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-Il est le fils de Kim Mee-yon, quand même !
Jungkook se trouvait présentement dans les couloirs de l'opéra en compagnie du flûtiste et du harpiste. Après son entraînement plus que médiocre face aux membres de l'orchestre la semaine dernière, Jimin avait appelé Jungkook pour que celui-ci vienne à l'opéra. La raison n'avait pas été donnée, donc le petit violoniste ne se doutait pas qu'il était là parce que Jimin avait dans l'optique de lui changer les idées.
Peut-être que c'était bien un ange finalement, Jimin. Il combattait les démons du brun grâce à son sourire éblouissant.
Jungkook avait eu le temps d'un peu mieux connaître Seokjin et s'était donc fait son avis dessus. C'était une personne agréable, pleine de douceur et protectrice aussi. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi bien entouré. Peut-être même que c'était la première fois. Le petit violoniste avait toujours eu du mal à se faire des amis, peu de personnes comprenant son amour pour la musique classique.
Les trois hommes étaient actuellement adossés contre un mur, juste à côté d'une photographie en noir et blanc du chef d'orchestre. Taehyung n'était pas n'importe qui, il était une sorte de fierté pour l'opéra donc ce n'était pas étonnant que son visage soit placardé sur un mur. Il en était de même pour certains musiciens de renom ou anciens directeurs.
-Et moi je te dis que ça ne veut rien dire, répondit Seokjin. Ça explique pas comment ça se fait qu'il sache tout ça. D'accord, il est excellent, mais il est aussi carrément flippant. Tu sais à quel point je stresse lors des répétitions ?
Jimin leva les yeux au ciel.
-Il t'aide à progresser de cette façon.
-T'as vu la manière dont il a parlé à Jungkook ?
Le concerné baissa la tête, le souvenir lui revenant en pleine face. Il se souvient de ce sentiment de honte et de tristesse qui avait pris possession de lui. Jimin frappa l'épaule de son ami. Le but était de lui changer les idées, pas de lui rappeler ce moment humiliant. Alors que Seokjin balbutiait des excuses sous l'oeillade peu amène de Jimin, Jungkook fronça les sourcils et regarda ses compagnons, les yeux brillants de curiosités.
-Qui est Kim Mee-yon ?
Silence.
Les deux musiciens dévisageaient le violoniste, comme s'il venait d'un autre monde. Ils semblaient avoir perdu l'usage de la parole et la capacité de réfléchir. Jungkook ne compris pas pourquoi ils réagissaient ainsi jusqu'à ce que Jimin ne se décide à lui répondre.
-Tu te fous de ma gueule ?
Jungkook secoua négativement la tête, confus.
-Wow incroyable, reprit-il. T'as vécu dans une grotte ?
-C'est possible qu'il ne sache pas qui c'est.
Seokjin offrit un sourire compatissant à Jungkook, comme pour le rassurer. Mais le concerné avait seulement l'impression d'être à côté de la plaque.
-On parle de Kim Mee-yon, bordel !
Jimin prit brusquement sa main et l'emmena à sa suite, longeant le couloir. Sur le chemin, Jungkook aperçut plusieurs autres photographies comme celle qui faisait l'éloge du chef d'orchestre. Il ne reconnaissait pas vraiment les visages. Le blond s'arrêta face à l'une d'entre elles et la pointa du doigt.
-C'est elle.
Jungkook s'approcha doucement, subjugué par la beauté de la femme face à lui. Elle avait les cheveux courts, dotée d'une frange. Cette coupe mignonne contrastait avec son visage strict. Ses traits étaient si biens proportionnés. Elle avait un regard sombre, tranchant, des lèvres pleines et un nez droit. Elle fixait l'objectif, comme si elle allait l'ensorceler. C'était une beauté glaciale. Le genre de beauté qui paraissait inaccessible, presque irréelle et intimidante.
Et Taehyung avait exactement le même regard et le même nez.
Jungkook baissa légèrement le regard sur le cadre et appris que c'était une violoniste. Il se mordilla la lèvre inférieure, prenant conscience qu'il ne savait rien de Taehyung. Il le voyait constamment, étant donné qu'il vivait avec, et pourtant, il ne connaissait rien de sa vie en dehors de celle du maestro.
-C'est une violoniste..., murmura-t-il.
-C'était, le reprit Seokjin. Elle est morte il y a quelques années maintenant.
Jungkook fut triste pour le chef d'orchestre, ayant lui-même ressenti la douleur vive qu'était celle de perdre la femme qui l'avait mis au monde. Taehyung ressentait-il le même manque que lui ? Pourtant, son sauveur semblait tout le temps souriant.
-Et ce n'était pas une violoniste, c'était la violoniste, ajouta Jimin.
Jungkook se tourna vers lui, la surprise peignant ses traits.
-Que veux-tu dire ?
-C'était une illustre violoniste, elle était célèbre dans le monde entier, répondit le blond en regardant la photo. Elle est l'une des rares musiciennes à avoir joué avec un Stradivarius.
Jungkook écarquilla les yeux.
-Un Stradivarius, c'est vrai ?
Il était impressionné.
600. C'est le nombre de stradivarius dispersés dans le monde aujourd'hui, la plupart dans des musées, certains dans les mains de musiciens ou de collectionneurs. Antonio Stradivari, qui a latinisé son nom en « Stradivarius » lorsqu'il signait ses instruments, reste encore aujourd'hui une référence absolue en matière de fabrication des instruments à cordes.
Ce sont des instruments d'une telle richesse, d'une telle subtilité, qu'il faut une connaissance mutuelle profonde pour donner à l'instrument toute son ampleur. Le son s'échappait en un volume d'une telle grandeur et d'une telle pureté qu'il donnait l'impression que les passages n'étaient qu'une suite d'accords, ou même qu'un second violon l'accompagnait
Seokjin hocha la tête.
-Quand elle jouait, c'était subjuguant à ce qu'il parait. C'est dommage que je n'ai jamais pu voir ça.
Jungkook aussi aurait adoré voir et entendre cela.
Et dire que Taehyung avait dû y assister. Est-ce que, comme lui, l'enfant qu'il avait été avait admiré sa mère alors que celle-ci fusionnait avec son violon ? Avait-il eu lui aussi le regard brillant d'admiration ?
Taehyung avait entendu le son d'un Stradivarius en vrai. Sa mère, lors de ses répétitions, lui avait fait l'honneur d'innombrables concerts privés.
Cette femme, pensa Jungkook, avait été sans aucun doute une sorte de puissant zéphyr lors de son vivant. Si puissant qu'elle devait tout balayer sur son passage. Sans même connaître son histoire, sans ne jamais l'avoir rencontré, le petit violoniste savait que cette femme, même dans la mort, était une figure d'immortalité. Parce qu'elle avait bouleversé le rapport entre la Corée du Sud et la musique classique.
-On dit aussi qu'il n'y avait pas plus perfectionniste et exigeante qu'elle. C'est pour ça que je suis sûre que c'est à cause de sa mère que Monsieur Kim est comme ça.
Jimin lança un regard appuyé à son camarade et celui-ci leva les mains en l'air, clamant sa défaite. Rien ne servait de faire changer d'avis le blond lorsque celui-ci était sûr de ses positions.
-Comment le savez-vous ? demanda Jungkook.
Jimin et Seokjin échangèrent un regard avant de regarder le brun avec la même expression penaude.
-Tout le monde le sait...
Jungkook écarquilla les yeux. Tout le monde ? Était- il vraiment le seul à ne pas être au courant ? Il avait honte. Comment pouvait-il profiter de l'hospitalité de Taehyung, laisser celui-ci s'inquiéter pour lui, lui raconter son histoire, sans qu'il ne s'intéresse une seule seconde à la vie de celui qui l'avait recueilli ?
-Ça a d'ailleurs étonné tout le monde qu'il choisisse le piano comme son instrument de prédilection. Tout le monde pensait qu'il choisirait le violon, murmura pensivement Seokjin.
Jungkook s'était déjà douté que Taehyung savait jouer du piano étant donné l'immense instrument installé dans son salon. Il se demandait d'ailleurs quand viendrait le moment où il aurait la chance de l'entendre jouer.
-Il a fait son apprentissage aux côtés de Jung Hoseok, affirma Jimin. Il paraît que c'était les deux meilleurs élèves que le professeur Lee n'avait jamais eus. Quand on voit leurs carrières, ce n'est pas étonnant.
Jimin avait des étoiles qui brillait dans le fond de ses yeux. Doucement, Jungkook attrapa sa manche, accaparant son attention. Le blond détailla ce petit chaton aux joues rougies qui semblait batailler pour lui poser une question. Il l'encouragea avec un petit sourire et Jungkook parla alors.
-Qui est Jung Hoseok ?
Jimin le dévisagea avec de grands yeux, complètement ahuri. Kim Mee-yon, c'était une autre génération. Il pouvait comprendre que Jungkook ne connaisse pas, mais le petit violoniste était un grand amoureux de la musique classique et il ne savait pas qui était Jung Hoseok ?
Impensable.
-Sans déconner.
Seokjin éclata de rire et ébouriffa doucement les cheveux de Jungkook, comme si c'était un petit garçon.
-C'est un pianiste de renom et un très proche ami de notre chef d'orchestre, lui dit-il. Ils ont commencé le piano ensemble et il paraît que leur relation était explosive.
-On dit que le professeur Lee s'en arrachait les cheveux, ajouta Jimin d'une voix lointaine.
-Tu ne l'as pas encore rencontré parce qu'il est constamment en déplacement. Il était à Munich juste avant que tu n'arrives.
Jungkook avait hâte de le rencontrer. C'était un ami de Taehyung et un pianiste renommé. Ça devait être une personne incroyable.
-Quand rentre-t-il ? Comment est-il ?
Seokjin se gratta le menton, pensif.
-Hum...Je ne sais pas quand est-ce qu'il rentre...
Il jeta un coup d'oeil au harpiste mais celui-ci haussa les épaules, ne sachant pas non plus la réponse.
-Il est...
Seokjin ne finit pas sa phrase, son regard se perdant, comme si les mots lui avaient échappé. Jungkook fronça légèrement les sourcils, mais ne put se questionner davantage sur la réaction du flûtiste que la voix de Jimin l'en empêcha.
-Il est prodigieux, grandiose, extraordinaire...
-C'est un idiot.
Les trois garçons se tournèrent de concert en direction de cette voix qui venait d'interrompre les éloges pleines d'admiration de Jimin.
Plus loin, Yoongi était agenouillé devant un distributeur de boissons, indifférent aux trois regards qui le scrutaient. Sa bouteille d'eau tomba dans le bac dans un bruit sourd et il la ramassa avant de se relever. Sans regarder ses camarades, il dévissa le bouchon.
-Et il est rentré hier soir.
Min Yoongi était à la fois aussi clair que de l'eau de roche et aussi illisible qu'un brouillard d'hiver. Ses expressions faciales ne laissaient rien paraître, mais son regard et son aura parlaient bien plus que des mots n'auraient pu le faire.
Il apporta la bouteille à ses lèvres avant d'en prendre de grandes gorgées, sa pomme d'adam montant et descendant durant son action.
-Oh, vous avez fini ? demanda Jimin.
Yoongi laissa échapper un soupir avant de refermer sa bouteille et de secouer la tête.
-Non, c'est la pause.
Jimin s'avança près de lui avant de mettre ses mains sur ses épaules, le visage enjoué. Jungkook ne savait pas que son ami était très proche du violoncelliste. Celui-ci paraissait renfermé et peu accessible. Mais il était aussi difficile d'échapper à la bienveillance et la joie de vivre de l'harpiste.
-On peut venir vous voir ?
Yoongi détailla le petit violoniste par-dessus l'épaule de Jimin avant d'hausser mollement les épaules.
-Si vous voulez.
Seokjin se tourna vers le plus jeune, toujours ce sourire bienveillant sur les lèvres.
-Ils répètent l'Enchanteresse, tu veux voir ?
Jungkook hocha vivement la tête, complètement charmer par l'idée.
Ensemble ils suivirent le violoniste jusqu'aux grandes salles de spectacle qui se trouvaient à l'étage inférieur. Yoongi ouvrit l'une des portes en bois, celle-ci se trouvant non loin de leur salle de répétition pour le concerto. Les quatre musiciens débouchèrent dans la fosse d'orchestre. La salle était aussi grandiose que celle dans laquelle ils répétaient Korngold et Jungkook observa quelques instants les moulures du plafond avant de caresser la douceur des sièges de rubis. C'était si beau.
Il pouvait encore entendre les vestiges des dernières représentations qui avaient eu lieu dans cette salle. 'O sole mio, Vissi d'arte ou Commendatore semblaient s'être incrustés partout. Sur les murs, la scène, le sol ou les sièges, Capurro, Puccini et Mozart avaient pris en otage ce lieu et l'avaient rendu plus magique qu'il ne l'était déjà.
Dire que dans quelque temps, ce serait Miyu qui résonnerait dans une de ces somptueuses salles. Celle-ci serait sans aucun doute pleine pour venir voir le génie du maestro. Certains seraient curieux de le voir à l'oeuvre sur un compositeur peu connu. Serait-il prêt à temps ? Il s'était promis de ne plus jamais décevoir Taehyung. Le chef d'orchestre avait placé sa confiance en lui, un jeune homme sortant de nulle part. Si jamais il n'était pas à la hauteur, c'est la carrière de son sauveur qui pourrait en pâtir.
De loin, il voyait le dos de Taehyung. Le bouclé semblait parler activement avec une cantatrice. Il remarqua d'ailleurs la beauté époustouflante de celle-ci. Avec ses longs cheveux ondulés, son visage de poupée et son sourire éclatant, il était aisé de reconnaître son charme indéniable.
Yoongi se posta juste à ses côtés et Jungkook se tourna vers lui, le détaillant légèrement. Plus loin, Jimin et Seokjin étaient partis rejoindre l'orchestre de l'Enchanteresse. Le petit violoniste pouvait alors poser la question qu'il se posait depuis quelque temps déjà. Celle qu'il n'avait de cesse de se répéter et décortiquer, cherchant l'explication.
«Les âmes écorchées ne sont pas à sous-estimer, n'est-ce pas ? »
Il se racla légèrement la gorge, étudiant toujours le profil du violoncelliste.
-Qu'est-ce que tu as voulu dire la dernière fois quand tu as...
-Tes yeux.
Jungkook laissa sa phrase en suspens, surpris. Yoongi avait parfaitement compris de quoi il parlait. Les deux hommes se faisaient désormais face et se fixaient, comme si leur regard parlait à leur place.
-Comment ça ?
-La douleur, la tristesse...Je sais la reconnaître dans un regard, répondit Yoongi. Tu l'as vu chez moi aussi, n'est-ce pas ?
Jungkook déglutit. C'était vrai. C'était la première chose qu'il avait remarqué chez lui, la douleur dans son regard.
-Le monde est parfois injuste. Il y a des personnes qui vivent des événements terribles qui les transforment à jamais. Certains pensent qu'ils sont maudits, d'autres, que ce sont les vicissitudes de la vie. Mais tu sais ce qui change ?
Jungkook secoua lentement la tête, le coeur serré. Yoongi approcha doucement ses mains de Jungkook avant de poser son index sur le haut de sa pommette, près de son oeil.
-Nos regards, il glissa ensuite son doigt jusqu'au buste du petit violoniste. Et nos âmes.
Le coeur de Jungkook se serra. Yoongi lui offrit un petit sourire.
-Tu as déjà dû penser que tu le méritais, ce qui t'es arrivé. On le pense tous à un moment donné. Mais ce n'est pas le cas. C'est juste la faute de la cruauté.
Jungkook voyait mal le violoncelliste, peut-être parce que sa vue était obstruée par les larmes. C'est comme si Yoongi savait toute la peine qu'il ressentait alors même qu'il ne connaissait pas son histoire.
-Quand as-tu souri réellement pour la dernière fois ?
Jungkook ne s'en souvenait pas. Cela remontait à trop longtemps. Il n'avait plus que des vestiges de ses éclats de rire. Ça remontait à l'époque où sa famille était encore au complet. Peut-être que ça datait de la dernière fois où il avait accompagné sa mère dans sa pièce pour la regarder s'entrainer où peut-être que c'était lorsqu'il avait cuisiné avec son père avant que le drame n'arrive, il ne savait plus.
-Tu y arrive, toi ? demanda-t-il faiblement en retour.
En réponse, le sourire de Yoongi se fit plus grand et Jungkook pouvait voir toute la sincérité qui en découlait. Ce n'était pas un sourire forcé et le petit violoniste l'admira, surpris. Il ne pensait pas le violoncelliste capable d'une expression aussi sereine, apaisée.
-J'apprends doucement.
-Comment ?
Yoongi s'approcha un peu plus de lui avant de lui caresser avec douceur la joue, le regard brillant.
-Un jour, tu rencontreras la personne qui te dira les mots qui te changeront. À ce moment-là, les plaies se refermeront doucement. Chaque jour, au fil des saisons, tu iras mieux.
Il abaissa doucement sa main et prit sa paume dans la sienne à la place. Jungkook se laissa faire comme une marionnette, se contentant de le fixer, buvant ses paroles.
-Elle te félicitera d'avoir réussi à exister jusque-là.
Il serra doucement sa main, un petit sourire nostalgique sur les lèvres. Leurs deux paumes s'étaient unis et Jungkook avait la sensation que c'était leur être tout entier qui en avait fait de même. Il ressentait une sorte de connexion avec le violoncelliste que l'on ne pouvait expliquer.
-Elle te dira que, maintenant, tu es prêt à vivre.
Parce que, dans la noirceur de la nuit, une étoile brillait pour nous. Il fallait seulement la trouver. Ça pouvait prendre des jours, des mois, des années pour y parvenir et certains expiraient leur dernier souffle sans ne jamais l'avoir trouvé. Mais lorsque ça arrivait, c'était la promesse d'un futur inespéré que l'on avait seulement rêvé. C'était la promesse que nos chimères deviendraient alors réalité.
Est-ce qu'une personne serait capable de refermer ses plaies. Yoongi l'avait rencontré, cette fameuse personne. Elle aidait le violoncelliste chaque jour à combattre ses démons. Jungkook fut curieux.
-Quels sont les mots de cette personne ?
Yoongi ricana légèrement avant de lâcher sa main.
-Des mots comme ceux-là, c'est mieux de les garder pour soi.
C'était des mots qui restaient secrets. Les paroles qui changent notre vie n'ont pas besoin d'être dévoilée au grand public. Parfois, il est mieux de les garder dans son coeur.
Un éclat de rire interrompit leur conversation et Jungkook tourna la tête. Taehyung avait la tête penchée en arrière, un grand sourire sur ses lèvres, ses cils brossant ses pomettes de la plus délicate des façons. Il était si divin lorsqu'il riait. Jungkook se fit la réflexion que c'était la première fois qu'il voyait le chef d'orchestre comme cela. En voyant la cantatrice à ses côtés, un sourire malicieux dansant sur ses lèvres, il en conclut qu'elle était la cause de son hilarité.
Jamais il n'avait fait rire le chef d'orchestre. Tout ce qu'il lui apportait, c'était de l'inquiétude à longueur de journée. Il vit la main de la jeune fille posée sur l'avant-bras du bouclé alors qu'ils gloussaient. La scène qu'il voyait ne lui plaisait étrangement pas et comprimait son coeur. Il ne savait pas comment expliquer ce qu'il ressentait. Tout ce qu'il savait c'est qu'il se sentait frustré et impuissant. Il était seulement capable d'être spectateur de cette complicité. Jungkook avait la furieuse envie d'enlever cette main.
Yoongi le vit et sourit discrètement.
-Je pense que tu as déjà trouvé cette personne. Elle ne t'a juste pas encore dit les mots qui te feront prendre conscience à quel point tu vaux plus dans ce monde que ce que tu crois.
Jungkook se tourna vers lui, les sourcils froncés par l'irritation de ce qu'il venait de voir. Il ne comprit pas ce que voulait insinuer Yoongi et eut à peine le temps de formuler sa question que Jimin et Seokjin arrivèrent vers eux en trottinant.
Une fois à leurs côtés, le flûtiste jeta un regard en direction du chef d'orchestre et de la cantatrice avant de lever les yeux au ciel.
-Elle essaye encore de le draguer.
-Elle s'imagine être subtile en plus, ricana Jimin.
Au même moment, Yoongi s'éclipsa doucement pour rejoindre l'orchestre sous les prunelles pleines de questionnement de Jungkook.
Il allait devoir trouver la réponse à sa question silencieuse lui-même.
Le petit violoniste se tourna vers ses deux comparses qui fixaient la cantatrice et Taehyung, les bras croisés contre leur torse, l'expression pleine de jugement.
-Vous ne l'aimez pas ? demanda-t-il.
-À chaque fois qu'elle travaille avec Taehyung, elle le drague et celui-ci est trop enfermé dans son monde pour le remarquer, soupira Seokjin. Lorsqu'il est question de musique, c'est un génie, mais pour l'amour, c'est vraiment pas une lumière.
Jungkook sourit, amusé. Que penserait le chef d'orchestre s'il l'entendait parler ? Il avait très vite remarqué que les autres membres de l'orchestre tutoyaient Taehyung et l'appelaient par son prénom, comme s'il était un ami. Seul Jimin continuait à le vouvoyer et à chaque fois qu'il parlait, l'expression du bouclé s'assombrissait doucement, comme le crépuscule qui faisait lentement décliner le soleil. Mais l'harpiste avait trop de respect pour le chef d'orchestre pour se permettre une telle chose.
-Elle a un comportement de diva, surtout. L'année dernière, lors de la première représentation de Madame Butterfly, c'était une véritable furie à hurler sur les costumiers comme si c'étaient ses esclaves.
Seokjin hocha la tête, s'en souvenant très bien.
-Puis elle pense que c'est une Maria Callas version coréenne.
Jungkook regarda le blond, étonné.
-Elle est si douée que ça ?
Maria Callas était quand même surnommée « la Bible de l'opéra ». C'est l'une des cantatrices les plus célèbres, à la fois par son timbre de voix très particulier, son registre étendu de près de trois octaves, sa grande virtuosité alliée à un phrasé unique et, enfin, son talent de tragédienne qui lui avait permis d'incarner ses personnages avec une grande intensité dramatique.
Jimin lui lança un regard dédaigneux.
-Maria Callas, quand même. Elle croit rêver.
Maria Callas était connu pour être une diva, mais Jungkook, si doux, si gentil, espérait que la cantatrice qui se trouvait face à lui ne souffrirait pas du même parcours.
Car le 2 janvier 1958 avait signé le début de sa fin.
Ce jour-là, la chanteuse s'était sentie désorientée, fatiguée... Certains disaient qu'elle forçait trop sur sa voix. Cette voix qu'elle avait dû dompter durant des années. Cette voix qui ne plaisait vraiment pas à tout le monde au début de sa carrière. Cette voix si différente de toutes les autres, à tel point que quelques-uns l'avaient trouvée « laide », avant de s'en émerveiller.
Pourtant, ce soir du 2 janvier, il lui avait fallu toutes ses forces. Le rôle de Norma est considéré comme l'un des plus compliqués du répertoire pour les sopranos. Maria Callas l'avait déjà interprété plus d'une fois, et l'interprètera encore. Son Casta Diva – l'aria le plus célèbre de cet opéra – lui valait toujours un triomphe. Le rideau s'était levé, elle s'est avancée sur scène. Mais les notes sortaient difficilement. Ses aigus sifflaient. Dans le public, tout le monde se demandait ce qui lui arrivait. Le stress montait, elle n'arrivait plus à chanter. À l'entracte, honteuse, elle s'est enfuie par une porte dérobée.
C'était le premier signe de son déclin.
De même que Jungkook n'était rien sans Miyu, que serait une cantatrice sans sa voix ?
Malheureusement, ce genre de chose arrive. Et lorsqu'elles ont lieu, c'est un bout de notre âme qui se meurt.
Les vestiges de nos passions perdues à jamais flottent autour de nous, comme des esprits, nous rappelant l'amertume et la tristesse de ce qui, autrefois, nous rendait heureux.
🎻
...Pourquoi Romance II ?
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