Chapitre 40 : Vérone, ville des amants maudits [Golden Wind]🐞
Les rues de Vérone semblaient figées dans le temps, préservées telles qu'elle les avait découvertes huit ans auparavant. Les façades aux couleurs chaudes des bâtiments, les pavés usés sous ses pas, chaque coin de rue évoquait des souvenirs qu'elle aurait préféré laisser derrière elle. Pourtant, le destin l'avait guidée ici, à la recherche d'un contact pour le gang de Bucciarati.
Le contact de Bruno était un propriétaire de librairie, et le hasard avait voulu que cette librairie soit située juste à côté de la Piazza delle Erbe, la place où elle avait partagé des moments précieux avec Jean-Pierre. C'était comme si le passé se dressait devant elle, une ombre persistante dans le présent, comme un rappel cruel de ce qu'avait été sa vie, à une époque.
Gwen marchait, perdue dans ses pensées, quand son regard fut captivé par la table d'un café. Une table où, il y a huit ans, elle avait partagé un café avec Jean-Pierre après avoir gravi la Torre dei Lamberti. Un sourire timide sur ses lèvres, il lui faisait face, le regard pétillant de complicité. Elle cligna des yeux et la vit. Une chevelure entre le blanc et l'argent, avec ce port si particulier. Son souffle se coupa sous la surprise.
Un instant d'égarement et elle se mit à avancer, puis à courir, happée par l'idée que peut-être, miraculeusement, il était là.
— Hé ! Gaëlle ? Qu'est-ce qui te prend ? On nous attaque ? interrogea Mista en la voyant s'éloigner.
Les exclamations interrogatives de Mista restèrent en arrière, étouffées par l'urgence de ses pas. Elle entendait à peine Giorno qui donnait des instructions à ses compagnons pour la suivre, emboîtant le pas de la femme qui s'éloignait vers la foule, à l'autre extrémité de la place.
— Jean-Pierre ! appela-t-elle.
La vue lui fut obstruée par des passants et elle piétina, nerveusement. Les visages curieux devinrent des obstacles, mais elle les repoussa sans ménagement, sa course devenant un cri silencieux vers l'impossible.
— Excusez-moi, pardonnez-moi, laissez-moi passer ! articulait-elle, la voix tremblante, son cœur tambourinant dans ses oreilles.
Enfin, elle atteignit le café, ralentissant brusquement. L'espace d'un battement de cœur, elle scruta la terrasse, espérant voir cette silhouette familière. Mais rien. Aucune trace de celui qu'elle avait cru apercevoir.
Son coeur sembla s'arrêter, laissant place à une déception poignante. Une main se posa délicatement sur son épaule, la faisant sursauter. Giorno était là, un mélange de préoccupation et de compréhension dans ses yeux bleu-vert.
— Qu'est-ce qui ne va pas, Gaëlle? demanda-t-il doucement.
Elle détourna le regard du café, sentant le poids de ses illusions perdues. Il capta la déception infinie dans son regard alors qu'elle lui tournait le dos pour lui cacher l'expression de son visage.
— Rien... J'ai cru voir... J'ai cru apercevoir quelqu'un que je connaissais.
Giorno ne pressa pas plus, respectant le silence qui suivit ses paroles. N'avait-elle pas eu la voix moins assurée que de coutume ? Qui avait-elle pensé voir ?
Le blond savait que cela ne le concernait pas mais il se sentait intrigué. Cette femme lui rappelait définitivement quelqu'un, mais elle ne savait pas qui.
— Hé bien ?! Qu'est-ce qu'il t'a pris ? demanda Narancia.
Gênée, elle ravala son air coupable et répondit d'un air détaché :
— Rien. Continuons, s'il vous plaît.
Bruno darda sur elle un regard qu'elle ne sut interpréter et déclara d'un air sombre :
— Bien. Nous y serons dans quelques centaines de mètres.
La librairie à l'aspect modeste se dressa devant eux, et Bruno fit signe à Gwen de le suivre. Un carillon tintant au-dessus de la porte les accueillit, et un homme d'un certain âge, au visage souriant et chaleureux, apparut derrière le comptoir.
— Bonjour, bienvenue à la librairie Zeppeli.. Bucciarati ? C'est toi ?!
— Bonjour Antonio.
Le jeune homme sourit, alors que l'homme, qui devait avoir une soixantaine d'années, au visage souriant et ridé, venait serrer affectueusement la main de Bruno.
— Qu'est-ce que tu viens faire par ici ? Tu as besoin de quelque chose ?
Puis, toujours souriant, le vieil homme regarda la femme qui accompagnait Bruno en disant :
— Je suis très reconnaissant envers Bucciarati, il m'a sauvé la mise il y a quelques années.
Le chef de gang sourit chaleureusement quand le libraire demanda :
— Vous prendrez une tasse de café, de thé ? Qui est la personne qui t'accompagne ?
Bruno tourna la tête vers Gwen avant de dire :
— Antonio, voici Gaëlle Portais. Et c'est pour elle que j'ai besoin de ton aide. Il faudrait que nous ayons un ordinateur portable.
— Oh.. Cette fois, ça a l'air sérieux.. qu'est-ce que vous avez fait ?
Bruno soupira, regardant son ami de vieille date avant de murmurer :
— J'ai trahi la famille, Antonio.
Le vieil homme secoué, se laissa tomber sur son fauteuil, éberlué.
— Merde. Bucciarati.. t'es sûr de toi ? Tu pourrais mourir.
L'homme au cheveux noirs cligna lentement des yeux, avant de finir par soupirer :
— Non, je ne suis pas sûr. Nous avons d'excellentes raisons de penser que nous allons y arriver.
— Je suppose que tu ne restes pas discuter.
— Je ne veux pas que tu aies des ennuis, Antonio.
Il soupira, et se redressa :
— J'ai ce qui faut, attends un peu.
Il disparut dans l'arrière boutique.
— Voilà ! Il.. il était à mon fils. Vous savez, un brillant officier de police. Je le soupçonne de m'avoir laissé ses codes au cas où j'aurais besoin d'accéder aux bases de données en cas de souci.. vous voyez ?
Les larmes aux yeux, Antonio releva ses orbes bruns vers le mafieux.
Bruno, en geste de compassion, posa sa main sur l'épaule du vieil homme.
— C'était un bon garçon, vraiment.. Mais.. il est mal tombé en sortant d'un bar, une fois. Et j'ai été soulagé qu'il meure, parce qu'il souffrait beaucoup.
Le chef de gang eut un mince sourire sincère, tout en pressant ses doigts sur l'épaule d'Antonio.
— Je sais, Antonio.
Se tournant vers Gwen, l'ordinateur dans les mains, il le tendit à la femme qui le prit. Ses doigts caressèrent la surface de la housse de protection.
— C'est notre meilleure chance, conclut Bruno avant que le libraire ne se reprenne, leur souriant.
— Bon, je dois fermer la boutique. J'espère sincèrement qu'on se reverra, Bucciarati.
Le jeune homme darda sur Antonia un regard franc.
— Je l'espère aussi. Prends soin de toi.
Quand ils sortirent de la librairie, la rue de Vérone s'étendait devant eux, pavée d'histoires qui semblaient ressurgir à chaque coin de rue. Gwen ne pouvait s'empêcher de regarder chaque visage, chaque personne, comme si elle pouvait y retrouver un écho du passé.
— Vous avez l'ordinateur ? demanda Mista.
Bruno hocha la tête et Abbacchio fixa du regard la housse que la brune serrait contre elle.
— Où devrions-nous aller ? demanda-t-elle à Bruno, l'œil attentif aux moindres détails.
Il observa les rues avec une connaissance qu'elle ne possédait pas. Après un moment de réflexion, il désigna une petite rue du menton.
— Il va faire nuit. Cela m'étonnerait que le Parrain soit au courant de l'endroit où nous nous trouvons mais on est jamais trop prudent. On se sépare. Abbacchio et Narancia, Giorno et Mista, vous gardez la tortue et Trish aussi, je compte sur vous et.. Gaëlle tu restes avec moi. On cherche un hôtel discret, rendez-vous dans deux heures au pied de la tour.
Ils acquiescèrent et se mirent à la tâche.
Deux heures plus tard, alors que la nuit tombait, Bruno, Gaëlle, Abbacchio et Narancia attendait au pied de la tour.
— Il sont en retard, Bucciarati, gronda Leone.
— Je sais.
Gaëlle, un peu en retrait, voyait bien que le chef de gang paraissait nerveux, malgré son attitude paisible.
— Et s'ils s'étaient fait attaquer ? demanda doucement Narancia.
Une demi-heure plus tard, Narancia piétinait sur place.
— On poirote depuis une demi-heure, Bucciarati ! Et s'ils ne revenaient pas ?!
Bruno se passa la main sur le front, regrettant amèrement que se soit le groupe qui gardait Trish qui se soit fait attaquer. Est-ce que ça voulait dire que le Boss était au courant de leur présence ici ?!
Enfin, c'est un Mista essoufflé, soutenu avec mal par une Trish décidée qui parurent.
— Tout va bien ?! Mista, tu es blessé, intervint immédiatement Bruno.
— On a été attaqué, Mista a une blessure au flanc droit et Giorno..
— Quoi ?! L'autre abrutos est mort ? Quelle perte ! grogna Leone. Il est moins résistant que je ne le pensais.
Bruno foudroya Leone du regard et fixa ses yeux sur Trish.
— Il nous a sauvé la vie. Et.. il a perdu ses bras, il est inconscient pour le moment. Il.. il est dans la tortue.
Gaëlle regardait le groupe se décomposer, l'air effondré.
La jeune femme les calma d'un geste, assurant :
— Mais je crois.. que ça va aller, sa broche.. est en train de se transformer en son bras gauche.. ça devrait aller mieux très vite.
— Les gars, vous auriez du voir ça ! Le stand de Trish est cool ! murmura Mista, tout en maintenant une pression sur son flanc d'où du sang s'échappait d'entre ses doigts.
— Tu.. Quoi ?! s'étrangla Leone.
— Quand as-tu éveillé ton stand ? interrogea Bruno.
— Il y a à peu près une heure, pourquoi ?!
Le chef de gang soupira, regardant à travers la lucarne de la tortue le corps inconscient de Giorno.
— Rejoignons l'hôtel que j'ai trouvé. Trish, s'il te plaît, retourne dans la tortue, et veille sur Mista et Giorno.
Elle acquiesça et disparut, alors que Bruno commençait à marcher une dizaine de minutes, disparaissait et apparaissant dans la nuit, au rythme des lampadaires, avant de s'arrêter devant la façade d'un hôtel discret.
— C'est un endroit un peu reculé, loin des regards indiscrets. Nous y passerons la nuit.
Lorsqu'ils entrèrent dans le hall, la lumière tamisée, la moquette au sol et la disposition des décorations les fascina un moment.
Bruno s'avança vers le réceptionniste, homme d'âge moyen, souriant, les laissant dans le hall, elle, Leone et Narancia.
Son regard vint accrocher un miroir accroché là. Elle avisa la pâleur de sa peau, la maigreur de son corps, la cicatrice qui ornait à présent sa joue, son cou, disparaissant au delà de son col. Elle vit la lueur presque fiévreuse de ses pupilles vertes et s'empressa de détourner le regard.
À l'intérieur de l'hôtel, l'anxiété monta en elle. Bruno leur annonça la distribution des chambres et sans surprise, elle devait partager sa chambre avec Trish.
— Bon, si la main de Giorno est prête, et qu'il retrouver connaissance, il faut soigner Mista. Rendez-vous dans une heure et demie dans la chambre des filles.
Tous acquiescèrent et Gwen ouvrit la porte de sa chambre, laissant entrer Trish.
— Est-ce que ça te dérange si je prends ma douche la première ? demanda-t-elle.
— Non, vas-y.
La française posa l'ordinateur sur la table, l'ouvrit et l'alluma. Par où commencer ?
Glissant la clé USB dans le port de l'appareil, elle ouvrit la photo, lança le logiciel de données et effectua une recherche dans la base de données de la police.
Votre recherche peut prendre du temps, veuillez patienter.
En soupirant, elle éloigna un peu l'ordinateur et prit un papier et un crayon.
Elle était perdue dans ses pensées, son regard suivant la barre de chargement quand la porte de la salle de bain s'ouvrit.
Trish, complètement nue, pas le moins du monde gênée, passa devant elle pour aller prendre dans son sac une tenue propre.
— Tu ne veux pas lâcher cet écran des yeux deux secondes ? l'interrompit-elle. Tu vas avoir mal à la tête. Et une douche.. ça fait vraiment du bien. Je te préviens dès qu'il y a un résultat.
Gwen sourit, tristement, regardant la jeune femme en face d'elle.
— Je suis désolée que tu te retrouves dans ce bazar. Ce n'est vraiment pas idéal.
— On ne choisit pas sa famille.
La trentenaire admit que cela était vrai et se leva, s'étirant.
— Bon, une douche..
— J'ai une autre tenue de rechange, et un pantalon. Comme le tien est fichu. T'es plus maigre que moi, il devrait t'aller.
— Merci beaucoup Trish.
— C'est moi qui te remercie. Enfin.. ça fait bizarre à dire vu que techniquement tu vas nous aider à tuer mon père.. mais merci quand même.
Gwen lui sourit doucement et prit la tenue, allant profiter d'une douche chaude.
Quand elle sortit de la salle de bain, ses ondulations alourdies d'humidité pas encore dissipée, elle entendit un léger bruit venant de l'ordinateur.
— On a une liste de nom, lui dit Trish, se tournant vers elle.
— Combien ?
— Deux cent soixante seize. Comment on va faire pour savoir lequel est le bon ?
— On va tous les analyser, un par un. Tu disais que ton mère avait rencontré ta mère en Sardaigne. Regarde, on va pouvoir appliquer des filtres, pour trier.
Des coups résonnèrent sur le battant de la porte.
— Entrez ! clama Trish.
Bruno entra le premier, s'installa sur une chaise, autour de la table, comme Giorno et Leone. Mista s'affala sur le lit de la brune et Narancia s'assit à côté de Trish, sur son lit.
— Bon qu'est-ce que ça donne pour l'instant ? demanda Bruno, l'air sérieux, avisant l'écran de l'ordinateur.
— J'ai téléchargé la photo que j'ai prise sur une base de données de la police italienne. Le logiciel utilise en gros les caractéristiques biométriques, pour établir une liste d'individus qui correspondraient à notre profil.
— Tu as combien de profils ?
— Deux cent soixante seize pour l'instant. Il faut appliquer des filtres, si vous avez des idées. Je vais en mettre un premier. Il faut que l'individu ait vécu en Sardaigne.
Quatre clics plus tard, la liste s'était déjà considérablement réduite, ne restait plus que cinquante trois profils.
— Un filtre sur la date ? proposa Giorno.
Bruno hocha la tête.
— Bonne idée. Trish, une idée ?
— Mmh.. Ma mère avait 17 ans quand elle a rencontré mon père, qui devait avoir à peu près le même âge à l'époque.
— As-tu une idée de l'année où il ont pu se rencontrer ?
— Je.. je n'en sais rien..
La jeune femme réfléchissait intensément et finit par les regarder.
— Attendez ! Ma mère avait cette photo, dans notre appartement, avec la date. Je suis sûre que c'était l'été 1985. Je pense que c'était mon père qui l'avait prise en photo ce jour là.
— 1985.. murmura Mista, l'air épuisé.
— Ce qui nous fait une année de naissance aux alentours de 1967.
— On met quoi ? de 1965 à 1969 ?
— Ouais, essayons comme ça.
Gwen appliqua le filtre et relança la recherche. Cette fois, seuls quelques noms apparurent à l'écran.
— On a quelque chose les gars ! jubila Narancia.
— Gonerio Valdo... Pepi, Rolando Viegioppe et Leonardo Ivo Gippe, énuméra Trish, concentrée sur l'écran.
— Est-ce que ces prénoms te disent quelque chose ? demanda doucement Bruno à la fille de Diavolo.
— Pas le moins du monde. Gonerio.. Rolando.. Leonardo..
— Tu es sûre, pour l'année ? commença Giorno.
— Oui, je suis sûre, je crois.
— Tu crois ?!
— Je suis persuadée que c'est 1985, c'est juste, à force, je faisais plus attention en regardant la photo.
— Bon admettons que la véritable identité du boss est parmi celles-là.. commença Bruno.
— Euh.. ça va être compliqué, coupa Gwen. Tous les trois sont morts.
— Quoi ?!
— Gonerio dans un incendie, Rolando d'un accident de voiture et Leonardo de noyade.
Ils soupirèrent et regardèrent l'écran. Mista s'était endormi, tout comme Narancia et Trish luttait contre le sommeil. Le découragement les prenait. l'attaque sur Mista, Giorno et Trish devait les avoir épuisés parce que les concernés baillaient beaucoup.
— Bon, je crois qu'on aura pas mieux ce soir.. la nuit porte conseil, on réessayera demain, soupira Bruno.
Les garçons se levèrent et sortirent de la chambre, leur souhaitant une bonne nuit.
Gwen, assise sur la chaise, son genou gauche ramené contre elle, tapotait doucement la gomme de son crayon sur la feuille où elle avait écrit les trois noms. Trish s'était endormie aussitôt que sa tête avait touché l'oreiller.
Elle dirigea son regard vers la fenêtre. Il y avait quelque chose avec ces noms qui attiraient son attention. Sortant discrètement de la chambre, pour laisser Trish dormir en paix, elle se posa dans le salon de l'étage où ils étaient. Il était deux heures du matin, personne n'était réveillé.
Le papier dans les mains, elle réfléchissait, supposait, marchait en rond, s'asseyait.. Et les heures défilaient.
Est-ce que ce n'était pas les mêmes lettres qui revenaient, à chaque fois ?!
Prise d'un éclair de génie subit, elle écrit les noms en lettres capitales, comparant les lettres entre elles.
Son coeur se mit à battre plus fort quand elle réalisa que les trois noms pouvaient être écrits en mélangeant les différentes lettres. Ils n'étaient qu'une seule et même personne !
La connaissance de ce fait lui redonna de l'espoir. Trois personnes avec des noms avec les mêmes lettres, qui ont vécu sur la même île et qui avaient sensiblement le même âge ? Cela faisait trop de coïncidence pour que cela en soit une.
Restait à trouver l'identité encore vivante de leur ennemi.
La fatigue la submergea telle une marée soudaine, emportant avec elle la tension et l'adrénaline qui avaient maintenu Gwen alerte jusqu'à présent. Ses paupières, lourdes comme des rideaux de plomb, se fermèrent involontairement. La table sous ses bras se transforma en un oreiller improvisé.
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