⭐59. Écoute-moi !

Dès l'instant où je refermai la porte et qu'elle posa les yeux sur moi, je savais que j'avais des problèmes...
— Salut ! prononçai-je avec circonspection.
Je ne voyais pas vraiment quoi dire d'autre. Et pour être honnête, j'avais peur.
— Salut, répondit-elle d'une voix atone en me détaillant avec un visage tout aussi inexpressif.
— Ça va ? tentai-je de retarder l'explosion.
Elle ne répliqua pas tout de suite, mais elle se passa de préférence les doigts dans les cheveux en fermant les yeux ; comme si elle luttait pour maîtriser sa respiration. Lorsqu'elle releva les paupières, elle évita toutefois de croiser mon regard en annonçant :
— Tu as laissé ton téléphone ce matin.
— Ah ! feignis-je l'étonnement. J'avais bien l'impression d'avoir oublié quelque chose. Il est où ?
— Là où tu l'as laissé : sur ton lit. J'y ai pas touché ; c'est ton lit, ton téléphone. Tout ce qui est ici est à toi.
Nous y voilà !
— Sara, écoute...
— En fait, j'y avais touché, rectifia-t-elle en laissant lourdement ses mains retomber contre son corps. Comme j'avais dormi dans la chambre, je trouvais donc normal de ranger un peu. Puis j'ai remarqué ton portable lorsque l'écran de celui-ci s'est allumé. T'avais reçu un nouveau message.
Elle se passa encore une fois les mains dans les cheveux en se mordant la lèvre inférieure. Tout ce calme apparent n'augurait rien de bon. La tempête ne devait pas être bien loin.
J'ignorais ce qu'elle avait dû voir exactement, mais je n'avais aucun doute sur l'identité de mon expéditeur.
— Sara, murmurai-je avec prudence. Je...
— Tais-toi, fit-elle en levant la main.
— Je vais tout t'expliquer, promis-je d'un ton implorant.
— Je t'ai dit de la fermer ! cria-t-elle et je m'immobilisai. Ne me sors pas une idiotie que je vais m'empresser de gober, à cause de ces putains de sentiments que j'ai pour toi !
— Mais moi aussi, j'ai des sentiments pour toi. Je t'aime !
Je m'étais remis à avancer à petits pas, comme on approchait d'un territoire miné. Sauf que dans ce cas, la mine était Sara et lorsque je parvins à mi-chemin, elle explosa. D'un geste rapide, elle avait enlevé ses bottines, pour ensuite les envoyer l'une après l'autre dans ma direction.
— Ne m'approche pas ! gueula-t-elle.
— Sara, merde ! pestai-je après en avoir évité une de justesse.
— Je stresse comme pour mon premier rendez-vous. J'ai tellement hâte que tu arrives... gnagnagna, cita-t-elle d'un ton aussi ironique que tranchant. Ça a été votre petite rencontre ? C'est quoi le putain de problème avec toi, finalement ? Qu'est-ce que je n'ai pas fait pour te satisfaire ?
— Sara, ce n'est pas...
— Je me suis dit, c'est une rockstar, me coupa-t-elle en relatant tout ça à grand renfort de gestes. Il est habitué aux plus grosses salopes. Tu n'es pas aussi bonne qu'elles, mais donne tout, Sara. S'il ne manque de rien, il n'ira pas chercher ailleurs. Mais j'aurais dû savoir qu'un connard restait un connard. De quoi t'a manqué, nom de Dieu ? hurla-t-elle avec des sanglots dans la voix.
Elle s'était mise à pleurer et je me passai vigourement les mains dans les cheveux, impuissant. Ce que je redoutais tant était arrivé : elle avait mal.
— Je t'ai sucé dans les toilettes de notre avion ! brailla-t-elle.
— Sara...
— Je fais tout pour toujours te combler. Pourquoi être allé voir cette pétasse ? C'est parce que j'ai mes règles ? pleura-t-elle. Rick, ça me brise le cœur, putain. Je ne te suffirais donc jamais ?
— S'il te plaît ! Écoute-m...
Elle s'était mise à faire les cent pas dans le vestibule et à déblatérer sans pause comme une folle.
— Tes fans avaient raison : je ne suis personne. Comment avais-je pu penser que je pouvais te changer ? Je me sens inutile. J'ai mal. Je ne suffis jamais à personne. Elle a de gros seins, c'est ça ?
— Écoute-moi, putain ! criai-je et elle s'immobilisa. Je t'ai dit de m'écouter, repris-je plus bas, mais avec fermeté. Je ne te trompe pas. Je t'aime trop, Sara. Les messages viennent de... quelqu'un de mon passé. Oui, j'ai répondu à l'appel et je regrette. Mais je ne suis pas allé à ce rendez-vous... Pour toi. Parce que t'as raison : tu me gâtes ; j'ai tout ce que je veux à tes côtés... Et tu me suffis, bon sang ! D'où tu sors avec ça ?
Elle pouffa et je me passai les mains sur le visage de frustration. Ça allait être plus compliqué que je ne le pensais.
— Ce n'est pas une fille, admis-je en baissant les yeux.
— Quoi ? m'interrogea-t-elle en plissant le front.
— M.S. n'est pas une fille, mais un mec.
Voilà, je l'avais dit. Et non, je ne me sentais pas mieux, au contraire, je le regrettais déjà. En particulier, lorsqu'elle s'étrangla :
— Tu...
Avant de mettre ses mains devant sa bouche.
Malheureusement, je ne pus interpréter si c'était un geste de surprise ou de dégoût. Mais puisque j'avais commencé à crever l'abcès ; autant le faire jusqu'au bout.
— Le mariage, à la base, c'était pour le cacher. Je suis désolé de t'avoir menti. Mais c'est fini. Je ne le vois plus.
C'était tout son visage qu'elle couvrait désormais, comme si elle était en train de souhaiter que tout ceci ne soit qu'un rêve. Moi, je restais sur place, complètement gaga, ne sachant plus trop quoi décider.
— Depuis quand ça dure ? finit-elle par demander d'un ton détaché que je trouvai suspect.
— Ça n'a pas d'importance.
— Tu le vois depuis combien de temps ? répéta-t-elle en me fusillant du regard.
— Je... à peu près un an, bafouillai-je, mal à l'aise.
— Donc tu aimes ça ?
— Sara...
— Donc tu es bi ? Ou alors t'es totalement gay, mais les filles comme moi te servent de couverture ? Ce qu'on a vécu, était-ce au moins réel ? s'enquit-elle d'une voix chevrotante, comme si ma réponse détenait son droit de vie et de mort.
Sa question m'avait vraiment blessé. Comment pouvait-elle en douter ? Je n'avais jamais rien connu de si vrai de toute mon existence ; je croyais qu'elle le savait. Personne ne pourrait être si bon acteur, pas même moi...
— Tout était réel, Sara.T'es mon premier grand amour... Mon seul amour.
J'essayai de nouveau de l'approcher tout en parlant, mais encore une fois elle me stoppa :
— Reste où tu es !
J'obtempérai à contrecœur, bien qu'elle n'avait plus rien de lourd à portée de main.
— OK, d'accord. Allons dehors dans le patio, on s'assiéra et on discutera calmement.
— Tu ne m'approcheras pas avec l'odeur d'une autre sur toi, clama-t-elle en me pointant du doigt... Ou plutôt, d'un autre, s'empressa-t-elle de corriger en se prenant la tête entre les mains. Putain, pourquoi moi ?
Elle s'était remise à pleurer et à faire des allers-retours de tarée.
— Parlons-en calmement, s'il te plaît, la priai-je. Je n'ai aucune autre odeur sur moi, puisque je te l'ai déjà dit : je ne te trompe pas... Ni avec lui, ni avec personne. Je t'aime, putain.
Je commençais sérieusement à me lasser de répéter la même chose encore et encore. Le pire, c'était qu'elle ne semblait pas écouter un seul mot de ce que je disais. Mon irritation atteignit alors le plafond lorsqu'elle fit écho aux paroles de Monica d'une voix sanglotante :
— Tu m'aimes vraiment ou tu dis ça parce que c'est plus facile que d'annoncer à tout le monde que tu...
— Que veux-tu que je fasse, merde ? explosai-je. Tu m'écoutes au moins quand je te parle ? Je t'aime, je te l'ai montré, je te l'ai dit. Oui, je t'ai caché que j'aimais les hommes. Justement, c'était parce que je redoutais ce genre de réaction. Je ne voulais pas que tu te mettes à douter, alors qu'il n'y a absolument aucune raison de le faire. Je m'en fous de ce qui est logique ou pas. C'est toi que je veux.
— Je ressemble à un mec ? se vexa-t-elle en se touchant la poitrine. Tu dis ça parce que j'ai pas de gros seins ? Quand tu es avec moi... Tu penses à...
Elle n'avait rien écouté. Elle n'avait capté aucun putain de mots de ce que j'avais dit, ou alors elle les avait tout bonnement ignorés. Pris d'un violent accès de rage, je fichai par terre l'une des vases géantes de l'entrée et elle sursauta.
— Arrête avec ces conneries ! hurlai-je, hors de moi. Oui, t'as vu un putain de message. Mais je t'ai dit que je ne suis pas allé le voir. Que veux-tu d'autre ? Un tatouage, ou alors que j'efface mon passé ? D'accord, lui et moi, on couchait ensemble et j'ai aimé, plus qu'avec n'importe quelle fille avant toi. Mais voilà, j'ai dit : avant toi. T'as bouleversé mon monde, Hood. Tu veux que je l'écrive sur mon corps ? Bien ! Maintenant arrête de créer des problèmes là où il n'y en a pas. J'ai mal à la tête et tu me casses les couilles.
Elle me dévisagea quelques secondes avec ses yeux choqués et larmoyants. Ensuite, elle recula de quelques pas, puis enfin, elle détala.
Fais chier !
Bouillonnant de colère, je shootai dans l'autre vase, avant de lui emboîter le pas. Elle n'était pas possible ! J'étais sûr que ses règles y étaient pour quelque chose.
Cependant, à mesure que je la cherchais en criant son nom, je me faisais la réflexion que j'étais peut-être allé trop loin.
En fait, je n'aurais aucunement dû lui dire tout ça. Mais c'était comme si je n'avais pas pu m'arrêter. Je l'aimais trop pour supporter qu'elle remette en cause tout ce qu'on avait vécu. Ça me vexait plus que je ne l'aurais imaginé.
Je savais que cet aveu sur ma sexualité faisait beaucoup à encaisser, mais je ne lui avais pas donné de raison de douter de ma sincérité jusque-là, non ? À mon avis, je méritais un petit peu plus de confiance. Je l'aimais comme un fou et étais vraiment prêt à tout pour elle... même jouer à cache-cache alors que ça me foutait les boules.
Elle n'était pas sortie. Ces chaussures étaient encore dans le vestibule. De plus, je l'aurais su si elle avait franchi la barrière. Pourtant, je ne la trouvai nulle part dans la maison.
J'eus rapidement marre d'ouvrir et de refermer des portes sans résultat. D'ailleurs, je me décourageai assez vite et m'arrêtai dans le salon en criant assez fort pour être entendu partout dans la maison :
— Je suis désolé, Sara. Je t'attends dans la chambre qu'on règle définitivement tout ça. OK ? On a un vol à prendre, ma belle... Je t'aime... beaucoup.
J'attendis deux trois minutes pour voir si elle se manifesterait, mais je n'obtins de réponse que du silence.
Avec un soupir résigné, je montai dans la chambre et croisai rapidement ce foutu téléphone sur le lit. Je le lançai rageusement contre la porte du dressing et me laissai tomber sur les draps encore empreints de nos odeurs, en me prenant la tête entre les mains.
Qu'est-ce que j'allais faire ? Je ne pouvais pas rater ce vol et il était hors de question que je parte sans Sara.
Cependant, les minutes semblaient se foutre de mes états d'âme. L'heure du départ se rapprochait à chaque seconde que cette tête de mule de Sara passait loin de moi. Et comme pour rendre plus merdique cette journée déjà grandement pourrie ; il se mit à pleuvoir.
Plus que deux heures avant le décollage et elle n'était toujours nulle part en vue. Je décidai de prendre ma douche, histoire de patienter tout en m'activant, car elle allait revenir ; j'y croyais fort... Je l'espérais surtout.
À peine avais-je émergé de la salle de bain que mon téléphone s'était mis à sonner. Je fus tenté de l'ignorer, mais après quatre appels supplémentaires, je soupirai et récupérai l'appareil sur le sol, ne serait-ce que pour envoyer bouler ce correspondant chiant.
C'était Maryse. Je décidai que peu importait ce qu'elle avait à me dire, je n'étais pas d'humeur.
— J'arrive ! lui grognai-je avant de raccrocher juste après.
Et là, les messages de Marcos apparurent sur l'écran.
Au point où j'en étais, autant les lire. Je déverrouillai le téléphone et remontai au tout premier.
« Je stresse, c'était comme si je me préparais pour mon premier rendez-vous. J'ai tellement hâte que tu arrives. »
C'était donc celui qu'avait vu Sara ! Le deuxième le suivait d'à peine cinq minutes.
« J'espère que le bordel qu'il y a chez moi ne te dérangera pas. »
Par bordel, il parlait sûrement de deux ou trois torchons qui n'étaient pas à leur place. Tout était toujours impec chez lui.
« J'ai essayé une nouvelle recette avec les pâtes. J'espère qu'ils te plairont toujours. Moi, je les trouve bien. »
Deux heures séparaient celui-là des prochains, dont l'ambiance était tout à fait différente.
« Tu ne viens pas, pas vrai ? »
« Désolé de t'avoir appelé, Rick. Je suppose qu'il n'y a plus de place pour moi dans ta vie. Mais tu me manques tellement ! Je ne sais même plus depuis quand j'ai eu une nuit de sommeil digne de ce nom. C'est peut-être facile pour toi de tourner la page, mais moi, je ne peux m'empêcher de la relire encore et encore, car c'est là qu'y sont mes plus beaux souvenirs...
Je m'étais rendu compte que je pleurais, uniquement lorsqu'une larme atterrit sur l'écran. J'essuyai la vitre sur la serviette autour de ma taille et poursuivis ma lecture : ...Quand je t'ai vu dernièrement, ça m'a fait un tel choc. Je ne sais pas ce que j'aurais donné pour que tu m'embrasses, ou que tu me touches... Mais je me suis comporté froidement, car j'avais peur de ton rejet. Il m'est plus facile d'imaginer que je te manque, comme tu me manques. Je ne voulais pas avoir la confirmation que je me trompais. Mais là, je pense que je l'ai. Néanmoins, je vais laisser ces pâtes au frigo, et me faire du mal à espérer que tu vas venir d'une minute à l'autre. »
Afin de poursuivre ma lecture, je séchai la vitre de l'appareil une nouvelle fois ; mes larmes n'arrêtant pas de l'inonder. Il ne restait plus qu'un seul message et celui-là acheva de me comprimer la poitrine.
« Je regrette tellement toutes les choses que je t'ai dites. J'aimerais pouvoir remonter le temps et effacer ce que j'ai fait, mais je peux pas. En tout cas, sache que je t'aime, je t'aimerai encore dans cent ans et je crois que je t'attendrai aussi jusque-là. »
C'était trop injuste ! Pour lui qui n'était qu'une victime ? Ou pour moi qui me sentais comme une merde en le réalisant ? Peu importait la réponse ; une chose par contre resterait le même : j'étais un minable.
Qu'est-ce que j'avais fait, putain ? Il ne méritait pas ça. Je n'imaginais même pas sa peine ! Le pire dans tout ça, c'était qu'il n'aurait même pas de réponse à tous ses textos.
Je refusais désormais de lui donner des espoirs vains. Ça ne résoudrait rien, que ce soit de son côté ou du mien. Il devrait guérir sans moi. Je lui ferais plus de mal que de bien en revenant dans sa vie, car mon cœur était totalement pris par quelqu'un d'autre. Ma priorité était Sara...
Celle-là même dont je remarquai trop tard la présence.
J'épongeais mes joues, et avais encore le téléphone entre mes mains lorsque mes yeux se posèrent sur elle, avec ses habits dégoulinants de pluie, dans l'embrasure de la porte. Elle était donc dans la cour pendant tout ce temps !
Son regard forêt se posa d'abord sur l'appareil entre mes mains, puis sur les traces de larmes sur mon visage ; et tout de suite après, ses traits se durcirent.
Je fermai les yeux d'abattement, car je savais précisément ce qu'elle devait penser à ce moment-là. Et ce fut comme un coup-de-poing en plein cœur, car j'avais bien conscience que ça ne faisait qu'empirer les choses.
Il me serait difficile d'expliquer pourquoi je pleurais, sans m'enfoncer davantage... De plus, il faudrait déjà la convaincre de m'écouter.
— Un message émouvant du petit chéri ? cingla-t-elle sans parvenir à cacher l'amertume dans sa voix.
— Sara...
— J'étais rentrée pour qu'on discute, coupa-t-elle d'un ton sec. Mais là, je n'en ai plus envie. Je te souhaite un bon voyage à Chicago, Rick ! conclut-elle en quittant la chambre.
Eh merde !

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