Chapitre 59
Jour 71 : Lundi midi
La matinée est longue, je ne cesse de fixer les places que devrait occuper Louis face à son absence. C'est étrange, mais je me sens vide, comme si j'avais oublié quelque chose d'important chez moi.
Et puis une boule se crée au creux de mon estomac devant ce mutisme inhabituel. Le dernier cours ne me semble plus du tout important, au point que je ne pense qu'à partir.
Toutefois, l'heure sonne le glas. Je me précipite le plus vite possible à l'extérieur afin de pouvoir respirer un air pur et rafraîchissant autant pour moi que pour mon esprit. Il faut que je me remette les idées en place et rapidement !
Je ne vais pas pouvoir continuer à me ronger pour un garçon alors que mon avenir dépend uniquement de ma scolarité et non pas de mes relations amoureuses et amicales.
Au bout de cinq minutes, je m'efforce de retourner dans l'enceinte de l'établissement peu envieuse d'endurer les cours de l'après-midi.
Les escaliers me menant jusqu'au centre de documentation me semblent interminables. Arrivée entre deux étages, je jette un œil devant moi alors que j'aperçois au fil de mon ascension deux jambes, puis un buste et enfin un visage. Un visage tout sourire face à ma mine déconfite.
– Tu es là...
Les mots sortent d'eux-mêmes de ma bouche, sans que je ne puisse les contrôler.
Son sourire s'étire un peu plus, tandis que j'entame précipitamment les dernières marches qui nous séparent et que je m'écroule dans ses bras ouverts.
J'ai enfin retrouvé ce qui me manquait durant toute cette foutue matinée.
– Et si on rattrapait le temps ? murmure-t-il à mon oreille en me reposant au sol.
Sans me faire prier, j'acquiesce et me laisse guider.
Nous traversons la cour désertée par des élèves affamés, nous laissant le champ libre pour profiter en toute quiétude de nos retrouvailles.
Ces neuf derniers jours sans le voir n'ont pas été difficiles en soi, mais fréquenter un endroit où l'on a l'habitude de se côtoyer au quotidien est bien plus compliqué à supporter.
Sans mot dire, nous tenant seulement la main, nous nous engouffrons dans la salle de musique. À l'instant même, aucun malaise ne fait son apparition, la joie de le revoir, d'être en sa compagnie est certainement plus forte que cela. C'est alors que je me rends compte que c'est exactement ça qu'il me faut comme issue à mes maux de tous les jours.
La porte fermée, Louis se retourne vers moi et m'observe, comme à son habitude, mais aujourd'hui, j'arrive à maintenir son regard. Ce rictus, qui m'avait tant manqué, réapparaît alors au coin de ses lèvres alors qu'il me tend sa main droite.
Une invitation à quoi ?
Je regarde celle-ci, non pas méfiante, je m'interroge seulement.
Toujours aucune parole n'est prononcée entre nous et ça me va. Beaucoup de personnes seraient gênées par ce silence qu'ils définiraient comme pesant, mais moi, cela m'apaise et Louis le sait.
Un simple regard suffit entre nous.
À pas feutré, je touche le bout de ses doigts, puis glisse les miens petit à petit vers sa paume jusqu'à ce qu'ils les emprisonnent.
C'est exactement comme si un humain tentait d'apprivoiser un cheval sauvage. J'ai cette vision-là dans ma tête, mais c'est en tout point ce qu'il se passe. Nous nous apprivoisons. J'avoue être la plus compliquée des deux, mais le principal, c'est que nous nous comprenons comme ça. Ce que je n'ai jamais connu.
Ma main dans la sienne, c'est lui qui brise le petit espace qu'il y a entre nous en s'approchant de moi. Le silence et les actes sont bien plus forts que les mots, j'en ai la preuve.
La tête enfouie contre son torse, ses bras enroulés autour de ma ridicule silhouette, je ne sais pas combien de temps nous restons dans cette position. Tout ce que je sais, c'est que je suis bien. Je suis sur un nuage où un doux duvet m'enveloppe tout entière. Les yeux clos, je profite de chaque petite seconde qui m'est donnée avant qu'il ne disparaisse.
Un bruit de notification m’arrache soudainement à ma rêverie. L'ignorant dans un premier temps, la sonnerie de celui-ci s'intensifie dans la pièce et continuera jusqu'à ce que j'ouvre le message. Alors que je m'extirpe de ses bras, je remarque qu'il s'agit d'une vidéo partagée sur les réseaux sociaux en message privé
Ça vient d'Angel ? Qu'a-t-elle pu m'envoyer ?
Mon estomac se serre. Un frisson parcourt mes bras quand j'ouvre le lien de la vidéo alors que Louis tente de risposter
– Attends, tu ne pourrais pas oublier ton téléphone seulement deux minutes ?
Seulement, je ne fais pas attention à lui, car les premiers mots qui résonnent dans la pièce me font d'abord froid dans le dos. Puis, c'est comme une onde de choc.
Je le reconnais immédiatement : la voix de Louis, dure, menaçante, ce ton que je n'avais encore jamais entendu. Tout est claire, il s'adresse à elle :
– Écoute-moi bien, Angel. Je ne vais pas hausser la voix, ni faire de scène, parce que j'ai d'autres priorités pour ce soir... Mais il y a une chose que tu dois comprendre et que je vais te dire très clairement...
Je me fige en jetant un oeil à l'intéressé. L'entendre de la sorte me prend au tripes. La colère, la menace, tout est là. Tout ce que je n'avais jamais imaginé de lui. C'est déroutant.
Pourtant, en écoutant ses paroles plus attentivement, quelque chose d'autre se fait entendre au-delà de la menace. Il y a une sincérité, une profondeur qui m'échappe. La manière dont il me défend résonne en moi d'une manière que je n'avais pas perçue jusque-là.
– Heavan, c'est mon affaire. Tu la blesses, tu m'atteins...
C'est là que tout se cristallise. La dureté de ses mots, mais aussi la réalité de ce qu'il ressent. J'ai l'impression d’entendre ce qu'il n’a jamais dit clairement, mais ce qu’il a peut-être toujours voulu faire passer : il tient à moi ?
Je tourne le téléphone vers Louis, qui est toujours là, juste devant moi, tendue et immobile.
– Louis... soufflé-je presque incrédule, tout en lui tendant le téléphone.
J'observe son regard devenu entre temps plus sombre, un voile d'angoisse marquant son visage.
Les mots qu'il m'avait dits en privé prennent un tout autre sens maintenant. Je suis émue, je suis touchée. Louis est sincère. Les mots sont durs, mais c’est lui, et il fait tout cela juste pour moi ?
– C'était pour la recadrer... murmure-t-il, plus bas, presque comme une confession, c'était nécessaires.
Je n'avais jamais vu Louis sous cet angle, et c'est ce qui me fait enfin comprendre à quel point je compte pour lui, malgré tout ce que je croyais.
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