Chapitre 6 • Oh mother... What Did You Do ?

« Through the void, through the void,
through the endless void
I'll march on and on and on
and on without you »
Andy Black

Levée depuis une demi-heure, je profite de cette journée de repos pour flemmarder, avant le rendez-vous convenu avec ma mère, à 14 heures. Je rêvasse, en regardant par la fenêtre de ma cuisine, mon deuxième café de la matinée, en mains.

Dans le salon, la sonnerie de mon téléphone retentit. Je me lève pour le récupérer, le prénom de Diego apparaît sur l'écran. Je décroche avant que mon répondeur ne prenne la relève.

— Bonjour ma petite violette des champs !

— Hello Diego ! Es-tu déjà bourré à... (je décale le téléphone de mon oreille pour regarder l'heure) 10 heures du matin ? le questionné-je avec humour.

— Je n'ai pas le droit d'être tout simplement heureux en ce dimanche matin ?

J'éclate de rire.

— Bien sûr que si, petit blondinet !

— Ah, je déteste quand tu m'appelles comme ça ! siffle-t-il.

— Je le sais, c'est pour cette raison que je le fais.

— Ne me cherche pas trop, jeune fille ! Si je t'appelle, ce n'est pas pour recevoir ce genre de surnom ridicule, dit-il en claquant la langue. En fait, j'organise une soirée à mon appartement demain soir, pour l'anniversaire d'Andy. Son meilleur ami est en ville pour l'occasion. J'aimerais que tu sois là.

Je m'abstiens de lui dire que j'ai déjà rencontré Jack.

— Pourquoi veux-tu que je vienne ? Je ne suis pas amie avec Andy...

— J'ai invité tout le monde. Ce serait cool qu'il fasse plus ample connaissance avec les gens du quartier. Et à ce que je sache, tu en fais partie, non ?

— Oui... Ok, je serai là. Que faut-il que j'apporte ? Mais ! Je n'ai rien à lui offrir !

— T'inquiète, on s'occupe de tout. Tu crois que les autres ont prévu quelque chose alors qu'ils ne l'ont jamais côtoyé ? se moque-t-il. Ta seule présence est un cadeau, ma chère !

Je pouffe de rire.

— J'ai juste un service à te demander.

— Je t'écoute.

— Est-ce que tu pourrais me conseiller des groupes de rock, pour que je prépare une playlist pour la fête ? Je sais qu'Andy aime ce genre de musique et c'est aussi ton style préféré... Comme c'est son anniversaire, j'aimerais lui faire plaisir.

—Oui bien sûr, je t'enverrai une liste par texto.

— Génial, merci Ally ! Qu'as-tu prévu aujourd'hui ?

— Je vais à la plage avec ma mère...

— Ah... Ça va aller ?

— Oui, ne t'en fais pas. Ce ne sera pas aussi excitant que ton rencard mais bon... Profites-en bien pour moi !

— Yep ! J'y compte bien, ma belle.

Après s'être échangés quelques balivernes, nous raccrochons. Je ne suis pas enchantée de passer une nouvelle soirée avec le chanteur mais au moins tous mes amis seront présents ainsi que Jack, ce sera l'occasion d'en apprendre plus sur lui.

Quelques heures plus tard, adossée à ma voiture, j'attends ma mère qui est, une fois de plus, en retard. Le vent fait virevolter mes cheveux dans l'air marin, le temps s'annonce agité. Heureusement que j'ai troqué mon éternelle veste pour un manteau.

— Ally ?

Je me retourne puis découvre ma mère. Elle n'a pas changé depuis la dernière fois que je l'ai vue, toujours aussi maigrichonne, le teint terne et le regard dépourvu d'une quelconque émotion.

— Salut maman, déclaré-je dans un sourire forcé.

Elle m'embrasse. Nous débutons notre promenade dans un sable lourd et humide.

Mon regard se porte sur l'océan qui se galvanise en formant d'immenses vagues qui s'entrechoquent entre elles. Étrangement, le grondement de la houle me lénifie. J'ai eu raison de choisir cet endroit.

— Alors, tout se passe bien dans ta vie ? se renseigne ma mère, brisant le silence qui s'était installé.

— Oui. Je me plais toujours autant à la librairie et dans mon appartement. Mes amis occupent une place essentielle dans ma vie, je peux toujours compter sur eux.

— Tant mieux, je suis contente pour toi.

— Et toi ?

— Ça va, la routine, répond-elle, évasive.

— Tu travailles toujours dans la boulangerie de Monsieur Paul ?

— Oui, mais j'ai peur qu'il prenne sa retraite et de tomber sur un patron qui ne veut pas de moi.

— Oh mais non, je suis sûre que ça va aller. Ne peut-il pas exiger que son successeur reprenne ses salariés ?

— Je ne sais pas, peut-être...

Je hoche la tête. Je ne trouve aucun autre sujet de conversation, c'est toujours la même rengaine avec elle, nous n'avons jamais su communiquer.

— Tu as quelqu'un dans ta vie ? s'enquiert-elle.

Je ricane avant de répondre :

— Non et ce n'est pas près d'arriver.

— Pourquoi ?

— Mes anciennes relations ne m'ont pas laissé un bon souvenir, j'affirme en plissant le nez.

— Tu sais, il ne faut pas s'arrêter à ce que tu as connu. Il suffit d'un homme pour tout changer. Le passé ne nous définit pas.

— Ouais, je réponds en levant les yeux au ciel.

Je sais que sa phrase possède une double connotation. Elle aimerait bien que ses antécédents ne la caractérisent pas. Qu'il ne lui rappelle pas sans cesse à quel point elle a été une mauvaise mère. Pourtant, c'est une mère lamentable et elle le sera toujours. Son passé la définit mieux que personne.

Je soupire. Je déteste avoir ce genre de raisonnement mais aucun autre choix ne s'impose à moi. Si j'oublie alors je la laisse gagner.

— Ally ?

— Oui ?

— Je sais que je n'ai pas toujours été présente pour toi et ta tante...

À l'entente de ce dernier mot, je stoppe ma marche, me tourne vers elle et lève une paume entre nous pour lui signifier qu'elle ferait mieux de se taire. Je suis incapable de m'exprimer tant ma gorge est nouée.

— Mais, Ally, on doit en discuter !

— Je t'interdis de parler d'elle ! je crie, la voix tremblante de rage, en lui lançant un regard noir.

Mort. Dépression. Abandon. Lydia. Lune. Cancer. Détresse. Résurrection. Tatouage Lunaire.

Toutes les images de ma vie antérieure se superposent sur ma rétine et s'enchaînent ; les pellicules de souvenirs s'engouffrent entre elles comme projetées sur un grand écran de cinéma. Une douleur lancinante s'infiltre sous ma carcasse. Elle me ramène à une époque qui a complètement transformé ma vision de l'existence.

— Ally..., implore ma mère en se rapprochant de moi.

Je recule instinctivement.

— Maman ! Écoute-moi bien parce-que je ne le répéterai pas une seconde fois. Tu m'as abandonnée et je ne l'oublierai jamais ! Tu devrais t'estimer heureuse que je t'adresse encore la parole et que j'accepte de te voir au moins une fois par an. Si tu mentionnes encore une seule fois Lydia, c'est fini. Tu pourras tirer un trait définitif sur ta fille ! On ne peut pas effacer le passé, on peut juste essayer de construire un nouveau futur qui, je l'espère, sera différent.

Elle acquiesce en silence. Je sais que ma réponse lui déplaît mais elle n'a aucun droit de protester, elle le sait pertinemment

Nous continuons à nous promener une bonne partie de l'après-midi en parlant de sujets tous plus superficiels les uns que les autres pour effacer cette altercation de nos mémoires respectives.

En guise d'au revoir, elle me prend brièvement dans ses bras mais je ne réponds pas à son geste d'affection.

Reprenant ma place au sein de mon véhicule, le besoin d'écouter une chanson se manifeste. Il faut que j'évacue toute cette colère et cette frustration.

Je branche mon téléphone à mon autoradio et opte pour The Void d'Andy Black, qui semble avoir été écrite pour conter la relation que j'entretiens avec cette personne que j'appelle « maman ».

Durant le trajet, je pleure, crie, extériorise toute cette souffrance que j'essaie de dissimuler jour après jour. Les sentiments se mêlent entre eux formant un nœud qui comprime mon cœur ; le faisant littéralement saigner.

Je stoppe la voiture, mon champ de vision étant brouillé par mes sanglots. Je porte une main à ma poitrine, sur cet organe qui ne demande qu'à battre. Je le serre de toutes mes forces pour atténuer la douleur. En vain.

Regardant autour de moi, je repère au loin la falaise qui se situe près de la plage. 

Mes pieds me mènent vers le bord de celle-ci. J'ai le vertige mais cette venette soulage mon esprit, prenant le dessus sur le tourment qui m'engloutit. Il n'y a personne. Pourtant, je me sens épiée. Cet intrus pense sûrement que je vais sauter et s'apprête à venir à mon secours. L'envie n'est pas loin. À la place je hurle — pliée en deux tant la douleur me consume — pour que ma souffrance se répande. Pour qu'elle fasse écho à quelqu'un qui a l'âme tout aussi tuméfiée que la mienne.

La pluie ne tarde pas à tomber mais je reste sur cette hauteur, le ciel se lamente en même temps que moi. Il partage ma peine. Les vagues forment un tumulte oppressant qui accompagne mes cris aberrants. Je ne fais plus qu'un avec la nature, qui pleure la perte d'un être parti bien trop tôt. Cette personne qui n'inspirait que la joie autour d'elle et qui maintenant nous plonge dans un désarroi sans nom. Je divague, me créant une allégorie qui n'a aucun sens mais qui revivifie tout de même mon âme.

Après m'être brisée la voix pendant une bonne heure, je rebrousse chemin pour rentrer chez moi. Trempée jusqu'aux os, épuisée, je prends une douche brûlante pour détendre mes muscles et apaiser mes plaies intérieures encore vives.

L'eau ruisselante me fait le plus grand bien et remet mes idées en place. Je ne dois plus me laisser abattre comme je le fais depuis quelque temps. Je ne dois plus survivre mais vivre, ne pas laisser ce spleen prendre le dessus sur ma vie.

Si j'en suis arrivée là, aujourd'hui, c'est grâce à moi et ma détermination. Lydia me disait toujours : « Ne laisse pas les autres dominer ton existence. Tu es la seule à pouvoir contrôler ta destinée ». Je me dois de lui faire honneur, elle n'aurait jamais supporté de me voir agir de la sorte.

Afin de rester sur une note positive, je m'installe confortablement dans mon canapé pour regarder des épisodes de Friends. Rapidement, la fatigue l'emporte et m'entraîne dans les bras de Morphée.

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