⭐48. La faille
— Pars avec moi ! la priai-je.
Elle ne répondit que quelques bonnes secondes, après s'être passé les doigts dans ses cheveux ébouriffés et s'être mordue nerveusement la lèvre inférieure.
— T'as de la beu ? demanda-t-elle d'une voix faiblarde.
J'en restai interdit un bon moment. Ce n'était pas du tout ce à quoi, je m'attendais. Et la réponse à ma requête alors ?
— Hein ? fis-je, pour être sûr d'avoir bien entendu.
— Je te demande si t'as de quoi rouler un joint.
Apparemment, j'avais parfaitement capté la première fois.
— Je viens de te demander de partir avec moi. Toi, tu me demandes un joint ?
— J'ai vraiment besoin d'évacuer, expliqua-t-elle la mine préoccupée, comme si c'était une question de vie ou de mort.
— OK ! soufflai-je, résigné. Viens !
Je filai chercher ce qu'il nous fallait dans ma chambre, puis on s'installa dans le patio, sur le grand sofa en L non loin de la piscine.
On fuma en silence : elle, assise sur ses talons et accoudée aux coussins ; moi, mes pieds dans mes chaussettes, allongés sur la table basse. Je n'arrêtais pas de me demander ce qu'elle pensait de ma proposition ; mais en même temps, je ne voulais pas paraître trop insistant, du coup, je me taisais et laissais le cannabis me détendre. Au bout d'un deuxième joint, ce fut elle qui finit par parler, en me confiant, les yeux dans les vagues :
— J'ai trahi une amie. J'ai promis de ne confier son secret à personne, mais je l'ai fait. C'était pour son bien. Pourtant, je n'arrive pas à me débarrasser de ce sentiment de culpabilité.
Elle ne me parlait jamais de ses amis. Cette confession soudaine m'étonna donc quelque peu. Je pris le temps de réfléchir plusieurs fois à ma réponse afin de ne pas tout gâcher.
— Je suis sûre que tu as agi pour le mieux.
— Elle devait se faire aider, poursuivit-elle, l'expression lointaine. Mais je me sens tellement nulle maintenant... Oui, j'accepte de partir avec toi, où ça ?
Ça, c'était du changement de sujet, mesdames et messieurs ! Attendez, j'avais bien entendu, elle acceptait ?
— Pour de vrai ? voulus-je m'assurer.
— On va où ? s'informa-t-elle d'un air franchement intéressé qui me fit chaud au cœur.
— Je ne sais pas, admis-je. Je sens juste que j'ai besoin d'un break loin d'ici et... j'aimerais que tu m'accompagnes.
— Tu as un album et une pré-tournée en cours, non ? Ça ne va pas te causer des problèmes ? s'enquit-elle. Je veux dire...
— Au Canada ou en Suisse, c'est bien, m'empressai-je de l'interrompre avec un sourire trop grand pour être honnête.
Je n'avais pas envie de penser aux conséquences de mes actes, car sinon j'aurais peur. Si je prenais peur, alors je resterais. Et si je restais, je risquais fort ma santé mentale. Je voulais épargner tous ces détails à Sara. À son expression, je voyais bien qu'elle se doutait qu'il y avait anguille sous roche, cependant, elle me fit le plaisir de ne pas insister.
— La Suisse, c'est cool, déclara-t-elle en terminant son joint.
— Tu y es déjà allé ? m'intriguai-je.
— J'ai vu des photos, admit-elle en haussant les épaules. On part quand ?
— Aujourd'hui, c'est possible ?
— Mais un voyage, ça se prépare ! protesta-t-elle, décontenancée. Je peux pas partir comme ça. J'ai des choses à régler.
— Quoi ?
— Avec la marque. Le graphiste et moi, on...
— Quoi ? répétai-je, hagard.
— Merde, prononça-t-elle entre ses dents, comme si elle regrettait d'en avoir trop dit.
— Tu travailles avec une marque ? m'écriai-je, incrédule. Laquelle ?
Elle se mordit la lèvre inférieure d'un air coupable et secoua la tête de gauche à droite.
— Attends ! Tu lances une marque ? déduisis-je, abasourdi. Tu lances une marque et j'en sais rien ?
Elle détourna la tête avec une mine gênée et se passa les doigts dans les cheveux.
— On ne parle pas, Rick, souligna-t-elle avec un haussement d'épaules impuissant.
— Je suppose que Lucas, lui, il sait, grognai-je en sachant pertinemment que la réponse n'allait pas me plaire.
— Je... déglutit-elle avant d'enchaîner rapidement d'un ton accusateur : Ce n'est quand même pas de ma faute si on passe tout notre temps à nous quereller. C'est toujours comme ça ; on est bien un moment, puis l'instant d'après, tu me donnes une raison de vouloir te pendre... Et... Enfin, tu peux être tellement énervant !
— Comme l'autre soir contre ce mur ? Je t'énervais, Sara ?
Elle avala sa salive, se prit la lèvre inférieure entre les dents, puis cligna plusieurs fois des yeux, comme pour lutter contre le souvenir. Ravi de cette réaction, j'en profitai pour ajouter :
— Tu vois, toi et moi, on peut s'entendre.
— La vie n'est pas qu'à-propos de... ça. Je parlais de s'entendre autre que dans un lit ou... contre un mur.
— J'ai pas encore essayé le plan de travail, mais c'est quand tu veux, ma belle, fis-je avec un sourire de guingois.
— Arrête ! s'écria-t-elle en fermant les yeux. Arrête !
Elle entama une longue respiration et reprit, d'un air révolté, à grand renfort de gestes de la main :
— Tu vois ! C'est tellement facile. Tu peux faire ça avec tout le monde. Faire monter la tension et inciter à la baise. C'est presque un réflexe, chez toi. Et puis, tu veux me faire croire qu'avec moi, c'est spécial.
— Je...
— Non ! Ne dis rien.
J'étais déçu, mais je comprenais parfaitement sa réaction. J'avais toujours été comme ça. Les petits commentaires lubriques de temps à autre, parfois sans aucune arrière-pensée ; les allusions sexuelles à tout-va ; ça faisait partie de moi. Il était très facile de croire que je flirtais en permanence, alors qu'en fait, ce n'était pas le cas.
Par contre, dans son cas, je me comportais de la sorte de façon totalement intentionnelle. Je n'étais peut-être pas sûr de ses sentiments envers moi, mais je savais que je l'attirais sexuellement. Alors, la voir réagir à mes petites piques et provocations charnelles me faisait vraiment plaisir.
Mais je n'avais malheureusement pas moyen de lui prouver que mes manières avec elle, n'avaient rien à voir avec les autres. Alors j'obéis et la fermai.
— J'accepte de t'accompagner, reprit-elle l'expression sérieuse. Mais il y a des règles.
— Je t'écoute, fis-je, curieux, en me croisant les pieds sur la table basse.
— Pas de téléphone, débuta-t-elle.
Je ne réfléchis que deux secondes avant d'accepter.
— OK.
Je ne passais pas mes journées à textoter ou à stalker les pages des autres. En fait, sur internet, je faisais rarement attention aux trucs qui n'avaient pas rapport avec moi. D'ailleurs, de mes 34 millions de followers sur Instagram, je ne suivais que 53 en retour... 52 en fait, puisque je m'étais désabonné de Lucas.
Alors ça ne me dérangerait pas vraiment de passer du temps loin de toutes les choses qu'on disait sur moi. De toute façon, il y avait rarement du nouveau. Soit je n'étais qu'un gros connard, ou soit on voulait trop faire des bébés avec moi. Soit je n'étais qu'un gros connard...
— Pas d'ordi, poursuivit Sara d'un ton catégorique.
Ça non ! J'étais en retard sur la dernière saison de The Originals. De plus, j'avais commencé Shadowhunters qui n'était franchement pas nul. Elle ne pouvait pas me faire ça !
— Mais... Mais j'en ai besoin, protestai-je.
— Ce sont les règles, décréta-t-elle.
Eh, ben, les règles sont nulles.
— Et pas de capotes, enchaîna-t-elle, le visage fermé.
Pas de capotes ? Dis donc ! Elle avait quoi à l'esprit ? Un sourire en coin, je me croisai les mains sur la nuque et dis :
— Désolé, ma belle. Je ne baise jamais sans.
Elle leva les yeux au ciel et rétorqua d'un ton agacé :
— Mais justement. Tu vas pas baiser du tout.
Là par contre, c'était moins drôle.
— Quoi ? m'étranglai-je en me redressant sur le sofa.
OK, je ne m'attendais pas à ce qu'elle me promette qu'on allait passer notre temps à jouer à touche-pipi, mais qu'elle brise mes illusions comme ça d'un coup... C'était violent.
— Aucune pute, enjoignit-elle en me regardant droit dans les yeux.
Les putes ne me passionnaient pas autant qu'elle le croyait. Elles ne m'avaient jamais passionné, d'ailleurs. Si j'avais à choisir des adjectifs pour les décrire, ce serait : utiles et pratiques, mais certainement pas passionnantes.
— OK, cédai-je dans un souffle. Mais j'apporte mon lubrifiant.
Elle parut sincèrement considérer si oui ou non, elle devait donner son accord, alors j'explosai :
— Autant me demander de laisser mes couilles à L.A., ce serait plus simple. Je peux même pas me branler ? J'ai des besoins, Sara... Beaucoup de besoins... Souvent... Très souvent...
— Ça va, coupa-t-elle en levant les yeux au ciel d'un air excédé. J'ai compris. T'aimes baiser. Va pour le lub, mais tu vas devoir te sevrer de tes putes un moment.
— Je n'ai pas de putes, soupirai-je.
— Ah, c'est vrai. C'est moi qui en ai, fit-elle, sarcastique. On peut choisir la destination et les activités maintenant et partir dans deux jours, si tu veux.
— Demain, négociai-je.
— Non. J'ai des...
— Je ne veux plus rester ici, l'interrompis-je en plaçant tout mon désespoir dans mon regard. Je t'en prie. Peu importe ce que tu as à régler, je t'aiderais.
— Laquelle de tes putes t'a dégoûté à ce point de L.A. ? me considéra-t-elle d'un air pensif en penchant la tête sur le côté.
— Sara, je...
— Tu n'as pas de putes, blablabla, fit-elle en levant les yeux au ciel. On choisit la destination ?
Je me levai sans prendre la peine de chausser mes baskets, et allai chercher mon ordi dont j'allais profiter des derniers instants avec. Je n'allais probablement pas dormir ce soir-là pour terminer la saison.
Arrivé devant la baie coulissante, je fis cependant demi-tour, subitement intrigué par un détail.
— Pourquoi tu as accepté ?
Sara se mordit la lèvre inférieure, comme à chaque fois qu'elle était embarrassée. Elle détourna ensuite le regard comme si elle avait honte de son choix. Puis finalement, elle plongea ses émeraudes fulminants dans les miens et répondit d'un ton cassant :
— Je peux y remédier, tu sais ?
Je ne commentai pas et repris la direction de la maison en priant qu'elle n'ait pas remarqué mon sourire triomphant. J'avais aperçu une faille dans toute cette froideur. Je m'intimai de ne pas trop m'emballer au cas où je me tromperais. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'être heureux par la possibilité qu'elle puisse aussi éprouver quelque chose pour moi.
J'étais tellement content que je ne sentis même pas la douleur lorsque mon petit orteil se prit dans la commode. J'attrapai mon laptop et dévalai les escaliers comme je les avais grimpés. Mais en arrivant en bas, je dus admettre que l'amour n'était pas un antalgique si puissant que ça.
J'avais mal au petit orteil, putain !
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