Chapitre 1 Vers l'orée nouvelle (1/2) - Silaria

« Ici est l'espace de votre vie à venir. L'espace du progrès et de votre richesse prochaine »

Le ton enchanteur de l'homme débonnaire venait vers le groupe d'orphelins comme une promesse intrigante. La salle était grande et le toit laissait pleuvoir une lumière blafarde sur leur visage.

Devant tous, le coton tourbillonnait comme de la neige ; les flocons volaient tout autour de la pièce, recouvrant les épaules et parsemant les cheveux de chacun. Certains enfants les attrapaient du bout des doigts et constataient presque surpris que la chaleur de leur corps ne suffisait pas à les faire disparaître.

Silaria n'en découvrait pas la beauté. Elle se demandait surtout comment ce petit homme replet pouvait garder parfait le noir de son complet. Circulant lentement sans jamais se faire atteindre par la pluie blanchâtre, le présentateur décrivait ses machines-tisserandes, ces trésors de la plus grande minutie, tandis que des ouvriers poursuivaient leur ronde, gris et indifférents. Elle ressentait au fond d'elle-même toute leur misère et leur lassitude, à eux, qui ne voyaient dans cette présentation aucun spectacle émouvant.

« Venez ! Approchez ! Regardez à quelle vitesse la trame se bâtit. Cette merveille tisse plus rapidement encore que vingt maîtres-tisserands et les rouleaux s'en vont dans les plus nobles maisons de Narranda et de Shalliath. Nous œuvrons pour notre seigneur, et pour le royaume tout entier! »

Peu importe. Il était évident que le bonheur n'existait pas dans un tel endroit. Les machines, monstres infatigables donnaient la cadence et les manœuvres s'activaient. Les femmes surveillaient le filage et les enfants se faufilaient sous les cordes tendues pour en dégager la saleté.

Devait-elle devenir l'un d'eux ? Maigre et agile, elle serait le parfait outil pour cette mécanique délicate. Après tout, ils étaient tous là pour cela, parce qu'ils devaient bien quelque chose au seigneur de la Cité qui, par ses dons, leur avait permis de manger et de se vêtir pendant plusieurs hivers.

La toux sèche d'un ouvrier émoussa cette faible résolution et elle se dit qu'il était surprenant qu'on permette moins aux machines qu'aux poumons des hommes et des femmes de s'encrasser de coton.

Le groupe avançait. A chaque pas, elle songeait à son avenir. Elle détaillait les visages tirés comme les cordes des machines, les expressions crispées par la concentration. Il y avait quelque chose de brutal dans leur régularité froide, dans l'odeur étouffante de la poussière et du vieux cuir des courroies, dans les reflets glacials du métal qui soutenaient les fondations de l'usine.

Quelque part sur la gauche, une porte grise, entrebâillée, comme pour l'appeler.

Le groupe avançait. Elle repensa à son seigneur et à sa famille logée au chaud dans un château qu'elle n'avait jamais vu, cette famille de nantis qui ne connaissait même pas son existence. Elle se demanda si vraiment, son destin qu'elle imaginait si glorieux pouvait commencer dans cette manufacture isolée.

De nouveau, la porte couleur de cendre.

Elle serait seule, sans autre ressource que les siennes. Elle mourrait peut-être dans la misère d'où on l'avait arrachée quelques années plus tôt mais quelque part, ce filin de lumière l'attirait et lui donnait du courage.

La cadence interminable, la lassitude des travailleurs l'éprouvaient comme si c'était elle qui s'activait autour des métiers à tisser. Pourquoi sacrifier sa vie dans cette étrange réplique hivernale où la joie n'avait pas sa place ?

Elle ralentit le pas, et cet acte de résistance fit battre son cœur plus vite. A présent dernière de son groupe, elle cherchait la manière de trouver son salut mais son courage oscillait chaque fois qu'elle s'éloignait de la troupe. Elle repesait sans cesse le pour et le contre, pour se forcer à rester, pour ne pas avoir à tester son courage.

Alors, elle tendit l'oreille, accrochant une nouvelle remarque du patron.

« Nous poursuivrons ensemble l'enrichissement de la Filature : vos foyers seront douillets et chaleureux car la Filature est une communauté solidaire et profitable à toutes et à tous. »

Non, vraiment, elle n'avait pas sa place dans ce mensonge.

Une impulsion. Silaria détailla les responsables occupés à converser, alors, le cœur au bord des lèvres, elle se mit en marche.

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