Interlude I
15 ans auparavant
Il paraît qu'il y a trois capitales majeures de la musique classique.
Leipzig, une ville de l'est de l'Allemagne, était l'une d'entre elles. Cette ville qui fut pendant des siècles le siège de grands compositeurs. Principal lieu d'activité de Bach, berceau de Wagner, Mandelssoh et Schuman.
Il y avait aussi St-Petersbourg, qui accueillait des théâtres et des salles de musique de renommées mondiales où s'étaient épanouis Moussorgski, Rimski-Korsakov, Tchaikovski, Stravinski et Chostakovitch. À cela s'ajoutait une grande culture du ballet renforcée par l'héritage de Diaghilev, Nijinski, Pavlova et tant d'autres.
Mais l'incontournable des incontournable était sans aucun doute Vienne, considérée comme la capitale mondiale de la musique. Une succession d'empereurs mélomanes avaient transformé la capitale autrichienne en une plaque tournante de musiciens et de compositeurs dès le 17e siècle. La musique classique y est pratiquement née. Ses résidants, incluants Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Strauss et Mahler, avaient donné les airs les plus connus de tous les temps.
Ha-neul avaient joué dans chacune de ces villes.
Mais Vienne.
Vienne resterait à jamais sa préférée.
Rien qu'à l'idée de savoir qu'elle foulait le même sol qu'avaient déjà parcouru ces compositeurs qu'elle chérissait tant, des siècles auparavant, l'emplissait d'un sentiment inexplicable.
C'était la ville de la magie, pour elle. Et elle voulait à tout prix y emmener sa famille un jour.
Elle voulait voir les yeux de son petit garçon briller devant cette ville européenne qui les faisait tous les deux rêver.
Mais pour l'instant, Jungkook était trop jeune.
Il allait faire sa véritable entrée dans ce monde en douceur. Et ça commençait par l'apprentissage de son instrument de prédilection. Chaque fois qu'elle rentrait de tournée, Ha-neul voyait son fils lorgné sur son violon avec envie.
La dernière étape de la tournée du Philharmonique de Busan était justement la capitale tant adulée des musiciens.
Ha-neul avait donc décidé qu'elle ne rentrerait pas les mains vides, cette fois-ci. Elle lui ramènerait son premier violon.
Tôt dans la journée, trouver le premier instrument de son petit garçon était devenu son but ultime. Elle s'était baladée longuement dans les rues animées de la capitale avant de s'arrêter face à un magasin.
Et elle était tout simplement tombée amoureuse de cette petite boutique à l'allure vieillotte qui renfermait en son sein une magie dont elle aurait voulue s'emparer à pleine main. Le luthier, un vieil homme barbu doté d'une canne, entreposait sa collection sur les diverses étagères. Ça sentait le bois, l'ancien mais aussi les rêves et les promesses. Lui et elle s'étaient mis d'accord sur le même violon après avoir longuement discuté.
Ce joli violon qui ferait le bonheur de son fils.
Elle avait remercié le luthier, contente de son achat. C'était un instrument qu'elle avait gardé serré contre son coeur jusqu'à ce qu'elle n'arrive à sa chambre d'hôtel.
Et en ce moment même, Ha-neul était en train d'accorder Romance dans les coulisses de l'Opéra national de Vienne. Cet opéra était l'un des plus prestigieux au monde et la violoniste avait l'impression de nager entre réalité et fantasme à chaque fois qu'elle se produisait dans l'une de ses somptueuses salles.
Ha-neul surprenait chacun de ses collègues. La jeune femme s'émerveillait tout le temps, infiniment, de tout ce qui se rapprochait à la musique classique. Elle était douce, agréable, pétillante et aucune personne parmi les membres de l'orchestre n'aimait plus la musique classique qu'elle. C'était le rayon de soleil du Philharmonique. Une étoile dans les ténèbres. La lueur inespérée dans l'obscurité. Tout le monde l'appréciait pour sa simplicité et sa vivacité.
Lors de cette tournée, c'était Bach qui était mis à l'honneur. Les cantates et autres œuvres sacrées du compositeur allaient pleuvoir ce soir pour le grand final.
Mais ça allait être un final mémorable.
Elle le comprit lorsque, en relevant la tête, elle aperçut cette femme qu'elle ne connaissait que trop bien.
Kim Mee-yon discutait avec son chef d'orchestre un peu plus loin, comme si elle avait toujours été membre du Philharmonique. En voyant cela Ha-neul était incapable de faire autre chose que d'ouvrir grand la bouche, croyant rêver.
L'une de ses collègues qui passait par-là, vit son état de choc et tapota doucement son épaule. La violoniste se tourna vers elle, les yeux écarquillés.
-Oh mon dieu, c'est Kim Mee-yon ! s'exclama-t-elle avec frénésie.
L'altiste se contenta de la dévisager avec un petit sourire. Ha-neul ne comprenait pas pourquoi tout le monde s'activait dans les couloirs et passait à côté de la violoniste de renom comme si elle était invisible. C'était Kim Mee-yon, quand même.
-Tu n'étais pas à la réunion, cet après-midi.
Ha-neul fronça les sourcils, perdue. Cet après-midi, elle était partie chercher le violon de son petit garçon, de quelle réunion parlait-elle ? Avant qu'elle ne pose la question, l'altiste l'éclaira.
-C'était une réunion de dernière minute. Tu aurais vu monsieur Cha, dit-elle en désignant d'un mouvement de tête le chef d'orchestre un peu plus loin, il était comme un gamin la veille de Noël. Il était tellement fier de nous apprendre que Kim Mee-yon était l'invité d'honneur pour le dernier concert de cette tournée. Elle interprétera la Sonate No.1 pour violon.
Ha-neul écarquilla les yeux.
-1720 ? En sol mineur ? Adagio ? Fuga ? Siciliano ? Presto ? Les quatre mouvements ?
À fur et à mesure qu'elle avait parlé, la violoniste s'était approchée de sa collègue jusqu'à la surplomber. L'altiste dut d'ailleurs poser ses mains sur ses épaules, craignant que la jeune femme finisse par la faire tomber de sa chaise.
-C'est ça, acquiesça-t-elle.
Un temps de silence passa durant lequel on n'entendit plus que des bribes d'instruments, des éclats de voix et des chaussures claquant contre le parquet avant qu'Ha-neul ne reprenne d'une voix solennelle.
-Avec son Stradivarius ?
-Avec son Stradivarius.
-Je rêve ?
-Non, ricana sa collègue. Tu sais, on a eu exactement la même réaction que toi en apprenant la nouvelle. C'est incroyable, pas vrai ?
Ha-neul se retourna vers la violoniste de renom et longea son bras du regard jusqu'à tomber sur son étui qui renfermait un objet convoité par bien des personnes. Kim Mee-yon, à l'approche du concert, avait revêtu une robe bleu nuit des plus ravissantes. Son collier en diamant brillait de mille éclats et sublimait sa peau de nacre. Son visage, fermé, était d'une beauté à figé n'importe qui en ce bas monde.
Mais Ha-neul, doté de sa simple petite robe noire trapèze avec ses cheveux détachée tombant négligemment sur ses épaules n'avait d'yeux que pour cet étui. Et elle n'avait qu'une seule et unique question en tête.
Comment pouvait bien s'appeler ce Stradivarius ?
Après avoir fini d'accorder son violon et attacher ses cheveux en un chignon sous les supplications de son chef d'orchestre, Ha-neul zieuta la violoniste de renom assise un peu plus loin, un livre entre les mains, hermétique au stress qui régnait dans les coulisses . Encore sous le choc et sans réfléchir, elle saisit son téléphone et composa un numéro. Les tonalités du téléphone se firent entendre pendant, ce qui lui sembla, un temps interminable avant qu'une voix essoufflée ne lui réponde.
-Allô ?
Ha-neul sourit doucement, le coeur gonflé avant de ricaner légèrement.
-Tu m'as l'air essoufflé. Je te dérange peut-être ? Je ne vois que deux solutions possibles à ton état. Soit tu me trompes, soit tu faisais le ménage, dit-elle, le sourire aux lèvres. Et l'option numéro une me semble la plus plausible.
Jae-sun émit un rire sarcastique. Ha-neul ne pouvait pas le savoir, mais dans leur petite maison de Busan, son mari avait roulé des yeux en entendant sa moitié.
-Que tu es drôle. Malheureusement, tu as faux. Il s'agit de la troisième option.
La violoniste haussa les sourcils.
-Oh, c'est quoi ?
Jae-sun jeta un coup d'œil derrière lui avant de sourire doucement.
-Je danse avec ton fils.
Ha-neul ne sut que dire à cette réponse. Son mari et son fils étaient en train de danser ? Bizarrement, elle se visualisait très bien la scène. Jungkook, de son 1m14, qui faisait des petits mouvements avec ses jambes et son mari, à côté, qui reproduisait les pas de leur petit garçon avec toute la maladresse dont il était doté lorsqu'il était question de danse. Elle explosa de rire.
-Danser ? Mais vous danser sur quoi ?
Jae-sun, vexé par le rire de sa compagne grommela quelques instants avant de dire à son fils de baisser un peu le son de la télé.
-Je sais plus, crackers, quelque chose comme ça...
Crackers ? Comme les biscuits ? Ha-neul ne connaissait absolument pas.
-Crackers ? répéta-t-elle doucement.
-Oui, le ballet avec...Attends, il s'approcha de la télé et mit la vidéo sur pause, gagnant les plaintes de Jungkook au passage. Oui, je vais te le remettre, deux secondes. Eh ! Fais attention, tu vas casser une lampe !
Ha-neul n'était pas sûre de vouloir rentrer. Elle avait peur de retourner dans sa maison et de la découvrir dans un capharnaüm sans nom.
-C'est Pas de deux, conclut Jae-sun.
La violoniste se retint de se frapper le front avec sa main. Son mari n'avait jamais été un grand fan de musique classique, préférant le rock. Mais il essayait néanmoins de s'intéresser à la passion qui faisait vibrer sa femme et son fils.
Mais là, c'était du jamais vu.
-Oh, ne serait-ce pas par hasard Pas de deux tiré du ballet The Nutcracker ? Qui veut dire Casse-Noisettes en Anglais ? demanda-t-elle en insistant bien sur chaque syllabe.
Jae-sun ne répondit rien, le regard dans le vague. On en était pas loin quand même...
Ha-neul, ne voulant pas humilier son mari plus qu'il ne l'était déjà, décida de changer de sujet, parlant de la raison de son appel.
-Kim Mee-yon est ici.
-C'est super ! Elle est comment en vrai ? se précipita-t-il de répondre.
Ha-neul leva légèrement le regard avant de se mordre la lèvre inférieure.
-Elle a l'air irréelle. Elle est tellement belle...
-Je suis d'accord.
Si Jae-sun se trouvait devant elle en ce moment même, aucun doute qu'Ha-neul lui aurait lancé un regard à la fois lasse et irrité. Comme s'il avait une seule chance avec la célèbre violoniste, de toute façon. Il était coincé avec elle et ce, jusqu'à la fin.
-Je te préviens, tu es obligé de rester avec moi. C'est ce qui est stipulé dans le contrat, dit-elle tout en claquant ses ongles sur le bois de la table.
Jae-sun, le sourire aux lèvres, s'accouda contre le plan de travail de la cuisine. De là où il était, il pouvait voir son petit ange essayer de reproduire les mêmes mouvements que les danseurs avec concentration.
-Je rêve ou tu viens de parler de notre mariage comme si c'était un vulgaire acte de vente ?
-Oui...Mais on s'en fout, ce n'est pas le sujet ! Kim Mee-yon est là ! Elle est là et elle est avec son Stradivarius, tu te rends compte ?
Alors que sa femme déblatérait à quel point Kim Mee-yon était extraordinaire, Jae-sun écarquilla les yeux en voyant le magnifique vase en porcelaine tombé du buffet suite à l'un des mouvements un peu trop brusque de son fils. Ha-neul s'interrompit en entendant les bruits de verres brisés et quelques bribes de voix.
-Oups, déclara Jungkook en regardant les morceaux de céramique au sol.
Le petit garçon leva sa bouille innocente vers son père qui dévisageait le « joli » vase réduit en miettes, l'air penaud. C'était un cadeau de sa vieille peau de belle-mère, autant dire que ça lui faisait ni chaud ni froid. Intérieurement, il remerciait même son fils de l'avoir débarrassé de cette horreur. Mais sa femme ne serait pas du même avis. Il était donc de son devoir de réagir un minimum.
-Bon, déclara-t-il en s'emparant de la télécommande. Plus de crackers pour toi.
Jungkook, en entendant son père, s'accrocha à son jean dans un élan de désespoir. Il voulait encore danser, il était sûr d'arriver à être aussi bon que les danseurs avec encore un peu d'entraînement. Puis c'était un joli passage de l'acte III de ce ballet.
-Non ! Pitié papa. Tu dis tout le temps qu'il est pas joli ce vase de toute façon, cria-t-il.
Ha-neul, ayant bien entendu les paroles de son fils, fronça les sourcils.
-J'espère qu'il ne s'agit pas du vase de ma mère, Jae-sun.
Celui-ci se figea, télécommande en main, et lança un regard circulaire autour de la pièce. Il s'arrêta sur son petit garçon qui était à deux doigts de pleurer et éloigna un peu le téléphone.
-Viens parler à ta mère, lui chuchota-t-il dans une supplique.
Les yeux de Jungkook se mirent à briller de mille feux et il s'approcha doucement de son papa, heureux.
-C'est maman ? demanda-t-il, agité.
Jae-sun hocha la tête et son petit garçon sautilla alors, tout content. Il criait à en faire mal aux oreilles et s'accrochait à ses jambes comme une moule à son rocher, impatient de parler à sa maman.
Il y vit là une occasion en or.
-Chérie, je t'aime, Jungkook veut te parler. À bientôt. Tu nous manques.
Et sans qu'Ha-neul n'ait pu répondre quoi que ce soit, Jae-sun passa rapidement le combiné à son fils, échappant de peu aux foudres de sa femme. Jungkook prit le téléphone de ses petites mains et très vite, Ha-neul entendit une voix joyeuse et toute douce à l'autre bout du fil.
-Maman !
La violoniste sourit tendrement. Son petit garçon lui manquait tellement. Elle n'avait qu'une hâte, le voir pour que celui-ci l'attaque de bisous comme il le faisait à chaque fois qu'elle rentrait de tournée.
-Hey, mon grand. Tout se passe bien à la maison ?
Jungkook tourna la tête et détailla son père qui ramassait les débris de vase avec la balayette.
-Super !
Ha-neul n'y croyait pas trop, mais les deux hommes de sa vie avaient le chic pour se lier lorsqu'il s'agissait de cacher les bêtises derrière le dos de maman.
Elle écouta alors sagement Jungkook qui lui racontait ses journées à l'école, les plats qu'il avait mangé et ce qu'il avait fait lors de son temps libre. Elle nota mentalement que le plan qu'elle avait mis en place avec Jae-sun pour faire passer les petits pois sous forme de purée à leur fils n'avait pas marché. Échec total.
-Papa et toi vous êtes des comploteurs, maugréa le petit garçon.
-On dit des complotistes, bonhomme, répondit distraitement Ha-neul, le regard vissé sur la célèbre violoniste au loin.
Son mari ne l'avait pas franchement aidé. Est-ce que Jungkook serait capable de lui dire quoi faire ?
-Dis, mon ange, l'interrompit-elle. Tu ferais quoi si tu te trouvais devant une personne que tu admirais beaucoup ?
Jungkook fronça les sourcils. La question n'était pas dure, elle était moins compliquée que les tables de multiplication qu'il apprenait à l'école. Il arrivait déjà à compter jusqu'à la table de cinq sans s'aider de ses doigts !
-Bah, je lui ferai des bisous. Je te fais bien des bisous.
Sa mère explosa de rire. Son fils était tout à fait charmant.
-Quel beau parleur ! Tu es bien le fils de ton père, toi.
Jungkook, heureux d'avoir fait rigoler sa maman, sourit à son tour.
-Mais si c'est une personne que tu ne connais pas ? précisa-t-elle.
Jungkook se gratta la tête, pensif. Il n'admirait pas grand monde à part ses parents. Il aimait bien admirer les cerisiers en fleur, mais est-ce que ça comptait ? Non. Il avait la conviction que ça n'avait aucun rapport.
Soudain, lui vint la réponse la plus logique.
-Je lui demanderai si elle veut bien être mon amie.
C'était peut-être la solution. Aussi innocente que simple. Ha-neul y réfléchit quelques instants avant qu'un de ses collègues ne vienne la voir et tapote la montre qu'il avait sur son poignet, lui signifiant qu'il était bientôt l'heure. Elle acquiesça et informa son petit garçon qu'elle devait y aller.
-Oh..., répondit Jungkook, déçu. Tu reviens quand ?
-Bientôt, mon coeur.
En plus de cela, elle reviendrait avec une immense surprise pour lui. Elle avait hâte de voir son visage lorsqu'il découvrirait son premier violon.
-Occupes-toi bien de ton père, je t'aime.
Jungkook lui répondit qu'il surveillerait avec grande attention son papa, la faisant rire, avant de mettre fin à l'appel.
Kim Mee-yon ne ferait pas son entrée tout de suite. Alors, lorsqu'elle se dirigea vers la scène, elle lança un dernier regard en arrière à la violoniste, les paroles de son fils dansant dans ses pensées.
♪
Les quatorze minutes qu'avait passées Kim Mee-yon à faire chanter son Stradivarius resteraient à jamais graver dans les mémoires des spectateurs, des membres du Philharmonique de Busan, mais en particulier dans celle d'Ha-neul.
Il n'y avait pas de mots pour décrire ce qu'elle avait vécu. Il fallait le voir, l'entendre, le vivre et le ressentir. Ses oreilles venaient d'être bercées d'un son aussi puissant que dévastateur. C'était magique, presque irréel. Le violon, comme la musicienne, semblait tous deux venir d'un autre monde.
La célèbre violoniste avait été à deux mètres d'elle et pourtant, cette simple distance lui avait suffi pour savoir qu'elle était inaccessible. Qu'il était chimérique d'espérer l'effleurer ne serait-ce que l'espace d'un court instant.
Avec sa robe de soie et son élégance, Kim Mee-yon semblait beaucoup trop bien pour qui que ce soit.
Mais alors que la représentation s'était finie et qu'Ha-neul la voyait partir, celle-ci s'éclipsant sûrement pour regagner son hôtel, la voix doucereuse de son fils s'infiltra à nouveau dans ses pensées.
«Je lui demanderai si elle veut bien être mon amie. »
Elle ne réfléchit pas longtemps avant de prendre sa décision.
Dans un élan de courage, Ha-neul s'empara de son étui et courra en dehors de l'opéra sous les questionnements de ses collègues. Une fois le vent froid d'hiver giflant sur son visage, elle s'aventura dans la nuit noire, ses talons claquant au sol, à la recherche de la silhouette de la célèbre violoniste.
Elle ne savait pas pourquoi elle désirait tant connaître cette princesse de glace qu'était Kim Mee-yon. Le fait est que personne ne lui avait jamais trouvé d'affiliation à qui que ce soit. Elle était une musicienne solitaire. Ha-neul avait le sentiment que, cette femme aussi belle et froide que l'éclat d'un diamant, se sentait peut-être infiniment seule. Elle voulait voir à quoi ressemblait son sourire, entendre le son de son rire...
Au détour d'une rue, elle la vit enfin. Kim Mee-yon patientait sagement sur la chaussée, son long trench couvrant la magnificence de sa robe, son étui en main.
Mais alors qu'Ha-neul souffla de soulagement, contente de l'avoir enfin trouvé, son répit fut de courte durée en voyant un taxi s'arrêter devant la jeune femme.
Prise de panique, elle fit alors quelque chose qu'elle n'avait jamais faite auparavant.
Courir avec des talons.
Elle s'élança à toute vitesse en direction de la célèbre violoniste, les pans de son manteau noir volant derrière elle à chaque pas de sa course effrénée. Elle tenait fermement son étui entre ses mains, et sa gorge était si sèche qu'elle se rendit compte qu'il allait falloir qu'elle travaille son cardio un de ses jours. Vingt mètres et elle avait l'impression de parcourir un marathon. C'était pitoyable.
-Attendez ! cria-t-elle lorsqu'elle vit Kim Mee-yon ouvrir la portière du taxi.
La célèbre violoniste tourna la tête et aperçut cette femme, habillée tout en noir, qui courait à une allure folle dans sa direction.
Étrange.
Bientôt à sa hauteur, Ha-neul lui offrit un large sourire. Un sourire éblouissant et chaleureux qui se transforma malheureusement bien vite en une grimace lorsque le talon de sa chaussure glissa, la faisant chuter sur le bitume. L'étui de Romance glissa un peu plus loin, jusqu'aux pieds de Mee-yon, qui avait observé la scène avec une attention à peine visible sur son visage.
La robe trapèze noire d'Ha-neul se déchira légèrement au niveau des fesses et son collant s'effila. Elle grommela des paroles incompréhensibles avant de se relever promptement et d'enlever ses talons qu'elle prit entre ses mains. Le froid mordant du béton frappa ses voûtes plantaires et lui fit agiter ses doigts de pieds. Elle repassa les plis de sa robe, mais entre la grosse déchirure, l'état de ses collants et la plaie ensanglantée sur son genou, elle n'avait pas fière allure.
Doucement, Mee-yon se pencha pour attraper son étui et le lui tendre.
-Je crois que c'est à vous.
Ha-neul glissa une mèche de cheveux derrière son oreille et s'empara de son étui tout en s'inclinant, un peu embarrassée.
-Merci, je suis légèrement maladroite.
-J'avais cru remarqué, répondit platement la célèbre violoniste.
Ha-neul laissa échapper un rire nerveux. Face à celle qu'elle admirait tant, elle ne savait pas vraiment quoi faire. Elle était dans un état déplorable et Kim Mee-yon était si somptueuse, elle.
Le fait que la grande violoniste se contentait de seulement la dévisager en silence ne l'aidait pas à faire partir cet embarras qui lui collait à la peau.
-Je peux vous aider ? demanda Mee-yon.
Ha-neul réfléchit quelques secondes avant d'hocher la tête pour elle-même et d'essuyer sa main moite sur sa robe. Une fois fait, elle la tendit face à la célèbre violoniste, les sourcils froncés avec détermination.
-Je suis Lee Ha-neul. Vous voulez bien être mon amie ?
...
Face à ce long silence, Ha-neul s'insulta mentalement.
Les conseils de Jungkook étaient bien beaux, mais ça restait ceux d'un enfant de six ans. Certes, lorsqu'on avait son âge, ça marchait fabuleusement. Mais passer la trentaine, ça faisait juste étrange.
Même le chauffeur qui était sortie de la voiture l'avait dévisagé, comme si elle était dangereuse ou complètement stupide.
Morte de honte, elle baissa sa main, les joues rouges. Voilà qu'elle s'était ridiculisée devant celle qu'elle admirait tant. En relevant le regard, Ha-neul vit que la violoniste de renom avait les sourcils froncés. Elle ne savait pas si c'était de la colère ou de l'incompréhension, tout ce qu'elle savait c'est que Kim Mee-yon semblait enfin montrer une quelconque expression depuis le début de la soirée.
-Vous savez que votre robe est déchirée et qu'on voit votre culotte ?
Ha-neul aurait voulu fusionner avec le sol si c'était possible. Brusquement, elle mit sa main derrière ses fesses et jeta un regard en arrière pour s'assurer qu'il n'y avait personne. C'était le cas. La rue était vide, c'était déjà ça.
-Ah, heu, merci beaucoup.
Voyant que toute cette situation était insensée et ridicule, elle s'inclina à nouveau et finit par se tourner, dos la violoniste, tout tenant son étui derrière elle au niveau de la déchirure. Elle pencha légèrement la tête et lança un sourire désolé à son homologue.
La célèbre violoniste observa les longs cheveux ondulés de cette femme étrange volée autour d'elle, comme des feuilles d'automne et le rouge de ses lèvres s'étirer en un sourire désolé, comme si des rubis s'étaient déposées délicatement sur ses lèvres.
-Pardon de vous avoir dérangé, passez une bonne soirée...
C'était stupide sa part de penser qu'elle pourrait devenir amie avec Kim Mee-yon
Et sur ce, elle commença à s'aventurer dans la nuit noire, le cœur emplit de honte et de déception. Elle en avait presque les larmes aux yeux.
Mais ce qu'elle ne savait pas, c'était qu'elle avait intrigué Mee-yon. La célèbre violoniste ne saurait dire pourquoi, mais cette jeune femme possédait quelque chose qu'elle avait du mal à définir. Tout ce dont elle était sûre, c'est que cette femme s'enfonçait dans la nuit obscure, habillée entièrement de noir et que pourtant, elle brillait.
Alors soudain, une voix figea Ha-neul.
Une voix qui la fit grandement sourire.
Une voix qui récupéra cette larme d'amertume, la balayant dans le vent.
-Vous voulez venir avec moi ? Je peux essayer d'arranger un peu votre robe.
C'était ce soir-là que tout avait commencé.
Le conseil d'un petit garçon avait aidé deux âmes aux antipodes l'une de l'autre à se rencontrer.
Deux êtres humains qui ne se ressemblaient en rien mais qui, sans le savoir, deviendraient des piliers pour l'un et l'autre.
Ha-neul, ignorante, sauverait Kim Mee-yon.
Dans un futur proche, cette modeste violoniste changerait à jamais sa comparse.
Redonnant à sa vie ses éclats d'antan.
♪
Lorsque Ha-neul passa le pas de la porte, elle eut à peine le temps de cligner des yeux que Jungkook lui sauta dessus. Elle le réceptionna à la hâte et éclata de rire tout en embrassant ses cheveux tandis que son fils enfouissait son visage dans son cou.
-Alors, mon bonhomme, je t'ai manqué ? lui demanda-t-elle.
Son petit garçon releva visage et, avec ses grands yeux brillants, hocha frénétiquement la tête.
-À quel point ?
Elle haussa un sourcil, joueuse. Et d'un coup, Jungkook l'embrassa partout sur le visage. Elle avait tellement attendu ce moment qu'elle aimait tant. Sous ses assauts, elle gloussa, attendrie.
Ha-neul le déposa sur le sol et se débarrassa enfin de l'étui contenant le cadeau de son fils, de son écharpe et de son manteau.
-Ta tournée s'est bien passée ?
Elle leva la tête vers son mari qui avançait dans sa direction. Par-dessus son épaule, Ha-neul remarqua que le vase de sa mère n'était plus sur le buffet. Elle s'en moquait, finalement. C'est vrai qu'il était moche, ce vase. Jae-sun l'embrassa et elle se contenta de se blottir contre lui, heureuse.
En repensant à Kim Mee-yon, son sourire se fit plus large.
-C'était incroyable !
Et elle pesait ses mots.
Jae-sun lui frotta doucement le dos, le coeur battant un peu plus vite, comme à chaque fois qu'il se trouvait près du rayon de soleil qu'était sa moitié.
-Ça fera encore des histoires à raconter à Jungkook.
Ha-neul hocha la tête et s'accroupît face à son fils avant de lui faire un clin d'oeil complice.
-Je me suis fait une super amie !
Jungkook s'empara innocemment de son pull de ses petites mains.
-C'est vrai ? Comment elle est ?
Ha-neul écarquilla les yeux, surprise, avant de ricaner légèrement.
-Elle est incroyable, chuchota-t-elle. Elle joue du violon comme une déesse...
-Une déesse ? Vraiment ? s'étonna son fils.
Elle hocha la tête.
-Hum-hum, acquiesça-t-elle. On dirait qu'elle ne fait plus qu'un avec. Comme si elle avait fusionné avec son violon.
Voir son fils s'émerveiller n'avait pas de prix pour elle. Il fallait voir la manière dont ses mirettes brillaient de mille éclats et la façon dont ses lèvres se courbaient somptueusement pour réaliser.
-Elle doit être trop géniale !
Ha-neul lui embrassa légèrement le front avant de se relever.
-Peut-être que tu la rencontreras un jour.
Elle espérait sincèrement que ce jour arrive. Mais il était encore trop tôt. Elle allait apprendre à connaître plus amplement Kim Mee-yon avant de penser à cette étape.
Et peut-être qu'elle voulait aussi garder la célèbre violoniste seulement pour elle, le temps d'un moment encore.
Jungkook n'avait pas fait le rapprochement, mais ça ne l'étonna guère. À son âge, lorsqu'on a six ans, nous sommes si vifs d'esprit que nous oublions des choses qui nous paraissent si anodines et qui sont pourtant en réalité des éléments-clés de notre vie.
Jungkook n'avait pas compris.
Il avait même oublié ce conseil qu'il avait donné à sa mère.
Et si lui avait oublié, un autre l'apprit.
Ce fut le cas de ce garçon de treize ans en voyant le regard qu'avait eu sa génitrice lorsqu'elle était rentrée de son voyage à Vienne, le figeant et laissant une empreinte indélébile dans sa mémoire.
Un regard froid, mais qui avait pourtant perdu une parcelle de glace, devenant finalement braise, comme les prémices d'un feu ardent.
Signe d'une renaissance à venir.
🎻
Qui avait compris ? Ne faites pas genre, y'a au moins une personne qui avait cette théorie ici.
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