Chapitre 19 : L'Homme aux Milles Orgasmes


-Oh... fit Emma en regardant la femme devant elle. Donc, votre mari et vous avez décidé de vous tourner vers le porno pour pimenter votre vie sexuelle ?

-Oui, effectivement, sourit Bianca. Il y en a beaucoup dans ce cas, en France. Par contre, je ne sais pas comment ça se passe dans les autres pays.

-Vraiment ?

Assise en tailleur sur un pouf de l'une des salles de préparations, Emma était tombée sur l'actrice qui allait tourner avec Louis. Accompagnée de son époux, elle était très belle, très bien faite, avec un petit air coquin.

-Oui. Il y a beaucoup de personnes qui trouvent leur compte dans le X pour diverses raisons, expliqua Bianca. La réalité est bien loin du fantasme des ignorants, mais quand on est un peu... exhibitionniste, par exemple, ça peut être très excitant.

C'était un monde tout à fait différent, pour Emma qui découvrait sa sexualité depuis sa rencontre avec Louis. Toutefois, elle se voyait mal être à la place de Bianca. Ce n'était pas son genre de s'exposer.

-Et... Heu... Votre mari va participer au tournage ?

Yves, l'époux en question, secoua la tête avec un sourire.

-Pas cette fois-ci. C'est la première fois que Bianca va tourner avec Louis, alors elle a l'intention de... profiter de l'expérience. Je me contenterai de regarder.

Alors là. Bouche bée, Emma regarda le couple. Ils avaient l'air heureux, voire excités, de tout ça. C'était l'essentiel. Néanmoins, elle se demanda si ça la dérangeait de savoir que Bianca était en émoi à l'idée d'avoir un acte sexuel avec Louis.

D'un autre côté, il valait mieux qu'elle soit dans cet état, sinon ce ne serait agréable ni pour l'un ni pour l'autre.

-Les actrices ont un orgasme à chaque tournage ?

Bianca éclata de rire.

-Non ! Tu sais, Emma, les conditions sont particulières. Il y a toute une équipe qui nous regarde, on nous demande parfois de rectifier les positions pour la caméra, de prendre la pose... Par contre, je suis dans tous mes états et mon mari... m'aide à finir les choses après, quand c'est nécessaire.

Devant les joues rouges de l'étudiante, cette femme si confiante et sûre de sa sexualité gloussa.

-Toutefois, il parait que c'est différent avec Louis. C'est une légende dans le milieu. On le surnomme l'homme aux mille orgasmes, tu sais ?

Ça, pour le coup, elle voulait bien le croire ! La porte de la salle de préparation s'ouvrit à la volée à ce moment-là, faisant sursauter tout le monde. Essoufflé, la cravate à moitié défaite, la superstar de la jouissance féminine poussa un cri de frustration en découvrant son amante ici.

-Emma ! Je t'ai cherché de partout !

-Oh, désolée, j'avais une discussion très intéressante.

-Tu vas me tuer avant mes trente ans, s'exclama-t-il en se passant une main dans les cheveux. Oh, bonjour, Yves. Bonjour Bianca. Quant à toi, viens ici !

La jetant au travers de son épaule, il s'enfuit avec Emma sous les yeux médusés de ses collègues. Elle se retrouva de nouveau assise sur son bureau, au dernier étage. Décidément, elle se faisait trainer de partout comme un sac de patates, ici.

-Tu sais, je pouvais marcher.

-Emma, écoute...

Agité, il poussa un soupir en se laissant tomber sur son siège. Tout le monde était occupé avec les préparatifs. A priori, c'était une grosse production aujourd'hui. C'était pour cela qu'il avait l'air si angoissé ? Inquiète, Emma le considéra.

-C'est la première fois que je fais une transgression entre ma vie privée et ma vie professionnelle. La seule fois où j'ai ne serait-ce que parlé de cela... Mon ex m'a quittée. Je... C'est déjà un miracle que tu acceptes un tant soit peu la vérité, je n'ai pas envie de...

-Louis.

S'agenouillant devant l'homme aux mille orgasmes, Emma lui posa une main réconfortante sur le genou. Il se figea, l'observant d'un air circonspect.

-Tu sais, c'est moi qui t'ai demandé si je pouvais venir aujourd'hui. J'ai envie de savoir ce que tu fais, en quoi ça consiste. Même si c'est juste une fois, je souhaite savoir ce qu'est réellement ta vie, et non pas me baser sur les mythes.

-Je....

-Mais si ça t'angoisse à ce point, je n'y assisterai pas, tout simplement.

-Je ne suis pas angoissé, marmonna-t-il.

Elle haussa un sourcil.

-Pas la peine de faire ton gros viril. Tu n'as rien à prouver à personne à ce sujet, aux dernières nouvelles.

Il se rengorgea un instant d'une fierté toute masculine, avant de grimacer.

-C'est juste que... après ça, j'ai peur de te perdre.

Dans le silence de son bureau, ils se regardèrent dans les yeux, les doutes et les espoirs de l'autre s'y reflétant. Pourtant, Emma était certaine d'une chose. Même si elle ne pouvait le dire, même s'il était hors de question qu'elle le fasse maintenant, elle était très probablement en train de tomber amoureuse de lui.

Et même si elle ne dit rien, son expression douce rassura Louis. La prenant dans ses bras, il l'attira sur ses genoux. Ils restèrent un moment enlacés dans son bureau, jusqu'à ce que l'on toque à la porte. Pour une fois, Henry ne fit pas une entrée en fanfare.

Il était temps d'y aller.

Une fois dans la pièce du tournage, Emma découvrit un décor de cabine pirate. Bianca avait été transformée en belle captive langoureuse, et elle relisait les quelques lignes à savoir. Là, elle comprit que les vidéos de Louis tenaient lieu de superproduction dans le milieu.

Quand il arriva, elle sentit le rouge lui monter aux joues. Elle n'aurait jamais imaginé qu'un look débridé de pirate lui irait si bien. Une chemise faussement sale ouverte largement sur son torse, un foulard sur le front, les cheveux crasseux, il portait un pantalon large et des bottes de corsaire. Plein de pensées traversèrent l'esprit d'Emma, tant et si bien qu'elle sursauta lorsqu'il lui murmura à l'oreille :

-Si tu continues à me regarder comme ça, tu vas devoir prendre tes responsabilités quant à l'arrêt du tournage. À moins que tu souhaites prendre se place ?

Le rouge aux joues elle le considéra. Il haussa un sourcil face à son silence.

-Heu... Je... Les caméras, ça ne me botte pas.

-Tant mieux, fit-il en lui embrassant le front. Je n'ai pas envie de te partager.

Ça, c'était l'hôpital qui se foutait de la charité. Pour autant, elle lui sourit. Aimer se montrer ne voulait pas dire aimer partager les autres. S'il commençait à avoir ce sentiment de possession... Des papillons voletèrent dans le ventre d'Emma.

-Je suis désolé, mais il y a une condition pour que tu restes là, déclara-t-il.

-Ah ?

*

Le thème de la piraterie était toujours intéressant à exploiter, surtout dans le cadre des fantasmes féminins. Loin des stéréotypes de dominance masculine dans le milieu pornographique, son équipe et lui-même avaient choisi d'en faire quelque chose pour le public visé, c'est à dire loin de toute violence fantasmée. L'une des clés, c'était souvent le consentement mutuel évident.

Bien que des femmes aiment certaines formes de domination musclée consentie, là, il devait jouer le rôle d'un pirate tombé sous le charme de sa captive.

Il n'était jamais simple de bander en tournage, même avec la force de l'habitude. En l'occurrence, il ne savait pas si la présence d'Emma sur le plateau l'excitait ou lui donnait du fil à retordre. Concentré tout entier à ce qui se passait, il ne pouvait s'empêcher d'avoir des sentiments contradictoires.

Les yeux bandés, Emma se trouvait assise dans un coin, les oreilles à l'affut du moindre son.

Il trouvait cela excitant qu'elle l'entende, mais d'un autre côté, il aurait bien aimé qu'elle soit à la place de Bianca, mais sans les caméras et tout le monde alentour. Toutes ces choses contradictoires lui mettant la cervelle en bouillie, il décida de tout oublier pour le moment et de se concentrer sur sa partenaire. Après tout, Bianca était venue de Paris pour tourner avec lui, il devait au moins lui faire l'honneur d'être totalement présent.

Visiblement il s'en sortit plutôt bien, car une fois le tournage finit, elle s'endormit instantanément sur la table qu'ils venaient de malmener pendant environ une heure trente. Un ronflement bienheureux résonna bientôt, ce qui fit rire son mari. A priori, ça voulait dire qu'elle avait sacrément pris son pied.

Après avoir discuté avec le chef de tournage et remercié l'équipe pour son bon travail, Louis se dirigea droit vers une Emma statique.

-Tout va bien ?

Elle fit un bond sur son pouf. Malgré le bandeau en satin sur ses yeux, il pouvait voir le rouge de ses joues. Hum...

-Oui oui...

La voyant faire un geste pour ôter le morceau de tissu, il arrêta sa main. Bon, il voulait à tout prix prendre une douche. La conduisant jusque dans son bureau en lui tenant la main, il la fit s'asseoir sur le canapé avant de disparaitre dans la salle de bain attenante. Était-il gêné ?

Ses émotions contradictoires le dérangeaient, surtout. Lui qui n'avait jamais mélangé vie privée et vie professionnelle, il se retrouvait confronté à une nouvelle situation. Depuis le temps qu'il était dans le milieu, ça le perturbait au plus haut point.

En proie à une certaine confusion quant à la marche à suivre, il sursauta lorsqu'Emma se glissa entre le jet d'eau chaude et lui. Les yeux écarquillés, il considéra la jeune femme nue devant lui. Elle ne voyait pas grand-chose sans ses lunettes, pourtant elle caressa doucement son visage en lui souriant, avant de l'enlacer. La joue contre son torse, elle resserra ses bras autour de lui.

Cela draina toute son angoisse hors de lui. Il comprit alors ce qui le perturbait tant.

La peur du rejet.

La serrant contre lui, il embrassa le sommet de sa tête.

Si elle l'acceptait, alors, il pourrait le lui dire un jour.

Il inspira l'odeur douce de sa chevelure. L'odeur de miel de son masque pour cheveux.

Oui. Il pourrait lui dire combien il l'aime.

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