Interlude VII


Le printemps, quelle saison. Les rayons du soleil doucereux accompagnés de cette brise légère aussi apaisante que enivrante était un délice dont Ha-neul ne se lasserait jamais. Le silence reposait comme une poussière d'or sur les doigts; seuls les violons grêles des mouches et le violoncelle brun d'un bourdon, orchestre lilliputien, venait chambouler cette quiétude.

Assise sur un banc, dans un parc entouré de cerisiers dont les fleurs étaient arrivées à maturité, la jeune femme attendait son amie sagement. Elle battait des jambes comme une enfant, le talon de ses bottines raclant le sol. Son âme était saisie d'une sensation de polychromie, de liberté et de sublimité divines au milieu de ce paysage : la sensation qu'elle était au paradis.

Cela faisait longtemps qu'elle attendait, déjà. Et même si admirer le tableau mirifique face à elle et écouter les éclats de rire chantant lui avait auparavant suffit, le temps s'écoulait et remplaçait doucement l'impatience par l'inquiétude.

Alors qu'elle sortait son téléphone et s'apprêtait à le déverrouiller, elle sentit tout à coup une présence derrière elle. Une joue vint se coller contre la sienne, des cheveux d'encre caressèrent ses lèvres et dans le reflet de son écran, elle la vit. Elle discerna son visage dans l'opacité, remarqua son petit rictus et ses longs cils fins qui s'entichaient de ses pommettes.

-Pardon.

Ha-neul détailla son amie vêtue tout de noir, avant d'esquisser un somptueux sourire, ravie. Elle admira le pull sombre de Mee-yon ainsi que son jean et ses cuissardes de la même teinte qui semblaient épouser avec perfection sa taille longiligne.

-Qu'est-ce qui t'as pris autant de temps ? demanda-t-elle.

-Taehyung.

La bouche d'Ha-neul forma un cercle, curieuse. Elle attendit que Mee-yon s'installe à côté d'elle, prit le temps d'admirer son profil, avant d'énoncer sa question.

-Ce n'est rien de grave, j'espère ?

-Ce n'est jamais trop grave lorsqu'il s'agit de Jung Hoseok, répondit Mee-yon en soupirant.

S'il existait bien une personne capable de faire perdre son sang-froid à son fils, c'était bien ce jeune homme. Lorsque Taehyung se trouvait face à lui, il ne laissait rien paraître, mais dès qu'il rentrait à la maison, toute sa colère et sa frustration explosaient et se déversaient sur Mee-yon comme une vague déferlante. La violoniste se contentait d'écouter ses jérémiades, n'ayant jamais compris cette rivalité puérile qui les liaient.

-Ils apprennent tous les deux le même morceau en ce moment, continua-t-elle. Alors forcément, il veut être sûr d'être bien mieux que son « ennemi ». Écouter pendant trente minutes la fantaisie impromptue de Chopin, ponctuée d'insultes à chaque fausse note, fut un véritable plaisir.

Ha-neul éclata de rire. Un rire clair, sonore, une mélodie merveilleuse. Quand elle riait, Mee-yon avait envie de transformer le monde entier en son miroir.

-Ce cher Frédéric doit être ravi, là où il est, de voir toute la fougue qu'il met dans son œuvre.

Mee-yon grommela quelque chose d'inaudible, le regard vissé sur le petit lac face à elles. Une étendue d'eau lisse, plate et impénétrable, un peu comme elle l'était.

-Taehyung et Jungkook pourraient être amis, je suis sûre qu'ils s'entendraient à merveille !

Mee-yon ne prit même pas la peine de regarder sa cadette. La seule action témoignant qu'elle l'avait écoutée fut ce froncement de sourcils qui durcissait son visage, comme si elle était perplexe.

-Ils ne peuvent pas être amis, Ha-neul. Jungkook a huit ans et Taehyung en a quinze, il aura l'impression de faire du babysitting.

-Jungkook est mature.

Mee-yon secoua la tête et pouffa doucement.

-Non, c'est un enfant de son âge qui aime faire du toboggan, des coloriages et jouer à cache-cache...Taehyung a déjà passé cette époque.

-Mais ça me rend triste de savoir qu'il n'arrive pas à se faire des amis. C'est injuste...

Jungkook se retrouvait souvent seul. Mais même s'il était écarté du reste de ses camarades, il n'avait jamais rechigné à aller à l'école. Son garçon n'aimait peut-être pas les billes ou les dessins animés, mais est-ce que cela était une raison pour que les autres enfants le qualifient de bizarre ? Elle se souvient du jour où sa classe avait dû présenter un petit exposé sur la personne qu'ils admiraient le plus. La plupart avaient choisi des personnages fictifs, certains avaient même opté pour des sujets qui n'avaient aucun rapport, mais Jungkook avait présenté Ha-neul.

Sur une grande feuille colorée, il avait couché de son écriture maladroite toute l'admiration qu'il avait pour sa maman. Il avait ponctué son travail de photos d'elle et de Romance prises spécialement pour l'occasion par Jae-sun qui avait été autant investi dans ce travail que l'était son fils de huit ans.

Mais voilà, arrivé le jour de l'exposé, alors qu'il était si fier de son travail, les autres enfants s'étaient moqués, qualifiant son exposé d'ennuyeux, d'insignifiant.

Ça avait brisé son petit cœur et cette fêlure avait expliquer la raison de ses larmes le soir-même de ce jour. Ha-neul avait passé un temps considérable à le bercer dans ses bras, tentant du mieux qu'elle pouvait de chasser ces larmes qui ternissaient ses grands yeux, d'habitude si brillants. Elle avait joué avec son petit nez, tentant de le réconforter, tandis que Jae-sun était entré dans une colère sourde, incapable de faire autre chose que de tourner en rond dans le salon comme un lion en cage.

Jungkook disait que pour l'instant, sa meilleure amie était Miyu, mais un jour arriverait où ce ne serait peut-être plus suffisant.

-Le temps viendra où il rencontrera les personnes qui lui correspondent, je n'ai aucun doute là-dessus. Mais Taehyung ne peut pas remplir ce rôle, tu le sais très bien.

Ha-neul fit la moue. Elle observa le ciel bleu au-dessus de leurs têtes et les pétales de cerisier qui s'envolaient autour des arbres, comme si chacune de ses fleurs s'en allaient à la recherche de leur moitié, se heurtant avec d'autres, avant de finir leur périple en se couchant délicatement sur l'eau.

Elle aurait aimé que Jungkook rencontre Taehyung. Ha-neul avait le sentiment que le fils de son amie et son petit trésor auraient peut-être bien plus de choses à partager que ce que son aînée pensait. Parce qu'ils aimaient tous les deux la musique à un tel point qu'elle était sûre qu'ils ne pouvaient qu'apprendre l'un de l'autre.

La musique les avait bien rapprochées, elles. Depuis petite, Ha-neul avait toujours apprécié les grands compositeurs. Mais depuis que Mee-yon était entrée dans sa vie, Mozart, Bach, Schubert, Mahler, Wagner, Stavinsky, Verdi, Berlioz, et tant d'autres étaient devenus pour elle des figures immortelles qui, au-delà de leur musique, unissaient des âmes dans des relations aussi uniques que sublimes alors même qu'ils n'étaient plus de ce monde.

Elle savait que la musique était faite pour unir les hommes par-delà la mort et nous défendre contre l'ennemi le plus implacable de toute vie, l'oubli.

Auparavant, l'amour de Mee-yon était assourdi, comme sa voix. Elle vivait à la dérobée en quelque sorte, et jamais elle ne parlait d'épanouissement. Elle était une de ces femmes qui sont habituellement silencieuses et au silence desquelles on n'a d'autre choix que de s'habituer aussitôt.

Admirant un autre couple de pétales recouvrir la surface trouble du lac, Ha-neul eut un sentiment étrange. Une sensation qui s'insinua en elle au-delà de tout ce qu'elle n'avait jamais connu auparavant. Un instant si fort en émotion qu'elle en frissonna de tout son être tout en sachant pertinemment qu'elle ne serait jamais capable de l'expliquer ou de le revivre.

-Moi je pense qu'un jour, ils entreront en collision, un peu comme toi et moi. Tu crois que ça sera aussi magnifique que ça l'a été pour nous deux ?

Le vent balaya quelques mèches d'un mouvement fugace, frivole. Puis, il y eut un silence, le temps d'un bref instant, marquant une pause avant de laisser ces quelques mots sortir dans un doux murmure, l'alizé les éparpillant bien au-delà de la juridiction des hommes, peut-être aux côtés des Dieux :

-Qui sait...











𝓕𝓲𝓷


















Ceux qui lisent ceci, je vous remercie du fond du coeur, vous êtes mes estrellitas.  Vous avez fait vivre Romance pendant ces quelques mois, si bien qu'elle vous appartient autant qu'à vous qu'à moi.

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