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Jungkook entra timidement dans le salon, triturant la lanière de son étui de manière distraite. Taehyung referma la porte derrière lui et le dépassa avant de se tourner face à lui.

-Bienvenue chez moi, dit-il simplement.

Jungkook hocha la tête car il ne savait pas quoi dire. Il n'avait pas vraiment réfléchi non plus lorsque cet homme lui avait dit de venir avec lui. Sa maman lui avait toujours dit de ne pas faire confiance aux inconnus, mais le petit sourire qu'il lui avait offert l'avait tout de suite mis en confiance. Il avait le sentiment qu'il était bien loin d'être malintentionné.

Il ne comprenait pas vraiment pourquoi il était dans ce duplex huppé de la capitale, mais il y était et Jungkook se sentait mal à l'aise devant tout ce luxe. Le marbre du sol lui avait agressé les yeux lorsqu'il était entré et il avait eu honte de marcher dessus avec ses chaussures sales. Le salon dans lequel il se trouvait était immense, il y avait un piano au milieu et il se fit la réflexion que cet homme devait lui aussi beaucoup aimer la musique. Il y avait aussi une grande baie vitrée qui prenait toute la largeur du salon et qui laissait apercevoir la nuit illuminée de Séoul et Jungkook trouva que c'était magnifique. Une cuisine américaine se situait sur la gauche et Jungkook était sûr que tout l'électroménager dont elle disposait était du haut de gamme. Lorsqu'il tourna le regard vers la droite, un magnifique canapé en velours rouge était installé face à un immense écran plat dernier cri.

Mais ce qui attira l'attention de Jungkook se trouvait derrière le piano. Il y avait une immense bibliothèque composée de disque en tous genres et Jungkook pouvait apercevoir de loin le Requiem de Mozart ou encore Fidelio, l'unique opéra de Beethoven. La bibliothèque était répartie en deux grosses étagères noires qui étaient séparées par une énorme chaîne hi-fi en bois marron. Jungkook n'avait qu'une seule envie : se ruer dessus.

L'homme enleva son manteau avant de le contourner et Jungkook pouvait sentir l'odeur boisée de son parfum et il pensa que ça lui allait vraiment bien.

-Attends-moi ici.

Jungkook hocha à nouveau la tête et il se rendit compte qu'il n'avait pas parlé depuis qu'il lui avait dit son prénom. Il se rendit compte aussi qu'il ne connaissait pas le sien. Mais il n'eut pas le temps de lui demander que celui-ci montait déjà les escaliers en acier qui menaient à l'étage supérieur. Il se mordit la lèvre inférieure, n'osant à peine bouger de là où il était – c'est-à-dire l'entrée du salon - et Jungkook se sentit réellement stupide.

Il soupira avant de tourner la tête vers la droite, là où se trouvait l'écran plat. Son regard s'orienta sur le mur couleur gris anthracite et les cadres alignés qui le décorait. Il s'approcha, curieux et hésitant. Il fronça légèrement les sourcils en apercevant les articles de magazines. Pourquoi avoir des articles de magazines encadrés sur son mur ? Mais il eut bien vite la réponse à sa question silencieuse. Il se rendit compte que l'homme qui était représenté sur les photos d'articles n'était autre que l'hôte de cet appartement. Il détailla quelques instants le premier cadre, se concentrant sur la photo prise en noir et blanc qui mettait en valeur celui qui l'avait recueilli. Il semblait porter un costume et adressait un regard intense à l'objectif. Jungkook ne pouvait nier qu'il était incroyablement beau. Ses yeux dévièrent légèrement vers le titre en grande police blanche qui se situait sur le côté.

« Le maestro de Séoul. »

Jungkook papillonna légèrement des paupières avant de passer au cadre d'à côté. C'était cette fois-ci une photo en couleurs qui épousait la beauté de l'homme. Il était accoudé nonchalamment contre un pupitre, un sourire joueur sur les lèvres. Jungkook lu à nouveau le titre de l'article.

« Kim Taehyung, le plus jeune chef d'orchestre au monde. »

Jungkook releva brusquement la tête, les yeux écarquillés. Un chef d'orchestre ? Il était de plus en plus perdu. Un dernier coup d'œil à l'un des articles lui apprit qu'il était l'un des membres de l'Opéra de Séoul. Jungkook déglutit, que faisait-il ici, exactement ? Alors qu'il reculait doucement, il rencontra une surface dure et chaude et se retourna légèrement pour voir que Kim Taehyung était juste derrière lui et le regardait. Jungkook rougit, il ne l'avait même pas entendu arrivé. Taehyung porta son attention sur les articles exposés à son tour avant de laisser un sourire discret courber ses lèvres.

-V-vous êtes un maestro ? bégaya Jungkook, surpris.

Taehyung sourit plus franchement devant le jeune homme face à lui. Il était attendri devant son expression perdue. Le chef d'orchestre avait rêvé de se prélasser dans son canapé avec un verre de vin et un peu de musique, mais pas de recueillir un gamin défavorisé qui avait à peine l'air d'avoir vingt ans. Pourtant, il ne regrettait pas un seul instant sa décision.

-Tu peux dire ça.

Jungkook compris. Lorsqu'il avait vu le piano en arrivant il avait d'abord pensé que Kim Taehyung aimait simplement la musique, mais ce n'était pas que ça. C'était son métier, sa passion, il nageait dedans. Kim Taehyung était entouré par la musique et celle-ci était comme une seconde peau pour lui. Être chef d'orchestre, c'était se donner corps et âme à elle.

Le chef d'orchestre était un prisme, une sorte de diamant, par lequel passent les faisceaux de toutes les individualités de l'orchestre.

Et Jungkook était devant lui, le regard brillant d'admiration.

Il descendit son regard et vit que Taehyung avait des vêtements propres, à plat dans sa main droite. Ce n'était qu'un jogging gris, un t-shirt noir et un caleçon, mais cela rendait Jungkook que plus suspicieux encore.

-Pourquoi je suis ici ? murmura-t-il.

Pourquoi ?

Taehyung le fixa quelques instants avant de faire doucement descendre sa main gauche le long de la manche du pull en lambeau de Jungkook jusqu'à atteindre sa main légèrement sale qu'il prit brièvement dans la sienne. Il y déposa les vêtements que Jungkook s'empressa de retenir avec son autre main avant qu'il ne tombe par terre et releva ses grands yeux vers l'adonis en face de lui. Taehyung lui souriait tendrement.

-Parce que, tu es ma révélation.

Et Taehyung ne pouvait pas trouver mieux pour qualifier ce qu'il ressentait. Jungkook était sa révélation, le miracle tant attendu. Plusieurs semaines stressantes ponctuées de nuits blanches venaient d'être réduites à néant d'une simple rencontre. Taehyung avait la sensation que, ce soir, il dormirait enfin à tête reposée.

Jungkook ouvrit la bouche pour parler, mais la referma rapidement lorsque Taehyung se retourna pour s'avancer vers sa bibliothèque, caressant distraitement les CDs sur l'étagère. Ses doigts les survolaient avec douceur et délicatesse, comme un jeune homme qui caresserait la joue de sa bien-aimée en se rendant compte qu'elle était tout son monde. Jungkook le fixait, les habits toujours en main, curieux. Sa révélation ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Taehyung chantonna légèrement avant de se tourner vers lui, un CD en main.

-Connais-tu Erich Wolfgang Korngold ? demanda-t-il en agitant le CD.

Jungkook secoua lentement la tête.

-Korngold est un compositeur autrichien, commença-t-il. L'on dit qu'il est le dernier souffle du romantisme viennois. La critique voyait en lui un nouveau Mozart. Comme Mozart, Korngold était lui aussi un enfant prodige, composant des valses et des mélodies à l'âge de sept ans.

Taehyung sortit le disque de son boîtier avant de l'insérer à l'intérieur du lecteur CD. Il appuya sur un bouton et quelques instants plus tard, une douce harmonie s'éleva dans les airs depuis les enceintes et emporta Jungkook.

-Connais-tu Puccini ?

-Oui.

Jungkook connaissait Puccini et pratiquement toutes ses œuvres. Ô Mio Babbino Caro restant sa préférée et celle de sa mère. C'était un air d'opéra en italien qu'il avait adoré écouter étant plus jeune, ayant lui-même l'impression d'être en plein cœur des tensions entre Lauretta et ses futurs beaux-parents dont l'opéra contait l'histoire. Taehyung sourit discrètement à l'entente de sa voix. Ce n'était que la deuxième fois qu'il parlait, mais elle était aussi douce et pure qu'il semblait l'être.

-Puccini avait dit de Korngold : Il a tellement de talent qu'il pourrait facilement nous en donner la moitié - et il lui en resterait encore assez.

Jungkook était surpris. Puccini est considéré comme l'un des plus grands compositeurs de la fin du XIXe siècle et du début du XX siècle et pourtant, il n'avait jamais entendu parler de Korngold. Mais il se doutait que la succession de notes qui caressait lentement ses tympans était de lui et il devait avouer que ça lui plaisait beaucoup.

-Ce que tu es en train d'écouter est son Concerto pour violon en ré majeur. Son seul et unique concerto.

Jungkook se doutait qu'il s'agissait d'un concerto pour violon. L'instrument se démarquait, les notes faisant de l'ombre au reste de l'orchestre, comme une jeune fille dansant seule en plein milieu d'une salle remplie de spectateurs. C'était doux, rapide et quelques fois violent, mais c'était magnifique.

-C'est un concerto en trois mouvements.

Jungkook ferma les yeux et sourit légèrement, ne prêtant plus attention à ce que le chef d'orchestre lui disait. Cela faisait bien longtemps depuis qu'il avait eu le plaisir d'écouter de la musique classique alors il en profitait. Surtout qu'il s'agissait là d'un compositeur qu'il ne connaissait pas et Jungkook avait toujours aimé découvrir de nouvelles œuvres. Taehyung le fixa lorsqu'il se rendit compte qu'il avait perdu l'attention du jeune homme en face de lui. Il détailla son sourire béat et son air serein avant de s'approcher de lui. Jungkook sentit cette odeur boisée tout près de lui et papillonna des yeux pour rencontrer le regard onyx de Taehyung.

-Je veux que tu sois mon premier violon.

Taehyung l'avait dit comme une évidence et Jungkook laissa échapper un hoquet de surprise.

C'était insensé.

-Quoi ? demanda-t-il, perplexe. Mais, je... pourquoi moi ?

Jungkook se demanda un instant s'il n'était pas fou, mais Taehyung le regardait et Jungkook pouvait déceler dans ses yeux toute la rationalité qui le possédait. Il n'y avait pas une seule lueur de folie qui habitait son regard.

-Tout simplement parce que tu m'as fait vibrer, chuchota Taehyung. Ton interprétation de l'Adagio di Albinoni n'était pas parfaite, mais tu ne faisais qu'un avec. Tu le vivais. Je n'avais jamais entendu quelqu'un le jouer comme tu l'as fait.

La voix de Taehyung n'était qu'un murmure, un secret prononcé entre lui et le jeune homme par-dessus le concerto de Korngold qui jouait toujours en fond.

-Tu as l'âme d'un virtuose. Je remarque ces choses-là.

Jungkook sentit comme une pique s'enfoncer dans son cœur à la manière dont Taehyung l'avait qualifié.

Un virtuose.

Maman disait la même chose.

Jungkook  avait envie de pleurer à ce souvenir, mais il avait déjà épuisé trop de larmes ces dernières années. Il déglutit pour reprendre contenance. Cela semblait être trop gros. Lui, le premier violon d'un concerto ?

-Je...

Avant qu'il ne puisse continuer sa phrase, Taehyung balaya l'air de sa main droite dans une supplique silencieuse de ne rien dire.

-Ne me donne pas ta réponse maintenant.

Il pointa les vêtements qui était toujours dans les bras du jeune homme.

-Tu peux monter en haut et aller prendre un bain ou une douche - ce que tu veux. Prends le temps de réfléchir à ma proposition, d'accord ?

Jungkook hocha la tête et Taehyung lui indiqua la salle de bain qui se trouvait à l'étage, à l'intérieur de la première porte à droite. Il remercia le chef d'orchestre d'une petite voix avant de lentement monter les escaliers.

Lorsqu'il pénétra dans la salle de bain marbré, il se fixa quelques instants devant le grand miroir face au lavabo. Le reflet que lui renvoyait le miroir le fit grimacer. Ses cheveux bruns étaient trop longs, sa peau était enduite de crasse et ses vêtements étaient dans un état lamentable. Il se demandait ce qu'un homme important comme Taehyung avait pu voir en lui.

Jungkook était misérable.

Un par un, il enleva lentement ses vêtements, ne quittant pas son reflet du regard. Il se forçait à redécouvrir son corps nu comme une punition. Lorsque sa dernière barrière de tissu tomba, Jungkook laissa échapper une unique larme solitaire qui roula le long de sa joue opaline. Il se dégoûtait. Son corps était frêle, l'on pouvait apercevoir le tracé de ses côtés qui ressortaient légèrement.

Jungkook resta là à se fixer pendant de longues minutes. Certaines personnes criaient pour évacuer leur douleur, d'autres pleuraient, mais pour Jungkook, le violon était son échappatoire. Il laissait évacuer sa douleur, sa tristesse et son désespoir à l'aide de son archet et des cordes de Miyu.

Lorsqu'il était enfant, il avait appelé son violon Miyu, comme son personnage de dessin animé préféré. Mais en grandissant -et après les événements tragiques qui étaient survenus dans sa vie - Miyu ne représentait plus le personnage de dessin animé qu'il avait tant admiré durant son enfance. Cette époque insouciante était bien loin derrière lui désormais.

Miyu voulait aussi dire jolie pluie en Japonais et c'est comme si le petit garçon qu'il avait été avait choisi ce nom car il savait d'avance les changements qui allaient s'opérer dans le futur. Jungkook ne lui en voulait pas, il aurait juste aimé qu'il le prévienne. Qu'il le prévienne de tout ce qu'il allait devoir affronter.

Jolie pluie. Oui, c'était beau et parfait. Miyu avait recueilli un nombre incalculable de ses larmes, après tout.

Jungkook ne voyait pas son violon comme un instrument banal. Miyu était sa meilleure amie, sa confidente, celle avec qui il avait partagé ses secrets durant 15 années. Celle qui l'avait aidé à tenir dans ses moments les plus sombres.

Miyu était la lumière dans les ténèbres. La lueur d'espoir inespérée.

Jungkook soupira et se glissa dans la cabine. Il actionna le mitigeur de douche et laissa échapper un petit cri de surprise lorsque l'eau glacée vint se déverser sur ses cheveux. Il se recula, attendant que l'eau se mette à la bonne température. Il glissa lentement sa main, sentant la température de l'eau changer au fur et à mesure. Lorsqu'il estima que la température était assez bonne, il se glissa sous le jet et laissa échapper un soupir de bien-être.

Il ne se souvenait même plus de sa dernière douche. Il baissa la tête, regardant l'eau claire devenir légèrement brunâtre en même temps que la saleté et la crasse coulaient le long de son corps pour terminer leurs parcours dans la bonde de douche. Jungkook ne s'était pas senti aussi bien depuis longtemps, mais il ne voulait pas profiter de l'hospitalité de Taehyung alors il se lava rapidement les cheveux et le corps, frottant autant qu'il le pouvait, avant de sortir de la douche et de s'enrouler dans la serviette qu'il avait vu poser sur le lavabo.

Il s'habilla lentement avec les vêtements qu'il supposait être ceux de Taehyung. Il flottait légèrement dans le jogging et le t-shirt était beaucoup trop grand pour lui, mais il estima qu'il n'y avait vraiment pas de quoi se plaindre lorsqu'il regarda son tas de vieux vêtements au sol. Il se mordilla la lèvre inférieure. Devrait-il demander à Taehyung ce qu'il devait en faire ?

Jungkook sortit de la salle de bain, remarquant que Korngold ne se faisait plus entendre. Il descendit lentement les escaliers avant de s'arrêter. Une assiette fumante de bibimbap était posé sur l'îlot central de la cuisine. Il savait qu'elle l'attendait.

Taehyung était assis sur son canapé en velours rouge, lui tournant le dos. Il avait un verre de vin blanc à la main et des feuilles étaient éparpillées sur la table basse face à lui. Jungkook se demanda un instant si toute cette situation était réelle. Il était tenté de se pincer pour voir, mais il avait trop peur de se réveiller, allongé sur le sol de cette station de métro, les éternelles trois malheureuses pièces remplissant son gobelet. Il savait qu'après un rêve aussi idyllique, le retour à la réalité lui serait trop brutal.

Jungkook repensa à la proposition de Taehyung. Être le premier violon d'un concerto... Même sa mère n'avait pas été jusque-là. Mais elle lui disait aussi qu'il fallait vivre ses rêves à fonds. Ne pas se contenter de les effleurer, mais de s'en emparer de ses deux mains.

Les leçons de vie d'Ha-neul comme elle aimait si bien le dire.

Alors, que cette situation soit réelle ou non, Jungkook allait tenter. Il allait vivre ce rêve à fond et tant pis s'il revenait brusquement à la réalité. Il aurait au moins essayé. Il laissa alors échapper un souffle tremblant, son cœur battant la chamade, avant de prononcer les mots qui changeraient sa vie :

-J'accepte.

Parce que la vie ce n'est pas d'attendre que l'orage passe, c'est d'apprendre à danser sous la pluie.

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