Chapitre 20
Jour 19 : le midi
Émoussée, presque hagarde, je suis à nouveau dans tous mes états. Immobile, je n’ose plus faire un geste. Même lever les yeux vers lui me semble insurmontable. Quelle honte... Moi qui me sentais d’humeur vengeresse il y a à peine quelques instants, me voilà réduite au silence, enfermée dans ma carapace comme une huître effrayée.
En catimini, je l’observe. Louis semble porter la même tenue qu’hier, mais ce n'est qu'une apparence. En réalité, il est différent chaque jour. Quelque chose en lui change chaque jour, une infime variation dans son attitude, son regard, son énergie.
Je sens son regard peser sur moi, insistant, presque palpable. Ses yeux gris-vert, si perçants qu’ils semblent sonder mon âme, m’intimident. Je détourne la tête, feignant une concentration sur le vide devant moi, et m’efforce de l’ignorer. C’est plus difficile que je ne le pensais. Mon cœur tambourine violemment, mais je me répète mentalement que je dois tenir bon.
– Tu comptes m’ignorer encore longtemps ? lâche-t-il, sa voix grave brisant le silence.
Mon souffle se bloque. Pourquoi faut-il qu’il envahisse toujours mon espace ? Pourquoi vient-il me chercher, ici, dans mon refuge, à l’abri des regards ? Pourquoi s’intéresse-t-il à moi en secret, pour mieux m’ignorer le reste du temps ? Je pince les lèvres, une cascade de questions s’entrechoque dans ma tête.
Je secoue négativement la tête, incapable de lui répondre. Pourtant, je me force à lever brièvement les yeux, par simple politesse. Et là, nos regards se croisent. Une étrange connexion s’établit, silencieuse, inexplicable. Son regard me happe, me plonge dans un monde inconnu et ensorcelant. Il a cette aura magnétique qui m’enveloppe et me rend faible.
Je lutte contre cette attraction presque irréelle. Ce garçon a un don pour ébranler mes certitudes, pour me rendre nerveuse d’une manière qui m’est insupportable. A-t-il conscience de son pouvoir sur moi ? Est-ce un jeu pour lui ?
C’est pour ça que je préfère le fuir. Faire face à Louis, c’est comme risquer de me perdre un peu plus à chaque seconde. Il me déstabilise, il me fait divaguer, me fait perdre le peu de certitude qu'il me reste et je déteste ça. Il est sans doute du genre à faire tourner les têtes, mais je refuse d’être une conquête de plus dans sa collection.
Et puis, soyons réalistes. Qu’est-ce que j’ai de plus que les autres filles du lycée ? Rien. Absolument rien. Je suis d’une banalité affligeante. Je ne suis pas drôle, ni particulièrement sociable. Je n’ai pas de passe-temps en commun avec les autres. Même mon père dit que je suis trop renfermée. Alors pourquoi lui, Louis Sträff, s’intéresserait-il à moi ?
En vérité, nous sommes aux antipodes. Je le sais, et c’est précisément pour ça que je méprise ce tourbillon d’émotions qu’il fait naître en moi. Quand il est là, mon univers vacille, mon contrôle s’effrite. Pourtant… il réussit à me faire sentir vivante, d’une manière qui me bouleverse autant qu’elle m’effraie.
– Qu'est-ce que tu as ? me questionne-t-il en haussant les sourcils, ses yeux toujours ancrés aux miens.
Sa question me prend de court. Je fouille nerveusement dans mon sac, espérant que ce geste anodin détournera son attention.
– Rien, bafouillé-je d’une voix mal assurée, en sortant mes affaires pour me donner une contenance.
Mais Louis n’en reste pas là.
– S’il te plaît, murmure-t-il, et cette fois, sa voix est plus délicate, plus intime
Je relève les yeux, troublée. Il y a quelque chose dans son ton, dans la manière dont il me parle, qui fend la carapace que je m’efforce de maintenir
Malgré ma résistance et ma lutte acharnée afin de maintenir mon objectif, je n'y arrive pas. Il a trouvé ma faille et cela me fait peur.
– Je veux juste te comprendre un peu mieux, continue-t-il, son regard s’adoucissant. Aller au-delà des sous-entendus. Pas toi ?
Je tente de rester muette...
– Parce que, ajoute-t-il en se penchant légèrement vers moi, ça me contrarie que tu m’ignores en permanence.
Son honnêteté brute me désarme. Un frisson parcourt ma colonne. Il a trouvé ma faille, et je déteste ça. Je déteste la manière dont il me fait vaciller, dont il met à nu cette part de moi que je veux garder cachée.
Et pourtant, une voix dans ma tête me presse de lui répondre.
Les mots de Louis flottent dans l’air, lourds de sens et de quelque chose que je n’arrive pas à identifier. Je devrais me lever, fuir cette table, fuir cette conversation, mais mes jambes refusent de bouger.
– Pourquoi ça te contrarie ? demandé-je finalement, ma voix à peine plus haute qu’un chuchotement.
Celui-ci incline légèrement la tête, comme s’il évaluait ma question.
– Parce que je te trouve… différente, répond-il après un silence, tu n'es pas comme les autres.
Je sens mon cœur rater un battement. Cette réponse, bien qu’ambiguë, me désarçonne complètement. Différente ? Qu’est-ce que ça veut dire, au juste ?
– Différente… comment ? insisté-je, incapable de cacher la pointe de curiosité dans ma voix.
Son regard devient plus intense, plus sérieux.
– Tu es... authentique, finit-il par dire, tu ne joues pas un rôle. Tu es toi-même, et ça, ça me fascine.
Je reste interdite, mes pensées en désordre. Comment peut-il dire ça, lui, le garçon qui semble avoir le monde à ses pieds ? Que peut-il bien voir en moi ?
– Tu ne me connais pas, rétorqué-je doucement, presque en retrait.
Un sourire énigmatique effleure ses lèvres.
– Peut-être pas encore. Mais j’aimerais bien.
Ces mots, simples mais si puissants, s’infiltrent dans mon esprit. Je ne sais pas quoi répondre. J'ai envie de croire à sa sincérité, mais d'un autre côté, je reste prudente et me méfie.
Je détourne le regard, les joues en feu, et replonge dans mes affaires, espérant clore ce moment avant qu’il ne me fasse flancher davantage.
– Réfléchis-y, dit-il finalement, brisant le silence, je ne te demande rien de plus.
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