Chapitre 12 : Les chasseurs

Laissant toute force abandonner mes bras, je vis le garde basculer légèrement vers l'avant, entraîné par la sienne. Profitant ainsi du faible écart qui nous séparait, je propulsai mon visage contre le sien. Crâne contre crâne, la sensation que la douleur se répandait par ondes dans tout notre organisme nous traversait. Seul l'un de nous put y faire face, et se relever. La brûlure faisant taire toute autre sensation plus faible, l'adrénaline accentuant le tout, ce choc ne me fit pas le moindre mal, ce qui, à l'évidence n'était pas le cas du garde. Clairement sonné, il s'écarta pour se tenir lamentablement par terre, la tête entre les mains.

Profitant du besoin de tourner mon arme dans le bon sens, un second coup lui fut porté au visage, l'envoyant dans le monde des rêves. Prêt à tirer, n'hésitant pas pour un risque d'échec cette fois, je lançai mon arme en direction de l'homme vicieux. Il n'atteindrait pas Zéphyr, à ce moment, j'en fus persuadé. Malheureusement, j'échoua tout de même, du moins, à l'atteindre. L'arme alla se planter dans le bois du navire, pile entre Zéphyr et l'homme. Faisant reculer ce dernier et prévenant de sa présence à l'autre, la jeune guerrière repoussa encore ses assaillants pour porter un coup au vicelard. Une énorme lame de hache plaqué contre sa joue, l'homme passa par-dessus bord en un instant.

Un des hommes, plus en retrait, remarqua ma liberté de mouvements retrouvés. Réduisant encore le nombre d'adversaires de Zéphyr, le garde s'élança à son tour à ma suite. Je n'avais pas le temps de récupérer mon arme, lui l'avait toujours et n'hésita pas à la brandir férocement contre moi. N'ayant pas le temps de douter ou de réellement agir non plus, je ne pus qu'attraper la lame entre mes mains. Plaquées ainsi contre le plat de l'arme, je ne reçus aucune blessure. Je faisais simplement tout mon possible pour retenir la hache, s'il la libérait pour porter un autre coup, je ne pourrai reproduire ce miracle.

Évidemment maintenir quoi que ce soit ainsi ne pouvait durer, je sentis progressivement la lame glisser d'entre mes paumes. L'arme s'échappant ainsi de ma prise, rappant au passage l'extrémité de mes mains. L'homme ne put pourtant pas arrêter sa course, la hache atteignait le sol. Je profitai du temps qu'il comptait prendre pour l'arracher du plancher pour prendre appuie sur le manche de l'arme. Appuyant rapidement sur mes jambes, je me propulsai suffisamment en hauteur pour atterrir sur le crâne de mon opposant, l'envoyant violemment rejoindre son arme au sol. Je perçu au passage sa peur, il n'avait échappé au double tranchant de sa lame que de justesse. Mais bientôt cette peur ne serait plus, envoyé dans le monde des rêves, cet homme sera apaisé de nouveau.

***

PDV Zéphyr

Quelques minutes plus tôt

Le face à face était lancé. Plus le droit de flancher, ou de faire la moindre erreur, désormais seule la victoire comptait. Je m'étais élancée sans pouvoir me retenir de crier de toute mon âme, renfermant mes doutes et mes inquiétudes au fond de moi. C'était quelque chose que beaucoup de guerriers vikings faisaient, pourtant, personne ne m'avait jamais enseigné une telle chose. Mais il venait à chaque fois de manière naturelle telle une transition pour passer en mode attaque. Dans une bataille plus rien d'autre ne doit compter si ce n'est le combat en lui-même. Chaque respiration, chaque mouvement et chaque regard compte. Il suffit d'une inattention, d'une faille ou encore d'une hésitation pour un renversement complet de la situation.

C'est pourquoi, il fallait être fort. Avoir la force de foncer dans une bataille, à cœur perdu, sans prendre le temps de douter ; avoir la force de laisser son corps parler à sa place, laisser l'instinct prendre le pas ; avoir la force de repousser la raison et la compassion, l'éloigné de soi-même ; avoir la force d'écraser ses ennemis sans pitié... ça je n'en aurais pas été capable, je n'aurais pu ne serait-ce que l'imaginer mais aujourd'hui, j'avais la rage. Incapable d'oublier ce que j'avais vu, l'horreur que j'avais ressenti. Je me devais de l'expurger, et de me débarrasser de cette sensation de dégoût profond envers mon espèce. L'Homme, alors que j'étais prête à en découvrir les différentes facettes, voir ce que ce monde avait à offrir et ce que le genre humain en avait fait... oui, alors que je me faisais une joie de partir, j'en étais arrivée là en si peu de temps. La rage menait ce combat à ma place, bougeant mes bras en tous sens, utilisant mon arme au mieux. Et alors que la violence était une part que j'exécrais en moi, c'était aussi la seule que j'arrivais à mettre en route à cet instant. Elle était ma manière de me décharger, comme elle était ma forme de communication ou ma source de popularité auprès des gens. Aussi détestable qu'elle fût, c'était une part de moi que je me devais d'accepter, surtout ici, si je voulais survivre. Ainsi, passant d'une esquive à une attaque, encore et encore, je ne repris conscience de mes actes que lorsque mes ennemis gisaient au sol, inconscients. Enfin, s'ils n'étaient que ça.

Alors que je regardais mon entourage, je finis par me concentrer sur Rolf. On pouvait voir à ses pieds deux hommes qu'il avait probablement vaincu. Si aux miens, cinq hommes étaient bien présents, je ne fis pas attention à la disparition de l'un d'entre eux. Continuant le bilan de la situation par un résumé des dégâts, je me rendis compte que je n'avais toujours pas reçu de blessures, seules des déchirures par endroits ou quelques éraflures étaient distinguables. De son côté, ça n'avait pas l'air aussi beau à voir. Une trace de brûlure s'étendait sur le côté droit de son front pour ensuite longer la racine de ses cheveux, son œil avait été épargné de peu. Du reste, il semblait surtout essoufflé. Alors que j'allais me diriger vers lui, je le sentis chanceler. Préparé, il se raccrocha au bord du navire, la figure face aux eaux déchaînées. La tête qu'il affichait n'envisager rien de bon, pourtant, ce fut un sourire de soulagement qui prit place sur ses traits. Pensant tout d'abord que la cause était la fin des combats, je décidai de le laisser respirer quelques instants mais quand il s'exprima de nouveau, ce fut pour une toute autre raison.

- Ils ont emmenés notre navire avec eux !

Relevant la tête subitement, je mis quelques temps à comprendre. Je ne m'attendais simplement pas à une telle chose.

- Pardon ?

- Viens voir ! Ils ont attaché notre bateau au leur, ainsi nous n'avons pas perdu notre embarcation.

Me faisant un geste pour que j'aille dans sa direction, j'obéis sagement et me mis à ses côtés. La tête penchée au-dessus de l'océan, je remarquai l'évidence : notre navire était bien attelé au leur.

- Tu as raison !

- Mais pourquoi ont-ils fait ça ?

La surprise passée, un axe de réflexion vit rapidement le jour.

- C'est logique. Tu as déjà remarqué à qui nous avions à faire, pas vrai ?

Rolf tourna son regard en direction des voiles avant de le recentrer sur moi. Après avoir froncé les sourcils, il acquiesça.

- Oui. Ce sont des chasseurs... des chasseurs de dragon.

Approuvant à mon tour, je dirigeai mon index vers le symbole puis les cales.

- En effet, c'est probablement le cas. Selon les histoires de nos parents, ces armoiries et ces prisons faites d'acier verdâtre semblent correspondre à ces individus.

- C'est aussi ce que je me suis dit. Pour autant, je ne comprends pas. S'il y a vingt ans leur occupation était bien de chasser les dragons, aujourd'hui de tels équipements, les cages anti-dragons principalement, ne leur sont plus utiles. Les dragons sont censés avoir disparu bon sang !

- Ce n'est pas aussi simple. Ce n'est pas toujours facile d'oublier une profession qu'on a pratiqué toute une vie, non, en réalité, bien plus qu'une vie mais plutôt sur des générations ! En plus, ils sont du genre bornés. Tu sais ce que c'est, on vit avec le même genre d'énergumènes.

Affichant un mince sourire amusé, il ne se débarrassa pourtant pas de son attitude soucieuse.

- Tu n'as pas tort... Pourtant, il y a toujours une chose qui m'échappe. Qu'ils gardent cet attirail et la foi, c'est une chose. Mais vu qu'ils échouent forcément, comment font-ils pour vivre ? Leurs ressources ne sont pas inépuisables. Ce sont avant tout des commerçants.

- Tu sais, je n'ai toujours pas répondu à ta première question. J'allais y venir. Ce n'était qu'une hypothèse faite de rumeurs et de doutes dont mon père m'a fait part une fois mais... maintenant, j'en ai vu assez pour en être persuadé. Ils n'abandonnent pas mais ça ne veut pas dire qu'ils ne font rien en attendant de retrouver la trace des dragons. Ils se sont développés sur un autre marché qui... n'a rien de mieux que l'ancien. Je pense que le bateau a été conservé pour la vente, en tant que bonus, on va dire. Ils n'ont pas eu à l'endommager, c'est parfait pour des commerçants.

- Je vois... c'est vrai que c'est assez logique en fait. Je ne savais pas que ton père parlait de ce genre de chose avec toi.

- Il dit qu'il préfère parler de ce genre de choses en temps et en heure pour être sûr d'avoir pu transmettre le plus possible. Je crois qu'il pense à grand-père, il a peur de partir trop vite. Il ne veut pas me laisser prendre les rênes sans être prête.

- Stoïck la Brute hein... il en parle toujours comme un grand homme. On sent qu'il l'aimait beaucoup. En même temps, s'il est comme ton père, je peux le comprendre.

- Grand-père ? Comme Papa ? On en est loin apparemment. Mais peu importe, j'aurai aimé le rencontrer...

Mon regard se voilà automatiquement. Je ne pouvais être triste pour la mort d'un homme que je n'avais pas connu. Par contre, je ne pouvais m'empêcher de ressentir du regret. Tout comme les incroyables histoires sur les dragons que pouvaient nous raconter les adultes du village, l'ancien chef n'était plus qu'une légende, un fantôme du passé que je ne pourrai jamais réellement comprendre.

- En fait, tu as parlé d'une nouvelle forme de commerce. Laquelle ?

Me figeant soudainement, un flash d'images refit surface, me donnant toutes plus envies de vomir les unes que les autres. Pourtant, je devais garder la face. Pour combien de temps encore ? Plus pour longtemps j'espérais, j'en venais presque à prier pour cela. J'étais épuiser.

- On devrait remonter sur notre bateau du coup. Maintenant qu'on a enfin l'occasion de s'échapper.

- Tu as raison ! On pourra en parler là-bas. Partons avant qu'ils ne se réveillent.

En signe d'assentiment, il frappa son poing contre sa peau et partit rapidement vers les cordages qui maintenaient la liaison entre les deux embarcations.

- On ne peut pas laisser faire ça.

- Hein ?

Le regard interrogateur, il se retourna vers moi.

- On ne peut laisser un navire ennemi près de l'île de Beurk, ni même laisser ces hommes simplement inconscients. On va brûler ce bateau avant de s'en aller.

Écarquillant les yeux, il semblait incapable de digérer mon annonce.

- On ne peut pas faire ça, ils vont mourir.

- Est-ce que tu penses que le but pourrait être autre ?

- Tu n'es pas sérieuse, pas vrai ?

Il ne bougeait plus, n'exprimait plus rien. Son visage si expressif d'ordinaire n'était plus porteur d'aucunes émotions. Je ne pouvais savoir s'il se contenait ou cherchait encore comment réagir mais comme je pouvais m'y attendre, l'idée ne lui plaisait pas, pas du tout en fait.

Je ne pus rien ajouter, sa question n'avait pas besoin de réponse. Il savait déjà. Il ne comprenait pas, mais il savait.

- C'est absurde. Ces hommes ne sont peut-être pas de bons samaritains mais rien ne justifie de donner la mort. Rien de valable en tout cas.

- Ils ont essayés de nous tuer.

- Seulement lorsqu'on s'en est pris à eux, avant ça, c'est à peine s'ils nous ont touchés.

- Ils ne se seraient pas gêner pour le faire. Ils allaient le faire ! ...et l'ont déjà fait par le passé.

- Ça ne veut pas dire qu'il faut faire la même chose qu'eux.

- On ne peut pas laisser de tels personnes rôder autour de Beurk. On ne veut pas attirer l'attention des chasseurs. Notre peuple a déjà eu assez de problème avec eux par le passé.

- Mais Beurk a été plus forte, et elle l'est toujours. Ils n'ont pas besoin de nous pour se défendre. En plus, si l'un de leurs navires disparaît près de notre île, l'attention sera bien plus portée sur nous qu'en agissant pacifiquement.

Finissant par hausser le ton, il me rejoigna pour m'attraper par les épaules, me secouant au passage et surtout me forçant à le regarder dans les yeux.

- Bon sang Zéph' ! Tu sais que ce ne sont que des excuses ! Reprends-toi !

- S'il te plaît. Faisons-le et partons.

Je refermai mes bras autour de mon corps, comme si un grand froid l'avait envahi. Ma voix était assez faible et alors que mon visage n'affichait pas plus de détresse que plus tôt, mon ton était semblable à une supplication. Toute la colère qu'il avait ressentie, sembla s'envoler. Du moins, elle disparut durant un instant. Le regard voilé à son tour, je ne pouvais réellement savoir ce qu'il pensait. Il voulut répondre mais ne fit que grogner, paraissant frustré. Ses traits et ses mains s'agitèrent quelques secondes comme rentrés dans un vrai combat intérieur. Il lança violemment son poing contre un pan de mur de notre embarcation actuelle en jurant. Il reposa finalement ses bras le long de son corps, dévoilant un regard déterminé mais triste. Il ne reposa ses prunelles de jade dans les miennes que quelques temps après.

- Ok mais juste à une condition.

Soufflant un instant de soulagement, je retins rapidement ma respiration de nouveau, serrant les poings. S'il avait fini par accepter plutôt étonnamment d'ailleurs, ça ne pouvait qu'être en échange de plus d'informations. Il savait que ma raison était loin d'être celles exposés dans la conversation. Mais si je n'en avais pas fait part, ce n'était pas pour rien. Si je le faisais, je craquerais. Et je ne pouvais simplement pas faire ça, pas devant lui, ni même faire marche arrière. Encore moins en vérité, c'était non seulement par égoïsme mais mon âme n'était pas la seule à devoir être apaisé. C'était aussi pour elles.

Prêt de la crise de nerf, la panique ne faisant que rendre plus difficile l'instauration d'une façade détendue ou simplement neutre. Pourtant, alors que je faisais tout pour être prête face à sa demande, lui ne dit plus rien. Il se rapprocha de la trappe que nous avions quitté quelques minutes plus tôt, se mettant accroupi. Perdue, totalement perdue, je ne pus que le suivre du regard. Sentant l'insistance dans son dos, il ajouta une dernière fois avant de descendre dans les cales.

- Je refuse de n'accorder aucune chance face à la mort.  

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