Chapitre 1 : La nouvelle Beurk
Une simple curiosité. Oui, ça n'avait été qu'une simple curiosité. Un petit point au loin ayant attiré mon attention. J'avais beau avoir des parents exceptionnels, jamais encore, ils ne m'avaient laissé explorer ainsi les cieux, les vrais. Voler parmi ces milliers de dragons, aussi agréable que cela pouvait être ne valait pas l'impression de liberté que me procurait la surface. Les limites d'un tel monde ne semblaient pas exister et les miennes paraissaient disparaître dans le même temps. Mon univers jusqu'alors restreint au monde caché, s'ouvrait sur un nouveau, rempli de mille et unes merveilles à découvrir. Tout mon être me poussait à le faire. Alors qu'ils étaient tous absorbés par la présence de ces quatre êtres bipèdes assez étranges, qualifiés d' ''humains", mon attention se porta un seul instant dans leur direction, le temps d'y rencontrer deux yeux aussi bleu que l'océan. Comme une force inarrêtable, je me sentis poussé vers l'inconnu, sans jeter un seul regard en arrière, fonçant simplement avec ce qui se rapprochait le plus d'un sourire. Mes yeux d'un vert unique pétillaient d'un besoin d'exploration sans borne. Voulant sentir le vent au plus près de mon visage, je les fermai pourtant, puisant dans chaque parcelle de mon corps pour profiter un maximum de ces sensations nouvelles. Tous les pores de ma peau écailleuse étaient en ébullition, preuve de mon incommensurable excitation. Après plusieurs minutes qui ne m'avaient paru que de simples secondes, je les ouvris de nouveau. Le but était tout de même de profiter du paysage. Mais alors que j'apercevais une terre nouvelle, je réalisai soudain. Où étais-je ? Par où venais-je ? Hormis ce petit bout fait de terres et de roches, rien d'autre que la mer n'était perceptible. J'étais entouré de toute part d'une immense étendue d'eau à perte de vue. Et alors que l'inquiétude prenait le pas sur mon agitation, je compris une dernière chose, la plus terrifiante de toutes. J'étais seul.
***
PAF
Alors que mes pensées dérivaient au loin, une énorme boule de neige m'était arrivée en pleine figure. Si mes vêtements prenaient une teinte plus foncée avec l'humidité du projectile, mes cheveux, eux, déjà d'une couleur nacrée ne parurent que plus blanc encore. Relâchant un râle de mécontentement, je fis cependant disparaître la poudreuse parsemant ma crinière indisciplinée d'un geste de main rapide et me releva pour fixer mon regard sur l'investigateur de cette attaque sournoise.
- Bertrade !
Encore elle, pour changer. Fille de Varek Ingerman et de Kognedur Thorston. Son père avait choisi ce nom en espérant qu'elle puisse être le cerveau de notre génération mais si ''la brillante conseillère'' pouvait lui aller pour les coups tordus, ce n'était qu'en tant que génie du mal qu'elle faisait honneur à son nom. J'imagine que chaque génération se doit de devoir supporter un Thorston, sinon Beurk ne serait plus jamais pareil. Et, il faut se l'avouer, elle savait mettre l'ambiance. Déjà prêt d'une vingtaine de villageois étaient partis dans une immense bataille de boules de neige, délaissant totalement leurs tâches quotidiennes.
Alors que je m'apprêtai à m'éloigner, n'ayant pas envie de me faire assaillir de toute part, je fus à nouveau la cible d'un perturbateur. Me débarrassant encore une fois de la neige qui recouvrait ma vue, je lançai un regard noir au nouvel arrivant.
- Alors, tu te fais une teinture ? Mais non, c'est vrai, monsieur est déjà blanc comme neige. Faut que tu fasses attention, à ton âge, tu pourrais te blesser le vieux.
Voilà, en une seule phrase, une envie de meurtre me venait déjà. Lothar et ses surnoms pourris. Alors qu'aucun de nous n'étions encore majeur, de par la couleur de mes cheveux, j'avais entendu ce nom des centaines de fois. De tout le groupe, je crois que c'était le plus pénible de tous. Peut-être avait-t-il un bon fond, c'était ce que certains essayaient de me faire croire. Pour autant, son côté arrogant m'était des plus insupportables. Et puis, s'il ne passait pas le reste du temps à me rabaisser, mon estime pour lui augmenterait aussi un peu j'imagine. Un peu. Peut-être.
Lui porte le nom des Jorgenson, et se ballade souvent avec son oncle Rustik qui pourtant ne le supporte pas non plus. Apparemment, il aurait été fier de ce dernier étant plus jeune mais avec l'âge et sa propre évolution, il avait été de moins en moins capable d'apprécier le comportement de son neveu. Rustik Jorgenson aussi tombeur qu'il avait pu l'être ou crut l'être, restait l'éternel célibataire au côté du jumeau Thorston. Ces deux-là passaient tellement de soirées à se saouler ensemble, inséparables, qu'on pourrait finir par croire que c'était ensemble qu'ils finiraient leurs jours.
Incapable de rester impassible, je me jetai à mon tour à cœur perdu dans la bataille. Ainsi, projectile en main, je m'étais littéralement ramassé la tête la première au sol. Plus qu'une boule de neige, c'était un pied qui recouvrait désormais le haut de mon crâne. Si la descendante des Thorston possédait déjà un haut niveau en termes de folie, son homologue masculin n'était pas en reste, Bjorn, le gars le plus dérangé de toute l'archipel. Remarque, lui aussi, avait des gènes révélateurs. Fils du célèbre Parenvrille, Dagur, il ne faisait qu'honneur à son nom. On aurait pu croire, en connaissant sa mère qu'il serait plus sage, pourtant, ce ne fut clairement pas le cas. Nous espérions tout de même qu'en grandissant, il parvienne à s'assagir, ne serait-ce qu'un peu. Enfin, nous étions déjà contents de ne le supporter que de temps à autre, il n'avait pas encore eu l'idée de s'installer ici et c'était tant mieux.
Alors que ce dernier était déjà réparti s'en prendre à un autre, une main salvatrice me fut tendue.
- Hum... Merci.
Zéphyr Haddock avec, toujours non loin, son petit frère Nuffink. Enfants des deux plus grands guerriers de notre village et descendants de la famille en chef. Ceux-ci, je ne pense pas avoir besoin de les présenter, tout le monde ici les connais déjà. Pourtant, mon attention resta portée vers la jeune fille, ce qui me vaudra quelques attaques supplémentaires que j'ignora royalement. Aussi réservée qu'elle semblât l'être, elle était surtout plus brave et forte que n'importe qui. Et, en plus de tout cela, elle était très belle. Les yeux aussi bleus que sa mère, il me semblait parfois pouvoir y voir les vagues s'y refléter et y prendre vie. Au contraire, ses longs cheveux couleur fauve attachés en deux tresses, semblaient renfermer une part sauvage d'elle-même. Devant mon air absent, elle me lança un léger coup dans les côtes, me ramenant à la réalité. Même si je ne pus m'empêcher de sourire face au sien, moqueur, je ne pouvais pas ignorer totalement la douleur qu'elle venait de produire. On ne pourrait jamais l'oublier, Zéphyr est également une Hofferson.
- Hé, l'étranger, tu te bouges ! Reste pas en plein milieu !
Et il y avait moi, fils de qui ? De quoi ? De personne. Je n'avais ni parents ni patrie. Sans aucunes idées de ma provenance, ni même d'une once de mon passé, je n'étais et resterai qu'un étranger. L'enfant que j'étais, avait eu la chance, malgré mes souvenirs manquants, de recevoir une place à Beurk. J'avais désormais un point d'attache. Pourtant, je savais que ça ne pouvait être plus. Je n'étais pas un Beurkien, juste un amnésique en cours de guérison. Si le chef ne me laissait aucunement penser ainsi, je ne me faisais pas d'illusion, mon temps ici était limité.
Je ne pouvais même pas me féliciter d'être un viking, mon apparence ne convenait pas à ces codes. Incapable de tenir une réelle arme dans les mains ou d'avoir la force de braver les dangers, je ne restais qu'un gringalet ayant encore des difficultés à enchaîner ses mots. Encore une chose que mon amnésie m'avait pris, il m'aura fallu des années pour espérer rattraper le niveau des autres enfants du village. Je ne pensais pas que la barrière du langage pouvait être si dur à vaincre. La communication n'étant pas mon fort non plus, un nouvel écart s'était creusé avec ceux de mon âge.
Alors lorsque de tels mots étaient prononcés, aussi innocemment qu'ils aient pu être dit, ça me faisait mal. C'était cependant une douleur que je conservais au fond de moi. Dans ces moments-là, je ne disais rien et rigolais avec eux. C'était faux. Tout était faux. Mais ce quotidien me convenait, je ne voulais pas qu'il cesse, jamais. C'est pourquoi, chaque nouvelle année qui débutait, ne faisait qu'augmenter l'échéance et ma peur avec elle. Combien de temps me restait-il ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top