Chapitre 87

Jour 98 : minuit passé

À moitié groggy, je ne distingue pas nettement ce qui se trouve autour de moi. Mes yeux à peine ouverts, je reconnais petit à petit ma chambre, presque plongée dans le noir.

Sans crier gare, tout me revient en mémoire, du moins c'est ce que je crois, car je commence à douter. Ai-je fait un cauchemar où est-ce que la perte de mon père a bien existé ?

Le problème, c'est que je ne comprends pas comment je me suis retrouvé dans mon lit avec pour seul habillement, mes sous-vêtements et un tee-shirt XXL qui ne m'appartient pas.

Par automatisme, je sens ce dernier et un time laps des événements me secoue, faisant battre mon cœur à mille à l'heure.

- Mon père... où est-ce qu'il est ?

Mes esprits retrouvés, je quitte mon lit et file dans la cuisine où j'espère le voir, en vain.

Tout cela se serait bel et bien passé ? Comment se fait-il que je sois rentrée chez moi comme si de rien n'était ?

- Tu es réveillée ? intervient une voix grave dans mon dos.

Surprise, je me retourne et entrevois dans la pénombre du couloir la moitié du visage de Louis.

Quasiment tétanisée, les seuls mots qui me viennent sortent de ma bouche d'une voix tremblante :

- Comment ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Le visage de Louis se tend, sa mâchoire se crispe et son regard s'assombrit. Il me fait peur et c'est bien la première fois depuis longtemps que cela arrive.

- Louis ?

- Il est parti.

- C'est tout ce que tu trouves à me dire ? je lui crie dessus, perdant le contrôle de mes émotions.

- Heavan...

J'esquive sa tentative d'approche, il me doit des réponses. À commencer par...

- Qu'est-ce que tu faisais là-bas, au même endroit que nous ?

- C'était une pure coïncidence.

- À d'autres ! Tu oses me mentir les yeux dans les yeux ?

- Très bien ! abdique celui-ci en soupirant. En réalité, je vous suivais.

- Pardon ? Tu nous espionnais ?

Son mutisme est révélateur. Le regard fuyant, j'ai la sensation qu'il me cache quelque chose.

- Si tu ne comptes pas me dire la vérité, alors j'exige que tu t'en ailles de chez moi.

- C'est plus compliqué que ça.

- Alors parle !

Ma patience a des limites, surtout quand je me rends compte qu'il ne me reste plus rien ici.

- Assieds-toi avant.

- Non ! Arrête de tourner autour du pot.

Est-ce que notre relation n'était que duperi ?

- Très bien ! s'écrit Louis. Je vais tout te raconter, mais calme-toi, s'il te plaît.

Nous nous lorgnons un petit moment avant que ce dernier ne reprenne la parole, d'un ton apaisé.

- En réalité, je tenais à te parler juste après que tu aies passé la soirée avec ton père. Alors, oui, je vous ai suivie pour pouvoir te voir au bon moment et quand tu serais enfin seule.

- Pourquoi ne pas m'avoir attendu à la maison ? Ou bien même m'appeler ou attendre le lendemain ?

- Je ne pouvais pas. Je voulais te parler de vive voix et le plus vite possible.

- Et donc ?

- Concrètement, je ne peux pas te dire ce qu'il s'est passé. Tout est allé très vite. Je vous voyais tous les deux, et d'un seul coup une lumière m'a aveuglé, et ça m'a abrutis plusieurs minutes. Je ne sais pas d'où cela a bien pu provenir, mais juste après ça, ton père n'était plus à tes côtés. J'ai accouru en te voyant tomber à terre. Je te promets que c'est tout ce que je sais.

- Mais c'est impossible ! C'est impossible de se volatiliser comme ça !

- Tu étais en état de choc, alors la police m'a conseillé de te ramener chez toi.

Alors c'est tout ? C'est aussi simple que ça ? Mon père disparaît et je me retrouve chez moi comme si j'avais simplement perdu mon sac à main ?

- Qu'est-ce que je vais devenir ? je me murmure, submergée par des sentiments contradictoires.

Je suis sens dessus dessous, j'ai peur de la suite, j'ai peur pour mon père, peur pour moi, pour ma vie. Je ne veux pas retourner vivre dans le Dakota, chez ma mère, mais je ne vais pas avoir le choix. J'ai l'impression que ma vie s'écroule comme un château de cartes.

En réalité, je ne suis qu'une égoïste. Mon père s'est évanoui dans la nature et je ne pense qu'à moi.

- Heavan ? Il ne faut pas que tu culpabilises.

- Aussi horrible que ça puisse l'être, ce n'est pas le cas. Je suis juste effrayée par ce qui m'attend, parce que mon père me protégeait en toute circonstance, comme si j'avais un bouclier permanent. Seulement, à présent, je me retrouve seule et sans protection.

- Je suis là, moi.

Le ton de sa voix, voilée et apaisante, a encore cet effet analgésique. Ce dernier s'accroupit face à moi, assise sur le canapé du salon, et pose ses mains sur mes genoux. Son toucher, aussi innocent, qu'il soit, me rappelle quelque chose. Une sensation que je pensais avoir perdue avec mon père, mais finalement, je retrouve la même chose chez Louis. Je ne l'ai jamais remarqué avant aujourd'hui.

Sans voix, mes yeux ancrés dans les siens, je ne retiens plus les larmes qui menaçaient de fissurer cette ultime carapace que j'arrivais encore à maintenir jusque-là.

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