Oléandre
「
par ciriice
」
" Je ne vis pas dans les ténèbres. Ce sont les ténèbres qui logent en mon âme. "
Une barque voguait lentement sur une étendue d'eau sombre, au rythme des poussées à coup de pagaie du vieil homme propriétaire de ce moyen de locomotion. Il avançait sans but ni destination fixe sur cette mer à la couleur pourpre, dans ce décor imprécis et vaporeux voire hors du temps. Le vieux monsieur n'était cependant pas seul. À bord, se trouvait un jeune homme, le regard vitreux. Celui-ci observa par dessus la vieille chaloupe en bois et constata un élément très troublant qui le fit déglutir. Il y en avait plus que la nuit dernière...
Je suis revenu dans cet endroit, pensa le garçon répondant au nom de Namjoon.
Ses prunelles sombres sondèrent cet océan violet où des corps flottaient par centaines voire même des milliers. Des hommes, des femmes, leur visages arborant un air paisible... Un cimetière marin macabre où des morts en nombre reposaient là jusqu'à l'horizon. L'air devint bien plus irrespirable subitement. C'était un spectacle inhabituel qui s'offrait aux deux voyageurs et lorsque le jeune homme se précipita vers l'un des côtés du bateau à genoux, il braqua son regard sous lui et vit un corps lui étant familier.
Encore lui...
Le voilà...
Cette même silhouette qu'il voyait inlassablement dans ses rêves, toujours dans ce lieu indéfini où parfois quelques fleurs à pétales roses pointaient leur nez quand ils approchaient des bords de terre.
Un garçon doté d'une beauté éthérée, sa chevelure blanche bouclée et courte se mélangeant à cette eau colorée, une étrange matière visqueuse recouvrant ses bras, son torse et ses jambes d'une pâleur extrême ; blancheur pouvant évoquer celle de l'hiver. Cette boue ne faisait qu'une avec son enveloppe corporelle mise à nue. Lui donner un âge relevait de l'impossible. Il paraissait presque irréel, plus proche du divin que du commun des mortels. Celui-ci dormait paisiblement, laissant le courant l'emporter, le guider comme bon lui semblait. Quelques perles d'eau gouttant quelques pointes de sa frange allèrent parfois sillonner son doux visage exempt de toute imperfection.
Ainsi, dans une position aussi sage, il ressemblait à un ange. À une créature venue d'ailleurs. Jamais Namjoon n'avait vu une magnificence pareille auparavant et chaque fois que la nuit tombait, il avait l'occasion de le croiser dans ses rêves. Il ignorait son nom mais une chose était sûre : cet inconnu exercait une attraction folle sur lui. Namjoon ne pouvait s'empêcher de laisser ses mirettes courir le long de l'apparence de l'endormi dès qu'il l'apercevait pour en garder le plus de souvenirs possibles. Pour le conserver de façon intacte dans cet immense musée qu'était sa psyché. Une œuvre d'art pareille ne pouvait tomber dans l'oubli. Mais derrière ce tableau idyllique se cachait une affreuse vérité.
Un apparat qui n'était que tromperie, une fleur attrayante se révélant mortelle pour l'Homme. Une joliesse camouflant la laideur à l'état pur, une sublime pulsion de la destruction. Un paradoxe mêlant le beau et l'horreur, dépassement et écrasement. Et ça, Namjoon l'avait bien compris à ses dépends.
Un étrange parfum l'arracha de sa contemplation. Une odeur de brûlé venant d'on-ne-sait-où lui agressa les narines, ce qui le fit froncer des sourcils. Puis il vit au loin, à travers le fin brouillard qui oscillait autour d'eux, un sakura prenant feu.
Son havre de paix mourait une nouvelle fois.
Le tumulte attaquait encore son Jardin, l'Eden qu'il avait façonné en grandissant et nommé " Tenkai ".
Les flammes redoublaient d'intensité seconde après seconde, dévorant l'écorce de l'arbre par grandes bouchées et Namjoon ne put rien faire à part le regarder dépérir tandis que la brume se dissipait, laissant place à un ciel noir, apocalyptique, tout aussi obscur que les limbes eux-mêmes. C'était le chaos total et la seule chose que Joon fit fut de jeter une oeillade emprunte de panique sous la barque.
Panique qui s'intensifia d'un coup quand il croisa le regard du garçon aux cheveux immaculés. Ses iris dorés étaient braqués sur lui et le sondaient en silence. Namjoon fut incapable de détourner les yeux, tant ce regard était perçant, quasi happant. Il y avait quelque chose de spécial dans cette paire d'yeux qui le poussait presque à se noyer dans ses pupilles, à se laisser volontiers dévorer par les abysses y demeurant. Ces deux billes noires l'appelaient, lisaient en lui comme dans un livre ouvert, le palpaient de l'intérieur et le malaise s'empara aussitôt du voyageur. L'oxygène avait du mal à rentrer dans ses poumons et suite à ce manque d'air soudain, Joon cramponna sa main à sa gorge tout en agonisant, toussant bruyamment. Tout était bien plus hostile d'un coup autour de lui. L'eau les bordant était bien plus agitée, l'environnement davantage menaçant et toxique et le jeune homme ressentait cette impression folle qu'il mourrait dans cette barque fantôme d'ici peu.
Sensation qui se renforça quand il vit le sourire abominable que lui échangeait son vis-à-vis à la beauté singulière. Des dents, aussi tranchantes que des lames de rasoirs, dignes des plus viles créatures pouvant venir tourmenter vos nuits décoraient l'intérieur de sa bouche. La beauté se métamorphosa à coup de craquèlements horribles de ses articulations, de chair qui se déchiraient sous le regard épouvanté de Namjoon. Un bras informe muni d'une main crochue sortit de l'eau et lui attrapa le sien brutalement pour l'attirer et des racines percèrent sa propre carcasse devenue terreuse pour venir stranguler sa pauvre nuque. Ces lianes le serrèrent, encore et encore, un peu plus fort jusqu'à ce que Joon souffle la veilleuse. Il pouvait sentir l'air s'amenuiser, sa vision devenir trouble et son angoisse ne faisait qu'empirer, atteindre des pics encore jamais atteint auparavant. Il respira bruyamment, au bord de la crise de nerfs tant il avait peur, tant cette peur le lacérait de partout...
Puis il hurla à s'en briser les cordes vocales, pensant actionner le clap de fin de sa vie tourmentée.
Le jeune homme s'agita, suffoqua, son corps dégoulinant de sueur et persuadé d'être en train de rendre l'âme. Il cria, toujours un peu plus fort, tant il était immergé dans sa rêverie, tant il était apeuré par les images qu'avait créé de toutes pièces son imagination. Et quelle bien drôle d'imagination était-ce là ! Elle était débordante, trop même, échappée des petites-maisons, proche de la paranoïa et Namjoon était pourtant persuadé qu'il s'agissait bel et bien de la réalité.
" Arr– Arrête ! supplia Joon. "
On le poussa un peu plus fort pour le sortir de sa transe et enfin, il retrouva connaissance.
" Namjoon ! Namjoon, s'il-te-plaît ! "
Ses yeux s'ouvrirent bien grand puis il se redressa sur sa chaise, pris de panique et examina l'environnement l'entourant. Il n'y avait plus de ciel sombre, de fleurs aux effluves mortels, plus de cerisier prenant feu... Il n'y avait absolument plus rien. Le marécage avait laissé place à une salle de classe aux murs blancs, à des lampadaires industrielles dont la luminosité pouvait vous refiler un bon mal de crâne, à un diaporama projeté sur un tableau blanc où l'on pouvait lire en gros titre " Concepts Freudiens " ainsi qu'à des expressions effarouchées toutes lui étant destinées. Même son camarade de droite qui avait tenté de le réveiller semblait tout aussi choqué que le reste des élèves présents. Namjoon se sentit embarrassé subitement, n'appréciant guère être le centre de l'attention quand une voix grave rompit ce silence de mort :
" Je vois que mon cours sur la psychologie clinique semble exercer sur vous une merveilleuse action soporifique, monsieur Kim Namjoon... "
Depuis son pupitre, son professeur s'adressait à lui, l'air sévère. Il avait l'air d'une bombe à retardement de là où il se tenait. L'homme attendait une réaction de la part du concerné sauf que celui-ci savait d'avance que peu importe sa réponse, il se ferait disputer devant tout le monde. Même s'il y avait plusieurs mètres qui les séparaient, l'étudiant pouvait ressentir d'ici les ondes négatives qui émanaient de l'adulte. Elles lui donnaient envie de se cacher sous la table, de se faire aussi petit qu'une souris, de disparaître. Vraiment ce prof, il ne le portait pas dans son cœur.
" Une fois, pas deux. Si jamais vous vous endormez à nouveau pendant mon cours, c'est dehors. Compris ? "
❀ ❀ ❀
Le paysage défilait à vive allure à travers la vitre de la porte du train. Aux travers des feuillages devenus flous à cause de la vitesse de ce transport emprunté tous les jours par des gens de différents horizons, on pouvait voir le soleil se coucher à l'horizon sans nuages pour venir cacher cette vue divine. Elle était digne d'un tableau peint par un impressionniste. Les sillons roses et oranges parcourant le ciel possédaient quelque chose de relaxant, dégageaient un certain bien-être qui contamina Namjoon.
Il lorgnait ce joli paysage de ses yeux fatigués, debout contre la porte opposée du compartiment où il se trouvait. La journée avait été particulièrement longue pour lui, comme toutes les précédentes d'ailleurs. C'était les mêmes questions, cette même confusion qui avait accaparé ses pensées durant la journée et l'avait empêché de se concentrer pleinement sur ses cours. Il ignorait depuis combien de temps ces visions cauchemardesques venaient ruiner le peu de sommeil qu'il possédait mais il savait que cela ne faisait que trop durer. Jour après jour, le jeune homme à la chevelure violette pouvait sentir que sa vitalité s'épuisait, que ses capacités de concentration diminuaient à vue d'œil, que le simple fait de vivre lui demandait des efforts surhumains désormais. Plus rien n'était comme avant.
Ses cours ne le faisaient plus vibrer comme lors de son tout premier jour à l'université. La thérapie qu'il retrouvait en lisant ses manuels et en révisant ses leçons, la magie qui opérait à chaque fois qu'il s'asseyait en classe : tout cela avait disparu. Cela le rendait si triste... Namjoon voulait vraiment devenir psychiatre. Il désirait de tout son être venir en aide aux autres pour les écouter et les guider vers la voie de la guérison. En comprenant les autres, il espérait avoir une meilleure compréhension de lui-même et exorciser ses propres démons en chassant ceux de ses patients. Namjoon priait intimement pour qu'aucun obstacle ne s'immisce en travers de son parcours, en vain...
Ce n'était plus lui qui avait le contrôle mais ces images tout droit sorties d'un film d'épouvante qui le manipulaient, faisaient de lui un pantin abdiquant à chacune de leur apparition. Son corps le trahissait après dix-neuf ans de loyaux et bons services, il avait la sensation de ne plus s'appartenir, de devenir de fil en aiguille un étranger pour lui-même. Ce ressenti était étrange, dérangeant et pourtant c'était dans cet état que l'étudiant se trouvait présentement.
Un souffle lourd franchit ses lèvres tandis qu'il jetait un rapide coup d'œil à sa montre.
Encore quinze minutes avant mon arrêt, conclut-il.
Il n'avait pas eu de chance aujourd'hui. On était mardi et il s'agissait du jour où il finissait le plus tard ses cours à la fac et comme à chaque fois, c'était la même histoire pour tenter de trouver une place assise. À cette heure-ci, la gare était pleine à craquer et bizarrement tous ces gens qui patientaient la venue de leur train prenaient en réalité le même que lui.
Malgré le nombre de gens entassés les uns sur les autres, il était parvenu à se dégoter une petite place contre l'une des nombreuses portes du train. Néanmoins, il pouvait sentir sa jambe droite munie d'une attelle au genou le tirer un peu à force de rester trop longtemps debout.
Un accident bête qui l'a condamné à devoir porter cette maudite attelle pour le restant de ses jours. Lors d'un weekend en plein après-midi d'été, la famille Kim était partie en randonnée dans la forêt la plus proche de chez eux, toute proche du littoral. Namjoon n'avait que huit ans à ce moment-là et pourtant, il aimait déjà être au contact de la nature. Il adorait se rendre dans des endroits non-pollués par l'urbanisation, y respirer de l'oxygène pur, apprécier le silence des lieux tout en admirant la beauté que Gaïa, déesse mère, avait légué à ces terres. Cet amour pour ces parcelles de verdure avait poussé son imagination à visualiser l'univers dans sa tête comme un jardin gigantesque, vierge de toute souillure de la main de l'Homme.
Contrairement à l'image renfermée qu'il renvoie à présent, plus jeune, Namjoon était un bambin vivace et plein d'entrain. Curieux de tout, il était une petite pile électrique qui faisait la joie de ses parents. Cependant, sa curiosité le poussait de temps à autre à se mettre en danger sans qu'il ne s'en rendait compte. Et c'est durant cette marche improvisée avec sa famille que le risque le rattrapa.
Un papillon passa sous son nez, battant majestueusement de ses ailes colorées et Namjoon le suivit sans se préoccuper de la direction que prenait celui-ci. L'appel de sa mère en bruit de fond, l'enfant n'écouta pas, bien trop concentré par ce petit être qui volait juste devant lui. Ses jambes suivaient d'elles-même le mouvement, sa focalisation sur l'animal était totale et dans sa course, il pouvait apprécier le vent venant de l'océan flatter son visage et faire virevolter ses cheveux. Il le suivait aveuglément, avançait de quelques mètres, encore un peu plus, évita un arbre puis un autre pour ne pas le perdre de son champ de vision...
Jusqu'à ce que le chemin qu'il empruntait n'aboutisse à un ravin.
Il ne le remarqua pas et mit le pied dans le vide avant que son corps ne se mette à rouler le long de la pente. Un " crac " audible rompit le calme ambiant et sa tête heurta dans sa longue chute un tronc mort reposant au sol. Juste avant de s'évanouir, Namjoon se rappela avoir aperçu non-loin de lui un minuscule arbuste qui détonnait dans ce décor verdoyant en train de fleurir, quelques fleurs roses ayant bourgeonné. Il était là, comme un intrus parmi tous les éléments présents dans ce bois... Namjoon ne put réfléchir plus longtemps avant de sombrer mais il était sûr d'une chose : ces fleurs n'avaient pas leur place ici. Définitivement pas, sans raison apparente.
Depuis ce jour-là, il devait se coltiner une jambe un peu boiteuse qui ne lui facilitait pas la tâche dans ses déplacements. Il ne pouvait rien faire d'autre à part marcher. Il avait tenté une fois de courir mais cela lui fit plus de mal qu'autre chose. Ce déchirement dans son muscle, dans son os, l'avait tellement marqué que cela lui avait coupé l'envie de recommencer.
Lorsque l'étudiant releva la tête pour regarder au travers de la fenêtre de la porte du train, il remarqua alors qu'ils étaient arrivés à son arrêt et que des passagers étaient partis entre eux. Une jeune fille, sans doute une étudiante, appuya sur le bouton entouré de lumière verte juste à côté de la porte afin qu'elle s'ouvre et celle-ci le fit. Certaines personnes descendirent du wagon et Namjoon suivit le mouvement. Il s'arrêta un instant pour admirer la boule de feu disparaître au loin avant de tourner les talons, entamant sa marche jusqu'à son arrêt de bus.
Encore quelques minutes et il serait enfin chez lui, dans son cocon familial.
Une fois arrivé à destination, il attendit patiemment la venue du véhicule, de la musique dans ses oreilles le distrayant et rendant son attente moins ennuyante. Les notes douces et hypnotisantes de Night de Sorrot le berçant, il laissa son esprit divaguer et ses épaules se détendre. Sa tête se cala contre le bardage de l'arrêt, ses paupières se fermèrent doucereusement puis il fit le vide. Il n'y avait plus que lui, cette musique qui le touchait de façon indescriptible et son monde miniature dans les tréfonds de son for intérieur, de sa psyché. C'était apaisant, presque transcendant comme sensation. C'était tout aussi consolateur que de s'emmitoufler au chaud sous ses draps. Sa respiration était tranquille, aussi calme que les va-et-vient des vagues de la mer au crépuscule. Il se sentait bien, infiniment bien et cela lui donnerait presque l'envie de s'endormir, de rattraper toutes ses heures de sommeil manquées qui commençaient à s'éterniser.
" Joonie ! fit une petite voix au loin, des pas rapides l'accompagnant. "
Le nommé entrouvrit à contrecœur les paupières tout en pestant en silence, irrité que l'on vienne le gêner durant ce court instant de sérénité. Si seulement il avait duré plus longtemps...
Il se redressa et observa une silhouette s'avancer vers lui au pas de course. Vint à lui un garçon de son âge aux yeux rieurs, à la chevelure dorée, la bouche voluptueuse recourbée en un sourire vrai, sincère à son égard. Son pull oversize à lignes noires et rouges lui donnait un aspect mignon, donnait l'impression qu'à tout instant il disparaîtrait en dessous tant il était trop grand pour lui.
Namjoon ôta l'un de ses écouteurs lorsque le blond arriva à sa hauteur, ses propres lèvres s'étant étirées en un doux sourire sans qu'il ne le remarque. Il était incapable de se mettre en colère face à un être aussi adorable. Son irritation s'était envolée d'un coup, comme par magie, comme si la présence de cet autre garçon pouvait chasser les ombres obscurcissant le peu de lumière qui brillait encore en lui.
" Hey, Jimin ! salua-t-il doucement.
— Tu vas mieux par rapport à ce matin ? J'ai préféré te laisser tranquille la journée mais je voulais absolument savoir comment tu vas maintenant. Ça me stressait."
Le plus jeune répondant au doux prénom de Jimin était l'un des seuls de leur promotion en Psychologie qui cherchait à apprendre à le connaître, à sympathiser avec lui malgré le peu de conversation qu'il possédait. Toujours avec cette éternelle bienveillance dansant dans ses mirettes, toujours avec cette intonation agréable et dotée d'une incroyable tendresse. Au départ, Namjoon avait tenté de garder le plus possible ses distances avec le blondinet, comme il l'avait fait jusqu'à présent avec ses autres camarades de classe. Personne ne devait dépasser son périmètre de sécurité. Personne ne devait le côtoyer, lui adresser la parole. Il devait rester seul, loin de tous car le danger pouvait surgir à n'importe quel instant. C'était un mal pour un bien, aussi bien pour lui-même que pour tous ces gens essayant d'aller à sa rencontre. Mais il devait avouer qu'avec le petit blond, il avait baissé sa garde. Sa compagnie lui faisait du bien et cela le touchait qu'il s'inquiète énormément pour lui. Joon ne saurait dire s'il considérait son cadet comme un ami ou une simple connaissance, mais en tout cas, il avait une place attitrée dans son cœur rien que pour toutes ces attentions à son égard.
" Ça va, répondit-il. C'est gentil de ta part de t'en soucier mais vraiment, tu n'as pas à t'inquiéter.
— C'était assez impressionnant tout de même... J'espère que tes prochaines nuits te seront plus paisibles, hyung. Il faut que tu te reposes, t'as des cernes énormes sous les yeux.
— Je sais, je sais... C'est pas faute d'essayer. "
Jimin tira la mou avant de croiser ses bras contre sa poitrine.
" Un sommeil correct donne meilleure mine et rend de bonne humeur. Et ça se voit que tes nuits agitées impactent ta santé et ton moral. Je préfère te voir heureux que tout triste, t'es beaucoup plus mignon quand tu souris. "
Les yeux de Namjoon prirent la forme de soucoupe et il put sentir ses joues chauffer tout doucement. Il n'était toujours pas habitué aux compliments que pouvait lui offrir le benjamin, même après des semaines entières à se croiser et à discuter ensemble. Cela le désarçonnait à chaque fois qu'il en prononçait. Ils possédaient cette douceur infinie et cette honnêteté indubitable qui faisaient fondre l'organe vital du violet.
" Si tu le dis... souffla celui-ci avant de détourner le regard et de se masser la nuque.
— J'aurais toujours raison quoique tu dises, Joonie. "
Le plus vieux pouffa d'un rire discret. Ce gamin était pas croyable.
" N'empêche, heureusement que t'es là. Ça me fait du bien d'avoir quelqu'un avec qui discuter et ta présence m'est réconfortante. "
Il est vrai, passer du temps avec Jimin embellissait ses journées difficiles. À ses côtés, Namjoon oubliait ses soucis. Le peu de lumière qu'il restait au fond de lui resplendissait en sa compagnie, prenant le pas sur ses ombres. Rien pour ça, il lui en était reconnaissant. Parce qu'il avait l'impression d'être une bonne personne en restant avec lui. Et ça, ça valait tout l'or tout monde à ses yeux.
" Je resterai aussi longtemps que possible avec toi, hyung, répondit le blond, un sourire compatissant se formant sur son visage. "
Le sourire de Namjoon s'élargit alors qu'il contemplait son vis-à-vis. Ses pupilles voyagèrent sur son gabarit, sur son visage de poupon... Jusqu'à s'arrêter net sur sa gorge, qu'il lorgna longuement. Fixement. Avec une intensité dingue.
Il n'arrivait plus à détacher du regard cette pomme d'Adam proéminente. La carnation mi-hâlée, mi-laiteuse de son derme l'envoûtait. Il l'enviait, rêvait de sa douceur au contact de ses paumes chaudes. Il s'imaginait la caresser, sentir sous sa peau sa respiration qu'il lui volerait d'une pression forte exercée dessus d'un coup. Son œillade se voilant d'un désir interdit, Namjoon put sentir une odeur singulière lui titiller les narines – qu'il reconnut de suite – et qui lui compressa aussitôt la poitrine. L'envie se faisait pressante, urgente, incontrôlable ; il se sentait glisser vers le fond. Des images du visage dénaturé par la peur de Jimin se succédèrent dans son esprit tordu, de ses larmes ruisselant sur ses joues rebondies, de ses gestes désespérés pour échapper à ses mains meurtrières.
Joon se sentait extrêmement mal, une main allant se cramponner au pan de sa chemise comme s'il mourrait d'ici peu sur le bitume. Son cœur s'excitait à une allure folle au point qu'il se demanda s'il ne succomberait à une attaque cardiaque durant les prochaines secondes. Il pouvait sentir l'équilibre du " Tenkai " basculer, ses terres trembler, son âme en proie à une menace terrible.
" Joonie ? s'inquiéta Jimin.
— Re– recule, s'il-te-plaît ! "
L'environnement urbain se mit à tanguer violemment d'un côté. L'arôme s'intensifia encore plus, intoxiquant l'air qu'il respirait par grandes goulées et aggravant la douleur logeant sa poitrine. Elle tapait, cognait puissamment au creux de son thorax comme si elle cherchait à perforer sa chair pour trouver la délivrance. Sa vision, au départ nette, devint de plus en plus floue et le jeune homme sentait qu'il commençait réellement à partir loin d'ici, loin de ce quai de bus, hors du vrai monde, pour rejoindre un autre bien plus lugubre et tordu.
Instinctivement, Namjoon clôt ses paupières sous l'intensité du martyre qui l'ébranlait.
Lorsqu'il les rouvrit, non sans difficulté, sa vue se dédoubla quelques instants avant de retrouver sa netteté d'antan.
Il crut sentir le sol se dérober sous lui et son cœur cesser de battre lorsqu'il regarda Jimin.
Le benjamin n'était plus seul désormais et seulement Namjoon pouvait le voir.
Juste derrière lui, se tenait cette chose qui massacrait ses nuitées, cette beauté démoniaque qu'il croisait à chacun de ses rêves qui le charmait pour mieux le tuer ensuite.
Il était là, ses cheveux blancs sertis de bouclettes luisant sous les rayons du soleil qui se couchait, ses iris dorés le contemplant avec malice, ses lèvres purpurines retroussées en un sourire qui n'inspirait que sadisme et destruction. De la boue pourpre recouvrait une majeure partie de son enveloppe corporelle et l'une de ses mains recouvertes de cette matière gluante alla caresser du bout de son index crochu le cou du blondinet.
" Qu'attends-tu ? Sentir son larynx se briser ne t'excite pas ? "
La voix abyssale, presque d'outre-tombe de l'entité parvint jusqu'à ses tympans et lui refila des frissons le long de son échine. Bien que très calme, cette voix renfermait quelque chose de sinistre. Elle était dénuée de sentiments, d'humanité et répandait la toxicité lorsque son hôte entrouvrait les lèvres.
" Namjoon, voyons... Ne me la fais pas à moi. "
La poigne de la chose agrippa la gorge de Jimin sans exercer de pression dessus, le tout sans rompre le eye-contact avec l'étudiant à la chevelure violette. Son œillade était aguicheuse, tentatrice et avait de quoi vous donner l'envie de fuir et de vous rapprocher à la fois. En ce moment même, Joon ressentait plus l'urgence de prendre ses jambes à son cou.
Voilà pourquoi il ne devait approcher personne et qu'en retour, personne ne devait s'approcher de lui.
Entrer dans sa vie équivalait à une mort certaine et effroyable, trop choquante pour pouvoir la décrire sans éprouver de malaise.
" Tu m'as habitué à mieux. Bien mieux que ça, alors vas-y. Ne te retiens pas. Étrangle-le avec force. "
Sa dernière phrase devint un écho répétant la toute dernière syllabe. Elle rebondissait contre des murs invisibles avant de venir tout près de ses oreilles pour les charmer, rampant jusqu'à ses tympans tel un serpent.
Namjoon crut devenir fou face à ses bruits et cette image des enfers. Des perles de sueur dégoulinaient de son front au même rythme que l'odeur fleurie s'amplifiait dans l'air ambiant. Il jeta un vif regard paniqué au loin et il crut revivre en apercevant la longue silhouette de son bus qui avançait rapidement. Il le reconnut grâce au numéro illuminé par des LED suivi du nom de sa destination dans l'afficheur digital extérieur et une vague de réjouissance le submergea.
" Namjoon, qu'est-ce qui t'arrive ?! "
Au moment où Jimin voulut se rapprocher de son vis-à-vis, le car se gara juste devant eux et les portes s'ouvrirent, le coupant dans son action sur le coup.
Namjoon en profita alors pour se sortir de là à tire-d'aile, son genou l'encombrant néanmoins dans sa course, tout en répétant " je suis désolé " à son ami qui le contemplait d'un air déconcerté. Une fois à l'intérieur du véhicule, le jeune homme passa sa carte contre le lecteur et les portes se fermèrent. Le moteur du grand engin se mit à ronronner puis entamer son nouvel itinéraire et Namjoon put enfin respirer. L'entité avait disparu, l'air était à nouveau respirable et son cœur allait beaucoup mieux. Il souffla de soulagement et alla s'asseoir sur un siège libre avant de porter son regard sur ces nombreuses rues défilant devant lui, l'esprit agité. Il avait frôlé de peu la catastrophe mais... Arriverait-il à l'éviter encore une fois, la prochaine que cela se reproduirait ? Car oui, jusqu'à présent, Joon avait réussi à s'en sortir mais il se doutait bien qu'un jour ou l'autre, la pulsion serait plus forte que la raison et qui sait ce qui adviendrait ensuite.
Il augmenta le volume de sa musique sur son téléphone, chassant ses songes pessimistes d'un coup, le regard braqué sur cet horizon orangé.
❀ ❀ ❀
D'un geste habile, le garçon à la chevelure violette coupa l'eau de sa douche avant de sortir de la cabine, le corps tout entier parsemé de perles translucides. Il attrapa la serviette qu'il avait soigneusement préparée sur le bord de l'évier avant de se sécher rapidement. Puis, il choppa la seconde pour s'attaquer à sa tignasse après avoir noué la première autour de ses hanches. Ses bras s'activèrent sur ses cheveux tandis qu'il fredonnait un air entêtant, sans doute l'une de ses chansons favorites. Une fois cela fait, il pourrait enfin tenter de récupérer un peu de sommeil dans son lit douillet et replonger dans cet éden merveilleux perdu au beau milieu de son esprit. Il avait déjà d'y être pour oublier cette journée et se ressourcer pleinement.
Le garçon continua ce qu'il était en train de faire tout en chantonnant paisiblement jusqu'à ce qu'il croise son reflet dans le miroir. Il cessa alors tout mouvement et papillonna des yeux, croyant fabuler sur l'instant.
Sa prise se renforça sur son linge. À pas de velours, il réduisit la distance entre lui et la glace droit devant lui, le sang pulsant dans ses veines, les sourcils s'inclinant vers l'avant. Ce n'était pas possible. C'était impossible, non.
Il retira doucement la serviette, l'effroi gravissant peu à peu en lui...
Ses iris dévièrent inévitablement vers les racines de son cuir chevelu. La couleur naturelle de Namjoon était châtain foncé avant qu'il se mette à enchaîner teinture sur teinture avant de jeter son dévolu sur celle qui colorait actuellement ses cheveux.
Alors pourquoi ses racines étaient blanches et très prononcées, en plus de cela ?
L'étudiant en était certain, elles n'y étaient pas à son réveil à l'aube. Elles apportaient un drôle de contraste. Pour certains, la blancheur du cheveu rappelle à certains que leur existence n'est pas éternelle. Qu'ils manquent de temps et doivent vite accomplir toutes leurs envies, profiter de l'instant présent autant que possible avec les êtres qui leur sont chers avant qu'il ne soit trop tard. Pour d'autres, le blanchiment est le résultat d'épisodes anxieux, de pensées anxiogènes encombrantes qui vous collent à la peau tels des sangsues. Quant à Namjoon, cette couleur, synonyme de paix et de candeur, lui faisait ni plus ni moins penser à cette chose infâme vivant en lui.
Lui, cette beauté lumineuse et obscure métamorphosant ses jours et nuits en véritable supplice, réduisant son existence à de la survie pure et dure. Car oui, ce n'était plus vivre que Namjoon faisait. C'était survivre, s'époumoner à surmonter les multiples ennuis qu'occasionnait cette créature, chaque jour que Dieu faisait et ce, depuis un temps indéterminé.
La serviette recouvrant son crâne chuta contre le carrelage alors que l'une de ses mains tripotait avec affolement sa chevelure. Était-ce une autre hallucination dont il était la victime ou bel et bien la réalité ? Cette même main se mit à trembler, trembler, trembler encore et toujours un peu plus pendant que Namjoon pouvait ressentir une montée de tristesse l'envahir. Il ne comprenait pas – non ! – il ne parvenait plus à comprendre ce qu'il se tramait chez lui. Entre ça, ses cauchemars et ses désirs meurtriers : Joon avait toutes ses chances de chavirer, de basculer dans la folie suprême. Ses yeux s'embrumaient à mesure que cet amas de sentiments négatifs prenaient le pas sur son esprit combatif, ses espoirs devenir moindres pour finir inexistants.
Il était perdu et personne ne pouvait le guider vers le chemin de la vérité. Ni ses parents, ni Jimin : personne sur cette terre ne pouvait lui venir en aide. Parce que personne ne le croirait et tout le monde lui dirait qu'il est fou à lier, qu'une place de premier choix en clinique l'attendait. Or, Namjoon ne voulait pas de ça. Quand bien même il enviait de tout son être devenir psychiatre plus tard, il refusait d'être soumis au statut de patient.
Il ne pouvait compter que sur lui-même pour échapper à ce trépas, pour décrypter chaque phénomène qui lui arrivait. Comme depuis toujours, avec du recul. Namjoon avait dû toujours faire cavalier seul avec ses maux. En mûrissant, l'étudiant avait perdu l'intérêt de ses parents qui étaient toujours occupés. Le travail primait. Il l'emportait tout le temps sur la vie de famille, laissant un pré-adolescent livré à lui-même, des monstres assis en cercle autour de lui et tapis dans le silence tout en le regardant avec diablerie.
C'était peut-être ce qui manquait le plus à Namjoon. Du soutien familial, l'appui de ses parents. Ressentir leur amour comme autrefois durant son enfance au creux de leurs bras. Toutes ces petites attentions étaient aux oubliettes désormais et Joon aurait espéré apprécier à une nouvelle reprise leur chaleur dans cette salle de bain froide où seuls ses sanglots donnaient un semblant de vie à cet espace.
Si seulement tout était plus simple, pensa-t-il, recroquevillé sur lui-même.
Si seulement...
❀ ❀ ❀
Un clapotement d'eau.
Un crépitement au loin. Comme si du bois était en train de prendre feu.
Un contact léger et glacé à la fois contre sa peau et Namjoon émergea.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, la première chose qu'il vit était un ciel noir recouvert d'une brume. Il se redressa doucement, passant au passage une main dans ses cheveux pour les plaquer en arrière, et constata sans surprise qu'il n'était pas dans son paradis auquel il était tant attaché. Autour de lui, l'enfer marécageux l'encerclait. L'eau violette brillait, étincelait de mille feux tel un diamant au millier de carats, quelques nénuphars fanés flottant comme des âmes en peine. Sans doute à cause des flammes au loin qui se reflétait dedans. La désolation, la haine, toutes ces choses abstraites avaient ravagés le magnifique décor qu'il avait construit de ses propres méninges à force de méditer.
Le feu dansait droit devant lui, carbonisant encore une fois l'unique sakura des lieux. Il n'y avait pas de chants d'oiseaux pour égayer l'environnement, ni de plantes en fleurs, rien. Tout avait été détruit. Toute trace de vie s'était tarie. Il ne restait plus que ces étranges bosquets de fleurs roses qui tenaient debout, débordant de vitalité.
Comme chaque fois qu'il se retrouvait au cœur de ces terres désolées, le jeune homme éprouva un malaise inexplicable. Vraiment, cette sorte d'étang lui refilait des sueurs froides.
Il ne broncha pas, laissant ses pupilles zigzaguer sur chaque élément constituant cet environnement hostile.
" Pourquoi ? souffla-t-il pour lui-même. "
Alors qu'il pensait être totalement seul...
" Tu te poses trop de questions. "
Namjoon se liquéfia sur place à l'entente de ce timbre qu'il ne reconnut que trop bien. La chose arriva dans son champ de vision par la gauche, sous la lorgnade angoissée du violet. Elle s'accroupit alors à sa hauteur, de marbre. Ses iris luisaient d'un jaune vif, proche de la couleur or, ce qui les rendait incroyablement envoûtant. Ses cheveux d'une blancheur extrême, tout comme sa peau, contrastait avec son apparat de gadoue pourpre. Des mèches bouclées tombaient au ras de ses cils, rendant son regard énigmatique, davantage pénétrant. Quant à ses lèvres, leurs définitions étaient parfaites. Tout comme leur carnation, à savoir un rouge carmin donnant l'envie d'être goûté. Il y avait définitivement quelque chose chez cet être qui inspirait le vice, le danger sous toutes ses formes mais qui vous faisait tout de même douter de cela.
" Ça rime à quoi tout ça ?! Pourquoi t'es là, tout le temps ?!
— Ce que tu es long à la détente, répondit l'entité tout en penchant la tête sur le côté. Tu devrais t'en douter après tout ce temps. "
Son vis-à-vis rapprocha son visage du sien. Pétrifié, Joon ne recula pas. Cependant, il pouvait déjà sentir son organe vital battre anormalement vite dans sa poitrine.
" Je veux ton existence. Depuis le premier jour, je te jalouse. Je veux que ton âme soit mienne pour l'éternité, que je puisse enfin vivre pleinement en prenant ta place. "
L'étudiant déglutit avant de rire nerveusement.
" C'est une blague, n'est-ce pas ? "
Il chercha sur le faciès de la créature devant lui un quelconque signe qu'il lui indiquerait que tout cela était une pure mascarade, sauf qu'il n'obtint rien. Elle semblait très sérieuse dans ses dires et l'expression qu'elle lui renvoyait ne pouvait que le confirmer. Comment pouvait-il croire que tout cela n'était que de la rigolade ? Tout était vrai, vécu à cent pour cent et il le savait pertinemment.
" Pourquoi tant de résistance ? Plus tu tenteras de me contenir, moins je serai sage. Tu le sais, ça ? "
Un ange passa où l'étudiant évita la chose recouverte de matière pourprée avant de jeter un regard en coin dans sa direction. Il put alors noter un curieux détail concernant l'apparence de son interlocuteur. L'un de ses genoux présentait un étrange défaut. Son os semblait désaxé, donnant un aspect immonde et très difficile à contempler plus de trois secondes. En remarquant cela, instinctivement l'une de ses mains se posa sur son propre genou recouvert de son attelle sur lequel il resserra sa prise.
" Qui es-tu ? osa demander Namjoon, la gorge serrée. "
Cela ne lui était jamais venu à l'esprit de se poser cette question. Peut-être que c'était réellement le cas ou alors, il n'avait que repoussé ce moment, trop craintif à l'idée d'y être confronté.
Depuis les premières apparitions de cette chose, il n'avait fait que l'éviter, le combattre sans chercher à en apprendre plus sur lui. Il était enfin temps qu'il se lance à l'eau, s'il voulait réellement comprendre ses tourments, les maîtriser et les surmonter pour de bon.
" La partie de toi que tu dénies depuis trop de temps. Je suis ce côté obscène, destructeur et perverti squattant un recoin de ton for intérieur et qui n'attend que d'être libéré de sa cage. Vy est mon nom et bientôt, ce ne sera plus qu'un simple mot prononcé. Je serai un être complet, vivant et libre. Je veux vibrer, je veux sentir l'excitation d'une vie que l'on achève en un étranglement. Je veux voir des visages qui ne sont que souffrance, entendre des cris de martyre et toi, tu me prives de tout ça en me repoussant encore et encore. Tu n'es absolument rien sans moi, Kim Namjoon. Rien. Une sale vermine que je vais écraser si tu ne me laisses pas le choix. "
Soudain, sans que Namjoon ne le vit venir, Vy l'empoigna par la mâchoire avec force et le souleva tout en se remettant debout. Ses pupilles grossirent, prirent plus d'espace dans ses cercles d'ambre et l'œillade qu'il échangeait avec sa victime fit pâlir celle-ci. Joon blanchissait à vue d'œil tandis que son bourreau le toisait de façon purement assassine. Il pouvait le voir dans ses yeux : il était un homme mort.
Un cri plaintif quitta les lèvres de l'étudiant tandis qu'il pouvait sentir les ongles de la créature creuser ses joues. Même s'il se débattait comme un beau diable, Namjoon ne pouvait absolument rien faire. Il ne pouvait pas rivaliser face à cette chose qui était loin, très loin d'être humaine.
" Ce n'est qu'une question de temps avant que je n'ai le plein pouvoir sur tous tes faits et gestes. Ruer dans les brancards ne sert à rien alors, autant que tu te soumettes à moi. Hm ?
— Je... Ne te laisserai pas faire, articula laborieusement l'étudiant. "
Un rire hystérique tonna dans l'air, ce qui donna la chair de poule au martyr. Ce rire n'annonçait rien de réjouissant et l'atmosphère ne devint que plus lugubre et oppressante encore. Il faisait lourd, comme en pleine canicule en période estivale. Le simple fait d'inspirer de l'oxygène demandait des putains d'efforts au jeune homme qui pouvait sentir sa vue perdre de sa netteté et ses palpitations cardiaques devenir asynchrones.
L'odeur.
Cette satanée fragrance, elle était là. Imposante et plus tenace qu'à l'accoutumée. Elle s'infiltrait dans son organisme, se répandait en lui comme un poison, caressait chacun de ses vaisseaux sanguins et ses effets étaient dévastateurs. Ils le rendaient fiévreux, l'égaraient le transportaient loin telle une drogue dure ; éveillaient des sentiments bien trop sombres pour une âme candide comme la sienne.
" Tu penses vraiment pouvoir m'arrêter ? Namjoon, ne sois pas bête. Si je meurs, je t'entraîne avec moi dans la tombe. Et si tu pars... Ma vie commencera enfin. Je ne t'abandonnerai jamais ! "
Des racines sortirent du bras tendu de Vy et enguirlandèrent chaque membre du corps de Namjoon jusqu'à les serrer, les presser jusqu'à ce que l'éclatement s'ensuive. La pression était telle que le garçon sentit son sang se couper et sa peau se déformer. Sa jambe " malade " lui faisait mal, terriblement mal sous l'assaut des racines de son ennemi depuis toujours. Des hallucinations dignes des pires cauchemars que l'on puisse faire se jouer sous ses yeux. À chaque clignement d'yeux, sa vue passait du rouge au violet et il pouvait observer avec de l'horreur dégoulinant sur son visage son double maléfique changer de forme, passer de beauté à monstruosité aux sons de craquements de peau et d'os parfaitement audibles, pour son plus grand dam. Un hurlement effroyable émana d'entre ses lippes tant il avait peur, impuissant face à son vis-à-vis, face à ces fantasmagories horrifiques.
Un mouvement brusque sur la gauche puis sur la droite tout en gémissant et se torsionnant dans ses draps puis vint le moment où l'étudiant se redressa d'un coup sur son lit en sueur tout en prenant une grande bouffée d'air, les mains cramponnées à ses draps, comme s'il avait été en apnée pendant tout ce temps. Ses pupilles examinèrent tous les coins de l'endroit par sécurité, l'organe vital battant à tout rompre. Encore un peu et il bondirait hors de sa poitrine. L'air chaud du Shicchi s'était refroidi, son décor marécageux, quant à lui, décomposé pour laisser place à cette pièce qu'il connaissait bien, dont il était familier : sa chambre. Il pouvait savourer la douce odeur de lavande qui se dégageait de sa couverture, signifiant qu'il était bien chez lui, dans son petit appartement de fortune. Une vérification rapide du côté de sa table de chevet : trois heures trente-trois s'affichait en grosses lettres rouges sur son horloge numérique.
Encore secoué par son rêve, Namjoon se frotta les bras pour se réchauffer et tenter de calmer ses émois, son épiderme ruisselant de sueur. Il se sentait angoissé, tourmenté, l'impression de ne pas être à sa place se faisant de plus en plus imposante.
Tout va bien Nam', tu es vivant, se disait-il inlassablement, pris de légers spasmes. Il n'est pas là, ce n'était qu'un cauchemar de plus, tout est sous contrôle. Tu vas te rendormir et tout ira bien. Oui, ça ira mieux les jours suivants. Qu'est-ce qui peut arriver de pire ?
Il regretta aussitôt sa dernière pensée quand tout à coup, une longue et lancinante douleur dévasta une partie de son dos. Elle l'écorchait vif, le sectionnait de part en part, l'obligeant à se pencher vers l'avant, tordu en deux par la souffrance qu'il endurait. Celle-ci augmenta lorsqu'une étrange matière visqueuse de couleur mauve s'étala de son épaule droite jusqu'à sa colonne vertébrale lentement, s'unissant à sa propre chair. Il osa porter sa main vers ce surplus de peau bizarre et ses doigts prirent la même teinte à son toucher. Sa frayeur tripla et cette terreur croissante engendra une succession de flashs décousus, une compilation de toutes ces fois où on lui avait demandé si tout allait bien formant un capharnaüm insupportable pour les oreilles de l'étudiant. Ces brouhahas de voix mélangés entre eux donnèrent naissance à une bande-son qui gagnait en volume, à l'allure presque satanique tant le bruit paraissait façonné par tous les démons coincés dans le Feu Éternel. Namjoon boucha les oreilles tant le fond sonore était trop dur à endurer pour lui tout en fermant les yeux bien fort.
Ses pensées étaient sens dessus-dessous. Le Tenkai et le Shicchi livraient un combat sans merci dans l'esprit du violet. Le décor se renversait sans arrêt, chavirant tantôt du côté de la lumière, tantôt dans l'obscurité la plus totale. L'un essayait de prendre le dessus sur l'autre sans qu'aucun d'entre eux ne parviennent à l'emporter, Namjoon subissant les dommages collatéraux de ce duel survolté. Son énergie s'amenuisait, elle le quittait lentement mais sûrement tandis qu'il essayait de retrouver un semblant de contrôle sur lui-même par le biais d'exercices de respiration qui, pour le coup, ne servirent à rien.
Dans un état d'agonie plus que préoccupant, Joon tenta de tendre le bras en direction de sa table de chevet pour attraper son téléphone ainsi que ses écouteurs. Car seule cette musique ô combien reposante pouvait tempérer ce bordel auquel il était confronté et qui avait l'air bien plus éprouvant que toutes les précédentes fois.
Il poussa un peu plus sur son articulation tout en grognant d'inconfort dans sa manœuvre et à l'instant où il pensait pouvoir l'attraper, un bras recouvert de terre et de boue améthyste aux doigtés crochus surgit par dessous son lit pour agripper dans une brutalité sans nom son poignet. Il crut sentir ses os se réduire en charpie sous l'emprise de cette main et fut dans l'incapacité de se dégager de celle-ci. Elle était coriace et semblait vouloir en découdre avec le jeune homme.
" Je t'avais prévenu... gronda une voix rocailleuse. "
Progressivement, la chose sortit de l'ombre, un sourire ravageur aux lèvres muni de dents acérées et d'une paire d'yeux devenue noire, aussi noire que les ténèbres eux-mêmes. On ne voyait rien dedans à part son propre reflet. C'était comme si elle n'avait point d'âme, comme si elle était morte jadis et que nulle chose ne pourrait le ramener à la vie. Parce qu'il était trop tard et que le retour en arrière était impossible.
Vy se mit à califourchon sur Namjoon qui cherchait à se fondre dans le matelas, à disparaître de la surface de la Terre. L'aura l'entourant poussait celui-ci à se faire aussi petit que possible, à lui rappeler qu'il n'est qu'un pauvre mortel face à un monstre dont les pouvoirs étaient visiblement abondants, le dépassaient à plate couture.
Son cœur était sur le point de le lâcher tant la pression ressentie était immense, tant sa peur ne faisait que gonfler et le rapprochait de fil en aiguille à un repos éternel sûr.
" Va-t-en ! Dégage putain, ça suffit ! T'existes pas ! s'égosilla Namjoon, la voix tremblante. "
Pour seule réponse à son rejet, la créature mit tout son poids sur son genou blessé, prenant soin de rendre chaque seconde douloureuse et pénible à souhait, mais délectable pour elle.
Namjoon cria, son genou craquant encore et encore jusqu'à ce qu'il se rompt, ses bras s'agitant dans tous les sens.
" Est-ce que ça te suffit pour comprendre que je suis bien réel ou dois-je faire pire ? Ce n'est pas l'envie qui manque, présentement. "
Vy lui attrapa la gorge de sa dextre et décortiqua sa victime sous tous ses angles, l'air émerveillé, un rictus collé à son visage.
" La terreur te sied à merveille, Namjoonie... Tes larmes – bon sang, tes larmes ! – je veux m'en abreuver tant que je le peux encore ! "
Celles-ci coulèrent de leur propre volonté le long des joues de leur propriétaire alors que sa lèvre inférieure tressautait, d'infimes hoquets sortant de sa bouche indépendamment de sa volonté.
Quelques malheureux centimètres les séparaient l'un de l'autre et les pointes des mèches blanches de son alter ego touchèrent son front. En jetant un regard par-dessus l'épaule de celui-ci, Namjoon put voir sa chambre alterner encore de cadre spatial. Tout au fond, l'unique cerisier de son éden apparaissait une fois sur deux en flammes dans un horizon noirâtre. Ce qui se passait dépassait l'entendement humain et pourtant, Namjoon le vivait en chair et en os. Les événements étaient plus vrais que vrais, allaient au-delà de toute logique et d'explications rationnelles.
Chaque bibelot décorant sa pièce personnelle prirent la forme de minuscules bosquets de fleurs aux pétales roses sous son regard ahuri puis il tenta de couper sa respiration en s'arrêtant de respirer. Mais qu'importe s'il ne respirait plus ou non, l'odeur se dispersa dans l'ensemble de l'espace et contamina chaque mur, se déposa le long de son bureau ; partout et nulle part à la fois. Namjoon était piégé entre les griffes du grand méchant loup qui le lorgnait avec appétit, ivre de cette effluve qui était la bête noir de l'étudiant.
" C'est inutile d'empêcher l'air d'imprégner tes poumons. Le mal est fait et ce, depuis ce premier jour où tu as posé les yeux sur moi. Ton sang est rempli de toxines produites par ces oléandres dont tu as inhalé l'odeur à moults reprises. Tu es fait comme un rat, Namjoon. C'est terminé.
— Pitié... supplia Joon, bousillé de l'intérieur. Ne me tues pas, je veux pas mourir...
— Que de faiblesse pour un homme qui veut jouer aux plus forts. On le sait tous les deux, mon grand. La moindre gorge que tu aperçois te tente lorsque tu t'attardes trop longtemps dessus. Au diable les bonnes mœurs, suis-moi ! J'allégerai tes maux. Tu n'auras plus besoin de te retenir en permanence grâce à moi. Tu ne peux pas m'ignorer de la sorte continuellement. Tu n'es pas blanc comme neige, Namjoon. Tu es moi et je suis toi.
— Tu n'es qu'un putain de visage que je vois dans mes rêveries, une fois les yeux clôs : tu disparais !
— Je suis ce que tu confrontes quand tu rêves ! Vy est là pour rester, quoi que tu fasses ! Et je vais prospérer quand tu ne seras plus là ! gronda la créature, toujours avec ce sourire dégoûtant déformant son faciès. Je vis au plus profond de toi, tu ne peux pas me contrôler !
— Si je crève, tu meurs aussi ! "
Namjoon s'évertuait à lui tenir tête, malgré le peu de volonté qu'il lui restait. Il essayait de faire entendre sa voix, de prouver qu'il pouvait vaincre son opposant, peu importe où ce dialogue de sourds le mènerait.
" Non – Balivernes ! – toi et seulement toi ! Tu mourras en moi et je serai toi ! tonna Vy, ses mains en coupe contre la nuque de l'étudiant.
— Maudit sois-tu, Vy ! Laisse-moi en paix, une bonne fois pour toute !"
Même en position d'infériorité, le garçon se démenait tant bien que mal pour se sauver de là, ne voulant guère laisser cette chose l'emporter sur sa raison, sur le peu d'humanité qu'il lui restait. La chaleur étouffante du marécage revenait au galop, grimpait Celsius après Celsius mais ne stoppa pas l'ardeur de Namjoon.
" Es-tu aveugle ?! Tu es moi ! Tu es Vy !
— Jamais !
— Si, pour toujours ! "
Assez. Joon n'en pouvait plus de ce combat qui n'avait ni queue ni tête et dans une force qu'il ne se reconnut pas voir à peine, il se redressa et empoigna d'un coup la gorge de son vis-à-vis et commença à la presser, puisant dans ses dernières forces dans l'espoir d'actionner le clap de fin de ce cauchemar qui n'avait que trop duré.
" Va au Diable, saloperie ! Prends tes actes pervers, tes paroles manipulatrices avec toi et pourris en Enfer !
— On se retrouvera dans les eaux troubles de mon territoire, Kim ! répondit Vy, tout en resserrant à son tour sa prise sur la jugulaire de son hôte. "
C'est un cri éperdu pouvant réveiller le monde qui rugit dans le minuscule espace de cet appartement, dans l'obscurité la plus absolue.
Puis vint le calme. Un silence digne des plus vastes monastères pouvant exister englobant les lieux, une fragrance à éviter impérativement vacillant dans l'air.
Namjoon était étendu dans son lit, seul, un air paisible trônant sur son visage, entouré de plusieurs pieds de lauriers roses, inertes mais étrangement vivants à la fois. Il paraissait serein, enfoncé dans un sommeil profond dont il était difficile d'en ressortir éveillé.
Lento, le peu de violet qui imprégnait encore sa chevelure désordonnée s'estompa pour passer à une teinte immaculée, synonyme de pureté et du divin pour certains, symbole du deuil pour d'autres.
La peau crépusculaire de l'étudiant se fit recouvrir, parcelle par parcelle, d'une texture visqueuse évoquant sa teinture de cheveux. De longues racines se résorbèrent dans ses côtes dans une série de sons peu ragoûtants et enfin...
Ses paupières s'ouvrirent délicatement, les pupilles dilatées trempant dans un océan en or, les lèvres retroussées en sourire en coin ampli de sadisme. Il prit une longue inspiration et prononça avec soulagement, avant de rire :
" Libre ! "
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top