Chapitre 2 : Comme un père
- Rolf ?
Alors que je m'étais tout de même isolé pour pouvoir faire le vide, assis au bord d'un précipice, une personne s'approcha de moi, celle, sans doute, que j'attendais le moins : Harold Horrib' Haddock III, notre chef, sûrement l'homme le plus occupé du coin mais aussi le plus bon. Attaché à ses principes, il ne laissait rien lui échapper. Même ma peine, il avait su la percevoir.
- Chef ?
- Ils sont intenables, n'est-ce pas ? Personnellement, je n'en peux plus. Tu veux bien me laisser me poser ici quelques temps ?
- Bien-sûr, faites comme chez vous. Pas comme si ce n'était pas déjà le cas en fait.
Ayant tout de même attendu mon autorisation, il se plaça à mes côtés, laissant pendre à son tour ses jambes dans le vide, enfin ce qu'il en restait évidemment. Il laissa échapper un petit rire contagieux à l'entente de mes paroles. Pour autant, j'eus du mal à me joindre à lui, ainsi seul un léger ricanement franchi mes lèvres. Tous deux regardions face à nous, admirant le paysage, comme si le seul but était réellement de se détendre. Seulement, je n'étais pas dupe, il cherchait ses mots. L'attente d'une conversation que je ne voulais pas avoir avait ainsi comme seul effet de me tendre davantage. Les épaules aussi droites qu'il était possible de les avoir et les poings serrés, je patientais comme je pouvais. Lui, soupira de découragement, et plaça sa main à l'arrière de son crâne, reprenant un vieux tic.
- Alors ? Qu'est ce qui fait que tu ais besoin d'admirer le paysage ?
- Vous ne saviez pas ? Je suis un grand romantique, c'est ce que les gens comme moi font.
- Les gens comme toi ? Tu ne parles pas des gens ''romantiques'', pas vrai ? Pourquoi tu ne rejoins pas les autres ?
Ce fut à moi de soupirer, résigné.
- Pourquoi faire ? Je servirai à quoi là-bas ?
- Pourquoi veux-tu servir à quoi que ce soit déjà ? Et puis, j'en connais des moins efficaces que toi. Je ne suis pas sûr qu'une bagarre, aussi endiablée soit-elle, puisse nous être très utile.
- Une bagarre... vous utilisez des termes un peu forts, ce n'était qu'une simple bataille de boules de neige, un jeu d'enfant. Ça à au moins le mérite de faire rire tout le monde.
- Moi, exagéré ? Jamais ! On voit que tu n'es pas resté jusqu'au bout. Enfin, ça reste un jeu.
- Sérieux ? Quelle bande de sauvages !
- C'est vrai. Mais ce sont des vikings tout simplement, on ne peut pas leur en vouloir.
- Ouais... ce sont des vikings.
Mon sourire devint plus triste inconsciemment. Ce moment avec mon chef était loin d'être désagréable mais il ressassait de mauvaises pensées. Harold, lui, ne savait ce que voulait dire de telles paroles. Un air d'incompréhension traversa son visage. Tout son être semblait vouloir demander quel était le problème, mais son esprit lui disait de réfléchir dessus avant de dire quoi que ce soit. Ce qu'il fit, avant que je ne le devance. J'aurai pu faire en sorte que la conversation prenne fin aussi vite qu'elle avait commencé mais je lui devais au moins ça.
- Mon problème ?
Il releva la tête. Son visage fermé par la réflexion, s'ouvra de nouveau. On pouvait presque voir ses oreilles s'étirer pour ne rien rater de ce que je dirai.
- Mon problème est simple, c'est que moi, je n'en suis pas un.
- Bien-sûr que si, ne raconte pas n'importe quoi.
- Je ne vois pas en quoi ce que je dis est une bêtise.
Le ton que j'employa coupa court à ce qu'il avait conservé de son air enjoué habituel.
- C'est vrai quoi... je n'ai rien d'un guerrier, aucune force ni habilité, ou même d'intelligence particulière. Même Bertrade est un génie dans son style, elle possède une mémoire incommensurable et une ingéniosité à faire peur. Alors, je ne parlerai même pas des autres. En fait... même sans ça... je... je n'ai rien tout court.
Devant mon amertume, Harold baissa les yeux vers ses mains, comme plongé dans de vieux souvenirs.
- Je ne crois pas qu'il y est besoin d'être le meilleur dans une quelconque discipline. Tu n'es peut-être pas le plus intelligent ou le plus fort, mais tu es loin d'être l'inverse non plus. Tu allies un peu tout, et c'est très bien ainsi. Être un guerrier ne fait pas tout, encore moins aujourd'hui. Tu sembles penser autrement, pourtant, je peux t'assurer que c'est vrai. Surtout que tu es loin d'être le seul dans ce cas. Tu sais, j'ai connu ça aussi, la sensation d'être un moins que rien.
- Vous ? C'est ridicule. Ne vous amusez pas à me mentir pour me faire me sentir mieux, c'est inutile.
- Ça ne m'amuse pas, ça ne l'a jamais été. Quand j'étais jeune encore moins. Même mon propre prénom à la base va dans ce sens. Je me souviens encore lorsque j'étais appelé la catastrophe du village, j'étais sans doute le plus insignifiant et le moins écouté de tous.
- Je n'en crois pas un mot. Vous ?! Vous êtes le descendant d'une famille de chefs des plus nobles ! Et ce n'est qu'une raison qui fait de vous le chef que vous êtes.
- Même si ce que tu me dis me fait plaisir, beaucoup en fait. Je me sens obligé de te contredire. Le fait d'être un Haddock n'a jamais été bénéfique. Enfin, je n'arrivais pas à voir les choses ainsi en tout cas. Ce n'était qu'un poids dont je me serai bien débarrassé. Il y avait des attentes, et je n'en respectais aucune, quand bien même j'essayais encore et encore. Je crois qu'à l'époque, j'aurai préféré n'être qu'un viking parmi tant d'autres. Ou alors être né différemment. Être... plus viking !
- Mais vous avez tout ce qu'il faut ! Vous êtes un grand chef, vous ne pouvez qu'être un grand viking !
Le chef tourna son regard dans ma direction. Face à ma fougue, il ne put que sourire de plus belle, on sentait une certaine fierté dans sa voix.
- Si c'est ce que tu penses, c'est que j'ai réussi alors.
- Réussi ?
- Oui, réussi à changer les choses. A force d'efforts et sûrement de beaucoup de chances aussi, j'ai pu grandir et faire évoluer le monde autour de moi. Je ne suis pas plus viking que je ne l'étais. J'ai simplement trouvé ma place. Tu ne connais pas le nombre de choses qui se sont produites pour qu'on en arrive là. Mais si quelqu'un comme moi, que je croyais sans valeur, a su devenir le grand chef que tu sembles décrire, alors je ne doute pas une seule seconde que tu la trouveras à ton tour. Si ce que tu es aujourd'hui ne te convient pas, trouve ce qui te définira.
Je ne me souvenais pas avoir effectué un échange de regards aussi long de toute ma vie, mais tant dis que ces mots pénétraient mon esprit, une part d'espoir commença à naître au creux de mon être.
- Et surtout, je refuse que quelqu'un de ton âge déprime aussi vite. Tu es encore bien jeune, tu as le temps d'accomplir de nombreuses choses. Tu n'as pas à être aussi pressé.
Il me donna une légère tape dans les côtes, encore.
- Aïe, c'est vraiment de famille, c'est pas possible !
- Fais attention, c'est contagieux apparemment.
Pressant mes bras autour de mon corps en cherchant à éviter toute autre attaque de ce genre, je ne vis pas l'assaut du chef envers mes cheveux. Soulevant ma tignasse en tous sens, Harold s'amusa à frotter sa main sur ma tête. Loin d'être désagréable, ce moment nous fit rire aux éclats autant l'un que l'autre. Un peu plus tard, le chef se releva, toujours face à la grande falaise.
- Mais ce qui te dérange vraiment ce n'est pas ça, pas vrai ?
Je stoppai tout mouvement, comme pris sur le fait, et surtout surpris.
- Tu sais, je suis sûr qu'une famille t'attend quelque part et même si ce n'est pas le cas, tu as Beurk. Le fait que tu ne possèdes rien, ne veux pas dire que tu n'es rien.
- ...
Je baissai la tête, suivant les bords du rivage des yeux, réfléchissant sérieusement à tout ce qui avait été dit.
- Moi, je t'aurai bien ajouté à la famille directement, si la seule chose qui te manque c'est un nom. Mais bon, j'ai bien l'impression que je n'aurai pas besoin de le faire.
Perdu dans mes pensées, je mis quelques instants à comprendre le sens de ces mots. Il arborait désormais un air taquin, et un regard aux nombreux sous-entendus, à tel point qu'il me fit perdre totalement mes moyens.
- Non, ce n'est p.. enfin.. je ..on ..vous... voyez..
Mon bégaiement devait me donner un drôle d'air car un rire chaleureux le traversa totalement, faisant perdre tout sérieux à l'ambiance.
- Je crois que le courant passe bien entre Zéphyr et toi, n'est-ce pas ?
Le rouge aux joues, et la voix tremblante, j'abandonnai totalement l'idée de sortir une quelconque excuse. Mon sourire, bien plus grand que tous les précédents, répondit pour moi. Après tout, il avait raison, encore une fois.
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