Chapitre 3 • Cigarettes, Dance & Fire
« I can't feel it anymore
'Cause recently the line is blurred
Between depression and bliss »
Wallows
L'expression qui se dépeint sur le visage d'Andy parle d'elle-même : il ne s'attendait pas à me trouver ici. Ses yeux humides indiquent que des larmes se sont échappées de ses paupières, récemment. Il semble désespéré, hanté par le chagrin. Cette tristesse est vite remplacée par la fureur quand il réalise que j'ai pu percevoir une faille chez lui.
Tout en passant une main dans sa chevelure d'ébène, il se dirige vers le fond de la cour, tête basse.
Nous sommes dans un endroit relativement spacieux, entouré d'un grillage. Des poubelles sont entreposées dans un angle. Un réverbère, se situant dans la rue adjacente, grésille. L'ambiance devient pesante et sinistre.
Andy me tourne le dos, s'accoude à un mur et sort un paquet de cigarettes de la poche arrière de son jean à l'aide de sa main libre. Il détient la seule et unique chose dont j'ai besoin pour décompresser.
— Tu en as une pour moi ?
Il remue légèrement. Dorénavant de profil, je l'aperçois prêt à porter une cigarette à sa bouche. À mon grand étonnement, il stoppe son geste et fait volte-face. Il s'approche de moi et me tend la clope que je récupère. Il en sort une nouvelle, l'allume puis souffle sa première bouffée dans l'air.
— Du feu ? je demande en haussant un sourcil.
Le musicien réduit l'espace qui nous sépare et se penche pour que nos visages soient face à face. Il positionne son briquet entre nous tout en maintenant sa cigarette de l'autre main, près de sa hanche. La flamme jaillit, nous éclairant tous les deux. Ainsi, je peux étudier à ma guise ses traits d'une finesse et d'une blancheur incroyables, on dirait un ange — seulement en apparence.
Je déglutis fortement, gênée par cette soudaine proximité et la véhémence qui se dégage de ses iris. À cet instant précis, j'ai la désagréable sensation qu'il pourrait me brûler vive tant il est habité par la rage. Je suis loin d'être rassérénée d'autant plus que la cause de sa hargne m'est totalement inconnue. Toutefois, sans fléchir, j'embrase ma cigarette à l'aide de l'étincelle créée par le coiffeur, ses yeux électrisants ne me quittent pas durant toute la manœuvre.
Le chanteur rompt ensuite notre contact visuel pour regagner sa place initiale.
Tandis que mes poumons s'imprègnent de la fumée, j'admire le ciel étoilé en silence. Perdue dans la contemplation de la lune pleine et menaçante, l'image du tatouage d'Andy s'ébauche lentement sur ma rétine. J'aimerais savoir ce qu'il signifie pour lui. Est-ce que, comme moi, il rend hommage à une personne chère ? A-t-il une réelle signification ? Pourquoi la lune est-elle représentée d'une façon si obscure ?
De nombreuses interrogations envahissent mon cerveau au sujet du nouveau venu alors qu'il n'a jamais prononcé le moindre mot à mon égard. Nous ne sommes pas liés, pourtant Andy m'intrigue depuis la première fois que je l'ai rencontré. Je ne parviens pas à le cerner, il est une énigme à lui tout seul. Il parvient à provoquer des émotions particulières en moi — que j'avais enfouies depuis longtemps — telles que l'affliction que j'ai éprouvée lors de sa performance ou la compassion au sujet de son histoire personnelle avec son père. Néanmoins, le sentiment dominant demeure l'animosité qui s'explique par son silence et sa façon d'agir. Pour synthétiser, cet homme m'agace.
Tout à coup, sans avoir pris le temps de gamberger, les mots s'échappent instantanément de mes lèvres :
— Tu ne parles vraiment jamais, hein ?
Mon ton est provocateur et aucune réplique ne m'est donné. Je soupire, consume ma dernière bouffée de tabac et écrase le mégot sous ma chaussure. Une main sur la poignée de la porte, je m'apprête à réintégrer l'enceinte du bar.
— Il faudrait que tu passes au salon une fois par semaine.
Cette voix éraillée... Un long frisson me parcourt l'échine, je le mets sur le compte de l'air extérieur qui se rafraîchit et non sur le fait qu'Andy s'adresse à moi, pour la première fois.
— Pardon ?! m'exclamé-je, les yeux ébahis de stupeur.
— J'ai dit qu'il fallait que tu viennes au salon une fois par semaine. Je suis peut-être muet mais toi, tu es clairement sourde comme un pot ! vocifère-t-il.
Sa riposte provoque un déchaînement de colère en moi. Je ne saisis pas son mutisme qui est clairement un choix et non une incapacité. Je ne comprends pas non plus pourquoi il ressent le besoin d'être en permanence désobligeant avec ses interlocuteurs.
J'aimerais le remettre vertement à sa place mais c'est un proche de Diego. Au nom de notre amitié, je me dois de respecter un minimum les personnes auxquelles il tient.
— Et pour quelle raison ?
— Pour suivre l'évolution de ta couleur puisque que c'est la première fois que j'effectue ce mélange.
— Pourquoi ne pas me l'avoir dit ce matin ?
Je n'ai que pour unique réponse, un léger mouvement d'épaules. Je risque de perdre mon sang froid si je reste ici. Il faut savoir que pendant toute la durée de notre conversation, Monsieur est resté dans son coin, à me tourner le dos, nonchalamment appuyé contre le mur.
Ce soir, je me sens particulièrement vulnérable. La chanson d'Andy m'a plongée dans un état second où la mélancolie étouffe mon cœur et mon esprit. Je réagis trop violemment face au comportement du jeune homme, j'en ai pleinement conscience. C'est la raison pour laquelle je retourne au sein du pub sans lui accorder plus d'importance.
Une fois à l'intérieur, je me dirige immédiatement vers mes amis.
— Ally ! Où étais-tu passée ? s'alarme Diego.
— J'étais dehors, j'avais besoin de prendre l'air.
— Et fumer, non ? renchérit Maryse dans un sourire.
— Ouais, ça faisait longtemps, je réponds en haussant les épaules. Alors, de quoi parliez-vous ?
Je me ré-installe auprès de Diego.
— J'essayais de savoir pourquoi Maryse tient tant à rénover sa boutique, répond malicieusement Diego.
— C'est entièrement faux. Il veut juste remettre cette discussion sur le tapis alors qu'il n'y a rien de si exceptionnel à ce que je veuille un peu de renouvellement. Je suis dans cette boutique depuis dix ans, je peux bien la modifier un peu, non ?
— Je trouve ça chouette que tu aies envie de changement, Maryse. Tu as tout à fait raison et je te soutiens à cent pour cent !
— Merci. Toi au moins, tu es une vraie amie ! déclare-t-elle en jetant un regard en biais à Diego avant que ce dernier ne s'esclaffe. En réalité, on parlait du ravissant chanteur qui nous accompagne ce soir et que je n'ai toujours pas eu l'occasion de rencontrer.
— De rien, je le pense sincèrement. Concernant notre cher ami, raillé-je, il est dehors, sûrement en train de ruminer.
Je n'aime pas la lueur qui se décèle dans le regard de mes amis. Ils doivent se figurer qu'on était ensemble, par choix.
— Je l'ai croisé au moment où je vous rejoignais, rectifié-je d'un ton morne, pour couper court à leur imagination débordante.
— On n'en doute pas... Ally, certifie Diego.
Le dialogue se poursuit entre nous tandis que de nouveaux artistes prennent d'assaut la scène musicale. Nous évoquons principalement les nouveautés que Maryse souhaite apporter à son magasin. Par la suite, le gérant du bar annonce que les concerts sont terminés. Une piste de danse est disponible pour les personnes qui le souhaitent.
Les titres s'enchaînent, Diego et Maryse s'amusent à observer les gens se trémousser avec entrain et maladresse sur le dancefloor. Lorsque le premier couplet de Pleaser du groupe Wallows débute, la fleuriste se lève et m'attrape par le poignet.
— Aaaah ! J'adore cette chanson. Ally, viens danser avec moi !
Je me laisse entraîner par mon amie, sans grande conviction. Me donner en spectacle n'est pas ma tasse de thé. Je ne suis pas à l'aise avec mon corps, je me trouve petite — je mesure un mètre soixante — et je suis complexée par mes formes disgracieuses. J'aurais pu avoir de belles fesses ou des hanches généreuses. En fait, j'ai plutôt du ventre et des vergetures. Ce genre de défauts ne fait clairement fantasmer personne sur cette planète, en particulier les hommes, ils me l'ont bien fait comprendre.
Cependant, en voyant Maryse bouger comme elle le fait, je lâche prise pour profiter de l'instant présent ; les yeux fermés, je me laisse bercer par la mélodie. Cette parenthèse pourrait me faire le plus grand bien après la soirée qui vient de s'écouler.
Je suis étonnée que Diego ne nous ait pas emboîté le pas. Il est toujours le premier à s'élancer sur la piste de danse. Je jette un coup d'œil à notre table et le découvre en grande discussion avec Andy. Ces deux-là s'entendent vraiment à merveille, ce n'est pas croyable !
Alors que je les toise depuis de nombreuses minutes, tout en continuant de me déhancher, le duo infernal relève la tête dans ma direction. Prise en flagrant délit d'espionnage, je rougis et intervertis ma place avec celle de la trentenaire pour ne plus être dans leur champ de vision. Très mature de ma part, je sais !
Après nous être déchaînées sur plusieurs chansons, Maryse et moi décidons de rejoindre les garçons.
— Salut ! dit-elle joyeusement, une main tendue vers Andy. Enchantée, je suis Maryse, la fleuriste du quartier. J'espère que tu te plairas parmi nous.
Ils échangent une rapide poignée de main.
— Andy, marmonne le brun.
— J'ai adoré ta chanson. Elle est très belle, ajoute-t-elle.
Elle cherche la mort ou quoi ? Il risque de la fusiller du regard jusqu'à ce qu'elle s'évapore sous nos yeux.
— Merci.
Je dois avouer que le musicien fait des efforts avec Maryse. Il a quand même réussi à prononcer deux mots, un miracle ! La magie a encore opéré avec mon amie.
— Et si on rentrait ? Je vous rappelle que demain, c'est samedi. Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons le plaisir de travailler alors que tout le monde profite de son week-end ! s'exclame Diego en tapant des mains pour nous motiver.
— Tu as raison, Diego. Toujours la voix de la sagesse, blagué-je.
— Haha très drôle ! D'ailleurs, puis-je rentrer avec toi ? Je suis arrivé avec Andy mais j'aimerais bien qu'on discute un peu.
— Euh... oui, d'accord, accepté-je, confuse.
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