Chapitre 11 : Un Métier Peu Commun


La joue sur son bureau, Louis regardait par la fenêtre de ses locaux, en plein centre de Toulon, avec des soupirs réguliers. Il était arrivé à huit heures du matin, pour s'affaisser sur son siège jusqu'à se retrouver dans cette position peu confortable, mais dont il ne bougerait pas.

Ses employés étaient arrivés, lui avaient posé des questions auxquelles il avait répondu par un vague grognement. Personne ne l'avait jamais vu dans cet état, mais il s'en foutait.

Il n'avait même pas eu le courage de l'affronter ce matin. Il l'avait laissé partir avant de sortir de sa chambre. Ce n'était pas le plus mature, il le savait. Toutefois, il revoyait la tête d'Emma hier soir. Les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. En fait, elle n'avait plus bougé dès l'instant où il lui avait révélé sa profession. Comme un robot à qui on aurait ôté les piles, il n'y avait ni réception ni mouvements. Il avait fini par lui dire qu'il la laissait réfléchir à tout ça. Une heure plus tard, quand il était repassé pour aller à la salle de bain, elle n'avait toujours pas bougé.

Pourquoi il lui avait dit, hein ? Il aurait pu se taire et... et... vivre dans le mensonge ? Bon sang, mentir n'était jamais une bonne option ! Mais il ne pouvait quand même pas lui faire l'amour sans lui dire, non ? Ouais, et maintenant, il n'avait plus aucune chance de la toucher... Foutue morale...

-Dis-moi... Tu as eu un problème avec ta colocataire ?

Henry se laissa tomber sur la chaise devant son bureau, avant de poser les pieds sur ce dernier. Il savait que Louis détestait ça. Pourtant, il ne réagit même pas, ce qui l'alerta sur l'état de son ami.

Ne recevant pas de réponses, Henry se demanda si la question avait atteint son cerveau.

-Eh oh, patron ? Louis ? LOUIS !?

Il sursauta en se redressant, la marque du dessous de main sur la joue. Ah bah pour le sexe-symbole des acteurs pornos, il faisait un bon tableau, là.

-Quoi ? grommela-t-il en laissant aussitôt retomber sa tête, pour recommencer à fixer la fenêtre. Enlève tes pieds de là.

-Ça fait trois heures que tu es arrivé, et tu n'as toujours pas bougé. Tu as un tournage, une séance photo et un interview cet après-midi. Tu devrais te bouger.

-Pas envie.

-Comment ça, pas envie ? Comment le roi du porno peut-il ne pas avoir envie !?

-Je ne suis pas le roi du porno !

-Ça fait sept ans que tu gagnes le prix du meilleur acteur de l'année, sans compter tous les prix secondaires ! Tu te fous de moi !?

-Ça va ca va, pas la peine d'en rajouter ! J'ai pas envie, j'ai le droit, non !?

Il eut un petit silence, suite auquel Henry frappa sur le bureau en bois vernis de Louis. À n'en pas douter, on l'entendit crier depuis l'extérieur de la pièce, mais il s'en foutait.

-De toutes les bombasses folles de culs qui t'entourent, tu as choisi la seule prude de tout Toulon ! Tu me fatigues, Louis !

-Je fais ce que je veux !

-Bon sang, on est dans le sud de la France en plein été ! Y a des occasions à tous les coins de rue, surtout pour toi ! Tu sais combien de femmes rêvent de coucher avec toi !? Mais non, monsieur fait la fine bouche et évite les marathons sexuels des filles de la saison !

-Un peu comme les copines d'Emma, tu veux dire ?

Henry baissa les yeux sur son ami, qui avait posé le menton sur le bureau, cette fois-ci. Ah, il faisait moins limace, comme ça.

-Ça m'intéresse. Elles sont jolies ?

Louis grimaça.

-Je pense surtout que toi et Charles avez déjà couché avec, il y a deux semaines.

-Comment ça ? Tu veux dire, le jour où tu as rencontré Emma ?

-Ouais.

-Bordel, tu veux que je te rappelle que je suis bisexuel ? Je suis parti avec un mec ce soir-là. Un échec, d'ailleurs. Purée, Charles a dû mettre la main sur l'une d'elles ! Charles !

Alerté par le grabuge, l'avocat de la boite, l'un de ses meilleurs amis avec Henry, entra dans le bureau. Il écoutait à la porte depuis tout à l'heure, non ? Soudain, Louis eut un doute. Combien de personnes épiaient leur conversation, là ?

-C'est toi qui as couché avec les copines de sa colocataire !?

Charles, un homme viril et plein de charmes, haussa un sourcil. Dragueur invétéré, il aimait particulièrement la période estivale pour le renouvellement des stocks de partenaires potentielles.

-Qu'est-ce que j'en sais, moi ? Je ne connais ni sa coloc ni ces filles-là. Tu as une photo, Louis ?

Exceptionnellement, oui. Emma avait insisté pour en prendre une. Visiblement, son dimanche après-midi avait été très important pour elle. En sortant son téléphone avec la photo de lui et des trois filles en maillot de bain, il se dit que son visage figé à l'annonce de son métier resterait à jamais gravé dans sa mémoire.

-Purée, rien qu'à la photo on dirait un de tes pornos, lança Henry. Trois jolies filles avec toi, au bord de la piscine, à moitié nues.

-On a rien fait !

-Je suis juste jaloux.

-Y a pas de quoi. Tu sais très bien qu'en dehors du travail, je n'ai plus eu de relation avec quelqu'un depuis bien longtemps.

Il réfléchit, pendant que Charles regardait lui aussi la photo avec un sifflement admiratif. Ça faisait combien de temps, en fait ? Depuis ses vingt-huit ans, il avait remis certaines choses en perspectives, et les parties de jambes en l'air débridées n'étaient plus trop à son gout. Au grand désespoir de l'avocat et de son secrétaire. Le nombre de fois qu'ils l'avaient utilisé comme appât.

-Les deux nanas, effectivement, j'ai couché avec elles il y a deux semaines.

-En même temps !? s'exclama Henry.

-Par contre, la petite à lunettes je la connais pour une autre raison.

Louis releva complètement la tête de son bureau. Charles, qui continuait à étudier la photo, ne remarqua pas sa réaction. Henry, par contre, n'en perdit pas une miette.

-Comment ça ?

-Tu sais que je donne des cours à la fac de droit de Toulon, de temps en temps ? C'est à ce moment-là que j'ai recruté Emma. Elle a fait un stage d'un mois dans mon cabinet, l'année dernière. Très compétente, consciencieuse et déterminée. Il me semblait qu'elle travaillait au Starbique en même temps qu'elle gérait ses études.

-C'est bien ça, fit Louis. Attends, tu as d'autres choses à me raconter ?

Charles lui fit un sourire fourbe.

-Oui, mais uniquement si tu te mets au boulot.

Foutu avocat !

*

-Emma, tu mets tout à côté !

Son collègue lui arracha la tasse des mains, avant de lui dire d'un ton agacé d'aller dans la salle de repos faire une pause. Là, Emma regarda droit devant elle sans rien voir. Puis elle poussa un cri en se prenant la tête dans les mains.

Étant donné que c'était la troisième fois depuis ce matin, son collègue ne prit pas la peine de venir.

S'affaissant sur son siège, Emma frappa la table du poing, avant de laisser tomber sa tête dans ses bras croisés.

Pourquoi elle avait rien dit, hein !?

Avec un gémissement, elle se frotta les cheveux, se décoiffant totalement. Comment allait-elle faire pour rattraper le coup, maintenant ? Elle n'allait pas dire que la nouvelle ne l'avait pas surprise, voir choquée. Mais que pouvait-elle y faire, hein ? Rien.

Même si elle ne comprenait pas encore le rapport entre son travail de semi-commercial et son activité d'acteur porno, elle devait arrêter de trop réfléchir. Sauf qu'elle commit une erreur stupide. Sortant son téléphone de sa poche, elle tapa le nom de Louis sur le moteur de recherche. Des photos toutes plus sexy les unes que les autres sortirent. En chemise ouverte, sans chemise, avec un regard sexy, un sourire torride, les cheveux mouillés, pas mouillés. Et entièrement nu. Même si le floutage était bien placé, elle lâcha son téléphone avec un nouveau cri.

La vache !

Elle ne pouvait pas regarder ça ! Il était beaucoup trop beau dessus. Attendez, si elle pouvait le voir, plein de personnes pouvaient le voir aussi, non ? Elle réfléchit. En plus, ce n'était pas le pire. S'il était acteur porno, ce n'était pas que son torse que l'on pouvait voir.

D'un seul coup, son téléphone parut être son pire ennemi et sa plus grande tentation.

-NON ! s'exclama-t-elle en prenant sa tête entre ses mains.

-Tu es toujours aussi expressive, toi ?

Elle manqua tomber de sa chaise. Un illustre inconnu se trouvait dans la salle de pause. Grand, plutôt beau, il la fixait avec des sourcils froncés.

-Qui vous a laissé entrer ? Vous...

-Oh, ça va, je couche avec ton collègue, ça me donne un passe-droit. Je suis un pote de Louis. On s'est vu brièvement le soir où ton ex a cherché à t'agresser.

Ah oui. Elle se souvenait de lui, maintenant. Vaguement. Roux.

-Ah. Heu, merci d'être venu m'aider.

Un silence s'abattit entre eux. Henry semblait l'évaluer, ce qui la mit franchement mal à l'aise. Plus encore lorsque ses yeux se posèrent sur son téléphone, dont l'écran toujours allumé montrait la photo floutée de Louis. AH ! L'attrapant à la volée, Emma le fourra dans sa poche, le rouge aux joues. Le ricanement de l'autre ne lui échappa pas.

-Tu devrais discuter avec Louis, au lieu de regarder sur internet. Il y a un paquet de conneries à son sujet sur la toile.

-Bah, j'ai pas pu le voir, ce matin...

-Tu veux venir dans nos bureaux ? Il est en plein tournage.

*

-Tu as fait quoi !? rugit Louis en secouant Henry comme un prunier.

-Attends, attends ! Rhabille-toi avant, mon gars !

Il venait tout juste de finir son tournage, il sentait le sexe et il était nu comme un vers. Pourtant, habitué à tout ça, surtout devant son ami, Louis ne prit pas la peine de le lâcher, pour le secouer un peu plus fort, devant toute l'équipe, ses deux partenaires du jour comprises. Exténuées et languides, elles n'étaient pas encore parvenues à se relever.

-Pourquoi tu es allé la voir, hein !?

-Pour voir comment elle avait réagi à ta déclaration, vu que tu n'as pas eu le courage de la contacter.

-Mais pourquoi tu l'as invitée à venir ici, hein !?

-Pour voir sa réaction !

Justement, c'était bien ça qui l'inquiétait. S'arrêtant de le secouer, il regarda Henry avec suspicion.

-Aux dernières nouvelles, elle est toujours figée dans sa salle de pause avec une tête de con.

Ah. Bon, au moins, elle n'était pas ici. Par contre, elle avait eu la même réaction qu'hier soir. Une absence de réaction, en fait ? Ce n'était pas bien rassurant. Soudain, il eut un choc. Et si elle ne réagissait plus à son contact ? Si elle mettait une barrière invisible entre eux, parce que son métier la rebutait à ce point-là ?

Louis n'avait jamais eu honte de sa profession. Certains étaient faits pour les finances, lui il était fait pour la pornographie. Chacun ses talents. Toutefois, il n'avait pas eu beaucoup de relations amoureuses. En partie par choix, et en partie parce que les rares femmes qui l'avaient intéressé de cette façon l'avaient rejeté.

Lui qui était entouré de femmes consentantes et ravies de tourner avec « le » Louis, il était amoureusement attiré par celles qui n'avaient aucun rapport avec son monde.

-Franchement, Louis... Elle est mignonne, mais elle a l'air stupide.

-Si elle l'était, Charles ne l'aurait jamais recruté pour son stage, tu te souviens ? cingla-t-il. Emma est loin d'être stupide.

-C'est qui, Emma ? roucoula une de ses partenaires de tournage.

Il la considéra un instant, hésitant à la remballer sèchement. Malheureusement, elle était encore nouvelle dans le milieu, et il était connu pour tout faire pour faciliter la vie des nouvelles recrues. Ce n'était pas pour rien si son agence comptait des célébrités du milieu, maintenant.

-C'est ma colocataire.

-Ta coloc ? Mais tu n'es pas milliardaire ?

-C'est compliqué, grommela-t-il en reportant son attention Henry. Toi, tu t'approches encore d'Emma pour lui dire des conneries et je t'éclate les testicules, comprit ?

-Ah. Ça ne t'intéresse donc pas de savoir ce qu'elle regardait sur son téléphone ?

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