Chapitre 7 • Birthday Night

« That's when she said
"I don't hate you, boy,
I just want to save you
While there's still something
left to save" »
Rise Against

Au réveil, j'ai l'esprit embrouillé, je me suis endormie sur le canapé et mes membres sont ankylosés. Ma nuit n'a été qu'une succession d'incessants cauchemars mêlés à l'affreuse réalité.

Mon après-midi consiste à aller faire des courses pour la semaine et effectuer un grand ménage dans mon appartement, qui en a fortement besoin. Ayant une liste de lecture spécifique pour cette tâche, elle m'accompagne durant toute la réalisation de mon opération nettoyage.

Je dépoussière le sol, me dandine et chantonne ; mon balai en guise de micro. Pratiquement aphone, mon chant s'apparente davantage à du play-back. La scène doit être à mourir de rire, heureusement que mon immeuble n'a pas de vis-à-vis.

En fin de journée, je m'attarde à choisir la tenue adéquate pour la fête de ce soir. Après un moment de réflexion, je jette mon dévolu sur un t-shirt blanc, une jupe noire, une petite veste fleurie rose façon kimono et mes vans. Côté maquillage, j'opte pour quelque chose de discret : du mascara, du fond de teint et une légère touche de rouge à lèvres. Mes cheveux forment de jolies ondulations alors je les laisse détachés.

Une fois prête, je me dirige tranquillement vers l'appartement de mon ami. Il vit dans le même quartier que moi, dans un charmant loft à l'inspiration « zen ».

À peine arrivée, je viens à la rencontre de Diego qui s'agite dans le coin cuisine.

— Salut mon petit blondinet ! Tiens, j'ai acheté une bouteille pour ce soir, dis-je d'une intonation plus qu'enrouée.

— Mais c'est quoi cette voix ? On dirait Andy ! claironne mon soi-disant ami alors qu'un rictus moqueur s'ébauche sur son minois.

Cette référence à son collègue asocial m'horripile, lui valant un regard noir de ma part.

— J'ai attrapé froid, inventé-je, les dents serrées.

Je me voyais mal lui déclarer : « Oh ne t'en fais pas ! Je me suis juste égosillée pendant une heure au bord d'une falaise à cause de la relation chaotique que j'entretiens avec ma mère. Tu sais, celle qui parvient à anéantir tout le travail que j'ai effectué psychologiquement pendant près d'un an pour me sortir la tête de l'eau ?! ».

Ma peine se transforme progressivement en hargne, ce qui n'augure rien de bon. Je pensais m'être débarrassée de cette frustration hier soir, mais tout porte à croire que les cauchemars nocturnes l'ont faite ressurgir.

— Oh ça va, je rigole. Merci pour la bouteille, tu n'étais pas obligée.

Mon ami me prend par l'épaule et dépose un tendre baiser sur ma joue, il doit subodorer que je ne suis pas dans mon assiette. Il s'empare de la boisson alcoolisée qu'il met au réfrigérateur.

— As-tu besoin d'aide ?

— Non, merci. File rejoindre les autres, j'ai presque terminé.

Je me rallie auprès de Maryse, Josh et Joy qui discutent dans le salon.

—Salut les gars ! lancé-je.

— Coucou Ally, qu'est-il arrivé à ta voix ? s'enquiert Joy.

— Oh, un vilain rhume.

— Déjà malade au mois d'octobre ? Ma pauvre... dit-elle avec un sourire compatissant.

— Prête à crier « surprise » au moment où Andy franchira le palier ? me demande Maryse.

— On doit vraiment faire ça ?

— Oui, son ami... Jack, je crois, compte envoyer un texto à Diego lorsqu'ils seront en route, poursuit Josh.

— Oh d'accord, je ne sais pas si je vais être en mesure de hurler, annoncé-je en désignant mon larynx.

Mes trois compères s'esclaffent. Cette idée me laisse dubitative. Je n'imagine pas Andy se jeter dans les bras des invités pour les remercier de leur venue. Cependant, l'image peut être désopilante.

— Andy arrive, les gars ! s'exclame Diego plus excité qu'à l'accoutumée. Cachez-vous !

Tout le monde obéit, je me positionne dans un endroit stratégique d'où je peux apercevoir les nouveaux venus entrer.

La porte s'ouvre sur les deux hommes qui sont très élégants. Andy arbore un jean bleu slim, une chemise blanche et des bottines marron foncé. Ses cheveux sont peignés dans un effet décoiffé qui lui donne un côté sauvage. Quant à Jack, sa tenue se compose d'un pantalon noir, une chemise en jean et une paire de converse. Ses cheveux sont attachés en un chignon négligé.

Nous aboyons tous « surprise » comme des idiots, Andy n'a que pour unique réaction, une grimace. La situation se retourne contre les invités qui s'ébaubissent, un rire étouffé s'échappe de mes lèvres devant ce spectacle cocasse. Le ton de la fête est donné !

La paire s'avance vers notre groupe amassé près de l'entrée. Jack contraint Andy à saluer tout le monde.

— Ally ! Je suis content que tu sois là ! s'exclame Jack en me prenant dans ses bras.

J'ouvre grand les yeux et, après un moment d'incertitude, réponds à son étreinte chaleureuse. Sommes-nous devenus amis sans que je le sache ? Ai-je raté un épisode ? Andy nous observe, sourcils froncés et lèvres pincées.

— Vous vous connaissez ? demande Diego, suspicieux.

— Oui, on s'est rencontrés la semaine dernière, rétorque Jack.

À son tour, Andy se penche pour me faire la bise. Son odeur corporelle vient chatouiller mes narines : un doux mélange de parfum, lessive et tabac. Nos mains se frôlent et une légère décharge électrique s'insinue dans mon corps, ce contact me plonge dans une plénitude encore inconnue jusqu'alors.

Puis, le coiffeur s'écarte de moi, bien trop rapidement à mon goût. Ma réaction me surprend, je suis troublée et reste immobile le regard perdu dans le vide. La voix mélodieuse de Diego me sort de la torpeur dans laquelle je m'étais enlisée.

— Installez-vous dans le salon ! J'ai préparé toutes sortes d'amuse-gueules pour régaler vos papilles !

Tout le monde s'éloigne. Je secoue la tête et cligne plusieurs fois des yeux pour revenir à la réalité. Jack et Andy conversent, je parviens à intercepter quelques bribes de leur échange. Mon coloriste le questionne au sujet de notre rencontre. Son ami lui répond de manière élusive, ce qui semble l'excéder, prodigieusement.

Je me sers un verre de champagne et suis l'assemblée.

La soirée est plutôt agréable. Diego a suivi mes conseils en programmant du rock. De nombreux titres de Fall Out Boy, Linkin Park, Green Day, Nirvana et Rise Against se succèdent au sein de l'appartement de Diego. Par moment, nous chantons par-dessus la musique dans un duo improvisé et complice. Ma voix rauque me permet de réveiller la rockeuse qui sommeille en moi.

Installée aux côtés de Josh, je passe mon temps à glousser telle une gamine. Le restaurateur est un très bel homme d'une trentaine d'années aux cheveux courts. Une longue barbe lui recouvre la moitié du visage. Il qualifie son style de « bûcheron », ainsi je l'imagine toujours en train de couper du bois au fond d'un jardin de campagne. À mon arrivée à la librairie, les commerçants ont essayé de nous caser ensemble. Comme on peut le constater, ils ont lamentablement échoué.

Plus tard, Jack nous rejoint et nos rires redoublent d'intensité. L'alcool aidant, je me sens beaucoup plus détendue qu'en début de soirée. Je n'ai pas la moindre idée du nombre de verres que j'ai ingurgités mais l'effet est grisant.

Vers 23 heures, Andy souffle ses vingt-huit bougies sans une once d'émotion. Diego lui remet une enveloppe dans laquelle chacun a glissé un billet. Andy marmonne une sorte de remerciement incompréhensible, digne de sa réputation.

Jack lui tend à son tour son présent, je discerne le paquet que j'ai réalisé quelques jours plus tôt. Un sourire en coin se dessine sur le visage du chanteur lorsqu'il découvre ce qu'il renferme.

— C'est un comics écrit par le chanteur de My Chemical Romance, ils viennent de les remettre en vente mais...

— Oui, je connais. Je voulais justement le lire. Merci Jack, l'interrompt Andy en lui faisant une accolade.

— Ah super ! De rien, j'ai été bien conseillé, réplique-t-il en se détachant de son ami pour m'adresser un clin d'œil.

Je lui souris timidement sous le regard éberlué d'Andy. Je décèle une autre émotion traverser ses prunelles, sans toutefois parvenir à mettre le doigt dessus.

Les effets de l'alcool commencent à se faire ressentir. Il fait chaud, beaucoup trop chaud. Je me rends donc sur la petite terrasse dont personne ne profite.

Accoudée à la rambarde, je profite de ce moment en solitaire pour admirer le ciel étoilé comme j'ai pour habitude de faire. Je devine une présence derrière moi mais ne me retourne pas, trop absorbée par mes pensées. D'un coup, une main tatouée tenant une cigarette apparaît dans mon champ de vision... Andy.

Je lui fais face, m'en empare en le remerciant et la porte directement à ma bouche. Recréant la scène du bar, Andy l'allume pour moi en me fixant d'une intensité rare. Je détourne le regard la première puis m'appuie de nouveau sur la balustrade, le coiffeur fait de même.

— Merci d'avoir conseillé Jack, dit-il de sa voix gutturale, me procurant un nouveau frémissement.

— De rien, c'est mon métier, dis-je en haussant les épaules.

— Il te plaît ?

— Le comics ?

— Jack, répond-il du tac-au-tac, d'une voix tranchante.

Je pivote la tête vers mon interlocuteur en arquant un sourcil, révélant ma stupéfaction.

— Euh... je ne me suis pas posé la question... Et je ne vois pas en quoi ça te regarde, je déclare d'un ton dédaigneux.

Pourquoi m'interroge-t-il à ce sujet ? J'étais parvenue à recouvrer une pointe de sérénité mais je suis de nouveau contrariée par sa faute.

Je sais qu'il n'apprécie pas mon rapprochement avec son ami, j'ai bien remarqué les regards qu'il nous lance depuis le début de la fête.

— Fais gaffe, quand même. Les mecs dans notre genre enchaînent les conquêtes, pas les petites amies.

Il jette son mégot et me plante sur ces derniers mots. Quel abruti ce mec ! Quand il m'a rejointe sur le belvédère en me proposant une clope, je pensais que c'était pour fumer le calumet de la paix, pas pour me dénigrer.

Je bouillonne intérieurement pour de multiples raisons : sa façon de considérer les femmes comme de vulgaires objets, le fait qu'il me remercie pour ensuite investiguer sur ma relation avec son meilleur ami. Toutefois, ce qui m'exaspère par-dessus tout, c'est qu'il n'adresse la parole à personne excepté Diego, Jack et moi. Or, je ne suis pas logée à la même enseigne que les autres, j'assiste toujours au Andy méprisant. Que lui est-il arrivé pour qu'il refuse tout contact avec autrui ?

De retour dans le salon, je m'installe sur le canapé entre Josh et Jack faisant ainsi face à Andy et Cindy — l'esthéticienne de notre rue commerçante, des différends nous opposent.

Mon attention est attirée par le musicien, avachi sur la banquette. Je découvre que l'une de ses mains est apposée sur la cuisse nue de la visagiste, laquelle monopolise toute l'attention en faisant de grands gestes avec ses bras. Le coiffeur ne fait même pas mine de l'écouter.

Andy intercepte mon regard et désigne Cindy de l'index en articulant lentement :
« C-O-N-Q-U-Ê-T-E » tout en souriant comme un idiot. Il donne l'impression d'expliquer un théorème de mathématiques, comme si je ne savais pas ce qu'étaient les coups d'un soir.

Je vois rouge, j'ai envie de lui arracher la tête. Même si je n'ai pas une grande estime pour cette femme, je la plains. Elle doit s'imaginer qu'il va lui promettre monts et merveilles alors qu'il compte simplement profiter d'elle.

Leur rapprochement ne m'étonne pas. Cindy a un corps de rêve : brune, yeux bleus, lèvres pulpeuses, grande, fine, poitrine et fesses généreuses. C'est normal qu'un mec séduisant comme Andy craque pour elle. Ils sont parfaitement bien assortis.

Petite piqûre de rappel : des hommes comme lui ne peuvent pas être attirés par des femmes dans mon genre. D'où me vient cette élucubration ? Je n'ai jamais considéré Andy comme un potentiel petit-ami, même si je dois admettre que je ne serais pas contre avoir un homme à mon bras partageant les mêmes caractéristiques physiques que lui.

— Hey Andy ! l'interpelle Diego qui s'affilie à notre cercle. Es-tu allé au concert gratuit organisé hier dans la ville ? Tu sais, celui dont je t'avais parlé ?

— Euh non. En fait, je ne sais plus trop ce que j'ai fait hier...

Il évite le regard de son chef et passe une main dans sa crinière pour dégager les mèches qui lui tombent dans les yeux. Cache-t-il quelque chose ?

— Attends... Tu ne sais déjà plus ce que tu as fait hier, à ton âge ? Il faudrait consulter, faire un scanner ou même une IRM. Tu as peut-être des problèmes au niveau de l'hippocampe ! je renchéris en explosant de rire, étant la seule à comprendre ma mauvaise blague que je mets sur le compte de l'alcool.

— Je rêve où votre pote compare Andy à un poisson ? rétorque Cindy.

Tout le monde se retient de rire après la remarque idiote de la brune. Cependant, elle n'a pas tout à fait tort, cette région du cortex cérébral tient son nom de l'animal marin puisque leur forme est semblable. 

— Excusez Ally. Pour ceux qui ne le savent pas, elle a fait des études en biologie et ne peut s'empêcher de faire de l'humour à ce sujet quand elle est un peu pompette, mentionne Diego.

— Je vais éclairer ta lanterne, ma chère Cindy. L'hippocampe est une région du cerveau qui est liée au processus de mémoire. Si tu as une lésion à ce niveau, tu peux avoir une amnésie antérograde ou rétrograde voire les deux si tu es atteinte d'une amnésie bi-hippocampique comme l'ont démontré des scientifiques en étudiant le cas du patient dénommé « H.M. ». Je t'invite à me rendre visite à la librairie, je pourrais te conseiller des bouquins pour t'instruire, riposté-je avec véhémence.

Je suis bien plus saoule que je ne l'imaginais. L'esthéticienne ouvre la bouche à plusieurs reprises sans qu'aucun son ne s'échappe. De cette manière, elle ressemble à un cyprin doré. Elle est scandalisée par ce que je viens de lui déblatérer. Pour ma défense, Cindy me critique régulièrement et je ne contre-attaque jamais. J'en ai marre de porter l'étiquette de la fille « gentille ».

— Wow, Ally a du mordant, j'adore ! s'exclame Jack en passant un bras sur mes épaules. Enfin un allié ! me dis-je.

Un sourire discret s'esquisse sur le faciès d'Andy. Il se détache de Cindy pour se redresser. Puis, il pose ses coudes sur ses genoux et joint ses mains entre elles. Me toisant, le musicien arbore un sourire en coin maléfique. Il manigance clairement quelque chose. Je retiens mon souffle jusqu'à ce qu'il se décide à prendre la parole.

— En fait, je me souviens parfaitement de ma journée d'hier... J'ai fait un tour du côté de la falaise, dit-il en me regardant droit dans les yeux, fier de son coup.

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