Chapitre 17 : Troubles
PDV Zéphyr
Quelques minutes plus tôt
Je soufflai sur la lanterne posée contre ma cuisse. Enfin, le soleil se levait. Mes dessins devraient paraître moins sinistres, du moins je l'espérais. Et peut-être qu'avec le ciel qui s'éclairerait, mes pensées aussi le feraient. De toute façon, je ne pouvais faire que cela, car bientôt mon compagnon de voyage devrait arriver. Si jamais ce n'était pas le cas, ce serait bon signe, et je souhaitais y croire. Mais la voix qui s'éleva coupa court à cet espoir, soulevant un sourire triste au passage. Ce n'était pas encore prêt de se produire apparemment.
Alors que je fermai, avec précipitation je l'avoue, mon carnet, Rolf vint s'asseoir à mes côtés comme je lui avais proposé, comme chaque matin en fait. Je partis assez rapidement dans un presque monologue rempli de tout ce qui pouvait me passer par la tête, enfin pour les plus banales du moins. Le fait de parler essentiellement seule ne me dérangeait pas, j'y étais habitué avec lui. Et puis, le simple fait qu'il m'écoute, qu'il me regarde ainsi comme s'il me dévorait des yeux, être le centre de l'attention ou plutôt de son attention avait le don de me mettre de bonne humeur. J'avais conscience de sur-interpréter et plus encore de laisser mon imagination dériver un peu trop de la réalité. Pourtant, j'étais bien incapable de me modérer à ce niveau là et n'en avais pas plus que cela envie non plus. Fantasmer un peu ne tuera jamais personne. Je frissonnais l'instant suivant. Je n'étais plus si sûre de ma dernière pensée.
Bien sûr, je ne laissais rien paraître et continuais mon discours. Je ne recevais d'ailleurs plus du tout de réponses. Sans m'en inquiéter, je poursuivis sur ma lancée alors que je le voyais esquisser un mouvement du coin de l'oeil. Tournant la tête dans sa direction, je n'eus le temps que d'écarquiller les yeux avant de sentir une douce sensation sur mes lèvres.
Surprise, plaisir, inquiétude, et tout un tas d'émotions me traversa en une seconde, s'enchaînant chacunes leur tour ou parfois même toutes ensembles. Clairement, je n'étais pas prête pour une telle chose. Mes joues prirent une teinte rosée, et je pris la décision de cesser de réfléchir pour l'instant. Franchement, cela faisait longtemps que je cherchais un signe de sa part, longtemps que je souhaitais pouvoir passer la barrière de cette amitié qui nous lie. J'avais envie de ce moment. Alors.. pourquoi ?
Je sentis sa main caresser doucement ma joue alors que l'autre se posait sur ma hanche.
Des mains baladeuses.
Je rencontrais son regard de jade rempli de désirs.
Des yeux avides.
Ses pupilles avaient prit une forme très fine, presque inexistante. Si je n'avais jamais vu ces yeux, ce regard et ces gestes, je les connaissais bien. C'était ceux d'une bête mue par ses instincts primaires. C'était les même que les leurs.
N'en pouvant plus de cette sensation, et sûrement par pur réflexe, mon coup parti. D'un simple mais brutal mouvement de jambe, j'envoyai mon agresseur loin de moi. Agresseur.. j'en étais même venu à l'appeler comme ça. Ce dégoût profond que j'avais ressenti plus tôt, je le transforma en colère, émotion toujours préférable aux autres, plus facile en fait. Serrant les poings pour freiner leurs tremblements, je replia également la jambe encore en l'air.
- Pourquoi ?!
Je me releva, pris par un élan de rage.
- Pourquoi fallait-il que ce soit maintenant ?!
J'attrapa le premier objet que j'avais sous la main et lui lançai dessus. Mon tir était parfait, comme toujours, seuls ses bras le défendaient de ces piètres attaques.
- Tu as eu tout ce temps ! Et il a fallut que tu le fasses maintenant ! Pourquoi ?!
Je ne m'arrêtai plus, j'en étais incapable. Sortant cette rancune, oubliant cette sensation, évacuant tout ce qui était possible. C'est lorsque la lampe fut le prochain projectile que je me figea, sa brûlure en vue. Je ne pouvais pas faire ça. Même énervée, je ne pouvais pas le faire. Alors je baissa doucement les bras et reposa la lanterne.
- Merde.
Sans dire un mot de plus, je dévalais en vitesse les escaliers. Je poursuivis ma course jusqu'à la cabine que je ferma brutalement derrière moi. Je voulais être seule.
***
PDV Rolf
Si je devais résumer l'état dans lequel j'étais, je parlerai sans doute de confusion mais aussi de honte. Alors que la première était évidente, l'autre était juste implacablement présente. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il s'était produit, ni mes actes ni les siens. J'avais simplement la sensation d'avoir fait une grossière erreur. Mais si plus tôt, je pensais à un simple rejet, désormais, j'avais l'impression que ce n'était pas tout à fait cela.
Ma main posée sur mon visage alors que j'étais plongé dans mes réflexions continua sa course. Elle se déposa sur mes lèvres pour ensuite tomber raide au sol. Alors que je fermais les yeux, me sentant impuissant, une fine coulée de larmes traversa ma joue encore intacte.
Il fallu que le vent en fasse bouger les feuilles pour que je remarque le carnet à mes pieds. Dans sa colère, même cet objet précieux, elle l'avait sauvagement jeté tel un simple projectile sans aucune valeur. Il s'était alors ouvert et était resté telle quel depuis. Les pages étaient pliées par endroits à cause de leur emplacement par rapport au sol. Je ne pouvais le laisser s'abîmer comme ça. Je le pris par la tranche et le reposa cette fois sur l'une de ses couvertures.
Ma main encore posée sur celle-ci caressa les traces que le temps lui avait laissé. C'était le jardin secret de Zéphyr, presque un recueil de souvenirs en noir et blanc. Je n'avais jamais pensé aller au delà de sa volonté, elle n'avait jamais non plus laissé son carnet ainsi à découvert et surtout je n'avais jamais eu autant envie de la comprendre. La curiosité me fit sauter le pas, j'ouvris à nouveau le livre à dessin, plus délicatement cependant que le vent avait pu le faire.
Face aux premières pages je ne pus que sourire. Je devins assez nostalgique. On pouvait apercevoir tout un tas de paysages, de visages ou de scènes auquel j'avais moi-même assisté. C'était pourtant assez étrange de les voir d'un autre point de vue et particulièrement bluffant de voir les qualités d'observation de la jeune femme. Même en connaissant ces lieux ou ces personnes, j'avais l'impression de les redécouvrir sous un jour nouveau. Dans le cas des représentations d'événements c'était encore plus flagrant. Tout simplement car c'était ce que Zéphyr voyait, pas moi, ni un autre mais Zéphyr. Il n'y avait rien d'étonnant que les choses qui nous marquent soient différentes.
Cependant, deux éléments m'intriguèrent bien plus. Tout d'abord, elle avait par-ci par-là des dessins inachevées. Ou plutôt, toujours le même, qui se répétait à plusieurs reprises. On aurait dit qu'elle essayait de s'y prendre différemment à chaque fois mais qu'elle n'arrivait pas à le finir. C'était un lieu que je connaissais bien car c'était le premier de Beurk que j'avais pu découvrir, la plage la plus isolée de l'île. Le paysage y était entièrement représenté et plus détaillé à chaque fois. Ce qui était incomplet cependant c'était la silhouette qu'elle plaçait par dessus. À chaque fois qu'elle représentait quelqu'un elle retranscrissait non seulement les traits de son visage mais aussi ses émotions avec brio. Alors qu'il n'y avait jusque là aucune exception à cela. Ici, il n'y avait rien, rien d'autre qu'une forme qu'on ne définissait humaine que par défaut. C'était troublant. On aurait pu croire à un choix artistique mais cette répétition voire acharnement et le côté inhabituel de la représentation la rendait anormale à mes yeux.
Si un autre fait attira mon regard, ce fut surtout par rapport à la scène qui venait de se dérouler plus tôt. Plus les pages défilaient, et plus le temps s'écoulait dans cette marée de souvenirs et plus les représentations d'une personne en particulier augmentaient. Si on aurait pu croire à un amour secret ou encore, une personne particulière intéressante à représenter, je n'aurai jamais imaginé que cette personne fut.. moi. Si je la dégoûtais vraiment, aurait elle pu me représenter avec ces traits là ? Aurait-elle souhaité m'observer suffisamment longtemps pour que mon visage n'ait plus de mystère pour elle ?
M'y voir aussi souvent me fit rapidement monter le rouge aux joues. Mais plus la gêne prenait part en moi, plus je me posais une énième question. Aurai-je dû découvrir ça ?
Mon geste répété se figea en pleine action, une page à demi relevé entre les doigts. Il fallait que j'arrête. Je n'avais pas le droit de regard sur l'intimité de Zéphyr. Alors que cette pensée parvint enfin à me convaincre, la page que je tenais encore s'extirpa de ma prise et rejoigna les dernières soulevées. Mon regard se porta alors automatiquement sur le nouveau dessin qui s'offrait à ma vue.
Cette fois ce fut ma respiration qui se figea brusquement. Ça ne pouvait être qu'une chose. Celui-ci ne pouvait avoir été dessiné qu'après notre départ. Tout concordaient. D'autres n'auraient sans doute pas compris. Comme je n'avais pas compris sa réaction plus tôt. Ce dessin n'était qu'un croquis. Une oeuvre imparfaite. Un brouillon tout au plus. Pourtant, j'avais la certitude que celui-ci ne connaîtrait jamais de suite, qu'il ne devrait jamais avoir de suite. Les pages suivantes étaient du même acabit. À chaque fois, un visage aux traits grossiers presque animales, tout en restant suffisamment proche de l'Homme, y était représenté. Parfois un homme, d'autre une femme. Du moins, on pouvait le supposer. J'étais persuadé que ces défauts étaient volontaires ou faisant parti de l'oeuvre et non une quelconque erreur de reproduction. Non, ces visages étaient simplement laids. Parce qu'ils l'étaient dans sa mémoire. Parce qu'elles n'avaient rien trouver de beau à voir cela. Ces visages étaient suffisamment petits pour qu'on puisse imaginer que le reste du corps aller suivre. Mais irrémédiablement, ils se trouvaient absents de la page. Celle-ci restait blanche à un détail prêt, une rature. Comme si, elle avait souhaité rayer ces esquisses ne faisant qu'entacher l'ensemble de son oeuvre.
Après plusieurs minutes, je referma le carnet, définitivement. Prenant le crayon que je venais d'utiliser avec ce dernier, je me releva doucement pour me diriger vers la cabine. Après avoir pris une inspiration, je donna deux grands coups à la porte et lorsque je fus sûr qu'elle avait entendu en sentant une réaction de l'autre côté de la porte, je repartis, ayant déposé préalablement ses affaires au sol. Je partis ensuite à l'opposé du navire, face aux vents maritimes. Je crois que j'avais bien besoin de respirer.
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