Silaria se troubla mais peina à dissimuler son excitation. 

-Mettons nous en route avant de nous laisser surprendre par l'obscurité, déclara Nayle.

Il remarqua le sourire de Silaria qui murmura

« Nous ne craignons rien de ce côté, si le jour est à votre avantage, la nuit est au mien ».

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Coucouce chapitre est un peu plus long (en terme de dynamique, pas tellement de mots). Dites moi si vous vous êtes un peu ennuyés. Comme pour le chapitre précédent, c'est une partie qui a été peu relue (l'histoire est pensée jusqu'au bout mais je réécris tout au fur et à mesure...) donc n'hésitez pas à me le signaler ; et bien sûr,  si vous trouver des fautes, des choses qui peuvent sembler peu cohérentes ou si le lore prend trop de place et rend le tout un peu fastidieux à la lecture!  


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