🌟57. Et demain ?
— Marcos ! prononçai-je faiblement après un moment qui sembla durer une éternité.
— Euh, salut, murmura-t-il, visiblement mal à l'aise.
— Bonj... soir, m'exprimai-je maladroitement sur le même ton.
Il se dandinait sur ses jambes en insérant nerveusement ses mains dans ses poches, et je remarquai que la même gêne m'habitait, car je promenais mon regard partout sans oser le reposer sur son visage.
— Tes côtes, ça va ? demandai-je après quelques secondes pour meubler le silence.
— Ouais, ça va, répondit-il en fixant ses chaussures.
On était comme deux ados à leurs premiers rendez-vous, ne sachant pas trop comment se comporter.
— Eh bien, j'étais content de te voir ! mit-il fin à ce moment d'embarras en décampant.
— Mouais ! Moi aussi.
Je réalisai que j'étais resté figé et complètement déboussolé, uniquement lorsqu'une fille vint me demander un selfie.
J'acceptais d'un air gaga et me posai avec un sourire crispé pour la photo. Pourtant, elle sembla quand même satisfaite et s'en alla en sautillant.
Revoir Marcos fut comme un choc. Je n'étais pas du tout prêt. D'ailleurs ça avait réveillé en moi, une avalanche de sentiments d'un seul coup : de la colère, de la culpabilité, mais aussi de la nostalgie...
Je me donnai une claque mentale et me dirigeai vers la caisse afin de déguerpir au plus vite. Sauf qu'il y avait deux femmes avant moi, et le temps qu'arrive mon tour, la situation était vite devenue ingérable.
Trois personnes, puis quatre, puis au moins une vingtaine débarquant de nulle part, m'entourèrent en quelques secondes pour me demander des photos. Je les dévisageai, décontenancé, en commençant sérieusement à paniquer. Mais heureusement, Grant entra à ce moment-là et les fit tous dégager.
On me remit ma monnaie et je quittai la supérette devant le garde du corps, en essayant de faire abstraction des supplications de ces fans réclamant selfies et autographes.
Mon téléphone me notifia d'un message à la sortie et je m'arrêtai un moment pour découvrir le contenu sans attendre, car il venait de Sara.
Sauf que je n'eus pas le temps de le lire, car un type avec une casquette surgi, je ne sais d'où, avait passé un bras autour de mes épaules. Mon premier réflexe fut évidemment de le bousculer et lorsque je réalisai que je ne le connaissais pas, j'explosai :
— C'est quoi ton putain de problème, merde !
Grant s'interposa entre nous, mais je passai devant lui, prêt à en découdre.
— Qui t'a donné le droit de me toucher ?
— Je voulais juste une photo, man, fit le type en levant les mains en signe de reddition.
— Je ne suis pas un putain d'objet, gueulai-je, hors de moi. T'avais aucunement le droit de me toucher sans ma permission.
Tous les gens de la supérette étaient désormais dehors et plusieurs me filmaient avec leurs téléphones.
Certaines personnes ne me voyaient plus comme un être humain, et j'en avais marre d'être considéré uniquement comme un sujet d'amusement, ou un pont vers la gloire.
Le plus souvent, les gens me côtoyaient juste pour avoir plus de likes sur les réseaux sociaux. Et dans le cas des filles, l'objectif était presque tout le temps le même : apparaître dans les tabloïds avec l'espérance de faire décoller leur carrière de mannequin ou d'actrice.
C'était pour cette raison que j'avais très peu d'amis. On était rarement sincère avec moi. Je savais que c'étaient les risques du métier, et avec le temps, ça avait fini par ne plus m'atteindre ; surtout avec la gent féminine, parce que moi aussi, je les avais longtemps utilisées.
Tout le monde pouvait faire leurs faux-culs avec moi, je laissais couler, car il me serait difficile de différencier du premier coup les hypocrites des vrais fans. Cependant, il y avait une limite : le respect de mon espace personnel.
La seule personne à avoir dérogé à cette règle, dès notre rencontre, sans provoquer ma foudre, c'était cette fille aux yeux verts qui occupait tout le temps mes pensées. Depuis le début, j'avais senti que c'était différent avec elle.
Par ailleurs, je pouvais serrer quelqu'un dans mes bras, ou accepter son contact, mais uniquement si JE l'avais décidé, ou alors y étais mentalement préparé. Je n'étais pas un monument, mais un putain d'être humain ! Je n'en avais rien à foutre si on me considérait comme un connard fini juste pour ça, mais je n'accepterais jamais ce genre de comportement.
— Dégagez ! brailla Grant.
J'avançais désormais en direction de la voiture après avoir jeté un dernier regard incendiaire au type ; expression menaçante, mâchoires contractées, tandis que deux paparazzis me mitraillaient en me posant des questions que j'ignorais royalement... Enfin, jusqu'à ce que celui aux cheveux gras me crache au visage, frustré :
— Tu penses que c'est avec cette arrogance que tu vas vendre ton album ?
— Et qui t'as mis en tête que ton avis comptait sur ce sujet ? rétorquai-je d'un ton tranchant. Va d'abord t'acheter une personnalité, peut-être après je te respecterai assez pour accorder de l'importance à ce que tu dis. Je méprise les gens comme toi. Veiller à chaque coin de rue qu'un malheur ou une situation embarrassante arrive à un autre pour rappliquer ; tu trouves pas ça tordu comme moyen de gagner sa vie ?
Je l'avais visiblement blessé, car ses narines frémirent et son teint vira au rouge lorsqu'il s'exprima de nouveau :
— Un jour, ta petite gueule ne vaudra plus rien, car les gens se seront lassés de tes frasques. On finit toujours par en avoir marre des connards. Ou peut-être qu'on n'en aura même pas le temps, car ta prochaine overdose aurait déjà eu raison de toi... pour notre plus grand bonheur.
Une rage pure s'empara de moi et je fonçai sur le photographe. Malheureusement, avant que je ne le saisisse par le cou comme l'envie m'en démangeait, deux grands bras me stoppèrent dans mon élan et me traînèrent comme un gamin vers la voiture.
— Lâche-moi, vociférai-je en me débattant.
Cependant, le colosse ne desserra son emprise que lorsqu'on arriva devant le gros Hummer aux vitres teintées. Je lui jetai un regard noir en réajustant ma veste et je montai à contrecœur dans le véhicule à dix places en claquant violemment la porte.
Les gens frappaient véhémentement la voiture en criant mon nom, mais je gardai obstinément la vitre montée en ouvrant en refermant les poings pour contenir ma colère. Le chauffeur démarra et tous les musiciens me jetèrent tous des regards en biais. Cependant, seule Maryse commenta en me fixant dans le rétroviseur intérieur :
— Tu vois. Je t'avais proposé d'aller l'acheter.
Je l'ignorai, mais réalisai à ce moment-là que j'avais jeté ma bouteille d'eau. Ce n'était décidément pas mon jour de chance : j'avais toujours soif, et cerise sur gâteau, j'avais désormais mal à la tête.
La voiture avait repris la route, avec celle de Grant la talonnant comme à son habitude. Mais avant qu'on ne s'éloigne trop, j'eus le temps d'apercevoir Marcos à nouveau : se déplaçant de sa démarche militaire que j'avais tellement l'habitude de le charrier dessus ; l'expression absorbée... Ce mec était d'un sérieux ! Mais peut-être que c'était sa seule armure pour se protéger contre ceux qui voulaient juste profiter de sa gentillesse... contre les gens comme moi.
Je n'y avais jamais pensé ces derniers temps, mais vivait-il bien notre séparation ? Voyait-il quelqu'un d'autre ? J'étais tellement heureux depuis, et si lui de son côté n'était pas toujours pas passé à autre chose ? Un sentiment de culpabilité m'enserra la gorge suite à ces interrogations et je fermai les yeux en me laissant aller contre l'appui-tête.
— Ça va aller ? demanda Jason d'un air que j'avais presqu'envie de croire sincère.
— Ça va, mentis-je.
Dire que toute cette merde ne faisait que commencer !
Revoir Marcos m'avait ébranlé plus que je ne m'y attendais. J'étais distrait pendant tout le tournage. D'ailleurs, c'était ma troisième pause, lorsque je filai me réfugier encore une fois dans les toilettes.
Reprends-toi, merde ! me tançai-je en me regardant dans le miroir.
Si je n'avais pas tout ce maquillage de vampire sur le visage, je me serais certainement passé de l'eau dessus... J'avais vraiment l'esprit embrouillé, et je sursautai un peu lorsque Monica entra et verrouilla la porte derrière elle.
— Désolé, grande sœur. L'inceste ce n'est pas trop mon truc, jetai-je pince-sans-rire, en la détaillant dans le vaste miroir.
Pas grand-chose n'avait changé dans son allure de la dernière fois. Je devinai qu'elle devait vraiment affectionner sa veste en cuir, car elle la portait de nouveau, de même que sa queue de cheval fournie.
Elle sourit légèrement et s'appuya contre la porte en se croisant les bras sous la poitrine.
— Aussi jolie que soit ta frimousse, je ne suis pas là pour ça. Et pour ton info, je n'aime pas les hommes.
Je haussai tellement les sourcils sous la surprise qu'ils faillirent rencontrer la racine de mes cheveux. Le pire était que je ne savais même pas pourquoi j'étais autant étonné. Ce n'était quand même pas la première lesbienne que je croisais. Mais elle... et puis moi... Dant, y était-il pour quelque chose ?
Je fus tenté de croire qu'elle était télépathe, car tout de suite après, elle leva les yeux au ciel et souffla d'un ton tout aussi amusé que sarcastique :
— Pitié, ne me dis pas que tu penses à ces conneries de gènes gays. Ça n'existe pas ! Dant n'y est pour rien. C'est juste une coïncidence si ces deux enfants aiment tous les deux le même sexe.
Je n'aimais pas aborder ce sujet. Ce fut donc tout à fait normal que mon visage se fermât et que mon ton durcisse lorsque je répliquai :
— J'aime ma femme !
— Tu en es certain ? me nargua-t-elle. Tu te répètes ça parce que c'est plus facile à accepter ou parce que c'est la vérité ? Dis-moi, as-tu arrêté de regarder d'autres hommes ? Ne te sens-tu pas toujours plus proche d'eux ? Et son corps à elle, tu es sûr qu'il te suffira toujours ?
— Qui t'a appelé ? m'énervai-je. Comment t'as su que je serais là ?
Elle ne répondit pas et me provoqua du regard tout en se caressant le menton de son index - un geste que j'avais vite compris qu'elle affectionnait et qui me foutait les boules, en passant.
— Sors ! exigeai-je en contractant les mâchoires.
— Je suis ton aînée de huit ans. Tu ne devrais pas me respecter, par hasard ?
— Sors ! répétai-je sans relever sa remarque. J'ai envie d'être seul.
Elle ne semblait pas sur le point de vouloir partir, cependant. Au contraire, elle se rapprocha du miroir et se posa à mes côtés en vissant ses yeux inquisiteurs dans les miens.
— Il y a tellement de colère et de frustration en toi. Laisse couler ! Tu te sentiras mieux après l'avoir fait, crois-moi. Tu n'as pas à en avoir honte. Accepte...
— Écoute-moi bien, la coupai-je en la toisant, non pas dans le miroir cette fois, mais en face. Tu n'es pas mon salut. Si tu t'es donné comme mission de me sauver pour je ne sais pas... booster ton ego de pseudo grande sœur ; tu te plantes. Je n'ai pas besoin d'être sauvé, et encore moins par toi. Tu ne représentes rien pour moi. Je ne t'aime pas. Alors fais tes bagages et dégage de ma vie.
Suite à cela, je sortis d'un pas vif et claquai la porte derrière moi.
— On reprend ! annonçai-je en arrivant dans la salle de tournage.
Je savais que j'avais été dur avec Monica, alors qu'elle pensait juste m'aider. Mais je ne voulais pas de son aide, justement.
J'avais trop besoin de Sara en ce moment. Ce n'était vraiment pas le moment d'insinuer des doutes dans mon esprit, sur mes sentiments pour elle.
Ma sœur pouvait vraiment aller se faire foutre...
Je savais bien que la logique exigerait que je ne sois pas vraiment amoureux d'une fille, parce que j'avais toujours été plus attiré par les hommes. Mais j'aimais Sara. C'était un fait. Je n'avais nullement besoin de penser au jour où son corps me suffirait plus. Cette idée m'effrayait trop. Comment le lui annoncerais-je ? Et tout ce qu'on avait vécu ? Je ne supporterais pas de la blesser à ce point. Heureusement que ça n'arriverait jamais...
Pas vrai ?
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