Chapitre 13 : E strano ! Gioia !

Venise, Italie. 21 mars 1993, 19h13.

— Misère.. Jean-Pierre, je n'arrive pas à fermer ma robe.. 

Le jeune homme rit, se moquant gentiment de la jeune femme qui gesticulait, essayant en vain de tendre sa main dans son dos pour resserrer les lacets de sa robe. 

Elle avait opté pour une robe de soirée bleu ciel, à la jupe ample et longue. Un corset piqué de perles de nacre se fermait grâce à des lacets dans le dos, un col poète et de grandes manches lanternes légères et translucides s'achevaient par un ruban argenté large qui entourait son poignet et le début de son avant-bras. 

Le manieur de Chariot, encore torse nu, vint rejoindre sa femme dans la salle de bain pour l'aider. Il sourit, attrapant les deux lacets pour commencer à les serrer doucement, en partant du bas. Gwen lui sourit, dans le miroir, avant de voir Jean-Pierre lorgner soudain sur la peau encore apparente de ses épaules et de son dos. 

Elle frissonna en sentant le souffle de l'homme caresser son épiderme bronzé et elle se pinça les lèvres. Il abaissa son visage pour venir embrasser sa nuque et déposer une traînée descendante de baisers sur sa peau. 

La vision de sa concentration dans le miroir la fit sourire et elle dit soudain :

— Jean-Pierre, stop ! Nous devons finir de nous préparer ou nous ne serons jamais à l'heure. 

Il soupira, finissant de lacer sa robe avec une moue mi-boudeuse mi-amusée. 

— C'est de ta faute, il ne fallait pas mettre une robe comme celle là. 

Elle râla. 

— Ma robe est correcte, c'est toi qui n'est pas capable de te concentrer. 

Il rit et elle se retourna pour saisir sa chemise blanche et la lui enfiler. 

— C'est vrai, tu n'as pas tort, admit-il en faisant ses boutons.

Gwen eut un sourire, en attrapant la cravate Lavallière bleu clair, assortie à sa robe avant de relever du bout des doigts le col de sa chemise et de glisser le ruban de soie derrière son cou. 

Elle noua la cravate de soie plissée et se pencha encore pour attraper le gilet noir aux boutons argentés, le laissant l'enfiler alors qu'elle s'enfuyant dans la chambre pour récupérer la veste noire. 

Il la rejoignit, finissant d'attacher ses cheveux derrière sa tête avec un ruban et de sourire, enfilant la veste. 

Gwen le contempla silencieusement avant de dire : 

— Je n'aurais jamais cru que la redingote t'irait si bien. Tu donnes presque l'impression de surgir tout droit du XVIIIe siècle.  

Polnareff se regarda dans la glace et sourit de plus belle. Oui, il avait fière allure avec cette cravate, son catogan et sa redingote élégante. Et le regard que lui porta Gwen le rassura quant à sa sincérité. Il la fixa longuement, aimant la façon dont elle avait attaché ses cheveux. 

— Si j'avais su que ça me donnait l'air si séduisant je me serais habillé comme ça le jour de notre mariage. 

Gwen rit, posant sa main sur le torse de son époux pour l'embrasser furtivement. 

— Tu sais ce qu'il te manque ? 

— Non. 

— Une canne. Ce serait parfait. 

Il ricana, la regardant dans les yeux, laissant glisser sa main sur sa joue. 

— J'ai vu que le réceptionniste en avait une jolie collection. Peut-être que je devrais lui demander ? 

Son épouse lui sourit, amusée. 

— Il faudrait qu'on y aille. 

Elle saisit sur le lit son long manteau cape noir et tendit à son époux son manteau de feutre sombre, presque aussi long que le sien. 

Ils se regardèrent, satisfaits du résultat. Ils avaient vraiment l'air d'être retournés dans le temps et cela leur plaisait un peu. Gwen était excitée comme une puce, trop heureuse d'aller voir un opéra. Le code vestimentaire pour y aller était tout de même assez strict et en cette période de l'année, un festival en cours encourageait même les spectateurs à s'habiller selon la mode du XVIIIe siècle. 

Franchement, quand ils voyaient le résultat, cela en valait la peine.

Ils descendirent les escaliers de l'hôtel, croisant deux couples d'italiens  qui sourirent et les saluèrent avec joie. 

Quelques minutes plus tard, installés dans une gondole qui les conduisaient vers l'opéra de Venise, la Fenice

Le lieu était grandiose. Cinq étages de loges dorées grimpaient jusqu'au plafond pour une fois assez sombre, tranchant avec l'abondance des décors des balcons et des sculptures qui bordaient la scène et son épais rideau de velours pourpre. 

— Qu'est-ce que veut dire Fenice ? demanda Gwen, accrochée au bras de Jean-Pierre. 

Ce dernier sourit, regardant la scène avant de dire : 

— Phénix, parce que cet opéra a vécu une bonne demi-douzaine d'incendies et qu'il a toujours été reconstruit sur ses cendres. 

Ils trouvèrent rapidement leur place dans cette immense salle en forme de fer à cheval et se trouvèrent bientôt dans une loge au deuxième étage, à droite de la scène.

Avant que le spectacle ne commence, Gwen murmura : 

— C'est ici qu'a eu lieu la toute première représentation de La Traviata.. 

Polnareff sourit, se débarrassant de son manteau à la suite de son épouse. 

— Il y a fort à parier que lorsque que Verdi a écrit cet opéra, il pensait déjà à sa mise en scène ici. Est-ce que tu connais un peu l'histoire de la Traviata

— Non, avoua-t-elle. 

Le jeune homme attrapa le carnet et en lut rapidement le résumé à Gwen.

— Entretenue par le riche baron Douphol, la courtisane Violetta Valéry se complaît dans son rôle de « dévoyée » (traviata) en s'étourdissant dans le luxe et les plaisirs pour oublier la terrible maladie qui menace ses jours. Au cours d'une des fêtes qu'elle donne chez elle, Violetta se laisse séduire par Alfredo Germont, un jeune homme passionné dont la ferveur parvient à la détourner de sa vie dissolue. Ayant tout abandonné, Violetta croit pouvoir vivre son amour avec Alfredo à la campagne, loin de l'agitation de Paris ; mais pour goûter ce bonheur simple et bucolique, la jeune femme doit vendre ses biens les uns après les autres. Aux soucis financiers s'ajoutent bientôt les exigences du père d'Alfredo, Giorgio Germont ; il supplie Violetta de rompre avec son fils car la liaison d'Alfredo avec une courtisane est un scandale qui rend impossible le mariage de sa jeune sœur. Violetta refuse de renoncer à son amour, puis elle finit par céder aux prières de Germont. Laissant croire à Alfredo qu'elle le quitte pour retrouver son ancien protecteur, Violetta accepte de se rendre à une fête où elle apparaît au bras de Douphol. Fou de douleur Alfredo rejoint Violetta qu'il insulte publiquement en lui jetant de l'argent au visage pour paiement de leur liaison. Quelques mois passent. Oubliée et ruinée, Violetta va mourir dans son appartement vidé par les créanciers. Seul l'espoir de revoir Alfredo la maintient encore en vie. Le jeune homme et son père arrivent enfin, mais il est trop tard. La joie des retrouvailles et le réconfort du pardon ne suffisent pas à sauver Violetta qui meurt dans les bras de son amant. 

La jeune femme regarda pensivement la scène sur laquelle quelques personnes traversaient le rideau, allaient et venaient, vérifiant sûrement les décors, l'emplacement des fauteuils et de la table. 

Les coups de vingt heures résonnèrent à l'horloge de la place Saint Marc quand le lourd rideau se leva. La salle plongea dans la pénombre et ils virent une pièce emplie de gens, habillés en costumes d'époques, riant, parlant, s'éventant debout ou assis sur des fauteuils et des sofas. Une immense table décorée d'une nappe immaculée et alourdies de plats délicieux trônait au centre.

Le premier acte se déroulait chez Violetta, lors d'une fête qu'elle donnait. Gwen, concentrée sur les gestes de comédiens, savourait la voix de soprano assurée de la protagoniste. Quand le dénommé Alfredo Germont entonna son hommage à Violetta, elle s'exclama à vois basse : 

— Ils ont des voix sublimes.. 

Jean-Pierre saisit sa main et elle sourit, se concentrant sur la pièce. 

Elle avait beau ne pas connaître l'italien, la musique était une langue universelle qu'elle était à mène de comprendre, était elle-même une musicienne accomplie. 

Elle frissonna avec effroi quand, lors de l'acte deux, Alfredo jeta Violetta à terre, et, après l'avoir insultée, lui jeta à la figure l'argent. 

La française ne pouvait que compatir quant à la peine immense de la jeune femme qui s'était détournée de celui qu'elle aimait par devoir et non par sa propre volonté. Autant, la scène précédente, avec les bohémiennes et les toreros lui avait beaucoup plus, autant elle se sentit triste en entendant la peine dans la voix désespérée de Violetta qui, déshonorée, se retirait, et découvrit de surcroît, l'aggravement de sa maladie. 

La deuxième entracte, pendant la préparation de la scène pour l'acte trois laissa le temps à Jean-Pierre de traduire une partie des dialogues à Gwen qui regardait, songeuse, les gens évoluer en dessous d'eux. Bien avant la dernière levée de rideau, l'orchestre commença à jouer un air doux, triste et mélancolique à la fois et la jeune femme y vit là la tristesse infinie de celle qui, s'étant détourné de son amour, avait subi l'affront d'être déshonorée par lui. 

La scène qui apparut au lever de rideau était bien sombre. Une chambre, froide et quasiment vide, plongée dans une obscurité quasi totale. Seulement éclairée par la pâle lueur d'un chandelier, le visage pâle et émacié de Violetta commença à chanter. 

Le médecin qui la visitait le lui confirma. Le mal qui l'atteignait s'aggravait. Elle ne tarderait pas à mourir de la phtisie

La chanteuse toussa violemment et retira de devant ses lèvres un mouchoir empreint de sang, essayant de se recoucher. 

Alors qu'une femme de chambre lui apportait une lettre, elle l'ouvrit et apprit ainsi que Giorgio Germont avait fini par tout révéler à son fils et qu'ils s'empressaient de venir à son chevet. 

L'émoi intense qui la saisit provoqua une autre crise qui la laissa pantelante, souffrant atrocement. Depuis combien de jours exactement avait-elle reçu cette lettre ? Ne devrait-il pas déjà être ici ? Le seul espoir de revoir Alfredo suffisait à la faire tenir, dans sa maison où les créanciers avaient déjà presque tout saisi.

Quand la femme de chambre revint, pour lui annoncer qu'un jeune homme était pour elle, elle s'effondra presque dans les bras d'Alfredo qui la rattrapa, lui présentant ses excuses, lui promettant une vie douce, loin de Paris, pauvres certes, mais heureux. Elle vacilla et s'effondra au sol, se retenant à une chaise alors qu'Alfredo se précipitait, l'interrogeant sur sa pâleur. 

C'est mon mal.. un instant de faiblesse, je suis forte maintenant ! Et je souris tu vois ?

O mon amour, ô souffleadoré de mon cœur !Il faut que je confondemes larmes avec les tiennes.Mais plus que jamais, crois-moi,il nous faut du courage.Ah ! ne ferme pas ton cœur,entièrement à l'espérance.Oh, ma Violetta, calme-toi,ta douleur me fait mourir, calme-toi !

Effondrée dans les bras d'Alfredo, alors que Germont lui demandait encore et encore pardon d'être responsable de leur séparation, Violetta se redressa, animée, avant de déclarer : 

È strano!Cessarono gli spasimi del dolore.In me rinasce - m'agita insolito vigor!Ah! ma io ritorno a viver!Oh gioia !

C'est étrange !Les spasmes de la douleur ont cessé.Je sens renaître en moi une vigueur étrange.Ah ! je me reprends à vivre...Oh...joie

Et elle s'effondra tout à fait sur le canapé, rendant l'âme. 

Le rideau tomba et le public se leva, acclamant la représentation alors que dans l'air lourd de la salle, les dernières notes de l'orchestre résonnaient encore, étouffées par les parois. 

Les applaudissement retentissaient, assourdissants, alors qu'elle relevait son visage vers celui de son époux. 

— Qu'en as-tu pensé ? demanda Jean-Pierre qui applaudissait vigoureusement. 

Elle sourit, applaudissant aussi, murmurant :

— C'était fantastique. 

Les chanteurs principaux vinrent saluer et les applaudissements ne tarirent pas pendant longtemps encore. 

Quand, enfin, la salle commença à se vider, Polnareff saisit le bras de Gwen pour le glisser sous le sien. 

— Est-ce qu'avant de rentrer à l'hôtel nous pouvons marcher un peu ?

Il sourit. 

— Pas de gondole donc. 

— S'il te plaît. 

Il acquiesça de bon coeur. 

Après tout, cela faisait deux jours qu'il la forçait à se reposer et elle se sentait vraiment en forme, assez pour se dépenser un peu. 

— Nous n'avons pas vu la basilique l'autre jour, proposa-t-elle, lui arrachant un sourire. 

— Tu es suffisamment bien chaussée ? 

Elle sourit. 

— Oui, ça va aller, mes talons ne sont pas hauts. 

— Allons-y alors, mon amour. 

Décidément, ils avaient choisi la bonne période. Ces jours-là, certains des monuments de Venise bénéficiaient d'une ouverture nocturne. 

Alors, les deux époux se rendirent sur la place Saint Marc où Polnareff resta sur ses gardes, et ils entrèrent finalement dans la basilique somptueuse. Gwen avait toujours adoré ce genre d'endroit. On s'y sentait tellement en paix. Les voûtes hautes étaient décorées de peintures sublimes à fond d'or, les arches étaient sculptées finement et le chœur était une œuvre d'art. 

Le jeune homme aperçut un prêtre vêtu d'une soutane, qui priait, son bréviaire posé sur ses genoux. Un vieux monsieur s'approcha de lui et lui dit quelque chose. Dans l'instant, l'homme d'église referma son livre de prières, enfila une aube blanche et une étole violette pour bénir ensuite l'homme qui fit un signe de croix. 

Il était vrai que beaucoup d'italien étaient croyants et à la vue de cela, il salua le dévouement des hommes de foi pour leur fidèles. 

Leur balade nocturne s'acheva avec le chemin emprunté deux jours plus tôt, à pied. Le Ponte de le Ostreghe était désert et ils s'arrêtèrent un instant pour contempler les lumières de la ville se refléter sur le canal. 

Ils ne leur restaient plus que trois jours à Venise. Et le lendemain, ils emprunteraient un bateau à moteur pour se rendre à Murano puis à Vérone. Deux visites qui s'annonçaient comme étant exaltantes. 

Ce soir là, dans leur lit, Gwen songea à la chance qu'elle avait eu de survivre. Jean-Pierre dormait comme un bienheureux et, silencieusement, elle regardait les quelques gondoles circuler sur le canal en contrebas. 

Son époux avait appelé le jour de leur retour de l'hôpital Jotaro pour le prévenir. Il l'avait remercié, et lui avait assuré que c'était la fondation Speedwagon qui avait saisi l'affaire et qu'il n'y avait rien à craindre car personne, même pas le Boss ne pourrait trouver où la fondation était cachée. 

Elle soupira, se blottissant contre son époux, l'enserrant de ses bras sans que cela le réveille pour autant. Maintenant qu'elle y pensait, il lui semblait bien qu'il y avait une histoire à propos de sommeil durant leur aventure en Égypte... Et une histoire de nourrisson aussi ? Elle ne se rappelait plus, elle ferait bien de lui demander dès le lendemain.

L'histoire tragique de Violetta encore inscrite dans la tête, elle finit par s'endormir, quelques heures avant le jour.

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