16
Avril est le mois le plus cruel, il engendre des lilas qui jaillissent de la terre morte, il mêle souvenirs et fêlures, il réveille par ses pluies de printemps les racines inertes.
Comme promis, quelques jours plus tard, Taehyung emmena Jungkook sur la tombe de sa mère. Le printemps était enfin arrivé, mais aucun ne prêtait attention à ce temps doucereux. Plongée dans le silence solennel, leurs regards détaillaient chaque tombe qui croisait leurs chemins.
Un sentiment d'injustice prit possession de Jungkook. Que ce soit des enfants, des adultes ou des personnes âgées, la vie de chacun de ces êtres étaient ensevelies sous ces mêmes stèles de marbre. Les tombes se ressemblaient toutes, pourquoi tout semblait se dissoudre dans la mort ? Toutes les joies, les tristesses, les amours d'une vie étaient inexorablement condamnés à ne devenir que cet ennuyeux monument funéraire. Il pensa que la mort ne méritait pas la vie si elle était ainsi bafouée.
-À quoi tu penses ?
Jungkook tourna la tête vers Taehyung et haussa mollement les épaules. Le chef d'orchestre dut sentir la mélancolie de son petit protégé puisqu'il lui ébouriffa tendrement les cheveux.
Jungkook le regarda en biais, admirant le joli manteau marron qu'il portait ainsi que cette écharpe claire qui entourait son cou, s'alliant merveilleusement bien avec son teint. Taehyung était frileux et même si le printemps était là, il était hors de question de lâcher prise avec les vêtements d'hiver. Jungkook en faisait d'ailleurs les frais, emmitouflé de cette façon dans cette grosse doudoune noire dont Taehyung avait tenu à remonter la fermeture éclair jusqu'à son menton, l'étouffant presque.
Taehyung s'arrêta soudainement face à une tombe de marbre noir et Jungkook en fit de même. En lisant les inscriptions, il sut que c'était là où reposait Mee-yon. Il put presque sentir ses mains trembler. Il se fit aussi la drôle de réflexion que, même mortes, Mee-yon et sa mère étaient opposées l'une à l'autre. En effet, la pierre tombale de sa mère était, elle, de marbre blanc. Il ricana doucement à ce constat, faisant froncer les sourcils du plus âgé.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
Jungkook secoua la tête avant de s'agenouiller face au marbre et de déblayer la poussière des graviers de sa main.
-C'est vraiment la lune, finalement...
Le regard de Taehyung se perdit au loin. La vue du saule pleureur au fond du cimetière semblait bien plus appréciable que ce sentiment d'inconfort qu'il avait en posant ses yeux sur la tombe de sa défunte mère.
-Il y a des fleurs...C'est toi ?
Taehyung baissa brièvement le regard avant d'enfouir ses mains dans ses poches et de contempler à nouveau l'arbre au loin.
-Non. C'est Chul-soon.
Jungkook avait tendance à oublier que le directeur de l'opéra était le grand frère de Kim Mee-yon, l'oncle de Taehyung. Celui-ci qui avait pris l'homme qu'il aimait sous son aile lorsqu'il pensait avoir tout perdu. Il avait aussi appris par la suite que les deux hommes s'aimaient beaucoup, même s'ils se le montraient peu. Ils avaient une relation de chien et chat. Le petit violoniste avait fini par comprendre que, dans cette famille, les preuves d'amour sont rares et dénuées de toutes paroles. Elles se font par de petits actes anodins que l'on réalise des jours, si ce n'est même des années après.
Jungkook sortit une feuille de papier de sa poche avant de la déplier sous le regard perplexe de Taehyung.
-Qu'est-ce que tu fais ?
-Je lui ai écrit quelques mots.
Taehyung ne put s'empêcher de sourire doucement devant l'hésitation qui teintait la voix du plus jeune. Il aimait ces joues rougies d'appréhension et ce regard timide. C'était comme s'il pensait ne pas mériter d'écrire à Mee-yon alors qu'il n'y avait personne d'autre en ce monde qui en avait plus le droit que lui. Il hocha la tête, lui faisant comprendre qu'il pouvait lui dire tout ce qu'il voulait.
Jungkook commença alors à la remercier pour tout. Il lui fit la promesse qu'il prendrait soin de son violon, qu'il le chérirait plus que sa propre vie. Évidemment que, depuis ce soir qui avait tout changé, le petit violoniste avait joué avec. C'était étrange, mais au-delà du son prodigieux qui en était sortie, il avait eu l'impression de ressentir chaque terminaison nerveuse de son corps. Mais d'une manière puissante et brutale, il avait surtout ressenti le fragment que Mee-yon avait laissé dans cet instrument. Ce petit bout de son âme qu'il avait lié à la sienne. Jungkook avait été incapable de l'expliquer à Taehyung, mais il était là. Il serait toujours là, l'accompagnant dans tous les actes futurs de son existence.
Il avait les yeux qui brillaient à la fin de son petit discours. Il renifla légèrement avant d'ouvrir enfin ce petit bout de papier. Taehyung était toujours debout derrière lui et ne disait rien, ne voulant pas gâcher la magie de l'instant. Alors il restait là, le regard voyageant entre le saule pleureur et le dos de l'amour de sa vie.
Jungkook lut brièvement les quelques mots couchés sur le papier dans sa tête avant de laisser sa voix, frêle et pleine d'émotion, s'élever dans l'air.
-Aux lacs ombreux, entourés d'arbres éternellement tristes, là où personne n'ose s'aventurer, regorgeant pourtant de richesses infinies. Aux phénix fragiles qui attendent patiemment dans leur nid la raison de leur envol. À ses diamants que les esprits pensaient n'être que du zirconium. À toi qui, sur la fin de ton voyage sur terre, s'est mise à aimer de toute son âme et, quant au reste, s'en est remise au destin. La vie est un grand lever de soleil. Pourquoi la mort n'en serait-elle pas un, plus grand encore ?
Taehyung ne sentit pas vraiment cette unique larme qui coula sur sa joue, même lorsque celle-ci vint caresser ses lèvres. La tête penchée sur le côté, il observait seulement ce jeune homme dont les mots l'avaient bouleversé par leurs si justes vérités. Il espérait sincèrement que ces paroles soient parvenues jusqu'à Mee-yon, peu importe où elle était. Qu'ils la confortaient de la même façon qu'ils l'avaient apaisé, lui.
Quelque chose de lumineux, de limpide, de touchant et de romanesque, un tendre rayon de soleil était entré dans sa vie monotone et sombre, et, avait non seulement réussi à attiré son amour, mais à attiré mystérieusement l'affection de toutes les personnes qui constituaient son monde. Putain, devant qui devait-il s'agenouiller pour ce cadeau descendu du ciel ?
-Tu as écrit ça ?
Jungkook se tourna avant de sourire timidement à Taehyung. Il replia le papier et le déposa sous les fleurs pour qu'ils continuent d'accompagner Mee-yon encore quelque temps.
-C'est ce que je pense sincèrement, mais Yoongi m'a aidé à la rédiger. Je ne suis pas doué avec les mots...
Taehyung haussa un sourcil, surpris. Non pas par le talent de son violoncelliste, mais plus par le fait qu'il semblait avoir partagé les mêmes pensées que Jungkook vis-à-vis de Mee-yon.
Ce ne serait que des années plus tard que Taehyung apprendrait que Yoongi et sa mère avaient partagé un moment perdu dans le temps. Mais hélas, ni l'un, ni l'autre, ne saurait jamais à quel point Mee-yon avait cru en Yoongi à la seconde même où elle avait posé ses yeux sur lui.
Jungkook se redressa avant d'épousseter son pantalon et de s'approcher de Taehyung. De ses pouces, il récolta cette autre larme qui menaçait de tomber, avant de lui offrir un petit sourire.
-Si tu étais allé sur la tombe de ma mère, que lui aurais-tu dit ?
Taehyung retira ses mains de son visage avant de les entrelacer doucement avec les siennes. Ce qu'il aurait dit sur la tombe d'Ha-neul ? Il ne pouvait s'empêcher de penser à cette triste citation d'un poète anglais qu'il avait lue un jour et qui était à jamais restée gravé dans sa mémoire.
-Bien que l'éclat qui était autrefois si brillant, se soit évanoui à jamais, bien que rien ne puisse ramener l'heure de cette splendeur dans l'herbe, de cette gloire dans la fleur, n'ayons point d'affliction mais cherchons plutôt la force dans ce qui reste après...
Il approcha l'une des mains de son violoniste près de son visage avant d'en embrasser délicatement le dos, battant doucement des paupières pour plonger son regard brillant d'amour et de promesses dans le sien.
-Toi, en l'occurrence.
Le deuil n'a jamais réellement de fin, mais il s'apaise dans un murmure.
♪
L'après-midi, Taehyung avait dû retourner à l'opéra pour peaufiner les derniers détails du concerto, laissant son petit protégé seul chez lui. Mais il savait qu'il n'avait pas besoin de s'inquiéter, Seokjin, Jimin et Yoongi lui avaient proposé qu'ils se rejoignent pour boire un verre. Il savait donc qu'il ne s'ennuierait pas à mourir.
En traversant l'un des couloirs, il remarqua Chin-sun, l'une de ses trompettistes, courir à toute allure vers lui. Lorsque la jolie maman s'arrêta face à lui, essoufflée, Taehyung caressa doucement son dos avec une mine inquiète. Il adorait Chin-sun pour sa joie de vivre et pour l'amour presque maternel qu'elle avait eu à l'égard de Jungkook dès le début. C'était une jolie femme dont ses grossesses passées avaient laissé de merveilleuses formes sur sa silhouette et dont elle était très fière.
Néanmoins, la voir reprendre son souffle de cette façon inquiéta réellement Taehyung.
-Chin-sun, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
La quinquagénaire releva la tête, les joues rougies et le regard affolé.
-Taehyung, j'ai entendu quelque chose d'horrible.
Ça avait l'air vraiment horrible, vu l'expression de la trompettiste. Le chef d'orchestre commença à vagabonder son regard de droite à gauche, paniquant lui aussi légèrement, mais plus à cause de l'état de sa musicienne.
-Tu veux de l'eau ? Je vais te trouver de l'eau, attends-moi là...
-Taehyung, murmura-t-elle doucement avant de le retenir par le poignet. C'est Mingyu.
Le chef d'orchestre se crispa automatiquement et se retourna lentement vers sa musicienne, le regard bien plus sombre qu'auparavant. Lorsqu'il était dans cet état, il effrayait la plupart des membres de son orchestre. Mais pas Chin-sun. Après tout elle était bien plus âgé que lui et elle n'était pas prête de se laisser intimider par un « gamin ». Taehyung se faisait souvent la réflexion que Jimin devrait en prendre de la graine.
-Quoi, Mingyu ?
Il avait eu raison de ressentir cette appréhension déplaisante. Au fil des explications de sa trompettiste, il réalisa que son violon n'était qu'avidité et jalousie. Évidemment, il n'y avait que lui pour commettre un acte aussi ignoble et s'en délecter avec fierté auprès des autres.
Il savait qu'inévitablement quelque chose allait arriver, car il sentait que le courage et le désespoir prenaient forme et se renforçaient en lui, que la haine accumulée depuis trop longtemps se concentrait en un torrent puissant qui voulait s'ouvrir une voie.
Ainsi, il ne fut pas tellement surpris lorsque, à la fin de la journée, son oncle l'appela dans son bureau.
Debout face au bureau de bois, Taehyung défiait du regard la seule famille qui lui restait. Famille qui se retenait sûrement de lui en coller une à l'heure actuelle. À ses côtés, il y avait Namjoon. Son cher ami avait insisté pour l'accompagner, lui garantissant que si jamais la confrontation semblait aller trop loin, il serait là pour apaiser les tensions. Taehyung le comprenait.
Ce qu'il ne comprenait pas, en revanche, c'était pourquoi lui était là.
Alors que Namjoon et Taehyung se tenaient debout face au bureau, Hoseok, dont la nonchalance n'était plus un secret pour personne, était assis sur un fauteuil, se curant les ongles avec indifférence.
Taehyung leva les yeux au ciel. Il y avait certaines choses qui ne changeraient jamais. Notamment cette espèce de joie intérieure qu'éprouvait le pianiste à chaque fois que le bouclé se faisait sévèrement gronder. C'était un véritable gamin. Taehyung savait que le pianiste se délectait de ce qu'il se passait actuellement.
Chul-soon se massa les tempes avant de jeter un bref coup d'œil à son neveu et de se remettre à le maudire à voix basse. Ce qu'il faisait depuis déjà dix bonnes minutes maintenant.
-Bon, résumons.
-Il n'y a rien à résumer, le coupa Taehyung. Je crois avoir déjà tout dit.
Chul-soon poussa un cri de frustration et Hoseok secoua la tête, comme s'il partageait sa peine et qu'il était lui-même affligé des agissements de son meilleur ami. Évidemment, Taehyung ne tenait pas rigueur de ce comportement comme il l'avait pu l'être par le passé. Bien des années s'étaient écoulées et il savait très bien que Hoseok était totalement d'accord avec ses actes. Étrangement, il se sentît même nostalgique de cette scène.
-Taehyung, commence pas, bordel.
-Il s'en est pris à mon violoniste donc je l'ai viré, il n'y a rien à ajouter. Je ne peux décemment pas accepter un comportement aussi puéril et cruel de la part de l'un de mes musiciens.
Chul-soon eut un rire sarcastique, drôlement amusé par les jérémiades de son neveu.
-T'es complètement accroc à ce gamin, ma parole.
Taehyung ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à redire. Parce que c'était la juste vérité, après tout. Hoseok ricana en voyant son expression de poisson rouge, fortement amusé de voir que, pour une fois, l'assurance du bouclé venait de défaillir. Chul-soon soupira avant de s'adosser contre son fauteuil et de dévisager aigrement son chef d'orchestre.
-Tu sais qui est son père au moins ?
Taehyung s'approcha du bureau avant de poser ses mains à plat contre le bois, le visage fermé, faisant sursauter Hoseok.
-J'en ai rien à foutre, est-ce qu'il sait qui moi je suis ?
Que le père de Mingyu soit un sénateur, un juge, une star ou même Dieu, Taehyung n'y accordait que peu d'importance. Il s'assurerait que, plus jamais, il ne croise sa route ou celle de Jungkook.
Taehyung n'aimait pas se vanter, mais il n'était pas l'un des plus célèbres chefs d'orchestre de ce monde pour rien. De plus, il faisait partie d'une famille distinguée dans le milieu de la musique. Si le père de Mingyu comptait lui rendre la vie difficile, il allait se mesurer à un adversaire de taille. Il suffisait que le bouclé disent quelques mots à des personnes bien placée pour que la carrière musicale de son fils se détériore ou prenne brusquement fin. Taehyung espérait qu'il allait prendre conscience de cette réalité parce qu'il n'avait pas envie d'en arriver jusque-là.
Ces mots tombèrent comme la foudre. Sur les visages de ses deux amis qui, pleins de curiosité, avaient suivi cet échange, un sourire satisfait s'étira. Chacun sentit qu'à partir d'ici, dans cette atmosphère chargée d'orage, allait se déployer les rayons lumineux de la victoire.
-C'était sexy, murmura doucement Hoseok.
Taehyung lui donna un léger coup de coude, irrité par son intervention inutile.
Chul-soon savait qu'il ne gagnerait pas cette bataille. Combien de combats avait-il perdus contre son neveu, déjà ? Il y en avait tant qu'il ne comptait même plus. Taehyung agissait de son propre chef et rien de ce qu'il pouvait lui dire pouvait le raisonner ou lui faire changer d'avis. C'était une véritable tête de mule. Un trait de caractère dont il avait hérité de sa petite soeur. Il ne l'avouera jamais, mais ça lui plaisait. Parce que, lors de ces moments, il avait l'impression de la retrouver.
Néanmoins, en observant le calme olympien de son neveu, Chul-soon croisa les bras contre son torse, le visage curieux, presque stupéfait.
-Comment peut-on virer un de ses violons à deux jours d'un concerto et rester aussi serein, comme si la situation n'était pas problématique ?
Hoseok posa brusquement ses pieds contre le bureau avant de s'étirer comme un chat. Comment fait-on pour encaisser des situations aussi catastrophiques sans tirer une tronche de carême ? Le pianiste avait la réponse simple et évidente.
-Faut rester dingue ! intima-t-il à voix haute, suscitant le regard circonspect de Chul-soon.
Namjoon observa les pieds de son ami salir sans vergogne le bureau du directeur de l'opéra de Séoul et se fit la réflexion qu'il était soit totalement suicidaire, soit complémentaire con. Il pencha plus pour la deuxième option. Taehyung poussa de sa main ses pieds avant de le réprimander comme s'il avait à ses côtés un gamin de douze ans. Il se demandait sérieusement comment Yoongi, de nature si calme et posée, faisait pour le supporter.
-Que vas-tu faire, alors ? repris son oncle.
Taehyung se redressa avant d'échanger un regard complice avec son meilleur ami. D'un même mouvement, les deux hommes tournèrent leurs têtes en direction du célèbre violoniste. Namjoon dévisagea longuement leurs sourires avant de comprendre. Il se pinça l'arête du nez et souffla.
-Taehyung, sérieusement...
Au vu de son expérience et de son statut, Namjoon aurait pu se sentir offensé d'apparaître dans un concerto en étant que le premier violon. Il aurait pu refuser en sachant qu'il allait se faire éclipser. Parce que la star de ce soir-là serait indéniablement Jungkook.
Mais Namjoon ne le fit pas. Parce que s'il y avait bien un point commun que partageait ce trio d'amis, c'était leur amour inconditionnel de la musique. Du moment qu'ils jouaient, qu'ils étaient passionnés et qu'ils aimaient, ce que pouvait penser les autres n'avaient plus aucune importance. C'était les notes et eux, seulement ça.
Celui qui vit pour une seule passion ne vit pas avec moins de variétés. Ces monomanes qui passent leurs existences à adorer une seule et unique facette que propose la vie sont simplement des génies qui touchent finalement l'infini.
♪
-Seokjin tu n'es pas obligé...
-Chut, je t'ai dit que je payais.
Les quatre amis étaient présentement assis sur une banquette dans un petit café sympathique non loin de l'opéra. Jungkook était heureux d'être réuni avec ces personnes qui, très vite, étaient devenus une part essentielle de son bonheur. C'était l'occasion de se retrouver avant le concerto. Ils étaient tous plus ou moins stressés alors Seokjin avait pensé à sortir tous ensemble pour s'amuser et se détendre.
Le petit violoniste était assis aux côtés de Yoongi qui observait la carte depuis déjà si longuement que le café aurait le temps de fermer avant qu'il ne se décide à choisir.
-Donc, tu prends quoi ?
Jungkook releva son visage avant de sourire doucement à son aîné.
-Je veux bien un chocolat chaud, s'il te plaît.
-Tu veux un supplément chantilly ?
Alors que Jungkook s'apprêtait à répondre, Jimin sauta de sa banquette, faisant brusquement bouger la table.
-Moi je veux !
Seokjin claqua sa langue contre son palais avant d'appuyer sur sa tête pour le rasseoir, le réprimandant au passage pour son comportement non réglementaire en société, arrachant un sourire discret au violoncelliste.
-Toi tu t'assois et tu te tais.
Jimin bouda avant de trouver les serviettes en papier très divertissantes et de s'amuser pensivement avec. Seokjin se retourna alors de nouveau vers le petit violoniste qui s'était ratatiné sur son siège, les poings sur les hanches.
-Non ça va aller...
-D'accord, deux suppléments chantilly, le coupa-t-il avant de se tourner vers Yoongi. Et toi ?
Le noiraud se gratta le menton, ses yeux de chat inspectant toujours la carte avec grande attention. Jungkook, en le voyant autant hésiter, glissa sur la banquette pour se rapprocher de lui.
-Tu n'arrives pas à te décider ?
-Ils ont tellement de variétés de thés..., souffla-t-il.
Les yeux de Jungkook se mirent à défiler la carte à toute allure. Yoongi avait raison, ce commerce offrait beaucoup de choix de thés et il pouvait comprendre qu'il en devenait difficile de choisir. Mais l'un d'entre eux retint particulièrement son attention. Il pointa son doigt sur la carte, faisant plisser les yeux du violoncelliste.
-Thé vert vanille et fleur de cerisier..., lut-il. Tu as déjà goûté ?
Jungkook secoua la tête.
-Non, mais il est original, tu ne trouves pas ?
Jimin, qui avait jusque-là la tête posée sur la table, se redressa, irrité par la lenteur du violoncelliste.
-Joli cul a raison, c'est bien de tenter des nouvelles choses. C'est ennuyeux de prendre toujours un simple thé vert.
Yoongi fit alors signe en direction de Seokjin qui héla une serveuse pour venir prendre leur commande. Il déblatéra le choix de ses amis si vite que la malheureuse jeune fille eut du mal à écrire sur son petit calepin. Mais le flûtiste ne voulait pas risquer que l'un de ses camarades ne change soudainement d'avis. Une fois que la serveuse fut partie, Jungkook lança un regard peu amène en direction du blond.
-Ne m'appelle pas comme ça.
Jimin lui sourit de toutes ses dents et c'est lorsqu'il avait arboré l'un de ses sourires pour la première fois que Jungkook avait réalisé qu'il était loin d'être un ange.
-T'as un cul d'enfer, ce n'est pas de ma faute.
Jungkook baissa la tête avant de jouer distraitement avec une paille pour cacher son embarras. Hélas, jamais il n'aurait pu cacher ses joues rougies à ses amis. Il grommela des paroles incompréhensibles que personne ne comprit. Jimin dut même se relever légèrement de sa place pour s'approcher de lui et comprendre ce qu'il baragouinait.
-Tu le regardes ? répéta plus fortement Jungkook.
Jimin s'esclaffa avant de se rasseoir dans un bruit sourd sur sa banquette.
-Bien sûr, sinon pourquoi je t'appellerais de cette façon ? Je ne suis seulement pas assez fou pour le faire quand monsieur Kim est dans les parages.
Jungkook releva vivement la tête, les yeux écarquillés. Il ne leur avait pas encore dit que Taehyung et lui étaient ensemble alors comment avaient-ils pu comprendre ? Ce qu'il ne savait pas, c'est que si Seokjin et Yoongi avaient eu des doutes, la réaction du petit violoniste ne fit que les confirmer.
-Je ne vois pas de quoi tu parles, balbutia-t-il lamentablement.
Cette simple réponse les fit tous exploser de rire. C'était la réponse typique à ne surtout pas dire et pourtant, Jungkook n'avait pas hésité un seul instant avant de faire l'erreur de la proférer avec soulagement. En se rendant compte de sa vaine tentative, son visage se décomposa lentement sous les éclats de rire de ses amis.
Yoongi l'observa longuement, sa main soutenant sa tête. Il était amusé de voir le manque de crédibilité que possédait le plus jeune. Toutes ses émotions étaient si vivaces qu'il était aussi lisible qu'un livre ouvert. C'est pour cette raison qu'il avait remarqué distinctement les derniers changements que Taehyung avait opérés chez lui.
En sentant un regard sur lui, Jungkook se tourna vers Yoongi, lui permettant d'admirer plus nettement son joli visage embarrassé.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
Le noiraud lui sourit doucement avant de secouer la tête, ses prunelles brillantes de malice se portant sur le plateau rempli de boissons qui s'approchait d'eux.
-C'est juste que je trouve que ça t'embellit, l'amour.
Jungkook devait s'avouer vaincu pour cette fois-ci. Il finit par sourire, sachant d'avance que la surprise qu'était celle de leur révéler qu'il possédait le Stradivarius de Kim Mee-yon était toujours sienne.
Il y a des personnes qu'on aurait aimé rencontré plus tôt. Celles qui ajoutent une touche de couleur à un tableau pourtant déjà fini. Celles qui auraient pu nous faire prendre conscience que si elles étaient apparues à une autre époque de notre vie, tout aurait été différent. C'était le cas pour eux. Qui sait ce qu'ils seraient aujourd'hui s'ils s'étaient rencontrés bien avant tout ça. À une époque où tout paraissait scandaleusement grand, que les rêves voilaient les regards et que les vicissitudes étaient encore bien loin de les agripper.
S'ils étaient entrés en collision à ce moment-là, nul doute que Jungkook se serait enfin senti compris, que Jimin n'aurait pas eu ce manque de confiance, que Yoongi aurait peut-être simplement été heureux et que Jin aurait enfin eu la sensation de ne plus être celui sur lequel on se reposait sans arrêt. Mais même s'ils venaient juste de prendre conscience que ces personnes, ils les avaient trouvés, cela ne changeait rien. Un tableau, qu'il soit fini ou pas, aura toujours une couleur pour l'embellir.
Au bout du compte, l'oeuvre qu'est notre vie ne sera jamais totalement complète, jusqu'à ce que la fin n'arrive.
🎻
(La citation de Taehyung sur la tombe de Mee-yon est de William Wordsworth)
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