Chapitre 16 : Cauchemars
Nous relevant soudainement de nos couchettes respectives, tous deux biens réveillés, nous nous lançâmes un regard inquiet et confus. Alors qu'elle prenait en vitesse ses chaussures, je me dirigeai directement vers la porte, sortant sur le pont.
Nous venions de percuter un autre navire, faisant presque le double du nôtre. Alors que je fixais les armoiries qui ne m'étaient pas inconnus, Zéphyr arriva à mes côtés, comprenant à son tour que nous faisions face à un ennemi. Elle partit en courant à la recherche de sa hache. Alors que je la voyais son arme à la main, prête à se battre, je me précipitai vers elle, l'arrêtant immédiatement.
Je fis tout pour la convaincre de ne pas se jeter sur eux, n'étant pas convaincu moi-même de la marche à suivre. Le regard vif, toujours concentré et préparé au combat, les poings serrés autour du manche de sa hache, Zéphyr soupira cependant. Soulagé d'avoir réussi à la faire entendre raison, je fis tourner mon cerveau à cent à l'heure, cherchant le meilleur moyen de s'en sortir.
Finalement, je m'arrêtai sur une idée. Ce n'était peut-être pas la meilleure, mais le temps nous manquait et il fallait faire un choix. J'attrapai vivement son poignet, l'entrainant dans la cabine. Fouillant des yeux l'endroit le plus adéquat, ce qui s'avéra difficile dans la presque obscurité du lieu.
Dans la précipitation, je dus encore faire un choix. Dans le coin de la pièce se trouvait un meuble de rangement assez grand, j'avais l'impression que c'était une piètre cachette, mais je n'avais su trouver mieux. Je la poussai ainsi en direction du placard que j'avais préalablement ouvert pour nous y enfermer.
Mais avant que je ne franchisse les portes de bois de l'armoire à rangement, Zéphyr qui n'avait pu que suivre le mouvement, m'arrêta d'une main. Le doute luisait dans ses pupilles claires, tel un miroir reflétant mes propres questionnements. Ses paroles avaient du sens, elle avait peut-être raison et moi tort. Et surtout peut-être avait-elle un moyen plus sûr. J'aurai peut-être dû l'écouter davantage. Restreindre sa fougue était une chose mais empêcher la panique de prendre le dessus aurait été sans doute aussi important.
Pourtant, c'était trop tard. Ma voix s'éleva trop fort et alors que les bruits de pas avaient déjà envahi le pont, la porte s'ouvrit violemment. Autant que moi je pris les épaules de l'auburn, pour refermer l'armoire sur elle, juste à temps. Il ne l'avait pas vu.
Alors que je tournais le dos au nouvel arrivant, il ne se pria pas pour me foncer dessus une hache à la main. J'étais sur le point de l'esquiver quand je repensai à ce qui me faisait face. Ce n'était pas un mur mais presque une prison ayant pourtant pour but de défendre Zéphyr. Elle ne pourrait contrer l'attaque.
Une seconde, j'avais une seconde pour agir. Perdu, je ne pus que l'utiliser pour chercher vainement une solution. Il n'y avait plus qu'une option réalisable, faire face à la lame et sauver Zéphyr peu importe comment. Prêt à utiliser mon corps comme bouclier, je fis volte-face pour arrêter la lame. N'ayant pas prévu l'écart que ce mouvement créerait, je vis avec horreur la lame heurtait l'armoire à quelques centimètres de mon visage. La hache transperça le bois comme si de rien n'était et continua sa course. Il n'y eut pas un cri, juste un craquement dans la continuité de celle du bois, un craquement d'os. Les sons autour avaient disparus, ma vision devenait flou partout où elle se posait hormis sur cette armoire. Je ne pouvais que fixer le sang qui s'écoulait à travers le bois. Son sang.
Avant même de pouvoir démêler ces sentiments d'impuissance, de haine et de tristesse des profonds remords qui me tordaient violemment la poitrine, un puissant coup me fut porté à l'arrière du crâne. Le choc raisonna dans ma boite crânienne alors que je m'effondrais à même le sol. Je ne pus sentir que le goût du sang sur mes lèvres avant de plonger dans un profond sommeil ne connaissant plus que silence et noirceur.
Mes yeux s'ouvrirent pourtant de nouveau. Tout d'abord, je crus qu'il allait s'arrêter là, que ce cruel songe allait se terminer sur cette fin pour une fois. Mais comme toujours, ce n'était pas assez. Au lieu d'une chambre accueillante et rassurante, je perçu le bruit de gouttes d'abord immiscées dans le bois pour finalement atteindre le métal. J'étais désormais dans la cale, emprisonné dans cette cage anti-dragon.
Je connaissais déjà la suite des événements, ainsi, j'aurai préféré y rester sourd et aveugle. Mais comme une obsession morbide, je ne pouvais m'empêcher de porter mon regard sur la scène suivante. Cet acte finissait comme tous les autres, la mort. Accroupi comme je l'étais, je pouvais voir le corps de Zéphyr rejoindre une mare composée de son propre sang après un coup porté à la nuque.
Comme à chaque fois, la scène était plus sanglante et plus dramatique que la vraie. Pourtant, elle n'en semblait que plus réelle. Alors même que les attitudes des uns et des autres étaient parfois incohérentes. Les jambes entre les bras, je ne cherchais qu'à me réconforter en attendant que la fin arrive, que ma fin arrive. Fixant toujours le cadavre de l'autre côté des barreaux, je déglutis une dernière fois avant que, j'imaginais déjà par la force de l'habitude, Gernot donne ce coup me menant à une mort certaine. C'était mon tour. Le noir était revenu.
Comme si j'avais fermé les yeux, une porte apparut soudainement à ma vue, une seule. L'obscurité, elle, était toujours là. Voyant qu'attendre ne faisait que repousser l'échéance, je me relevai en poussant un soupir las. Tant de portes, tant d'instants, tant de choix qui auraient pu nous mener à une mort cruelle et expéditive. Peu importe que je décide de nier le fait que j'y pensais encore, ce cauchemars revenait chaque nuit pour me prouver mon manque d'honnêteté. De plus, j'avais beau le voir encore et encore, ce sentiment d'être rester en vie par simple chance ne partait pas, pas plus que l'horreur des conséquences que chaque acte aurait pu avoir.
Ainsi, lorsque tous remords ou doutes sous forme de songe eurent défiler, je pus enfin me réveiller. Ni en pleures, en sursaut ou à bout de souffles et de nerfs, rien d'autres que les poings serrés. En bref, une nuit de plus écourté où le repos semblera bien insuffisant. Posant l'oreiller que j'avais inconsciemment plaqué sur mon visage, je plaçais mon regard sur la droite confirmant une fois de plus que Zéphyr avait déjà quitté son lit et la pièce comme les quinze derniers matins de ce périple. Si je craignais de m'endormir la nuit, je me demandais parfois si, elle, parvenait à trouver le sommeil. Je ne pouvais bien sûr qu'imaginer ce qu'elle avait vu mais même cela je n'en avais pas la moindre envie.
N'ayant aucune envie non plus de venir à la plaindre et revenir sur de sombres pensées, je me leva d'un bon, près à attaquer cette nouvelle journée de navigation. Cela faisait désormais bien des jours que nous voguions sur les eaux sans but précis, à vrai dire, je ne poursuivais mon objectif que par instinct. Incapable de savoir où cela nous mènerait, je savais cependant que nous étions sur la bonne voie. Lorsque je passa le pan de la porte, les premiers rayons du soleil éblouirent ma vue que je protégea de mon bras gauche. Ce mouvement me permit également d'étirer ce côté, habitude prise depuis l'amélioration de ma blessure à l'épaule. Continuant ma routine matinale, je posa ma main droite sur la même partie de mon visage. Sentant sous mes doigts de petits creux et surélèvements de peau, je ne pus empêcher une légère grimace d'apparaître sur mes traits. Si la douleur fut éphémère, mon corps, lui, restera sans doute marqué à jamais de cette première expérience avec le monde.
Portant enfin mon regard sur la mer aux reflets quelque peu orangés, je fis transparaître enfin un fin sourire. On dit qu'un sourire pouvait suffire à améliorer la journée d'une personne. Haussant les épaules face à cette phrase maintes et maintes fois répétée par les anciens, mon sourire ne fit que s'étendre. Si cela pouvait être vraie, qu'une chose aussi simple pouvait aider, alors pourquoi pas ?
Sans même porter un regard de côté, je pris la direction des escaliers de bois entourant la porte de la cabine. J'y sentais déjà Zéphyr s'affairait à je-ne-sais-quelle tâche quotidienne. Son odeur me permettant de la trouver à coup sûr, je commença à emprunter les marches grinçantes de l'embarcation.
Son odeur ?! Je me figeai sur place. Rougissant jusqu'aux oreilles, je repris pourtant vite ma route, dès que je fus capable de le cacher en réalité.
- Wahou.. ça craint..
Je ne laissa ainsi s'échapper qu'un léger murmure en réaction supplémentaire avant de retrouver la jeune femme. Cette dernière releva la tête alors qu'elle se trouvait accroupi, son carnet de dessin à la main.
- Alors on parle tout seul dès le matin ?
Particulièrement souriante elle aussi, elle referma vite son recueil et le déposa à ses côtés.
- Mais non, je cause à mon ami imaginaire. Nos conversations sont extrêmement passionnantes, vois-tu ?
- Oh.. eh bien, si cet ami est si intéressant, je suppose que ma proposition de t'asseoir à mes côtés sera décliné. Tant pis.
Laissant un petit silence où nos regards se croisaient, nous rions en coeur. Ce rire ne m'empêchait pas pour autant de prendre la place qu'elle m'avait réservé, pas qu'elle puisse être prise par un autre pourtant. Pouvoir passer de tels moments de paix était rafraîchissant. Aucun de nous n'avions évoqué les précédents événements, nous avions besoins de ce calme qui se créait ces matins là. Personne ne penserait à faire remarquer que l'autre ne devrait se trouver à cette heure pour travailler ou quoi que ce soit d'autre sachant pertinemment qu'aucun de nous n'étions particulièrement des lèves-tôt. Personne. Simplement, car chacun savait. Savoir été suffisant, en parler aurait été de trop. C'est sûrement ce dont nous avions particulièrement conscience d'ailleurs.
Ainsi, elle démarra rapidement une conversation. Superficielle donc, mais parfaitement adaptée. Je ne prenais la peine de répondre qu'à peu de reprise, mon attention se tournant bien plus vers la propriétaire de la voix que son contenu. Je revoyais aisément son corps se teinter de sang et le sentiment d'être passé à deux doigts de la perdre me revint encore. Et si cela se reproduisait ? Et si d'autres événements pires encore venaient à se produire ? Et si l'un de nous venait à périr dans un avenir proche ? Que resterait-il ? Du regret.
Je parcourais sa silhouette de mon seul regard. Elle, toujours entraînée dans sa conversation, ne perçut pas que le fil de mes pensées s'en éloignées vraisemblablement beaucoup. Passant de son attitude fière et joyeuse, à ses yeux claires où le soleil levant se reflétait aussi bien que sur les vagues. Contournant ses pommettes parsemées de taches de rousseurs pour atteindre son sourire. Ce sourire. Si rayonnant, particulièrement pour l'homme perdu que j'étais. Tel un phare, elle était devenu cette lumière, celle qui réchauffait mon coeur en proie au grand froid de la réalité. Plus que belle, elle était éblouissante. Mon regard atteint ainsi ses lèvres. Caché derrière ce sourire enjôleur, elles appartenaient à un royaume interdit, une aventure au delà du rêve.
Je crois que le courant passe bien entre Zéphyr et toi, n'est-ce pas ?
Perdu dans cette contemplation pleine de désir, je n'oublia pas cette dernière promesse faite à moi-même. Je ne douterai plus. Alors.. pourquoi pas ?
Sans même qu'elle ne puisse le voir venir, Zéphyr en plein discours sur la nécessité de la maîtrise de la pêche en haute mer sentit un doux contact sur ses lèvres. Une main désormais posé sur sa joue, je m'étais relevé sur les genoux, poussé par cette pulsion soudaine. Mais alors que je crus recevoir une réponse positive, je me vis être expulsé contre la rambarde de bois, une grande douleur à l'estomac. Un peu sous le choc de ce rejet brutal, je dus secouer la tête à plusieurs reprises pour reprendre mes esprits. Prêt à assumer la colère de la jeune femme, je planta mes yeux dans les siens. J'avais cru qu'il pouvait avoir raison, ou peut-être espéré. Mais alors que je croyais y voir l'énervement luir dans son regard. Je n'y vis qu'une lueur. Elle me fit bien plus souffrir que cet simple douleur à l'estomac, mes entrailles semblèrent se tordre à cette vision. Zéphyr, quelque peu essoufflée, la jambe encore levée par son précédent coup, me fixait alors avec dégoût.
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