Chapitre 2

Jour 1 : l'après-midi

Je ne saurais mettre des mots sur ce que je ressens en cet instant, mais mon cœur parle pour moi. Ce que je sais, c'est que je n'arrive pas à chasser de mon esprit ce visage qui se détache des autres.

Comment une personne de chair et d'os peut-elle sembler si inaccessible, presque irréelle ?

Tout l'après-midi, mes pensées sont parasitées par sa présence. Je ne peux m'empêcher de l'observer du coin de l'œil durant chaque cours. C'est plus fort que moi : ce garçon m'intrigue, même si son comportement n'a rien d'accueillant.

Je suis invisible aux yeux des gens, ce type lui-même ne m'a même pas remarquée, de plus j'ai toujours cette impression que l'on me toise avec dédain et moqueries.

Lorsque la pause arrive, je sors de la salle, étouffée par la promiscuité. Cet espace exigu, ces visages inconnus... Je ne peux pas encore m'y faire. J'inspire profondément dans un coin du couloir, à l'écart. Quelques élèves passent, certains m'adressant des regards gouailleur.

Comme si être blemmophobe était facile au quotidien.

Idiots. Je parie qu'ils ignorent tout de ce malaise profond. Comment peut-on rire d'un mal qu'on ne comprend même pas ?

Je baisse les yeux pour fuir leurs regards, puis la tête, recroquevillée sur moi-même. Mes angoisses m'envahissent encore et cela m'épuise énormément.

- Hé ! Ça va ?

C'est une voix masculine, grave et douce à la fois qui s'adresser à moi. Mes muscles se tendent malgré moi. Mon état n'est pas passé inaperçu, mais je dois me reprendre. Il n'est pas question que je devienne la risée du lycée.

- Tu devrais revenir, le cours va reprendre.

J'acquiesce sans lever la tête vers cette personne complaisante. Il a raison. Si je traîne, je vais attirer davantage l'attention. Lentement, je me relève et lui emboîte le pas. Mon cœur battant la chamade.

*

Enfin, l'après-midi touche à sa fin. Angel est partie rejoindre ses copines, et je me retrouve seule. Il est à peine seize heures, mais malgré cette journée éprouvante, je n'ai aucune envie de rentrer chez moi. Mon père ne termine pas avant dix-huit heures, alors j'ai deux bonnes heures à tuer.

Direction le CDI.

Ce midi, je n'ai pas eu le temps d'emprunter les livres qui m'attiraient. Je compte bien rattraper cette erreur. Parmi les étagères, je fais mon choix : Les Hauts de Hurlevent, Thérèse Raquin, Madame Bovary. Trois classiques parmi tant d'autres..

C'est dur de se limiter à quelques ouvrages, mais je me console en me disant que j'ai toute l'année pour explorer la littérature française. Encore faut-il trouver le temps entre les dissertations et les devoirs de la section littéraire.

Après avoir remercié la documentaliste, je sors, les bras chargés de mes trouvailles. Je suis si absorbée par mes pensées que je percute quelqu'un de plein fouet, mes livres tombant au sol dans un fracas terrible.

Mon Dieu ! Ils vont s'abîmer, s'écorner, se déchirer... Et la reliure ! N'en parlons même pas !

- De Grandes Espérances ? Qui lit ça de nos jours ? se moque une voix masculine, pendant que je ramasse mes affaires.

- Il n'y a pas de date limite pour des œuvres comme celles...

En me relevant, je plonge mes yeux dans les siens, mais mes mots s'évanouissent et plus rien ne me vient en tête.

Qu'est-ce que je voulais rétorquer déjà ?

Je regarde mes livres qu'il tient dans ses mains, me levant lentement comme assommée. Comment lui demander de me les rendre sans bafouiller ? La chaleur me monte aux joues, j'ose à peine parler, ni même poser mes yeux sur lui. Comme par hasard, il a fallu que je tombe sur ce garçon et personne d'autre.

Il me désarçonne tellement que je ne sais plus où me mettre. Tout ce que je fais, c'est de fixer le sol dans l'attente qu'il me rendre mes biens.

Pendant ce temps-là, je le sens s'attarder sur ma petite stature, alors j'en fait de même. Il a un regard opaque, mais d'un vert impénétrable et d'un gris profond que j'ai pu observer à loisir plus tôt dans la matinée.

Il est vraiment différent sous toutes les coutures. Ses mains, qui tiennent mes bouquins, sont vernies en noir, il porte une longue boucle d'oreille sur un lobe, le contour de ses yeux semblent être noirci et plusieurs colliers de toutes les longueurs pendent à son cou. Quant à son style vestimentaire, il oscille entre un genre victorien, un steampunk, mais avec une touche de moderne. Cela semble très étrange au premier abord, mais ça lui sied plutôt bien.

Il tient mes livres dans ses mains. Lentement, je me redresse, incapable de soutenir son regard plus de quelques secondes. C'est lui. Évidemment, il fallait que ce soit lui.

Je relève la tête, prête à répliquer, mais mes mots se bloquent dans ma gorge. Mes yeux rencontrent les siens, et tout s'efface.

Sa présence me déstabilise au point que mes mains tremblent. Alors je me force à tendre la main pour récupérer mes livres, espérant contrôler au mieux mon malaise.

- Sacrées emplettes, sourit-il, alors que j'ose de nouveau le regarder dans les yeux.

Sa remarque me prend de court. Ce n'est pas une moquerie. Juste une observation.

- Merci, murmuré-je finalement.

- De rien.

Il me rend mes livres, mais avant de partir, il ajoute :

- Au fait, ça va mieux ? Tout à l'heure, à la pause, tu avais l'air... mal en point.

Je bafouille une réponse, surprise qu'il ait remarqué mon état plus tôt.

- Ça va. Merci.

Il me fixe un instant, un sourire poli sur les lèvres, puis tourne les talons. Je reste là, clouée sur place, incapable de détacher mes yeux de sa silhouette qui s'éloigne.

Il est si étrange. Renfermé, mais souriant. Froid, mais attentionné. Comment peut-on être à la fois aussi distant et aussi fascinant ?

La sonnerie retentit, me ramenant brutalement à la réalité.

- Mince ! Je dois rentrer avant que mon père ne s'inquiète !

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