⭐4. Le secret
– Oui, décrochai-je en m'éloignant de la voiture.
Il devait y avoir un évènement au Luxe Rodeo Drive ce soir-là, car plusieurs personnes en tenue de soirée entraient et sortaient du célèbre hôtel. Je restai à l'écart, devant le magasin Cartier qui était fermé à cette heure de la soirée et profitai de la pénombre pour poursuivre la conversation.
– Je viens de mettre Daphney au courant de la situation, m'annonça ma tante. Elle est prête à t'ai...
– Tu as quoi ? rugis-je dans le téléphone.
Je n'arrivais pas à y croire. Elle n'avait quand même pas osé !
– J'ai réfléchi et je soutiens que c'est la compagne idéale, Ricardo. Toi-même tu as admis que ta blondasse d'actrice était folle. J'ai peur de ce...
– Tu as demandé à Daphney de m'épouser ? grinçai-je en contractant les mâchoires pour tenter de contenir ma rage. Bordel, c'est quoi ton problème ? C'est ma vie Maryse, ma vie !
Je peinais à retenir mes mots. Elle m'avait vraiment mis dans une colère noire. Qu'est-ce qui était difficile à capter dans « Je ne veux pas de mon amie d’enfance. » ?
– Ta vie, impliquant ta carrière, dont je suis responsable, argua-t-elle avec éloquence. Avec Daphney, le mariage sera plus crédible.
– Maryse je...
J'inspirai un bon coup et décidai de ne pas terminer ma phrase. Je coupai l'appel sans plus d'explications dans un geste rageur, avant de dire quelque chose que je regretterais par la suite. Je rabrouai mes cheveux en me promettant de tout régler.
Maryse m'était très précieuse. Elle avait souvent tendance à me couver, ce qui était très exaspérant, mais je lui devais tout. Personne, à part elle ne m'avait vraiment soutenu au début de ma carrière musicale. Je n'avais même pas eu droit à l'appui de mon géniteur. D'ailleurs, celui-là ne s'était même pas retenu de me mettre à la porte et de me déshériter.
Quoique désormais, je m'en fichais totalement. J'avais plus d'argent que je ne pourrais en dépenser. Mais à l'époque j'aurais tout donné pour avoir ne serait-ce qu'un minimum de soutien de sa part.
Penser à Dant Rivera avait toujours le mérite de m'énerver deux fois plus.
Je fis un effort pour retrouver mon calme afin d'aller poursuivre ma conversation avec Sara. Mais sérieusement, sur ce coup-là, Maryse était allée trop loin.
Je ne faisais tout un plat sans raison au sujet de Daphney.
Elle devait penser que c'était parce que j'avais grandi avec elle et que les sentiments fraternels que j'avais développés à son égard m'empêchaient d'envisager tout autre type de relations. C'était l'une des raisons en réalité. Mais ce qu'elle ignorait, c'était que je soupçonnais mon amie d'enfance d'avoir, ou d'avoir eu, une quelconque relation avec mon géniteur.
Je n'oserais jamais lui demander directement — ça reviendrait à admettre que j'avais fouillé dans son téléphone — mais ça me minait de ne pas en être sûr.
Si jamais il s'avérerait que j'avais raison — mon raisonnement était un peu puéril, j'avoue — Daphney avait le droit de faire ce qu'elle voulait, mais je ne le lui pardonnerais jamais.
« Rejoins-moi au Ritz-Carlton dans deux heures » disait le SMS.
Mon père envoyait des textos ? Et pire, mon père envoyait des textos à Daphney ?
Je m'étais fait la réflexion que c’était peut-être un autre Dant, mais j'avais vérifié. Il s'agissait bien de mon vieux. En cinq ans, il avait conservé le même numéro.
Si Daphney n'était pas aussi tête en l'air, son téléphone ne serait jamais resté dans ma voiture après le gala de charité du mois dernier et je ne serais jamais tombé sur ce SMS.
Mais peut-être qu'il ne se passait rien entre eux.
Peut-être, peut-être.
J'aurais préféré n’avoir jamais vu ce message texte, car peu importait le genre de relation qu'ils entretenaient, je me sentais trahi.
Je haïssais mon père. Daphney avait vu tout ce qu'il m'avait fait endurer. Elle connaissait mes sentiments à son égard. Si malgré tout, elle arrivait à avoir un quelconque lien avec lui, mariage arrangé ou pas, je ne me marierais pas avec ma vieille copine.
Après mille réflexions du même genre, je retournai dans la voiture et découvris que celle-ci était vide.
Mais bon sang, où est-elle passée ?
– Où vas-tu comme ça ? rattrapai-je Sara qui se dirigeait dangereusement vers l'hôtel et ses lumières.
– Je ne sais pas, mais loin de vous, répondit-elle d'un ton méprisant, en réajustant son gros sac qui avait commencé à glisser de sa mince épaule.
– Qu'est-ce que j'ai fait ? Et nom de Dieu, arrête de me vouvoyer !
Je supportais le « monsieur » et les traitements qui allaient avec de la part de mes employés, mais venant d'elle ça me faisait un drôle d'effet.
Toutefois, je doutais de la voir arrêter de sitôt, car elle reprit son vouvoiement en me jetant d'un ton acide :
– Oh, mais rien du tout ! Vous m'avez juste demandé en mariage quelques minutes après m'avoir rencontré. Moi, je m'en vais ! Trouvez-vous une autre conne pour la soirée.
– Mais j'ai tout ce qu'il me faut ici, m'amusai-je devant sa mine furibonde.
Elle s'immobilisa un instant, me toisa et conclut d'un air déçu :
– Vous êtes encore pire qu'on le raconte.
Elle se remit à marcher de la même allure effrénée. Je lui attrapai le bras, mais elle se dégagea et cracha :
– Je suis pauvre, je ne suis pas marrante et je ne veux pas coucher... Pourquoi ne pas me laisser en paix ?
J'éclatai de rire tandis qu'elle reprenait sa démarche fulminante. Finalement, peut-être qu'elle était bien marrante. Ma soirée ne serait pas si déprimante, après tout.
Elle avait cette mignonne façon de manger les mots, comme tous ceux originaires du Texas. Était-elle de là-bas ? Et où allait-elle ? Elle m'avait pourtant bien dit qu'elle n'avait personne chez qui séjourner, à part moi. Je souris à cette réflexion et lui lançai, assez fort pour couvrir la distance que ses grands pas avaient mis entre nous :
– Tu n'as que moi, je te rappelle !
– Va te faire foutre, Rivera, cingla-t-elle sans se retourner.
– Tu vois, tu ne me vouvoies plus. On devrait peut-être y aller ensemble, la narguai-je.
Je la rattrapai de nouveau, sans grand effort. Elle faisait de grands pas certes, mais elle ne faisait pas plus de 1m65, tandis que moi, je mesurais 1m93. Je lui barrai la route de mon corps et elle dut lever les yeux pour me fusiller du regard.
– Dégage ! grinça-t-elle.
Je lui adressai un petit sourire moqueur pour lui signifier qu'elle ne me faisait pas peur. Et j'allais lui en informer, mais je m'interrompis en apercevant à ce moment-là Bruno Brown, l'un des paparazzis que je détestais le plus au monde, pas loin.
Ce connard était toujours là au pire moment. Je ne comptais même plus les fois où des choses peu ragoûtantes à mon sujet avaient fait la une à cause de lui.
Je me rapprochai encore plus de Sara et lui murmurai d'un ton implorant :
– Reviens dans la voiture, je te promets de tout t'expliquer, t'as juste mal pris ce que je t'ai dit.
Ne voyant aucune réaction de sa part, j'ajoutai de ma voix la plus convaincante :
– S'il te plaît !
Voulant voir ce que je fixais derrière elle, elle se retourna et remarqua le paparazzi avec la petite foule qui commençait à s'agglutiner avec leurs téléphones pour nous filmer.
– Et pourquoi hésiterais-je à te faire une scène ? Pourquoi m'empêcherais-je d'informer tout le monde de quel connard tu es ? me nargua-t-elle d'un air insolent.
Pourtant, elle n'avait pas parlé fort. Donc quelque part, elle était peut-être disposée à m'accorder une chance.
– Parce que sur ce coup-là, je ne le suis pas vraiment, insistai-je. J'ai effectivement quelque chose à te proposer qui n'implique pas de jouer à touche-pipi. Enfin, sauf si c'est toi qui le demandes.
Elle fit un pas de côté pour me contourner, mais je fus plus rapide qu'elle. Je lui fis de nouveau barrage avec mon corps et la retins par les épaules.
– Remonte dans la voiture, s'il te plaît, repris-je avec plus de sérieux. J'ai besoin d'une fille pour quelque chose et j'ai envie que ce soit toi. Tu cherches du boulot, non ? Je te garantis que ce n'est rien de sale. Je vois que tu tiens à garder ta culotte et je respecte ça.
Devant son air peu convaincu je me sentis obligé d'ajouter :
– De plus, tu voulais bien me rembourser, non ? T'as pas le droit de t'enfuir, Sara Hood.
C'était un coup bas, mais quelque chose me disait que c'était ma seule chance. Effectivement, après cela, elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, puis se ravisa.
Je voyais à son regard qu'elle n'en avait pas encore fini avec moi, mais bon gré mal gré, elle retourna dans la voiture sans un mot de plus après, bien sûr, m'avoir frappé exprès au ventre avec son gros sac.
Elle avait quel âge ? Dix ans ?
Je la remerciai lorsque je m'installai à nouveau dans la voiture. Elle avait conservé son air revêche et je ne pus m'empêcher de penser à quel point elle était têtue. On pouvait sans peine voir en elle une battante, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds ; le genre de personne avec qui on ne s'ennuyait jamais. Elle me plaisait déjà.
Ce sera elle que j'épouserai et non Alexie ou encore moins Daphney, décidai-je.
Je ne la connaissais pas. On n'était pas non plus dans un film, donc il ne s'agissait pas de coup de foudre. Mais vous connaissez cette impression qui vous faisait savoir que vous allez vous entendre avec quelqu'un ou non ? Cette même impression qui, quand vous intégrez un nouveau lycée, vous donnait dès la première semaine une idée d'avec qui vous allez passer l'année en bons termes ou pas.
Dans mon cas, elle m'indiquait que j'allais passer l'année en bons termes avec cette fille. Ou plutôt, qu'il y avait de grandes chances que ça arrive.
Quand les gens se souviendraient de notre baiser huit mois plus tôt, ils n'auraient aucun mal à croire à notre mariage. Ce serait surprenant, car mes relations duraient rarement longtemps. Mais il n'était pas rare qu'un bad boy finisse par tomber amoureux et qu'il se marie. Andy Biersack et tant d'autres l'avaient fait, non ?
Dans mon cas, ce serait juste une comédie, mais j'avais bien le droit d'apprécier celle avec qui j'allais passer un an de ma vie.
Je n'aimais vraiment pas ces groupies qui se contentaient de faire tout ce que je voulais ou qui étaient prêtes à tout juste pour avoir un peu de mon attention.
Parfois, je voulais discuter, plaisanter, avoir tort de temps en temps. J'avais la certitude qu'avec Sara, je ne serais pas déçu.
Je passai ma ceinture de sécurité, démarrai et pensai :
Bienvenue dans ma vie Sara, tout ce que tu auras à faire, c'est m'embrasser en public, sourire, ne pas me faire chier et te mêler de tes affaires. Moi, je ferai en sorte que tu n'aies plus jamais de problèmes d'argent. C'est un deal équitable, non ?
Pourtant je me contentai juste de lui adresser un sourire rassurant, qu'elle ne me rendit pas, évidemment.
J'avais le pressentiment qu'elle ne me faciliterait pas les choses, mais je me sentais confiant quant au fait de réussir à la convaincre de m'épouser.
Elle serait au courant qu'il ne s'agirait que d'un arrangement sans que je n'aie à lui révéler mon secret.
Il lui faudrait aussi signer des papiers — tout un tas de papiers — l'engageant à ne révéler à quiconque les termes de notre contrat sous peine de poursuites judiciaires qu'elle n’imaginait même pas dans ses pires cauchemars.
Mais j'espérais sincèrement qu'elle pourrait jouer le rôle de ma parfaite petite femme en public, tout en acceptant que malgré mes commentaires lubriques, il ne se passerait jamais rien entre nous en privé, puisque je voyais déjà quelqu'un.
Quoique ça, elle n'en saurait jamais rien. Personne à part Daphney, Maryse, Marcos et moi n'était censé être au courant. Mais c'était fait, et c'était déjà une personne de trop.
Appelez ça comme vous voulez, mais je n'étais pas prêt à assumer ce que cela impliquerait d'avouer au monde entier qu'en fait, j'aimais les hommes. Le connard à la lettre avait raison : j'avais un amant secret.
Oui, j'avais couché avec des centaines de filles, mais j'avais toujours eu une forte attirance pour le même sexe.
Mais voilà, j'étais une rockstar. Des milliers de femmes à travers le monde donneraient tout ce qu'elles avaient pour une nuit avec moi. Mes concerts faisaient partie des plus rentables de l'industrie musicale et j'étais au courant que beaucoup de personnes y venaient plus pour moi que pour ma musique. Je savais aussi que je devais une bonne partie de mon succès à mon physique avantageux. Alors briser des cœurs, ça pouvait passer. On pouvait aussi me pardonner de jeter les filles comme de vulgaires chiffons, mais que je puisse être gay ? C'était inacceptable !
Comme l'avait dit Maryse, le monde n'était pas encore parfait. Et dans ce monde imparfait, les gays étaient des abominations comme se plaisaient à dire certains professeurs de mon ancienne école privée catholique.
« Comment quelqu'un peut avoir envie de quelqu'un du même sexe que lui ? C'est sale, c'est ignoble, c'est contre-nature. » avait déclaré l'un d'entre eux à l'intention de Brann, le seul à avoir fait son coming out à l'époque.
Je crois que ça avait beaucoup contribué au fait que j'avais refoulé mes pulsions homosexuelles pendant toutes ces années. Et certains épisodes de mon adolescence, n'aidant pas, j'étais devenu ce mec qui en apparence avait une totale confiance en lui, mais qui au fond ressentait toute autre chose.
J'avais donc peur aussi de dévoiler ce secret à mes fans. Pour quelqu'un comme moi dont le public était majoritairement féminin, ce serait catastrophique.
C'était pathétique, mais je tenais à cette image de badass qu'on avait de moi. Je n'allais laisser aucun cliché venir la fissurer.
Je ne voulais pas qu'une telle révélation vienne ébranler l'univers que j'avais bâti à la sueur de mon front. Je voulais continuer à chanter, je voulais que les gens m'entendent chanter.
J'allais donc « tomber amoureux » de Sara et l'épouser. Pour les médias, bien sûr...
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