JULIETTE

Je froisse le document dont le décryptage m'a fait perdre une vingtaine de minutes de ma précieuse vie. Je jette rageusement la boule de papier contre le mur sous les ricanements de Roméo que je fusille du regard au passage.

Plusieurs fois dans ma courte carrière, j'ai ressenti l'envie d'envoyer valser mes responsabilités et déposer ma démission. Si d'habitude le simple visionnage de vidéos de mariage me rappelle la raison pour laquelle j'ai accepté ce poste, je sens que cette fois-ci cela ne suffira pas à m'apaiser. Cette mission m'épuise mentalement comme physiquement mais les enjeux sont tels que je ne peux abandonner le navire.

Je jette un coup d'œil au bijou que chaque employé du Département de l'Amour reçoit à son arrivée, une montre en or rose dont la forme du cadran est semblable à celle d'un coeur, et constate qu'il est à peine minuit. Parfait.

- Un petit voyage à Las Vegas ça te dit ?

- C'est pas vraiment le moment.

- Il faut savoir prendre une pause pour gagner en productivité, je renchéris en plaçant ma casquette gavroche noire sur ma tête.

Pour faire renaitre de ses cendres ma motivation, j'ai besoin de me laisser submerger par les émotions. Quoi de mieux qu'un détour par la capitale du mariage ?

Malgré les protestations du directeur du Sex-Appeal, je finis par le trainer dans une petite église au centre de la ville de la démesure, attirée par le néon "mariage 24/7" ornant la devanture. De nombreux couples, accompagnés de leurs familles respectives, attendent leur tour pour officialiser leur union.

Nous pénétrons dans la petite salle accueillant les cérémonies et je me laisse tomber sur un des bancs en bois blanc, suivie de près par Roméo. Les invités semblent trop préoccupés à commenter le costume du futur époux qui attend sa belle pour remarquer notre présence.

Soudain, une musique Rock'n Roll retentit et tout le monde se lève. Les lourdes portes s'ouvrent dans un bruit fracassant annonçant l'entrée en scène de celle que l'on attendait tous. Sa chevelure est d'un blanc aussi éclatant que son sourire radieux et quelques exclamations d'admiration fusent dans l'assemblée. Des têtes se penchent entre les rangs pour apercevoir davantage la femme de la soirée - ou plutôt de la nuit- tandis qu'elle s'avance dans l'allée centrale.

Elle réajuste sa robe bleue royale et lâche le bras de son ami qui l'accompagnait jusqu'à l'autel. Son fiancé ne masque pas son émerveillement et essuie discrètement une larme qui tentait de s'incruster dans le scenario. Elvis Presley veille sur l'échange visuel des amoureux d'un regard attendri, prêt à célébrer leur noce.

Avant de procéder à l'échange des alliances, la sexagénaire se lance dans un discours niais à souhait. Tandis qu'elle narre avec mélancolie la tristesse de ses journées en maison de retraite avant que son Johnny, aka « poussin d'amour » n'emménage dans le même couloir qu'elle, Roméo commence à piquer du nez. Je lui donne un coup de coude dans les côtes et me reconcentre sur le récit passionné de la vieille dame. Elle cède la parole à Elvis qui se lance à son tour dans un monologue.

- Et un beau jour l'amour frappe à votre porte lorsqu'on s'y attend le moins et vous apporte votre partenaire parfait pour danser le rock sur une de mes musiques, déclare le sosie.

- Lorsqu'on s'y attend le moins, c'est ça la solution ! Je m'écris en me relevant brusquement.

Les regards se tournent vers moi et le King affiche une mine désapprobatrice. Gêné, mon acolyte tire sur ma manche, me forçant à me rasseoir, et excuse mon comportement déplacé auprès des futurs-époux.

- Mais c'est quoi ton problème ? Tu veux du pain ou quoi ?

- Je crois savoir comment sauver l'amour, j'explique tandis que son regard s'illumine.

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