🌟28. Don't tell

La brise nocturne balayait mes cheveux et faisait flotter ma longue robe bohème imprimée à fleurs autour de ma silhouette menue. Perdue dans mes pensées, je fixais le mouvement hypnotisant des vagues d'El Matador Beach, debout sur un rocher.

Je venais souvent ici pour réfléchir ; j'avais toujours aimé cet endroit, qui contrairement aux autres plages de Los Angeles, n'était pas tout le temps bondé. D'ailleurs, ce soir-là, on n'était pas plus de cinq au total, et les autres étaient assez loin. C'était peut-être à cause du manque de commodités, ou du sol rugueux formé par les rochers qu'il n'attirait pas grand monde, mais à mon avis, c'était ce côté sauvage qui conférait tout son charme à ce lieu.

— Je te demande pardon Chloé, murmurai-je dans le vent.

C'était une habitude, elle était stupide, car Chloé ne pourrait pas vraiment m'entendre. Mais je savais que son corps reposait quelque part au fond de cette immensité salée. Je ressentais toujours le besoin de m'excuser de mon silence, à chaque fois que j'étais face à la mer. Non pas que j'avais eu le choix de me taire, mais je me sentais coupable qu'elle n'ait même pas eu droit à un enterrement digne de ce nom.

— Voilà, je suis là ! s'éleva une voix à côté de moi, mais je ne sursautai pas, car j'avais entendu les bottes approcher sur les galets.

Pourquoi j'avais choisi un tel endroit pour un rendez-vous ? Aucune idée ! Peut-être que j'avais espéré qu' El Matador Beach m'aiderait à voir plus clair. Malheureusement, j'étais aussi embrouillée qu'à mon arrivée.

— Tu me fais perdre mon temps là ! s'impatienta Jason devant mon silence.

— Je ne suis plus une pute ou une salope ou un truc du genre ? prononçai-je calmement en continuant à fixer les vagues dans la nuit noire.

— Bien sûr que tu l'es ! Si tu m'as fait venir, vomis ce que tu veux me dire, que je m'en aille.

Je me retournai pour la première fois depuis son arrivée et le détaillai : les cheveux blonds peignés en arrière libérant un visage aux traits acérés, vêtements noirs de la tête au pied, les mains dans les poches de son sweat à capuche... Bref, Jason à la beauté sauvage qui rendait les femmes folles ; Jason que je haïssais.

— Parle, Sara !

— C'est juste que je ne suis plus sûre que te voir renouer des liens avec elle soit la bonne décision, soupirai-je avant de reconcentrer mon attention sur les vagues.

Sur le coup, j'avais pensé que seul McGraal pouvait aider ma meilleure amie à aller mieux. J'avais tellement envie qu'elle recommence à sortir et qu'elle reprenne goût à la vie, mais surtout qu'elle arrête de se blesser... Cependant, plus j'analysais la situation, moins la solution Jason me séduisait, surtout avec ce que je savais... Enfin, j'espérais de tout cœur me tromper.

— Depuis quand ? lançai-je au bout d'un moment, avec une nonchalance feinte.

Je ne le regardais pas, mais je pus quand même le voir se braquer à côté de moi, avant de répondre, acerbe :

— Tu sais quoi ? Je m'en vais.

— Depuis quand es-tu amoureux de Rick ? répétai-je plus durement en plantant mon regard dans le sien.

Il détourna les yeux et lissa ses cheveux mi-longs en arrière, visiblement mal à l'aise. Alors c'était vrai ! J'espérais me tromper, mais là, il n'y avait plus de doute. Et merde !

— Tu te prends pour mon psy ou quoi ? cracha-t-il sans oser regarder dans ma direction.

Je ne répondis pas, mais continuai à le fixer, le front plissé, afin d'augmenter son malaise pour l'inciter à parler. Après quelques secondes, ma psychologie inversée finit par marcher.

— Je ne sais pas, ajouta-t-il en contractant les mâchoires. Deux ans, ou trois, en quoi ça te regarde ?

Quoi ? Je n'arrivais pas à y croire !

Je haussai un sourcil sans le quitter du regard et il se dandina, de plus en plus incommodé.

— Bon, ok, explosa-t-il. Il t'a mis la bague au doigt. D'ailleurs, tout le monde se demande pourquoi. T'es même pas jolie. Perso, je t'aurai même pas laissé me sucer.

Le sujet l'embarrassait et il m'insultait pour dévier la conversation sur moi. Pft, not today Jason. Je connaissais un peu l'être humain ; j'avais vécu dans plus de dix villes différentes. Les visages changeaient, mais au fond, les gens étaient presque tous les mêmes.

Non, ses paroles n'avaient eu aucun effet sur moi. Je n'avais aucune estime pour Jason. Or, les seules personnes qui pouvaient me blesser étaient celles qui comptaient pour moi. Son commentaire, au contraire, ne fit que provoquer un rire hystérique chez moi, ce qui le laissa un peu perplexe.

— Tu ne vois pas comment tu réagis ? Tu m'insultes, car tu aimes mon mec. Ça me rappelle ces films d'ados au lycée et tout. Putain, t'es mon rival !

Devant son regard fulminant, je fis exprès d'ajouter :

— Tu vas pas me noyer quand même ?

— Je regrette ce que j'ai fait, OK ! hurla-t-il. C'était un putain d'accident. Je n'ai pas touché à une goutte d'alcool depuis.

— Je m'en fous de ton putain de régime, criai-je à mon tour, toute trace d'hilarité envolée. T'es parti en la laissant sans un regard en arrière.

— Mais j'avais trop honte !

— Elle ne sait pas, merde !

— Quoi ? s'intrigua-t-il en baissant d'un octave, l'expression dubitative.

— Elle ne se rappelle pas de ce qu'elle a vu, développai-je. Elle ne sait pas si tu craques pour Rivera.

— Et comment toi tu...

— Ta gueule Jason ! m'emportai-je devant son air choqué. Pourquoi tu l'as embarqué là-dedans ? Si t'aimes les mecs, tu aurais dû la laisser repartir à Chicago. Elle avait une vie là-bas.

— Mais je n'aime pas les mecs...

— Et il n'assume même pas, soupirai-je en levant les bras en signe d'exaspération.

— J'aime un mec, rectifia-t-il en se lissant de nouveau les cheveux en arrière. Avant Rick, je n'étais même pas au courant que j'étais bi, ou pan, je sais même pas si c'est le terme exact, car je n'aime que lui. Je n'ai aucun problème avec les filles, merde. J'aimais Corine, mais...

— Mais tu fantasmes sur la bite de Rick.

— Que tu sois sourde-muette aurait soulagé bien des gens, estima-t-il en contractant les mâchoires d'irritation.

— Quoi, tu vas m'arracher la langue et partir en courant ? le narguai-je en levant les yeux au ciel.

Il inséra de nouveau ses mains dans son sweat et entama une longue respiration afin de se calmer. Apparemment, ça ne fonctionna pas, car il relança avec aigreur :

— Mais qu'est ce que tu veux que je fasse, merde ?

— Mais comment veux-tu que je sache moi ? répliquai-je sur le même ton. Elle ne va pas bien, mais je veux pas que tu rentres dans sa vie lui donner de faux espoirs alors qu'on ton rêve ultime, c'est de sucer R...

— Non, mais tu penses que ce n'est que sexuel ? Je suis am... je l'aime, OK ? Mais il n'y a aucun espoir alors...

— Alors des filles comme Corine servent de consolation. C'est injuste, Jason !

— On ne peut pas discuter avec toi ! s'exaspéra-t-il en élevant de nouveau la voix. Tu ne comprends jamais rien à rien. Pourquoi il t'aime enfin ?

— Tu veux dire, pourquoi pas toi ? rétorquai-je avec une pointe de sarcasme.

— Non, mais tu peux arrêter ?

— Tu t'es foutu de ma meilleure amie, tu l'as brisée et abandonnée. Désolée, mais te prendre dans mes bras n'est pas dans mes projets immédiats.

— Je ne me suis pas foutu d'elle, contra-t-il avec véhémence. Je l'aimais ! Je ne lui faisais pas l'amour en pensant à Rick. J'aimais tout avec elle. J'aime les filles, merde ! Les belles filles, pas les moches comme toi.

— Bien sûr, fis-je, sarcastique. Rick a un joli petit cul, tu trouves pas ?

— T'es pas drôle, Hood !

— Par contre on a rigolé de ouf quand t'as poussé Corine dans les escaliers, ironisai-je en feignant un air enjoué. Les urgences, le centre de rééducation... trop des barres !

Je n'avais pas été là tout le long, mais je savais que Corine avait vécu l'enfer à cause de lui. Au début, sa paraplégie s'était étendue jusqu'aux muscles de l'abdomen, puis après plusieurs interventions, les médecins avaient réussi à la limiter qu'aux jambes.

Après un mois, on l'avait transférée à Cuba afin d'être soignée par les meilleurs spécialistes. Son père était vraiment prêt à payer n'importe quoi pour qu'elle marche à nouveau, mais ça n'avait rien donné. Et maintenant, elle s'enfermait et se mutilait, alors que ce connard continuait à vivre sa vie comme si de rien n'était. J'avais tellement la rage !

Jason se couvrit le visage des deux mains, fixa le ciel étoilé, puis s'adressa à moi d'un ton que j'aurais presque pu croire sincère :

— Je dois faire quoi ?

— Je ne sais pas. Je ne sais pas, dus-je admettre, confuse.

— J'avais peur qu'elle croie que je m'étais foutu d'elle, alors que c'est faux. Je l'aimais vraiment et crois-moi, son sexe n'était pas un problème. J'ai toujours aimé les filles. Sauf que... Rick, c'est autre chose.

Je ne savais pas quoi lui répondre, alors je fis silence. Je ne l'aimerais jamais, mais j'avais de plus de mal à rester en colère contre lui. Au contraire, j'en voulais plutôt à la vie d'être si injuste.

— Tu vas lui dire ? demanda-t-il d'une petite voix après un moment.

Non, idiot !

— Pourquoi pas ? le narguai-je.

— Ne fais pas ça, Hood !

Il n'avait pas dit « s'il te plaît », mais c'était clairement une prière. Et merde ! J'avais pitié de lui. Pourquoi ? Je n'avais jamais prévu de le dire à Rick ; ce n'était pas à moi de le faire. En même temps, comment laisser quelqu'un rentrer dans la vie de sa meilleure amie en sachant qu'il aimait un autre ? De plus, il lui avait déjà tellement fait de mal ! Bien qu'entre Rick et lui, c'était impossible, mais... Attendez ? Pourquoi impossible ? Qui avait dit que Rick n'aimait pas les mecs aussi ? Au point où on en était, plus rien ne m'étonnerait de la part de la vie.

— Pourquoi tu lui as jamais dit ? Peut-être que ça aurait pu marcher et on n'en serait pas là aujourd'hui.

— Crois-moi, il n'y avait aucune chance que ça marche, assura-t-il d'un air résigné. Aucune !

— Attends, il n'est pas homophobe, si ? voulus-je m'assurer, intriguée par sa réponse.

— C'est ton mari, tu devrais le savoir.

— Il est homophobe ? insistai-je.

— Non, idiote ! soupira-t-il de façon théâtrale comme s'il se demandait encore pourquoi Rick avait épousé une telle conne. Il n'a aucune attirance pour les hommes, je l'aurais su.

— Personne n'a su pour toi, soulignai-je avec un haussement d'épaules.

— Il est 100 % hétéro, OK ? s'agaça-t-il.

Je réalisai que j'avais retenu mon souffle que lorsque j'expirai longuement de soulagement.

Oui, il y avait mes résolutions et tout, mais pour une raison que j'ignorais, savoir qu'il était totalement hétéro me réjouissait en quelque sorte.

— Corine veut vraiment me voir ? m'interrogea McGraal le front plissé.

— Pourquoi tu n'as jamais appelé ? Tu pensais qu'elle était au courant de tes sentiments pour Rick et qu'elle te détestait ? répliquai-je, en ignorant sa question.

— Oui, admit-il en détournant le regard, manifestement gêné.

Je redressai ma besace en bandoulière et tournai les talons.

— T'es con ! lançai-je en guise de conclusion.

— Ça veut dire quoi ? s'intrigua-t-il.

— Y a pas de message caché, t'es juste con. Attends ! m'écriai-je, soudainement frappée par un détail.

Je pivotai pour lui faire face à nouveau et demandai en penchant la tête sur un côté :

— Elle a découvert quoi dans ton téléphone exactement ? Des bites ? Ou t'avais des photos de Rick en train de prendre sa douche, que t'avais capturées en cachette ? Ou...

— Va te faire foutre, Sara ! cracha-t-il, l'expression de nouveau furibonde.

Ce fut lui qui s'éloigna cette fois d'une démarche vive, les mains dans les poches, tandis que moi, j'éclatais de rire. Cependant, quelques pas plus loin, sans se retourner, il me lança assez fort pour couvrir la distance :

— T'as intérêt à fermer ta gueule, Hood !

— Oui, je sais, sinon tu me pousses d'un pont, et tu te sauves blablabla, raillai-je.

Je rigolais peut-être, mais j'étais toujours aussi préoccupée. Cette rencontre n'avait servi à rien. Au début, j'avais comme idée de lui mettre la pression pour qu'il prenne ses responsabilités, mais j'avais changé d'avis.

S'il finissait par aller voir Corine, je voudrais que ce soit parce qu'il l'aurait choisi. En attendant, je devrais trouver autre chose pour aider ma meilleure amie. Mais quoi ?

Je n'arrivais toujours pas à croire que Jason soit amoureux de Rick depuis tout ce temps. Et bien sûr, je supposais que cet aveugle n'avait rien remarqué, comme d'habitude. Pourquoi on aimait ce con finalement ?

En parlant du loup ! Mon téléphone se mit à ce moment-là à vibrer dans ma besace. C'était sûrement le millième texto que je recevais de lui après le dix-millième appel que j'avais filtré.

« On doit parler. S'il te plaît, rentre ! »

Je remis le téléphone à sa place et poursuivis ma promenade sur la plage. Non, je n'allais pas rentrer... pas encore. J'avais besoin de temps pour démêler mes idées et rester ferme sur ma décision. Tout comme ces groupies, je cédais à Rick trop facilement. Ça devait changer.

Par le biais de Lucas, je savais qu'il était à Los Angeles depuis la veille. Ensuite, lui et ses musiciens passeraient la semaine à enregistrer, et dimanche prochain, ils s'envoleraient pour Rio afin de poursuivre la pré-tournée pour la promotion de l'album.

Je ne savais pas quand je me sentirais enfin prête pour l'affronter, et j'essayais de ne pas trop y penser. Mais bon, il pourrait se passer de moi encore quelque temps. De plus, il avait cette fille qui lui avait envoyé ce texto ; cette M.S. lui tiendrait compagnie, ou A. B. C. D... ou qui il voulait. Je m'en foutais.

Faux ! rétorqua une petite voix chiante dans ma tête.

De toute façon, j'avais des tas de choses à faire, à commencer par trouver le nom et le logo pour ma marque. Je n'aurais jamais pensé que s'incruster dans l'industrie du prêt-à-porter requérait tant de démarches.

Lucas m'avait mise en contact avec une femme de la trentaine d'origine haïtienne, spécialisée dans le domaine. Celle-ci m'avait tout de suite plu à cause de son caractère jovial, mais ça, c'était avant qu'elle ne sorte cette phrase :

— T'es bien la fille que le popstar-là a épousée ? J'adore ses chansons. Je serai ravie de travailler avec toi.

C'était faux ! Je parierais qu'elle n'en connaissait pas une seule. Mon enthousiasme s'était tout de suite refroidit, car ce genre de remarques m'horripilaient de plus en plus. Partout où j'allais, les gens se sentaient obligés de dire du bien de Rick, alors que je n'en avais rien à foutre. De ma personne, il n'y avait que la partie « femme de » qui les intéressait.

Dernièrement, en allant tranquillement faire mes courses, une jeune femme m'avait tirée à part et m'avait même promis de l'argent pour que je lui cède un sous-vêtement de Rick. J'étais choquée, en mode « mais qu'est-ce que... ? » Heureusement, Quinn n'avait pas perdu de temps et l'avait fait dégager.

Le sino-américain me manquait énormément - les conséquences d'être partie comme une voleuse. Avec lui, je pouvais circuler en étant complètement détendue, alors que là, je surveillais nerveusement à gauche à droite, en attendant que Lucas vienne me chercher.

Lorsque celui-ci m'avait appelée tout à l'heure, je lui avais fait part de ma difficulté pour trouver un taxi à cette heure sur la Pacific Coast Highway — PCH pour les locaux — et il m'avait promis de venir me récupérer. Je n'avais pas demandé de l'aide à Jason dont la voiture disparaissait à l'instant derrière une courbe, car à mon avis il préférerait me rouler dessus que de me raccompagner.

J'étais plutôt anxieuse, toute seule ici, car personne ne pouvait prévoir quand une rriver hystérique me tomberait dessus et viendrait me faire chier avec des questions toutes plus déplacées que les autres. Ces gens ne me laissaient plus tranquille. Mon Twitter était passé de deux-cents abonnés à deux cent mille et ne cessait de grandir à chaque jour qui passait. J'avais même dû désactiver la fonction recevoir des messages.

Le plus énervant dans tout ça, c'était que la majorité des questions que je recevais avaient rapport avec Rick. Même lorsque les paparazzis me gênaient, c'était pour me demander des choses comme : sa morning routine, ou sa marque d'eau de Cologne...

Je n'étais pas narcissique et n'aimais pas vraiment avoir l'attention sur moi, mais je ne pouvais plus supporter cette situation. On ne devait plus me considérer comme un pont menant à Rivera. J'étais une personne à part entière. C'était pour ça que j'allais mettre toute mon énergie dans cette ligne, car elle représenterait en quelque sorte mon identité.

Ça faisait un moment que je patientais, l'un des inconvénients de ne pas avoir le permis. C'était désormais plus qu'urgent de passer cet examen.

Quand j'habitais à Houston, mon lycée n'était pas très loin de chez moi. J'aimais y aller à pied, pour avoir le temps de discuter avec Caleb. Donc, à l'époque, je n'étais pas vraiment pressée d'avoir le permis, même si j'avais déjà une voiture. Celle-là, de toute façon, je ne l'avais pas vraiment désirée.

Je regardais Supernaturel avec mes parents quand j'avais fait un commentaire quelconque sur l'Ampala de Dean. Deux semaines plus tard, pour mon anniversaire de seize ans, la même m'attendait dans le garage de notre maison : cadeau de Christian Hood, père et époux parfait la journée ; psychopathe à ses heures perdues.

— Content de me voir ? plaisanta Lucas avec un sourire taquin en ouvrant pour moi la portière avant de son Hummer.

— Il n'est pas trop tôt ! soupirai-je de façon exagérée en saisissant la main qu'il me tendait afin de grimper dans la grosse voiture luxueuse.

— Désolé, j'avais une horde de pirates-squelettes à combattre, répondit-il avec un sérieux tellement bien feint qu'il me fit éclater de rire.

Il prenait son surnom de Jack Sparrow très à cœur. Les yeux constamment cerclés de noir, les longs cheveux... Quand je l'avais vu pour la première fois, c'était la première chose à laquelle j'avais pensé. On était devenu pote, je le lui avais confié et il avait exigé que je ne l'appelle plus autrement.

— Tu te promènes seule la nuit ? s'étonna-t-il lorsqu'on fut sur l'autoroute. Ton époux ne risque pas de faire une crise ? Surtout qu'il est très susceptible ces derniers temps.

— Ce qu'il ne sait pas ne peut pas le blesser, relevai-je avec un clin d'œil, comme si j'en aurais quelque chose à faire même si Rick l'apprenait.

Jouer ce rôle était un job à plein temps. Je devais contrôler tout ce que je disais, feindre un amour profond même quand j'avais envie d'étriper mon bien-aimé. Finalement, je devrais remercier mon père pour m'avoir appris à si bien mentir. Je déconnais : qu'il pourrisse en enfer !

J'avais découvert que la haine pure et parfaite, on ne le ressentait que pour ceux qu'on avait aimés. Mes sentiments envers mon défunt géniteur le prouvaient bien.

— C'est quoi le programme de la soirée ? demanda Lucas avec entrain.

— Euh, je ne sais pas. J'allais juste rentrer chez moi. T'as quoi en tête ?

— Moi non plus, je ne sais pas. Mais on pourrait faire quelque chose. Enfin, tant qu'on évite les lieux publics. Car si Rivera apprend que je te vois, cette fois-ci, ce n'est pas uniquement son poing que je récolterai, termina-t-il avec une petite moue.

— Quoi, m'étranglai-je. Il t'a frappé ?

— Il a juste fouillé ton téléphone et vu nos messages, ensuite, il a...

— Quoi ?! Il a fouillé mon téléphone ? m'insurgeai-je. Mais il n'en a pas le droit !

Je sais que vous vous dites que j'avais fait la même chose, mais c'est faux ! J'étais tombée sur le message de M.S. par accident, c'était totalement différent.

Il fouillait mon téléphone ? Il jouait à quoi au juste ? On était ensemble ou pas ?

— Vous êtes marié, énonça Lucas avec un haussement d'épaules.

— Mais il n'en a pas le droit ! répétai-je, révoltée.

Il était temps que je verrouille mon téléphone correctement aussi. Je n'arrivais pas à croire que ce connard m'espionnait, alors que je ne savais rien de sa vie à lui... à part qu'il était un connard. Il allait me le payer !

— Tu me promets de ne pas lui répéter ? reprit le pianiste, l'air inquiet.

Il avait peur de Rick ? Qu'est-ce qu'il lui avait donc fait ? Plus j'en apprenais, plus j'avais du mal à contenir mon irritation.

— Il me tuerait si il savait que je te reparlais, poursuivit le pianiste.

— Mais... pourquoi ?

— Je ne sais pas moi... T'es sa nana. Il n'aime pas qu'on touche à ses affaires.

— Mais je ne suis pas « ses affaires » !

— Je sais Sara, je sais, répondit Lucas d'une voix rassurante. Tu es une personne à part entière, et l'une des meilleures qui soient. Personnellement je ne me comporterais jamais comme ça avec toi, mais c'est la vie... Il faut juste que tu me promettes que tu lui diras rien.

Rick n'était pas croyable ! Finalement, peut-être que je n'aurais pas à faire d'effort pour le détester. Peut-être que ça viendrait tout seul.

— D'accord, je ne lui dirai rien, promis-je à contrecœur, en maudissant intérieurement Rivera.

— Viens chez moi alors, on pourrait manger une pizza en regardant un film... Enfin, si tu pouvais rester... Tu sais, pour pas que Rick s'énerve.

— Je ne lui appartiens pas, clamai-je avec vigueur. On se fait une soirée télé !

— Cool, commenta-t-il avec un large sourire.

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