⇰ Chapitre Premier

                Il y eut dans l'histoire bien des hommes pour lesquels la fortune passa par le corps ; et il y eut, parmi eux, un fringant dévoyé, un sémillant voyou, un noble rupin, qui excella dans l'art des draps sans pour autant jamais se faire marchand. Ce dernier se nommait Hans von Kräber. D'apparence, rien ne le distinguait de ses pairs. C'était un joli garçon, robuste et brun comme un paysan. Il naquit dans une famille de Junker à l'histoire si longue, si pleine de batailles et de sang que l'enfant, préservée entre les bras de ses nourrices, se jura de mener la vie la plus inutile et oisive qui fut. Il grandit donc en ne prêtant qu'une oreille distraite aux leçons d'épées, préférant le chuchotement des feuilles que produit le vent à la nuit tombée. Hans parlait la langue des soirs d'automne et le patois des paysans. Il savait s'en faire aimer, car rien de le distinguait d'eux, si ce n'est un rang et un maintient qu'on admirait dans le pays entier. Il avait quelque chose d'un sage juvénile, aux yeux d'ocre bleus, si clairs qu'en été on les croyaient blancs. Sa chevelure, elle, était blonde, épaisse et rêche comme une tresse de lin.

Hans avait un camarade dévoué. Ses parents étaient les vaisseaux de son père. D'un an plus jeune que son Suzerain, le garçon était brun de cheveux et pâle de peau, si bien qu'à les voir ensembles, le voyageur aurait aisément confondu le noble et le roturier.

Un jour d'hiver, le ciel laissa éclater sa colère. Il gronda sur les terres du Junker et mouilla le sol, nourrissant les champs et trempant les hommes. Les deux amis étaient partis à cheval le matin. La pluie les surprit. Pleins de fougue et de courage, ils ne quittèrent cependant pas la route et affrontèrent le ciel. Celui-ci, devant ces deux insolents, redoubla de rage. Il zébra son ventre d'éclairs puissants, gronda encore, encore, crachant une pluie toujours plus drue derrière laquelle il fit disparaitre le chemin. Les sabots des chevaux s'enfoncèrent dans la terre meuble. Le jeune vassal, qui portait le nom de Konrad, s'exclama :

     - Mon Seigneur, la frontière est ténue entre entre courage et folie. Cependant, je crois être en raison de considérer que nous sommes deux fous de chevaucher par ce temps.

     - Il est vrai, répondit Hans qui feignit le désarroi. Nos pauvres bêtes s'enfoncent dans la boue. A ce rythme, nous aurons l'impression d'être montés sur des mulets dans quelques pas.

L'échange s'était fait par des cris, car la pluie couvrait le moindre mot. Hans, par bravade, ne souhaitant pas apparaitre couard auprès de son ami, cachait depuis quelques lieux qu'il gelait sur sa monture. Konrad aussi. Ils se sourirent, rassurés tous les deux. Hans frappa l'épaule de son écuyer puis il donna quelques coups de talons à la monture. Ils quittèrent la route, grimpant sur des talus glissants et coupèrent à travers champs à la recherche d'un abri.

     - Nous ne devons pas être bien loins de la Tour des Brigands, dit Hans. Si j'en crois mes sens perturbés, il faut chevaucher droit vers l'est.

     - Monseigneur sait mieux que moi, répondit son ami.

Les bêtes étaient épuisées. C'est non sans mal qu'ils les firent avancer jusqu'à une courte tour, qui dressa une carcasse noire derrière la pluie. Elle était carrée, vétuste et aussi accueillante qu'une vieille veuve qu'aucun parent ne visite.

Les deux garçons repoussèrent sans mal des branchages qui recouvraient l'entrée. A l'intérieur, ils trouvèrent les traces d'un feu éteint depuis plusieurs jours.

     - Nous ne sommes pas les seules pauvres âmes à trouver refuge ici, dit Hans.

     - Et nous ne serons pas les dernières en à partir, répondit Konrad en levant une main vers le plafond de bois pourri. L'eau s'infiltre partout.

L'écuyer s'approcha ensuite des deux chevaux pour les attacher en un point qu'il trouva sec. Il les gratifia de caresses tendres, félicitant leur endurance et leur courage face au déluge. Hans observa ces affectueux échanges. Il se surprit à envier les bêtes, auxquelles l'ami parlait doucement, presque à l'oreille. La main pâle, aux doigts longs, délicats comme ceux d'une demoiselle, parcourait les encolures baissées.

Hans se débarrassa de sa tunique trempée. Il la déposa sur les dalles de pierres.

     - As-tu pris de quoi se réchauffer ?

Konrad sortit une couverture d'un sac de selle.

     - Et de quoi se restaurer ?

     - Pardonnez-moi, Monseigneur, mais mais je n'ai pas été aussi prévoyant.

     - Alors viens, dit Hans.

L'écuyer rejoint son suzerin. Avec soumission, il lui recouvrit les épaules de la couverture. Il s'assit ensuite sur les dalles froides et trempées. Sa tunique lui collait à la peau. L'eau qui en dégorgeait forma tantôt une petite flaque autour de lui. Il grelotta, éternua et s'excusa avant de se moucher.

     - Tu devrais te découvrir, lui conseilla Hans. Tu attrapera une crève à rester ainsi.

Konrad rougit.

     - Allons, s'amusa son ami. De quoi auras-tu l'air, lors du Jugement dernier, lorsque tu auras péri d'une grippe car tu as refusé de te déshabiller devant ton Seigneur ? Tu seras nu devant les portes du Paradis.

     - Sauf votre respect, vous n'êtes pas les portes du Paradis.

Hans ne retint pas son rire.

     - Quel prude tu fais ! Nous sommes deux hommes, nous avons grandis sous la même houlette, de quoi as-tu peur ?

Konrad haussa les épaules. Il ignorait la source de sa peur. Pourtant, elle le clouait sur les dalles froides et lui inspirait une honte tenace de son corps. Il avait l'impression que le moindre dévoilement de chair causerait sa perte. En présence d'Hans, il était toujours aux aguets, cherchant le contact avec l'espoir d'un assoiffé en plein désert. Il savait qu'il était souvent au bord de la bascule. Il sentait, proche, un attrait pour un péché qu'il ne cernait pas encore tout à fait.  

     - Je ne suis pas frêle. Une pluie n'aura pas raison de ma personne, dit Konrad avec conviction. Si tu as peur pour ma vie, alors prie.

Hans ne répondit pas. Il sourit tendrement, diverti par la pudibonderie de son écuyer qui grelottait comme un pauvre diable. 

      - Tu as l'air d'un chien battu, constata le Seigneur. 

     - J'en ai la résistance aussi, répondit le roturier. 

     - Tête de bois. 

     - Oui. Je suis de la meilleure essence. Mes racines sont millénaires.

     - Je vois que tu as bien appris ta rhétorique.

     - Mieux que vous, je crois. 

     - Je n'entends rien aux choses de l'esprit.

     - Je le sais. Pourtant, vous êtes plus que moi destiné à régner, affirma Konrad avec bravade.  

     - Qu'importe ; tu seras à mes côtés. Cependant, il y a un art que j'ai appris jusqu'à la maitrise...

      - Vous m'étonnez. 

      - C'est la lutte. 

Ces mots à peine prononcés, Hans se jeta sur son camarade pour l'immobiliser de tout son poids contre les dalles.

     - Arrêtez ! cria Konrad. Vous êtes fou ma parole. Là, vous allez me tuer. 

     - Défends-toi, proposa Hans. Le gagnant obtient la couverture.

     - C'est contre la bienséance que je gagne sur vous. Ma vie n'est rien devant la vôtre. 

     - Ton Seigneur t'ordonne de préserver ta vie, tête d'âne. Il t'ordonne aussi de te battre. 

Piqué au vif, Konrad se débattit. Il était robuste. Il balança la tête en arrière, cognant violemment Hans puis, d'un mouvement brusque, il se redresse et fondit sur son ami. 

     - Tu dégoulines, dit le noble avec un air feint de dégout tandis qu'il accusait un coup.

Konrad, par une série de gestes précis, reprit l'ascendant sur son camarade qui ne lutta pas outre mesure. Il lui enserra la tête de ses cuisses et, avec un sourire mauvais, lui essora sa tunique sur le visage. 

     - Un Seigneur doit être au courant de ce que traverse ses sujets. Je me permets de vous le faire sentir, dit l'écuyer. 

     - Après une telle vilénie, je ne donne pas cher de ton âme. 

     - Je n'en ai cure. Elle n'appartient pas à Dieu, mais à vous. 

 Hans cessa de rire. Troublé, il secoua le buste pour se dégager de son camarade. Ce dernier, en réponse, lui  attrapa les mains pour les plaquer au sol. Le noble ne se laissa pas démonter. Il essayer d'arquer son dos puis, avec force, donna des coups de bassin pour chasser l'opportun qui écrasait son ventre. Il le délesta de lui-même. Durant de longues secondes, les deux garçons demeurèrent coi, saisis l'un comme l'autre d'émotions contradictoires qui secouèrent leur coeur et indisposèrent leur corps. Hans observa Konrad. Un éclat pourpre rosissait ses joues et ses oreilles. Il haletait, les jambes serrés, les yeux grands ouverts, comme s'il faisait face à une apparition troublante. La vision de cette chaire rouge, trempée, épuisée, qu'il devinait sous la tunique collante de son ami excita le jeune noble. Sans comprendre ce qu'il faisait, il agrippa le vêtement de son ami et le tira à lui. 

     - Que faites-vous ? geignit Konrad.

L'écuyer vit le regard de son seigneur disparaitre sous ses cils. Ce dernier regarda vers le bas, vers l'entrejambe de Konrad dont le sexe était honteusement tendu. Le roturier cacha son visage de ses mains. 

     - C'est cette vilénie là qui aura raison de mon âme, dit le roturier d'un ton qu'il voulut cérémonieux. 

Cependant, les mots se perdirent dans sa bouche. Il les prononça en un souffle timide, presque éteint, mais qu'Hans reçu en s'abreuvant de la chaleur qui s'en dégageait. Avec douceur, il rapprocha le corps de Konrad du siens, de manière à ce que le jeune homme sente l'état dans lequel il se trouvait également.

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