Chapitre 77
Jour 83 : l'après-midi
Je n'arrive pas à détacher mes yeux de Louis, figé dans cette position de douleur, à moitié affalé contre la douche. Son regard semble perdu, voilé par l'épuisement et la douleur, comme s'il flottait entre conscience et inconscience. Chaque mouvement est un effort surhumain, chaque souffle un combat contre la souffrance. Mon cœur se sert à chaque râle étouffé qu'il laisse échapper. C'est trop brutal, trop violent.
Mon père, toujours immobile, me fixe, comme s'il réalisait à peine la gravité de la scène. J'arrive enfin à articuler, d'une voix tremblante :
– Je... Je vais appeler une ambulance...
Avant même que je puisse en dire davantage, ce dernier se précipite hors de la maison, sans un mot, comme si tout cela ne le concernait plus. C'est le claquement de la porte qui me fait sursauter et me ramène à la réalité.
Je retourne immédiatement mon attention vers Louis.
L'eau de la douche continue de couler, le bruit résonnant entre les parois. Tremblante, je m'agenouille devant lui et tends une main hésitante vers le robinet afin de couper l'eau. Son torse se soulève difficilement, sa respiration est irrégulière, son regard, vitreux, met quelques secondes à se poser sur moi, comme s'il me reconnaissait à peine.
– Louis ?
Celui-ci cligne lentement des paupières, comme s'il avait du mal à me reconnaître. Une seconde passe, puis une autre...
– Je vais t'aider, murmuré-je, la gorge nouée.
Louis ne répond pas tout de suite, son regard reste rivé sur moi, perdu. Comme s'il ne comprenait pas tout ce qui est en train de se passer.
Je m'efforce de le relever, mais son poids me fait chanceler. Ses muscles se contractent sous ma prise, un gémissement lui échappe lorsqu'il s'appuie contre moi ses cheveux dégoulinant sur mes vêtements. Je ressens sa chaleur contre mon corps, la moiteur de sa peau blessée. Il est brûlant, de douleur ou de fièvre, je ne saurais dire.
Louis s'accroche instinctivement à moi, une main crispée sur mon bras, comme s'il craignait que je le lâche.
Je le traîne jusqu'à sa chambre avec difficulté, l'accompagnant à chaque pas. Lorsqu'il s'effondre sur son lit, ce dernier laisse échapper un long soupir et ses paupières se ferment aussitôt. Pendant un instant, j'ai peur qu'il perde connaissance. Alors je lui parle en espérant que ça le réveille un peu :
– Il faut que j'appelle une ambulance, la police, ou les pom...
– Heavan...
Sa réponse n'est qu'un chuchotement, rauque et brisée. Je me penche immédiatement vers lui, inquiète.
– Tu tiens vraiment... commence-t-il en grimaçant... À ce que ton père ait des problèmes ?
Les lèvres à peine entrouvertes, il a du mal à parler. Chaque mot est un effort, mais il a raison. Je n'avais pas pensé à ça.
– Tu dois être soigné, Louis ! Il faut qu'on appelle quelqu'un !
– La boîte à pharmacie... Dans la salle de bain... Elle est blanche... souffle-t-il en toussotant.
Je file chercher la boîte, mon cœur battant la chamade. Mes mains tremblent tandis que je fouille, paniquée. Lorsque je la trouve enfin, j'attrape tout ce qui me semble nécessaire : compresses, désinfectant, bandages.
En revenant dans la chambre, je le trouve toujours allongé, ses yeux mi-clos, sa respiration saccadée.
– Ça risque de piquer, expliqué-je d'une voix peu assurée.
– J'ai connu pire... murmure-t-il dans un souffle.
Je sais que c'est vrai, mais ça ne rend pas la scène plus supportable.
Je commence à nettoyer ses plaies. Son cou, son visage... Je suis obligée d'appuyer un peu alors il tressaille sous mes doigts. Son corps se raidit brièvement, de léger frissons le parcourant. Je remarque sa mâchoire crispée, je ne sais pas comment il fait, mais il ne laisse échapper aucun gémissement.
– Je suis désolée, dis-je, les larmes aux yeux.
Louis ouvre lentement les yeux pour m'observer un instant.
– Qu'est-ce que tu racontes encore ? Susurre-t-il, visiblement à bout de forces.
– Je t'ai dit que ton père était ignoble, et... et mon propre père te fait subir la même chose.
Son regard se trouble. Il veut répondre, mais sa gorge se contracte. Alors, au lieu de parler, il lève lentement sa main et la pose sur mon poignet, ses doigts glacés se refermant sur de ma peau.
– Tu n'as rien à voir avec ça, souffle-t-il.
Je continue à nettoyer ses plaies, tentant d'ignorer ce contact brûlant sur moi. Cependant, lorsque je veux m'attaquer aux blessures plus profondes, j'hésite un instant.
– Il faut que j'enlève ton tee-shirt, ça va aller ?
Un long silence s'ensuit, puis Louis acquiesce lentement.
Prenant une grande inspiration , je soulève le tissu, mes doigts frôlant malgré moi sa peau meurtrie. Celui-ci tressaille légèrement tandis que je découvre d'énormes ecchymoses sur son torse, et des coupures plus nettes sur ses bras.
Je déglutis difficilement.
– Avec quoi il t'a fait ça ?
Pour seule réponse, il hausse les épaules.
– Rien... Il n'a pas cessé de frapper...
Son ton est détaché, presque résigné. Comme si ça n'avait pas d'importance.
Je sens ma gorge se nouer, chaque contact entre nous est empreint d'une tension silencieuse. Il a parfois un sursaut, son corps réagissant malgré lui à la douleur, et ses doigts viennent à plusieurs reprises effleurer les miens.
Quand j'ai enfin terminé, je me redresse en soupirant.
– Je vais te chercher un peu d'eau, il faut... Il faut que tu t'hydrates, balbutié-je, à bout de nerfs.
Je me précipite dans la cuisine à bout de nerfs. Les yeux clos, les doigts accrochés sur le rebord du plan de travail, je tente de respirer un bon coup. Seulement, l'image de Louis, affalé sur son lit, refuse de quitter mon esprit.
Un bruit sourd me fait sursauter et me ramène à la dure réalité. Des plaintes me parviennent de la chambre, alors que mon cœur s'emballe de nouveau. Paniquée, je me précipite dans la chambre et m'aperçois que Louis essaye de se redresser.
– Non ! crié-je. Rassis-toi tout de suite !
– Heavan, je ne suis pas en sucre... Proteste-t-il, la voix faiblarde.
Il veut se lever, mais son corps ne le suit pas, il finit par tituber tandis que je le rattrape immédiatement. Nos corps se retrouvent proches, son souffle chaud effleure ma peau.
Pourquoi son contact me fait-il toujours cet effet ?
– Tu dois te reposer, Louis...
Celui-ci ferme brièvement les yeux, puis, dans un soupir las, glisse un bras autour de ma taille et m'attire doucement contre lui.
– Heavan, arrête... Je vais bien...
– Je veux savoir, Louis, murmuré-je tel une faveur, dis-moi ce qu'il s'est passé exactement.
Ses mains dans mon dos se crispent, de même pour son corps. Néanmoins, il finit par céder.
– J'allais te dissuader de me le demander, mais tu es têtue comme une mule... soupire-t-il. Alors... Je vais faire court. Très court, Heavan.
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