Chapitre 1 : Douce Emma


-Je te quitte.

Muette, Emma considéra Paul. Son ex, désormais. Beau garçon, il avait les bras croisés et la mine sévère. Ils étaient censés manger ensemble, mais elle savait déjà qu'elle ne toucherait plus à la salade posée devant elle. Sans mot dire, elle saisit son verre de soda, avant d'en aspirer le contenu à la paille en carton sans mot dire.

-Tu vois, c'est ça le problème ! s'énerva Paul. Tu ne réponds même pas !

Que voulait-il qu'elle lui dise, franchement ?

-Pourquoi, tu veux que je rampe à tes pieds ?

-Non ! Je... Bon sang, Emma ! Ça ne te fait ni chaud ni froid !?

En vérité ? Elle le sentait venir depuis un moment. Déjà, quand elle lui avait dit qu'elle sortait avec les filles le week-end dernier, il n'avait même pas daigné réagir. Pourtant, il savait bien que Virginie et Clarisse le détestaient et la poussait à trouver quelqu'un d'autre chaque soirée. En fait, elle le soupçonnait de la tromper depuis au moins un mois. Ce qui n'avait rien de surprenant, au demeurant.

-Paul, tu es un homme. Si sexuellement ça ne va pas, ça casse. C'est très simple.

-Putain ! Tu me sors ça comme ça !? Ce n'est pas moi qui suis une putain de frigide !

Frigide ?

Emma aspira un peu plus de soda avec sa paille, le regard fixé sur son ex.

Il n'avait peut-être pas tort. Il n'était pas le premier à lui faire ce reproche.

-Tu ne répliques même pas !? Tu me fatigues ! Adieu, Emma !

Ce serait un adieu de courte durée, étant donné qu'ils avaient tous les deux cours au même endroit. Toutefois, elle s'abstint de le lui rappeler. Heureusement qu'ils se trouvaient dans un fastfood, au moins ils avaient payé avant de s'installer.

La semaine commençait vraiment mal.

-C'est un sombre connard ! rugit Virginie, le soir même dans son petit studio. Je n'ai jamais aimé Paul !

-Ça, on le sait, rit Clarisse en portant sa bouteille de bière à ses lèvres, un coude sur le lit, les fesses sur le petit tapis. Et puis, déjà, pourquoi tu t'es mise à sortir avec lui, Emma ? Il est désagréable, ce type !

-Et vous, pourquoi vous êtes partis avec ceux de samedi soir ? rétorqua-t-elle sans méchanceté.

Ses deux amies se figèrent, avant de grimacer.

-Pour le sexe. Écoute, ils étaient craquants ! Au fait, comment ça s'est passé pour toi, après ?

Elle leur expliqua. À la mention de Louis, elles manquèrent recracher leur bière sur le tapis blanc de Virginie. Elles exigèrent une photo, qu'elle n'avait évidemment pas. Après tout, ils ne se connaissaient pas réellement, pourquoi aurait-elle une photo de lui dans son téléphone ? Dans tous les cas, il l'avait sauvée et raccompagnée, sans rien lui demander.

-De la vraie galanterie, ajouta Emma. Cela faisait longtemps qu'on ne m'avait pas traité de la sorte.

-Purée, c'est clair, grommela Clarisse. J'aurais bien aimé le voir, lui !

-Il a quoi comme voiture !?

-Un vespa rose bonbon.

Ses deux amies la regardèrent avec de gros yeux.

-Un vespa rose ?

-Il est gay ?

-Non, je ne crois pas. Et puis, même les hétéros portent du rose, maintenant. Il peut bien avoir un scooter de cette couleur.

-Ouais, pas faux. Mais on va dire que ça casse un peu son image.

Elles se turent un instant.

-Il t'a excité ?

-Clarisse, ça ne se demande pas, ça ! s'exclama Virginie.

Elles bavardèrent encore un long moment. Elles s'excusèrent de l'avoir laissée seule au bar. Puis il fut temps de rentrer. Après tout, le lendemain elles devaient encore aller à la fac. Par chance, l'arrêt de bus se trouvait pile au pied de l'immeuble de Virginie, à l'entrée de la ville.

Pensive, Emma resta debout sur le bord de la route, à attendre de pouvoir rentrer chez elle. Il faisait chaud en ce début d'été, pourtant le petit vent lui fit du bien. Bientôt, leur année de faculté de droit s'achèverait. Les vacances, elle les attendait autant que les grasses matinées. Elle avait vraiment besoin de se reposer.

Dans une semaine...

Enfin, elle aurait tout de même son boulot étudiant.

Cela lui évitera de penser à Paul, cette rupture, et toutes les questions que cela soulevait en elle. Pleurer, elle n'y arrivait pas. Après tout, elle ne déplorait pas la fin de sa relation avec lui. C'était plutôt tout ce qu'il y avait derrière qui l'inquiétait. Elle... En dépit de tout, pourrait-elle être heureuse ? Avec quelqu'un ? Comme dans un vrai couple ? Elle en doutait...

Le crissement de pneus ne la fit pas relever la tête. Pas plus que le petit silence, suivi d'un juron puis de bruits de pas.

-Emma ?

Surprise, elle releva la tête, avec un petit reniflement. Peut-être pleurait-elle un peu, finalement.

Heu...

Son casque rose sur la tête, Louis la considéra avec un air aussi surpris qu'elle.

-Louis ? Mais qu'est-ce que...

-Je ne pensais pas te croiser par hasard, et surtout pas à cette heure-ci, fit-il en regardant sa montre.

Avec un bermuda bleu ciel, un débardeur blanc et des claquettes de la même couleur, il respirait le vacancier. Que fichait-il là ?

-Les probabilités étaient faibles, concéda-t-elle avec un faible sourire.

Elle se figea lorsqu'il tendit la main, afin d'essuyer la larme roulant sur sa joue. Sans mot dire, il lui fit signe de la suivre.

-Allez, je te raccompagne.

Évidemment. Il savait bien qu'elle n'habitait pas ici, étant donné qu'il l'avait déjà déposé au pied de son immeuble. Une fois sur son vespa rose, ils restèrent silencieux jusqu'à arriver à destination. Les bras passés autour de sa taille, Emma se dit que son comportement n'était pas bien prudent. Après tout, elle ne le connaissait pas. Néanmoins, elle savait juger les gens, et lui était quelqu'un de bien. Elle avait cette impression.

-Merci, Louis, fit-elle une fois descendue de son vespa.

Étant donné que cela faisait deux fois qu'il la raccompagnait, elle ne se sentait pas de le laisser partir comme ça, cette fois-ci. C'eut été malpoli.

-Tu veux monter ? s'enquit-elle en montrant son immeuble.

-Pourquoi pas ?

Heureusement, elle était ordonnée. Son studio était petit, aussi faisait-elle en sorte que tout soit bien rangé. Un lit sous la fenêtre, un bureau, une petite table et une petite cuisine. Une petite salle de bain. Bref, tout était petit chez elle. Elle louait un quatorze mètres carrés bien rempli.

-Ouah... ça faisait longtemps que je n'avais pas mis les pieds dans un appartement étudiant ! s'exclama Louis en regardant autour de lui. C'est un meublé, n'est-ce pas ?

-Heu, oui... Tu as déjà fini tes études ?

-Oui. J'ai vingt-six ans, pour répondre à ta prochaine question. Et toi ?

-Vingt-quatre.

-Bon, dis-moi... Qu'est-ce qui t'arrive, Emma ? Pourquoi ces larmes ?

Les mains dans les poches, il avait une épaule contre le mur de la partie cuisine. Ses yeux verts l'observaient avec attention. Il restait debout, loin d'elle, comme pour éviter d'envahir son espace vital. C'était gentil de sa part.

-Je me suis fait plaquer, soupira-t-elle. Tu veux un verre d'eau ? Je n'ai rien d'autre.

-Ce sera parfait. Raconte. Je suis extérieur à tout ça, je ne jugerai pas.

Ils s'assirent autour de sa petite table. Elle dut faire attention à ne pas le toucher, car avec ses bras posés dessus, il prenait presque tout la place, le bougre.

-Il n'y a pas grand-chose à dire, soupira-t-elle en remettant ses lunettes en place. Je ne suis pas une fille très expressive et ça ne plait pas.

-Si ça ne lui plaisait pas, pourquoi sortir avec toi en premier lieu ?

-Pour s'envoyer en l'air plus facilement ? Pff, de toute façon, il a eu la mauvaise pioche, avec moi.

-Hein ? Comment ça ? Tu n'aimes pas le sexe ?

-Je suis frigide.

Il manqua tomber de sa chaise, elle le vit bien.

-Enfin, probablement, marmonna-t-elle.

-Comment ça, probablement ?

-Je n'en sais rien ! Voilà, tu es content !?

Mais pourquoi lui parlait-elle de ça, hein !? Il n'y avait rien de plus humiliant ! Les larmes aux yeux, elle serra ses mains autour de son verre d'eau. Elle voulait juste se rouler en boule dans son lit et pleurer. Ce n'était pas très adulte en son sens, mais cela lui ferait le plus grand bien !

-La vraie frigidité est extrêmement rare, Emma. Tu es allée voir un gynécologue ?

-Non ! Je n'ai pas envie de discuter de ça ! Louis, je...

Relevant la tête, elle fut surprise de voir un petit sourire rusé sur son visage. Levant un indexe, il fit :

-Je peux te faire un test très simple pour savoir si tu es frigide.

-Je ne coucherai pas avec toi pour que tu tentes de prouver l'ampleur de ta virilité, Louis, gronda-t-elle, hostile.

Il haussa un sourcil.

-Je n'ai jamais parlé de cela. Mais tu as le choix entre des questions gênantes, et le test.

-On va rester sur les questions gênantes, marmonna-t-elle. Je ne le sens pas ton test.

Riant doucement, il attaqua :

-Tu as déjà éprouvé du plaisir seule ?

-Hein ?

-T'es-tu déjà masturbée ? précisa-t-il.

-Louis !

-Quoi !? Je t'ai dit que mes questions étaient gênantes !

-Va pour le test ! explosa-t-elle. Et après barre-toi !

Il sourit de toutes ses dents, ce qui lui fit aussitôt regretter cette décision. Soudain, elle eut terriblement conscience de se trouver seule avec un homme dans son appartement. Et pas laid, en plus. Virginie et Clarisse en tomberaient raide.

-Ferme les yeux.

-Non.

-Ferme les yeux ou je te demande si tu as déjà...

-Ça va, ça va !

Paupières closes, elle tenta de calmer sa respiration. Ce type allait la rendre folle ! Gentil, mais tellement directe que c'en était terrible !

Un son de chaise qui racle le sol. Il venait de se lever. Anxieuse, elle tendit l'oreille. En dépit de la petitesse de son appartement, il venait de se glisser entre l'évier de la cuisine et son tabouret à elle. Sans un mot, il repoussa ses cheveux, de façon à dégager sa nuque sans la toucher. Anxieuse, Emma se raidit. Qu'est-ce que...

Un souffle sur sa peau, juste sous son oreille, la fit sursauter. Son cœur se mit à battre plus vite, plus fort. Deux grandes mains se posèrent sur sa taille, juste au niveau de certains bourrelets qu'elle honnissait. Si c'était ça son test, il allait surtout se prendre son poing dans la...

Soudain, une bouche se posa dans le creux de son cou, là où s'entamait l'épaule. Que... Un frisson la secoua, mais pas de dégout. Qu'est-ce que... La morsure la prit totalement au dépourvu, lui arrachant une plainte rauque qui lui fit brusquement ouvrir les yeux. Mais c'était...

-Non de dieu ! s'exclama-t-elle en se redressant brutalement, manquant assommer Louis au passage.

-Test réussi, fit-il avec deux pouces en l'air, satisfait de sa prestation.

Rouge de honte, Emma le considéra, alors qu'il se dirigeait vers la porte avec un rire.

-Comme promis, je me casse ! Je te laisse réfléchir à mon petit test, douce Emma !

La porte claqua, pour se rouvrir aussitôt sur sa tête. Toujours pivoine, elle ne parvint pas à articuler quoi que ce soit lorsqu'il dit :

-La prochaine fois, je réclamerais ma récompense. J'ai plein d'idées.

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