7

-J'étais comment ?

Taehyung, le nez plongé dans la bibliothèque de son bureau, se retourna vers son petit protégé. Celui-ci était assis sur une chaise et trifouillait ses doigts comme s'il ne savait pas quoi en faire. Mais Taehyung comprit qu'il était juste gêné de poser une question pareille. Ça le fit doucement sourire. Après sa représentation avec Jimin, il avait convoqué le petit violoniste dans son bureau. L'heure de lui faire écouter les deux autres mouvements du concerto de Korngold était enfin venue. Il s'approcha de lui et, doucement s'agenouilla, avant de prendre ses mains entre les siennes, obligeant Jungkook à arrêter de jouer avec.

-Tu as été parfait, dit-il. Tu es parfait.

Et Taehyung le pensait sincèrement. De toutes les manières qui soient.

Jungkook rougit légèrement, peu habitué aux compliments. Mais son coeur se gonfla de joie. C'était Kim Taehyung qui lui avait dit ça. L'un des plus grands chefs d'orchestres au monde lui avait dit qu'il était parfait. Jungkook était tenté de se pincer, juste pour savoir s'il était en train de rêver. Mais il ne voulait pas le faire, parce que si c'était une illusion cela signifierait la fin de cette odyssée incroyable qu'il vivait. Soudain, une question lui vint en tête, parce qu'il était tellement curieux...

-Merci, murmura-t-il. Comment savez-vous tout ça ?

Taehyung fronça les sourcils.

-De quoi est-ce que tu parles ?

-Sur la musique classique, Jimin m'a dit que vous étiez un peu comme une sorte d'encyclopédie. Comment savez-vous tout ça ?

Taehyung regarda quelques instants par-dessus l'épaule du plus jeune, le regard vague, comme si son esprit s'en était allé bien loin de la réalité. Comme s'il était figé entre souvenir et nostalgie. Jungkook le remarqua et, doucement, agita sa main devant ses yeux. Taehyung papillonna des cils avant de lui sourire.

-Pourquoi ? Eh bien, parce qu'il faut des gens passionnés dans ce monde, tu ne penses pas ?

Jungkook hocha la tête, il trouvait que ce n'était pas une réponse concluante, mais n'ajouta rien. Il voulait être aussi instruit que le chef d'orchestre, avoir toute cette connaissance...Il trouvait cela si beau.

-Est-ce que vous pouvez m'apprendre quelque chose ?

Taehyung écarquilla les yeux, surpris. Chaque fois qu'il faisait part de son savoir à son orchestre, tous réagissaient comme s'ils allaient à la potence. C'était vexant. Pour se venger, Taehyung déblatérait alors ses connaissances plus que nécessaire. Ça le faisait doucement rire, les musiciens de son orchestre qui s'endormaient jusqu'à la limite de tomber de leur chaise avec leur instrument. Mais Jungkook voulait savoir, lui. Il était avide d'apprendre et ça plaisait énormément à Taehyung, ce côté-là de son petit violoniste.

-Connais-tu la lettre à Thérèse ?

Jungkook se mordit la lèvre inférieure. Le chef d'orchestre venait de faire une erreur monumentale, mais il ne voulait pas le corriger. Il trouvait que ce serait mal placé et ne voulait pas qu'il se sente humilié. Taehyung serra ses mains dans les siennes, l'encourageant à répondre.

-C'est la lettre à Élise, monsieur, murmura-t-il précautionneusement.

Le sourire de Taehyung se dissipa quelque peu. Jimin le vouvoyait, mais Jungkook lui sortait des « monsieur » à tout bout de champ. Il avait horreur de ça. Il avait la sensation d'être une personne âgée. Mais il ne lui fit pas de remarque. La manière qu'avait Jungkook de le regarder, avec ses deux grands yeux semblables à un chaton, lui fit passer l'envie.

-C'est bien la lettre à Thérèse, confirma-t-il. Enfin, ça devrait l'être. La lettre à Élise est en réalité celle de Thérèse. Mais la partition, ayant été retrouvée dans un état lamentable cinquante ans après sa composition, était si illisible que celui qui l'avait en sa possession l'a déchiffré comme étant la lettre à Élise.

Jungkook ne savait pas cela. Il apprenait tant. Il se demanda si sa maman était au courant de ça. Il dévisagea Taehyung, comme-ci celui-ci était une divinité, une sorte chimère.

-Du coup, on a laissé la lettre à Élise, même si ça ne devrait pas être ça. D'ailleurs, un spécialiste de...

Jungkook ne l'écoutait plus vraiment. Taehyung parlait avec passion et le petit violoniste était comme frapper par sa beauté. Il était incroyablement magnifique et, d'aussi près, Jungkook ne pouvait que se rincer les mirettes de ce visage semblant irréel. Sûrement que des personnes donneraient cher pour être à sa place, actuellement. Taehyung parlait en faisant de grands gestes avec ses mains, libérant alors celle de Jungkook qui se contentait de l'admirer comme s'il était l'une des plus belles merveilles du monde. Et peut-être bien que c'était le cas. Taehyung était merveilleux.

Jungkook remarqua le grain de beauté du chef d'orchestre sur le bout de son nez. Il le trouvait mignon. Certains pourraient dire que c'était un défaut, mais pour Jungkook, ça n'en était pas un. Cela montrait seulement que sa beauté était humaine, mortelle. Il se concentra sur celui se situant sur sa lèvre inférieure. Ses croissants de chair s'agitaient et ce grain de beauté suivait le mouvement, contre son gré, peut-être. Il le trouvait saisissant, l'on aurait dit un petit grain de sable.

Sans vraiment comprendre, il leva doucement sa main et, de son index, toucha le grain de beauté. Là, les lèvres stoppèrent leur course endiablée et Jungkook détailla alors cette imperfection magnifique en s'approchant légèrement. Il la caressa doucement de la pulpe de ses doigts, sentant la chaleur et la douceur de la peau de Taehyung. Il avait l'impression de caresser une rivière de soie. Il était enivré par ce toucher et cette vue, si bien qu'il se rendait à peine compte de ce qu'il faisait.

Mais il se fit stopper dans son geste. Taehyung, délicatement, lui prit la main avant de l'abaisser, réveillant Jungkook de ses songes. Celui-ci rougit furieusement en se rendant compte de ce qu'il venait de faire, tandis que Taehyung le regardait, un sourcil haussé. Il avait été surpris par le geste du plus jeune, mais plus encore par la façon dont celui-ci avait l'air de détailler ses lèvres comme si c'étaient des rubis brillants de mille-feux. Il se fit alors la réflexion que Jungkook avait l'air de souvent se perdre dans ses pensées, jusqu'à faire des choses qu'il n'aurait jamais faites en temps normal. C'était intéressant.

-Tu n'as pas écouté ce que je viens de dire ?

Jungkook balbutia des paroles incompréhensibles avant de murmurer, honteux :

-C'est la lettre à Thérèse et pas celle à Élise ?

Taehyung le regarda quelques instants avant d'exploser de rire, surprenant Jungkook. Cela faisait bien cinq minutes qu'il avait changé de sujet. Il avait la preuve que le plus jeune ne l'avait absolument pas écouté. Mais il ne lui en tint pas rigueur. Il était si mignon. Il se releva avant d'ébouriffer tendrement ses cheveux.

Il s'approcha ensuite de sa chaine hifi tout en récupérant un CD poser sur son bureau. Avant de le mettre, il se tourna vers Jungkook et l'agita.

-Prêt ?

Jungkook remarqua qu'il s'agissait du concerto de Korngold. Impatient, il hocha vivement la tête. C'était pour ça qu'il était là, après tout.

-Tu n'as écouté que le premier mouvement, la dernière fois. On va donc directement passer au deuxième. C'est mon préféré.

Il plaça le disque délicatement et, quelques instants plus tard, appuya sur un bouton. Alors, la mélodie s'éleva. Le début était magnifique, ça lui faisait penser à un jour de pluie. Il pouvait presque sentir l'odeur des larmes du ciel mélangées à celle du goudron lors des jours d'été. C'était si apaisant. Mais il y avait aussi quelque chose de tortueux dans ce deuxième mouvement. Il ne savait pas quoi, mais ça serrait doucement son coeur.

-Romance est magnifique, n'est-ce pas ?

Jungkook releva brusquement la tête, les yeux écarquillés.

-Q-quoi ?

Taehyung ne remarqua pas l'état de son petit protégé, trop occupé à glisser sa main sur sa chaine hifi comme si celle-ci allait se mettre à ronronner sous ses caresses.

-Romance. C'est le nom du deuxième mouvement.

Jungkook déglutit. Et soudain, la musique prit doucement un côté plus tragique. Ses mains se mirent à trembler et il les cacha sous son pull. Il se sentait ridicule. Mais le fait que ce deuxième mouvement se nomme comme le violon de sa mère et qu'il lui fasse penser à un jour de pluie était trop. Il ne croyait pas aux coïncidences, mais c'était quand même étrange. Peut-être était-ce le hasard ?

Le fait était que le rêve qu'il pensait être en train de vivre tournait brutalement en cauchemar. Pendant quelques secondes, il ne considéra plus Taehyung comme son sauveur, mais comme son persécuteur. Et c'était horrible de penser de cette façon. Taehyung avait été si bon, si gentil avec lui. Il s'en voulait d'avoir pensé ça, même le temps d'un battement de cils.

Le deuxième mouvement du concerto lui apparut alors sous un jour moins poétique, moins rêveur. Mais  plus tragique et réaliste. Oui, c'était ses souvenirs. Les notes de violons étaient ses pleurs, ses cris et sa douleur. Tout lui sembla alors cruellement réel. Il avait l'impression de revivre ce jour fatidique et la tristesse qui empoigna son coeur sans aucune douceur lui fit monter les larmes aux yeux. Si ce jour devait être une musique, aucun doute que ce serait celle-là. Le jour où tout avait basculé, ou tout s'était effondré. Ou le voile qui lui cachait la vue sur la cruauté du monde avait été levé.

À la moitié du deuxième mouvement, les larmes avaient glissé sur ses joues. Taehyung ne le regardait toujours pas. Et lorsque les huit minutes de souffrance prirent fin et que Taehyung tourna la tête, il se figea. Il dévisagea Jungkook dans un silence ébahi en remarquant le ruisseau qui s'écoulait de ses yeux. Il ne s'était pas attendu à ça. Il retira le CD et le remit dans sa boîte avant de le tendre à Jungkook qui le regarda comme si c'était le monstre dont il était tant effrayé lorsqu'il était enfant.

Taehyung, alarmé, le posa sur son bureau et contourna le meuble en acajou avant de prendre le visage de Jungkook entre ses mains et de chasser ses larmes de ses pouces. Il ne comprenait pas pourquoi ça lui faisait si mal de voir son protégé dans cet état. Ce qu'il savait, c'est qu'il ne supportait pas de voir cette petite pluie qui caressait ses joues rondes. Jungkook avait la vision trouble, mais il sentait les doigts de Taehyung faire des arabesques sur ses pommettes et il se sentit un peu mieux. Il cligna des yeux, les dernières perles salées venant caresser ses cils comme la rosée du matin qui s'énamourait de l'ivraie.

-Jungkook, pourquoi est-ce que tu pleures ?

Le petit violoniste ancra son regard dans celui du chef d'orchestre. Il était aisé de remarquer l'inquiétude qui dansait dans ses prunelles comme les flammes d'un feu de cheminée. Ses sourcils étaient froncés et ses lèvres formaient une courbe droite, stricte. Il ne voulait pas inquiéter Taehyung. Alors, doucement, il se défit de sa prise avant de lui offrir un sourire factice.

-Parce que, c'est magnifique.

Et Taehyung le crut.

Les prochains jours que Jungkook passa à répéter le concerto passèrent d'une lenteur insoutenable. Il maîtrisait assez bien le premier et le troisième mouvement. Mais on ne pouvait pas dire de même pour le deuxième. Il n'arrivait tout simplement pas à le jouer. Ses mains tremblaient, ses notes étaient hésitantes et son coeur était douloureux. Alors il ne le travailla pas, ou du moins, seulement au minimum. C'était tout simplement une véritable torture pour lui. Et il rassurait Taehyung et Jimin en leur disant qu'il se débrouillait et qu'il serait prêt lors de la première répétition avec l'orchestre. Ainsi, Jungkook s'était acharné sur ce deuxième mouvement, sans jamais le maîtriser.

Et lorsque venu le moment de répéter avec l'orchestre arriva, Taehyung lui sourit. Il lui sourit parce qu'il avait une confiance aveugle en son petit protégé. Debout, il positionna son violon et, lorsque Taehyung commença à gracieusement bouger ses mains, l'une possédant une baguette qui semblait être l'extension de son corps, si ce n'est même de son âme, Jungkook grimaça. Taehyung le remarqua et fronça légèrement les sourcils, mais le violoniste jouait déjà.

Il était concentré sur la partition, lisant chaque note en même temps que ses doigts pinçaient les cordes avec agilité et que son archet glissait comme du savon sur une peau humide. Et il se débrouillait vraiment bien, Taehyung était fier de lui. Ses bras et ses mains dirigeaient l'orchestre, mais son regard était constamment tenté en direction du violoniste.

Mais lorsque la deuxième partie démarra, Jungkook grimaça à nouveau et Taehyung le fixa alors. Il semblait que son protégé se battait avec ce deuxième mouvement. Les notes que produisait son violon étaient loin d'être justes, c'était même un supplice pour les oreilles. Le violoniste qui l'avait fait rêver avec ce premier mouvement le laissait désormais dans une profonde perplexité.

Le reste de l'orchestre le remarqua à son tour. Taehyung les arrêta et tous dévisagèrent Jungkook tandis que celui-ci continuait à jouer, comme s'il était enfermé dans une bulle avec ce deuxième mouvement qui s'apparentait à son pire ennemi. Il avait toujours cette grimace qui fronçait ses sourcils et courbait ses lèvres. Taehyung ne comprenait pas pourquoi Jungkook détruisait ce deuxième mouvement.

-Stop.

Mais Jungkook ne l'écoutait pas. Trop plongé dans son désespoir. Son archet ne caressait plus les cordes de son violon, il les maltraitait. Taehyung était complètement ahuri. Chaque fois que Jungkook jouait ou qu'il écoutait de la musique, sa sensibilité ressortait de telle qu'on aurait dit que l'atmosphère à ses côtés était un mélange d'air et de sucre, formant alors cette friandise touffue et collante, mais pourtant si douce. Et là ce n'était pas le cas. Il avait l'impression de voir une furie pleine de rage. Ça l'irrita autant que ça le déstabilisa.

-Stop !

Taehyung avait pratiquement hurlé. Jungkook s'arrêta brusquement, et cligna des paupières, comme si tout son être s'était égaré. Il remarqua que tout le monde le fixait. Jimin avait son visage peint d'une grande inquiétude, Seokjin avait les yeux tellement écarquillés que c'en était presque comique et Yoongi le dévisageait, toujours de cette expression indéchiffrable. Quant aux restes des musiciens, ils avaient le visage grave et Jungkook semblait alors être un monstre sous leurs yeux. Timidement, il tourna la tête vers Taehyung et il déglutit. Le chef d'orchestre, depuis son podium, avait une expression que Jungkook n'avait jamais vue chez lui auparavant. Un mélange entre la déception et l'irritation. Le coeur de Jungkook se serra douloureusement dans sa poitrine.

-Tu m'as dit que tu l'avais travaillé.

Sa voix claqua, sèche et intransigeante. Jungkook caressa son archet de son pouce, comme si ce simple geste pouvait le détendre. Il baissa la tête, honteux.

-Regarde-moi quand je te parle.

Il voulait pleurer. Ses yeux commencèrent à s'embuer de larmes. Il releva la tête avant de renifler, son regard se posant sur les lèvres de Taehyung. Il ne voulait pas affronter la tempête de ses yeux.

-Est-ce que tu l'as travaillé, oui ou non ?

Jungkook hocha lentement la tête. Il avait l'impression d'être un enfant qui se faisait gronder. Dans un sens, c'était le cas. C'était tellement humiliant de se faire disputer devant tous ces professionnels. Il aurait voulu être une petite souris, n'importe quoi pour ne pas être dévisagé de cette façon par l'orchestre.

-Je déteste qu'on me mente, Jungkook.

Une larme solitaire roula tout de même le long de sa joue. Il avait déçu Taehyung et il s'en voulait à un point inimaginable. Il lui avait pourtant dit qu'il avait travaillé les trois mouvements. Il lui avait menti, les yeux dans les yeux.

Alors, lorsque la sentence tomba, Jungkook ne put que l'encaisser.

-Sors d'ici.

Jungkook n'avait pas attendu la fin de la répétition avant de sortir de l'opéra et de rentrer chez Taehyung, le coeur en miettes. Il avait claqué la porte d'entrée du duplex et s'était réfugié dans sa chambre avant de s'allonger sur son lit, laissant la couette emmitouflée son corps comme les enfants le faisaient pour échapper au croque-mitaine.

Il avait eu le temps de pleurer longuement avant que la porte ne claque à nouveau. Au bruit des pas de Taehyung, il s'était recroquevillé et avait serré ses mains près de sa poitrine, apeuré. La porte de sa chambre s'était ouverte avec fracas, l'envoyant valser contre le mur dans un bruit qui le fit sursauter.

Taehyung était énervé, furieux, même. Il avait passé pas loin d'une heure à chercher Jungkook à travers les couloirs de l'opéra, la boule au ventre à l'idée que quelque chose soit arrivé à son protégé. Mais celui-ci était emmitouflé dans sa grosse couette, comme les ours en hibernation. D'un pas vif, il s'approcha de la masse informe et tira sur le seul et unique rempart qui protégeait Jungkook.

Le petit violoniste ferma fortement les yeux, ne voulant pas assister à la colère de celui qu'il admirait tant. Mais cette tentative fut vaine. Sans douceur, Taehyung prit sa main et la tira dans le but de le faire lever. Jungkook échappa un gémissement de douleur et Taehyung laissa sa main en suspens dans l'air alors que celle de son petit violoniste partit rejoindre sa jumelle. Le chef d'orchestre, la colère ayant disparue, s'assit sur le lit, près de lui.

-Montre-moi ta main.

Jungkook hocha négativement la tête et Taehyung claqua sa langue contre son palais, irrité par son entêtement.

-S'il te plaît, Jungkook.

Timidement, celui-ci ouvrit un oeil. Taehyung remarqua alors ses yeux rougis et gonflés et sa mine se fit grave. Doucement, il avança sa main avant de caresser son front, dégageant certaines de ses mèches rebelles. Il glissa ensuite sa dextre sur sa joue avant de caresser ses douces pommettes. Et, aussi doucement, il glissa jusqu'à l'une de ses mains qu'il prit entre la sienne. Ça ressemblait à un ballet lent, plein de douceur et contrôlé. Taehyung pouvait être autant délicat que brusque.

Il amena la main de son protégé et la regarda. Il vit alors le désastre. Les phalanges distales de Jungkook étaient abîmées, la silhouette des cordes de son violon semblant s'être moulée sur son épiderme. C'était rouge et Taehyung savait que ça devait le piquer. Il comprenait maintenant pourquoi Jungkook semblait souffrir lors de la répétition.

Il soupira et amena la main de Jungkook jusqu'à son front, se reposant dessus. Le violoniste ne savait pas quoi faire, alors il resta là, à dévisager Taehyung.

-Qu'est-ce que tu as fait ?

Jungkook se releva avant de s'asseoir aux côtés de Taehyung, ses mains jouant avec le bas de son pull. Il savait que Taehyung le regardait avec insistance. Il le sentait. Sa peau le picotait.

-J'ai essayé, murmura-t-il simplement d'une voix rauque, résultat de ses larmes.

Taehyung savait que ces mots avaient bien plus de sens qu'il n'y paraissait. Jungkook semblait porter toute la tristesse du monde sur ses petites épaules. Aussi, il décida de ne pas lui poser plus de questions.

Lentement, il se releva avant de sortir de la chambre. Jungkook continuait à fixer le marbre du sol comme si celui-ci pouvait l'aider. Il se sentait à la fois lourd et vide, c'était étrange comme sensation. Il se mordilla la lèvre inférieure, l'envie de pleurer à nouveau, mais il n'avait plus de larmes.

Taehyung revint dans la chambre au même moment et posa un genou au sol face à Jungkook, comme un prince. Il posa la trousse qu'il avait à côté de lui et l'ouvrît avant d'en sortir une pommade et des pansements.

Sans un mot, il prit la main de Jungkook et s'attela à appliquer la pommade sur ses doigts avec une telle douceur que c'en était devenue une caresse. Une fois que la pommade était assez pénétrée, il disposait alors le pansement. Il y tenait, à cette tâche, vu son air concentré. Ça se voyait qu'il voulait faire ça de son mieux.

Une fois que les quatre doigts de Jungkook furent emballés dans un cocon de protection, Taehyung massa sa paume, les yeux fixant sa main gauche.

-Je suis désolé.

Brusquement, Taehyung releva la tête. Jungkook, dont les yeux brillaient telles des étoiles, semblait le supplier de le pardonner. Mais il n'y avait rien à pardonner. Son violoniste était tellement plus joli lorsqu'il avait cette bouille rougissante et timide.

-C'est moi qui suis désolé, murmura Taehyung. Je n'aurais pas dû te parler comme je l'ai fait.

-Je vous ai menti et...

-Pour l'amour du ciel, arrête de me vouvoyer ! s'exclama Taehyung, au bord de la crise de nerfs.

Jungkook déglutit. Il hocha la tête et essaya d'abord de le tutoyer dans sa tête. Il le fit, un nombre incalculable de fois, mais c'était étrange.

-J'ai vingt-huit ans, précisa alors le chef d'orchestre.

-V-vous...il se reprit très vite en voyant le regard de son homologue. Tu as vingt-huit ans ?

Il grimaça. C'était vraiment étrange.

Mais Taehyung, lui, se sentit heureux en l'entendant. Un grand sourire avait pris place sur ses lèvres, tandis qu'il continuait à masser la paume du plus jeune.

-Oui. Pourquoi, ça t'étonne ?

-Je te pensais plus vieux, chuchota Jungkook.

Taehyung le dévisagea, offusqué. Quel âge ce garçon pensait-il qu'il avait exactement ? Il ne préférait même pas le savoir. Il fit seulement un signe de tête pour comprendre qu'il l'avait entendu et la pièce retomba dans le silence.

Taehyung ne cessait d'observer cette main meurtrie. Cette main qui lui faisait entendre des merveilles, le transportait, l'apaisait. À quel point Romance était un problème pour Jungkook au point qu'il en arrive à se blesser ? Mais il ne changerait pas de premier violon. C'était Jungkook et ça le restera.

-Tu sais, commença-t-il en rendant sa main au plus jeune, on y arrivera.

Jungkook ne comprit pas cette lueur qui brillait dans les prunelles de Taehyung.

-À quoi ?

-À aimer Romance...

Jungkook ne savait pas si c'était possible, mais en voyant l'expression de Taehyung, il semblait que tout était possible. Il avait cette force, cette aura, celle qui faisait que l'on ne pouvait que se fier aveuglément à lui. Parce que Kim Taehyung n'avait jamais tort lorsqu'il s'agissait de musique.

-...Ensemble.


Le même soir, il y eut un orage. Et Jungkook avait toujours été terrorisé par les orages. Chaque fois que la colère de Dieu s'abattait sur la terre, Jungkook, haut comme trois pommes, courait dans la chambre de ses parents, ses mains tenant fermement son doudou. Il tirait doucement sur la couette, essayant d'amoindrir ses reniflements. Et il dormait alors entre ses parents, son père caressant ses cheveux et sa mère enlaçant son ventre. Il n'avait alors plus besoin de son doudou qui venait s'échouer lamentablement au sol durant la nuit.

Mais les années avaient passé et plus personne n'était là pour le rassurer. Il n'y avait plus ses parents et il n'y avait plus son doudou.

Alors, tout en se mordillant la lèvre inférieure, les pupilles tremblantes, Jungkook se tenait devant la chambre de Taehyung, ne sachant pas quoi faire. Il voulait entrer à l'intérieur, mais peut-être que Taehyung le trouverait ridicule. Alors il resta là, à fixer cette porte blanche qui représentait tous ses espoirs. Inconsciemment, il espérait que Taehyung vienne le chercher. Mais celui-ci devait dormir.

Lorsque le ciel gronda un peu plus fort, il sursauta et ne réfléchit plus avant de tourner la poignée de la porte et de s'aventurer dans les ténèbres de la chambre du chef d'orchestre. Il faisait si sombre et pourtant, Jungkook se sentait beaucoup plus rassuré.

Timidement, il avança à tâtons, les mains devant lui, essayant de trouver le moelleux du lit. Mais dans son avancée, il trébucha au sol, faisant un bruit assourdissant. Il entendit des froissements, ceux de draps et, à en juger par la distance, il n'était pas loin de ce qu'il convoitait tant. Soudain, une lueur le fit cligner des paupières et il se redressa sur ses genoux avant de voir que Taehyung le fixait, allongé depuis son immense lit double, la main en suspens sur sa lampe de chevet.

Taehyung croyait rêver ou être en pleine hallucination. Il fronça les sourcils, pour être sûr que ce qu'il voyait était réel. Et c'était le cas. Son petit protégé était sur le sol de sa chambre, l'expression honteuse et terrorisée.

-Qu'est-ce que tu fais là ?

La voix d'ordinaire si rauque et basse du chef d'orchestre semblait avoir baissé de quelques octaves encore. Jungkook caressa son avant-bras, gêné.

-J'ai peur de l'orage.

Il détourna le regard. Il en avait si honte, de cette peur. Taehyung se contenta de le fixer quelques instants, attendris et surpris. Il ne s'attendait pas à cela. Il avait souvent l'impression que le plus jeune était comme intimidé par sa personne, mais celui-ci avait pourtant eu le courage de venir le voir, révélant à cœur ouvert une de ses faiblesses. Il souleva alors un peu la couette à ses côtés, incitant le plus jeune à s'y réfugier.

Jungkook ne perdit pas de temps avant de se blottir dessous. Il soupira, se sentant enfin presque en sécurité. L'odeur du chef d'orchestre était partout sur les draps. Taehyung éteignit la lumière et la pièce retomba alors dans un calme olympien. Au vu du temps, même la lune n'éclairait que peu les contours de la chambre. Un autre grondement retentit et, instinctivement, Jungkook se rapprocha de Taehyung.

Le chef d'orchestre sentait à présent son petit violoniste dans son dos. Il sourit, attendant patiemment le prochain mouvement qu'il voyait venir. Il pouvait sentir le souffle de Jungkook sur sa nuque, égal à une brise printanière. Comme s'il était étendu dans un champ de blé et que Jungkook était ce vent chaud qui caressait son être. À nouveau, un grondement retentit. Le plus jeune, dans un élan de panique, attrapa le t-shirt de Taehyung. Peut-être un peu trop brusquement puisque le bas de son dos était maintenant à découvert. S'il y avait eu de la lumière, Jungkook aurait alors aperçu cette peau de miel. Mais il n'y avait pas de lumière,  et la grosse couette l'empêchait de voir quoi que ce soit.

Taehyung frissonna tandis que Jungkook semblait s'accrocher à son haut comme si c'était un doudou de fortune. Doucement, le chef d'orchestre se retourna et, dans la pénombre, les deux hommes se firent face.

-Pardon, balbutia Jungkook.

Il voulut s'éloigner un peu, laissant de l'espace au chef d'orchestre, mais celui-ci le retint en passant une main sur sa taille, le rapprochant de lui.

-Ce n'est rien, ça m'a juste surpris.

Taehyung ne pouvait pas voir son étoile, cette nuit. De même que celles parsemant le ciel étaient cachées par les nuages, celle de sa chambre était éclipsée par l'obscurité. C'était dommage. Néanmoins, sous ses doigts, il sentait la finesse de sa taille. Il s'en étonna d'ailleurs. Cette taille était si fine...

Sans vraiment l'expliquer, il se mit à appuyer un peu plus sur cette courbe par-dessus son t-shirt, comme s'il s'assurait que cette forme divine appartenait bien à Jungkook. Celui-ci remua, très sensible. Ça le chatouillait.

-Qu'est-ce que tu fais ? demanda-t-il, perdu.

Taehyung ne répondit pas, à la place, il allongea le brun sur le dos avant de le surplomber. Il leva très légèrement le t-shirt du plus jeune, comme en transe, avant de poser ses deux mains sur sa taille. C'était incroyable. La texture était si douce, si lisse. Et c'était lui, qui s'était perdu. De la même façon que Jungkook avait été absorbé par son grain de beauté, le chef d'orchestre était attiré par cette taille.

Et il pouvait continuer à flatter cette courbe inlassablement tant il était charmé.

Jungkook était un peu affolé, perdu. Il avait la sensation de fondre. La musique de son coeur semblait avoir pris une tournure tellement brutale qu'il était impossible d'en lire la partition. Les notes sur le papier devaient être illisibles, comme si l'encre avait bavé.

-Taehyung ?

-Hum ?

Taehyung s'était arrêté dans son geste et avait levé la tête vers le plus jeune, sa vision s'habituant à l'obscurité. Il n'avait pas l'air gêné ou même déboussolé parce qu'il faisait. Il avait été interrompu dans sa rêverie, mais ne voyait pas du tout où était le problème.

-Qu'est-ce que tu fais ?

Taehyung retira délicatement ses mains de la taille de Jungkook, faisant frissonner celui-ci.

-Tu es incroyable.

Et c'était le seul mot qui était venu à l'esprit de Taehyung. Le seul qui avait glissé de ses lèvres avant que son cerveau ne réfléchisse. Et c'était dans ses moments-là que les êtres humains étaient les plus honnêtes. Lorsque la spontanéité prenait possession d'eux, les contrôlant.

Mais Jungkook n'y croyait pas un seul instant. Il se mordilla la lèvre inférieure, Taehyung toujours au-dessus.

-C'est faux, chuchota le petit violoniste. Je t'ai déçu avec Romance.

Le chef d'orchestre soupira avant de se laisser tomber aux côtés du violoniste. Il savait qu'il avait involontairement blessé Jungkook de son regard. Peut-être que celui-ci avait été plus dur que ses mots.

-Tu m'as déçu parce que tu m'as menti. Tu aurais dû me dire que Romance était...

Il ne savait pas comment l'expliquer. Romance semblait être comme le démon du jeune violoniste. Jungkook se tourna face à lui, les yeux brillants. Les mots avaient du mal à sortir d'entre ses lèvres, mais Taehyung méritait de savoir. Il méritait de comprendre. Il se racla la gorge et, doté d'un certain courage ou, à l'inverse, en quête de celui-ci, il attrapa la main de Taehyung avant de l'enlacer de la sienne.

-Ma mère était violoniste au philharmonique de Busan, commença-t-il d'une petite voix. Elle était...Elle était extraordinaire.

Taehyung caressa de son pouce le dos de la main de son petit protégé, l'encourageant.

L'esprit de Jungkook fut assailli de souvenirs. Il se revoyait enfant, écoutant sa mère qui répétait dans la pièce de la maison dédiée à ses répétitions. Il l'admirait depuis le pas de la porte, ses longs cheveux détachés, ses yeux fermés et sa beauté à couper le souffle.

Quelques années plus tard, Jungkook avait eu la chance de la rejoindre lors de ses répétitions. À deux, ils s'entraînaient alors dans cette petite pièce, déchiffrant les exercices de Jungkook. Et quelques fois, celui-ci essayait de jouer les morceaux de sa mère. Cependant, il était encore trop jeune pour Mozart. Mais sa mère était déjà si fière de lui.

-Elle m'a toujours dit que les grands musiciens donnaient des noms à leur instrument. Le sien s'appelait Romance et...

Taehyung buvait les paroles du plus jeune. Sentant cette tragédie venir sans même qu'il ne la lui raconte.

-Elle est morte, finit-il d'une voix tremblante. Et Romance c'est...

Ça lui rappelait sa mère. Ça lui rappelait ce jour.

Le petit garçon qui attendait patiemment le retour de sa mère en guettant l'allée, comme à son habitude, avait attendu de nombreuses heures, le regard brillant, à l'idée de revoir la femme de sa vie qui n'était malheureusement déjà plus. La seule chose qu'avait vue Jungkook, ce jour-là, c'était la pluie qui s'était écrasée contre le carreau comme les prémices de ce qui serait son état, quelques heures plus tard.

Ha-neul avait disparue, de même que Romance.

Il suffisait d'un temps pluvieux et d'une route glissante pour qu'il ne revoit plus jamais sa maman.

Les répétitions dans cette pièce étaient alors devenus un rêve insaisissable. Il s'était rendu compte que, plus jamais il n'entendrait sa mère jouer à nouveau. Plus jamais il ne jouerait avec. Plus jamais il n'entendrait son rire pétillant ou sentirait son parfum de fleurs. Le petit garçon qu'il était ne comprenait pas pourquoi on lui avait arraché sa maman aussi brutalement.

-Et ton père ? demanda tristement Taehyung.

Son coeur s'était douloureusement serré en écoutant le plus jeune. On l'avait brusquement arraché à son cocon de douceur. Il ne méritait pas ça. Tendrement, il glissa sa main dans ses cheveux et joua avec, proférant des caresses au plus jeune.

Jungkook sourit. Son père était son héros, et il l'est toujours. C'est lui qui lui avait appris à faire du vélo, à l'aider à continuer le violon lorsqu'il avait voulu arrêter après la mort de sa mère. Il l'avait défendu contre les enfants qui le trouvait trop fragile, inintéressant. Son père avait une cape invisible et ne défendait qu'une personne : la chair de sa chair, son petit garçon qui était une âme démesurément douce.

Mais il avait perdu l'amour de sa vie. Peut-être était-ce trop lui demander que de faire comme si tout allait bien alors qu'une partie de son coeur lui avait été dérobée, à lui aussi. Jae-sun avait pris compte chaque jour que son monde venait de perdre de son éclat. Et sa descente aux enfers avait été longue et tortueuse.

Lorsque ses larmes ne suffisaient plus à noyer son chagrin, c'était l'alcool qui le faisait, jusqu'à ce qu'il en vienne à un point où il n'était plus que l'ombre de lui-même. Adolescent, Jungkook avait aussi eu l'impression de perdre son père. Le retrouver après les cours,  avachi sur la table, un petit sourire sur les lèvres, mais les yeux criant pourtant de désespoir.

Ça l'avait anéanti.

Sa figure héroïque s'en était allé et Jungkook avait alors supplié son père de faire quelque chose. En partant, Jae-sun avait laissé son fils seul entre les mains de l'état. Mais Jungkook lui avait fait la promesse qu'ils seraient réunis à nouveau. Pourtant, son père enchaînait les rechutes et les retours au centre de désintoxication. Et les années passaient, de même que les familles d'accueil. Il était seul, seulement accompagné de Miyu, sa meilleure amie. Miyu semblait être d'une fidélité sans failles. Elle l'avait soutenu dans tous les moments et l'avait vu grandir.

Si Miyu devait être humaine, Jungkook l'imaginait, avec des cheveux châtains, de la couleur des marrons en automne, une voix apaisante et un sourire qui réchauffait les cœurs.

-Il est au centre de désintoxication Saengmyeong à Busan, finit-il par répondre. Ça fait tellement longtemps qu'il y va que j'ai arrêté d'espérer le jour où je le retrouverai.

Taehyung admirait Jungkook. Il voyait maintenant que, le garçon face à lui dans la pénombre, avait plus de force qu'il n'y paraissait. Une force tranquille mais non négligeable. Combien de personnes qui auraient vécu une situation similaire à celle de Jungkook en seraient ressorties déformées ? Ce n'était pas son cas. Son petit violoniste était une âme rare, un diamant, son diamant brut. Jungkook était le genre de personnes qui ne voulait qu'aider les autres. Il s'épanouissait timidement, comme une fleur, et Taehyung avait hâte de voir le moment où il atteindrait son apogée.

Il glissa sa main jusqu'à la joue de Jungkook et remarqua qu'il avait la sensation que ses doigts touchaient une rivière. Jungkook avait pleuré silencieusement et Taehyung ne l'avait même pas entendu ou remarquer. Pourtant, il aurait dû s'y attendre. Le plus jeune venait de remémorer des souvenirs tellement douloureux qu'il avait eu l'impression que son coeur allait se désintégrer, partir en cendres.

Le chef d'orchestre se releva doucement et, toujours dans le silence, vint récupérer ses larmes une par une.

-Comment s'appelait ta mère ? chuchota-t-il.

Quelle étrange destinée que la nôtre...On naît, on construit, on aime, on pleure, on se bat, on amasse des richesses, on comble des désirs sans fin et voilà qu'un point terminal, un minuscule point final, vient tout balayer. Alors, de la naissance, des trésors et des larmes, il ne reste plus rien.

Le destin c'était ça.

-Ha-neul..., répondit Jungkook d'une voix tremblante. Lee Ha-neul.

Taehyung écarquilla les yeux. Il admira les contours de son étoile, le coeur battant la chamade. Brusquement, il tira Jungkook jusqu'à lui et le serra dans ses bras, son visage s'enfouissant dans son cou. Il respira sa douce odeur, tant de pensées se bousculant dans sa tête.

Mais pas seulement.

Il y a, au cours de l'existence, des rencontres imprévues et singulières, où bien des faits qui se produisent, en apparence anodin, et qui auront été les dons du destin.

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