🌟17. Humain
Lucas, assis sur un banc de développé-couché depuis tout à l'heure, après seulement deux séries de vingt soulevées de fonte, rigolait sans arrêt en regardant son téléphone.
— Tu travailles tes doigts ou ton corps ? me sentis-je obligé de demander.
Contrairement aux gars, je suais abondamment, en particulier parce que je reprenais la muscu après trois semaines d'inactivité, à cause de mon poignet fracturé.
— Ce n'est pas de ma faute. Sara est trop drôle ! gloussa le pianiste en touchant distraitement son chignon de samouraï.
J'imaginais qu'il devait s'agir là de sa sixième petite amie du moment. Je levai les yeux au ciel et m'informai :
— C'est qui encore cette fille ?
— Je parle de ta Sara ! clarifia-t-il d'un ton désinvolte, sans relever les yeux de son smartphone.
J'étais assis sur le siège coulissant, le dos droit et les abdos gainés, en poussant sur mes jambes, comme il se devait lorsqu'on travaillait sur Le rameur, quand il me communiqua cette information. D'étonnement, je relâchai les poignées de tirage dont le câble se replia avec un bruit sourd et je m'étranglai :
— Tu tchates avec Sara ?
Il haussa les épaules l'air de dire : « Et alors ? » avant de répondre avec un sourire narquois :
— Il est où le problème ? Je suis son témoin.
Il était où le problème ? Le problème était que je n'approuvais pas cette amitié. Je ne voulais pas de Lucas dans la vie de Sara, point barre.
— Je ne veux plus que tu lui parles, exigeai-je en contractant les mâchoires.
— Et pourquoi pas ? ricana-t-il. Tu sais quoi ?
Il se mit debout en laissant son téléphone sur le banc. Il joignit ensuite les doigts comme s'il se perdait dans une profonde réflexion intense.
— Elle m'intrigue. Je n'étais même pas au courant que vous sortiez ensemble il y a quelques mois. Mois pendant lesquels tu ne t'es pas retenu de baiser tout ce qui bougeait, je te rappelle, fit-il d'un air sournois en levant un doigt. Et là bam ! Mariage ! À mon avis, soit elle a quelque chose de vraiment exceptionnel ; ce que je m'efforce de découvrir, embraya-t-il avec un petit sourire provocateur. Ou soit c'est autre chose. Et ça... ça titille ma curiosité.
Là, il venait de me voler tout ce que j'avais de sang-froid. Je savais qu'il ne pouvait jamais s'empêcher de se mêler des affaires des autres, mais il avait cherché la mauvaise personne.
Je défis les sangles qui enserraient mes baskets et m'avançai vers lui de façon à le dominer de toute ma hauteur.
Jason était le seul du groupe à être à peu près de la même taille que moi. Je dépassais tous les autres d'au moins une vingtaine de centimètres.
Lucas leva donc les yeux pour me regarder lorsque je le prévins d'une voix menaçante, en prenant le soin de bien détacher chaque mot :
— Mêle-toi de tes affaires, ou tu pourrais le regretter.
— Mais ce sont mes affaires, énonça-t-il calmement sans se départir de son rictus goguenard. Je suis votre témoin.
De colère, je le fis reculer d'une forte bourrade sur le torse, et son rire en arrivant à se stabiliser emplit toute la salle de sport. Il ne tenait vraiment pas à sa vie, ce connard !
Jason qui depuis tout à l'heure nous observait impassiblement depuis le Pec-deck où il travaillait ses pectoraux intervint finalement d'un ton flegmatique :
— Vous n'allez quand même pas vous battre !
Pourquoi pas ? Ajouter un peu de rouge au sourire du pianiste me comblerait sûrement de joie, car il faisait tout pour me mettre hors de moi, ce jour-là.
Je regrettais vraiment de ne pas avoir plutôt foncé chez moi au sortir du studio. J'avais une salle de sport à la maison, mais je l'occupais rarement, car depuis toujours, on faisait de la muscu ensemble, Lucas, Jason et moi, peu importait la ville où on était.
Sam quant à lui avait déclaré que la batterie à elle toute seule constituait un sport. En réalité, l'Asiatique et Ty étaient juste deux fainéants.
— Bien sûr qu'on va pas se battre ! promit Lucas en reculant. Je ne fais rien à sa meuf. Pour le moment, on rigole ensemble et elle m'appelle Jack Sparrow. Attend Rick ! s'écria-t-il comme s'il venait de mettre le doigt sur quelque chose. C'est quoi ton surnom à toi ? Ne me dis pas que tu n'en as pas ? fit-il d'un ton particulièrement ironique.
Je déployais des efforts considérables pour ne pas foncer sur lui et lui exploser la gueule. Je comprenais maintenant pourquoi Ty n'aimait pas le musicien aux longs cheveux. Sa manie de se mêler de tout et de n'importe quoi était plus qu'agaçante.
J'avais mal aux mâchoires à force de les crisper d'irritation. Cette histoire n'allait pas s'arrêter là. Cependant, je pris une longue inspiration et tournai les talons.
— Tu vois Jason, je t'avais dit qu'on n'allait pas se battre. Pourquoi Rick, se fâcherait-il pour si peu, hein ? Il n'a rien à cacher ! railla Lucas assez fort pour que je puisse l'entendre avant que je ne claque la porte.
Mes jointures avaient blanchi, tellement je serrais le volant en traversant les rues lumineuses de L.A..
Oui, je le reconnaissais. J'étais jaloux.
Elle avait passé tout ce temps à m'ignorer et elle rigolait avec Lucas. Il avait même un surnom, ce connard !
Internet avait vite trouvé un autre sujet de débat qu'un homme mort pendant le voyage de noces d'une rockstar.
Je n'avais toujours pas compris ce qui s'était passé et jusque-là, il n'y avait eu aucun signe des photos ou de Michael - qui était au Japon pour sa tournée.
En rentrant à Los Angeles, j'étais vite retourné à ma routine et je passais des heures à travailler sur les chansons avec mon équipe. D'ailleurs, l'un des morceaux, Heart Marks serait dévoilé dans la semaine.
C'était une magnifique composition de Stephan Moccio, la plume derrière une bonne partie du soundtrack de 50 shades of Grey, et du phénomène Wrecking Ball de Miley Cyrus.
Ça m'avait plu de l'enregistrer et j'y avais mis toute mon d'énergie, car j'avais le pressentiment que ce serait un futur hit.
La pré-tournée quant à elle commencerait une semaine plus tard, par un énorme concert au Madison Square Garden. Ce ne serait pas aussi grandiose qu'une tournée à proprement parler. Il s'agirait de concerts où je jouerais la nouvelle chanson dévoilée sur l'album à venir ainsi que mes plus grands succès, afin de « préparer mon retour » d'après les termes de Maryse.
Douze spectacles à donner dans douze grandes villes du monde. En commençant par New York pour lequel je m'envolerais bientôt avec mon staff.
Je continuerais en même temps à travailler sur l'album en cours, tourner les vidéos et enchaîner les interviews pour la pub de Darkist.
Il ne restait plus que trois mois avant la sortie de l'album. Et je savais d'avance qu'ils ne seraient pas de tout repos. Je n'avais presque pas de nouvelle de Turner et c'était pour le mieux, bien que j'étais certain que ça n'allait pas durer.
En arrivant à la maison, le pic de jalousie que j'avais ressenti à la salle remonta en flèche. J'allais inévitablement croiser Sara et elle serait froide avec moi, comme d'habitude, tandis qu'elle continuerait à plaisanter avec ce bouffon de Lucas.
Je priai fort pour ne pas tomber sur elle, et souhaitai qu'elle fût déjà partie pour son jogging nocturne avec Quinn.
Elle non plus n'utilisait pas la salle de sport. Elle préférait courir en plein air et le sino-américain l'accompagnait toujours.
Quant au reste de la journée, je ne savais pas ce qu'elle en faisait. Elle ne me parlait pas et je passais la majeure partie de mon temps à travailler sur des chansons.
De plus, la plupart de mes nuits, je dormais chez Marcos. Au moins, lui, il voulait toujours de moi.
Malheureusement je découvris la tête brune au centre de mes pensées dans la cuisine. Elle s'affairait à préparer un plat quelconque, alors que j'étais persuadé que Nan, ma gouvernante, avait déjà dû cuisiner.
Elle répondit froidement à mon salut, comme je m'y attendais et ça me fit contracter des mâchoires. J'avais horreur d'être ignoré et les paroles de Lucas n'arrêtaient plus de tourner dans mon esprit.
Je ne m'attardai donc pas auprès d'elle et montai prendre une douche.
Je fermai les yeux de plaisir lorsque l'eau chaude commença à couler sur mes muscles fatigués. J'étais resté comme ça un bon moment, sans bouger, à savourer la douce chaleur de l'eau, lorsque j'entendis quelqu'un claquer violemment ma porte d'entrée.
Sara était dans la cuisine la dernière fois que je l'avais vu, et je ne voyais pas pourquoi elle claquerait une quelconque porte. Elle était distante, mais elle ne me jetait plus des regards assassins comme avant. Je n'avais fait aucune autre bêtise depuis qu'on était rentré, si ?
Je passai ensuite en revue la liste des personnes qui avaient le droit d'entrer chez moi sans que mon gardien ne m'avertisse, et je conclus que ce n'était pas le style de Maryse de claquer les portes. Je n'avais jamais eu répétition avec les gars aussi tard. De plus, Lucas n'était pas assez fou pour se pointer chez moi après m'avoir provoqué de la sorte tout à l'heure. À moins que ce ne fût...
— Pitié ! Pas elle ! soupirai-je à en fendre l'âme.
Je n'étais vraiment pas d'humeur pour affronter ma visiteuse. Je sortis néanmoins de la salle de bain et m'empressai de m'habiller.
Des voix me parvenaient depuis la cuisine. Ce ne fut pas trop clair ; juste assez pour que je comprenne que les choses n'allaient pas tarder à dégénérer.
Daphney était une emmerdeuse qui croyait que la terre entière était faite pour l'adorer. Et Sara n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Je pressentais le pire, si je n'intervenais pas.
Je descendis l'escalier en quart-tournant à toute vitesse en laissant mes doigts courir sur le garde-corps en verre. J'atterris dans le salon au haut plafond sans faire attention aux œuvres d'art pour la plupart en noir et blanc qui tapissaient les murs. Je pris ensuite la direction de la cuisine, pieds nus, vêtu uniquement d'un jean noir et d'un simple tee-shirt blanc que j'avais enfilé à la va-vite.
Je les trouvai chacune de part et d'autre de l'îlot en marbre noir, s'affrontant du regard dans une atmosphère chargée de tension. Et le fait que Daphney fut habillée comme une star de la télévision et qu'elle dominait Sara d'une tête ne semblait pas du tout émouvoir celle-ci.
— Écoute-moi bien...
— Me voici, coupai-je avant que la conversation prenne une autre tournure.
— Ah, t'es là ! souffla Daphney d'un air soulagé, avant de toiser Sara. Tu peux me dire pourquoi tu ne réponds pas à mes appels ? me gronda-t-elle.
— Parce que je sais ce que tu as à me dire, et la réponse reste la même : NON ! décrétai-je d'un ton cassant.
J'allais vers le large frigo à deux battant et attrapai un Gatorade. Je dévissai ensuite le bouchon et en descendis une grosse gorgée.
— Ricardo, c'est ton père, insista Daphney, déterminée.
— Justement, c'est mon père, raillai-je avant de terminer la bouteille.
— Tu dois aller le voir.
Je jetai le récipient vide dans la poubelle et me croisai les bras sur le torse en plantant bien mon regard dans le sien.
— Pourquoi ? En souvenir du bon vieux temps ? En souvenir de l'époque où il m'ignorait, ou celle où il m'a foutu à la porte ?
— Il le regrette, affirma-t-elle avec véhémence, l'air d'en être parfaitement convaincue.
J'écartai les bras en faisant signe de chercher dans toute la pièce.
— Et où est-il ?
— Il t'attend, soutint mon amie d'enfance.
Je ne savais pas combien Dant l'avait payée, ou comment il en avait fait un si bon petit soldat à sa cause, mais c'était leur affaire. Ça ne me regardait pas. Je n'avais rien à voir dans cette histoire. J'avais tourné la page de Dant. Elle perdait son temps. Je me résignai à le lui répéter une dernière fois. Je respirai un bon coup pour contenir cet agacement qui ne cessait de grossir, et je me rapprochai d'elle de l'autre côté de l'îlot.
— Écoute Daph, on se connaît depuis qu'on est tout petit. Je t'apprécie et tu le sais. Mais j'aurais vraiment souhaité que tu te tapes quelqu'un d'autre. Tu me mets dans une situation vraiment délicate.
Sincèrement, Dant ? Mon père ? Après tout ce que tu l'as vu me faire. Que lui trouves-tu ?
Je levai une main avant qu'elle ne réponde.
— Tu sais quoi ? Ne dis rien ! Je préfère ne pas savoir. Tu fais tes propres choix, je fais les miens. Et je choisis de ne pas aller voir cette ordure, je n'ai rien à lui dire.
Je m'étais promis de ne jamais exprimer les soupçons que j'avais sur la relation qu'elle entretenait avec mon père, à cause des messages que j'avais vus dans son téléphone. Mais c'était sorti tout seul. Sa trahison devait m'avoir blessé plus que je ne l'avais pensé.
La blonde quant à elle avait froncé les sourcils et semblait carrément perdue. Elle ne s'attendait sûrement pas à ce que je sois au courant.
— Non, mais t'es complètement cinglé, gueula-t-elle avec une expression hautement choquée. Je ne me tape pas ton père. Ce n'est pas du tout ça, idiot !
— Alors c'est quoi ? intervint Sara, qui suivait la conversation avec intérêt.
Elle ne faisait même pas semblant d'être occupée. Elle avait déposé son couteau, et le tas de légumes qu'elle éminçait tout à l'heure sur la planche n'avait plus son attention.
Daphney la toisa, puis me regarda, puis la toisa à nouveau en sifflant avec dédain :
— Pourquoi elle est là déjà ?
— Si ce n'est pas ça, c'est quoi ? répétai-je pour dévier son attention de Sara.
L'héritière Bross s'accouda sur le marbre et se prit la tête entre ses deux mains, éparpillant sa crinière blonde sur tout son visage.
— J'ai liquidé tout mon héritage, confia-t-elle d'une voix faible, comme s'il lui en coûtait d'avouer ça.
— Tu as quoi ? fis-je, abasourdi.
Ce n'était pas possible ! Je me rappelais que sa famille était très riche à l'époque. Le père de Daphney venait d'une famille d'avocats célèbres et fortunés. Lui-même l'était avant sa mort dans un accident d'avion. Elle était leur unique enfant et héritière. Comment est-ce qu'elle avait pu dépenser toute seule autant d'argent ?
— Oui, je sais, soupira-t-elle en levant les yeux au ciel. Je suis écervelée, je n'ai aucun sens de responsabilité. Tu ne peux rien me dire que je ne me suis déjà répété moi-même, crois-moi. J'étais au fond du gouffre quand ton père a demandé à me voir.
De mieux en mieux !
Elle se redressa et passa une main dans ses boucles d'or.
— J'étais surprise, poursuivit-elle les yeux dans le vague. Je n'avais pas eu de ses nouvelles depuis des années. Je suis allée le voir et il m'a informé m'avoir appelé parce qu'il pensait .que j'étais la seule à pouvoir le rapprocher de toi. Je ne sais pas comment, mais j'ai fini par lui avouer ma situation économique.
— Oui, dans son lit, plaçai-je d'un ton aigre.
Non, je ne croyais pas trop à toute cette histoire, et alors ?
— Je n'ai pas couché avec lui ! s'emporta-t-elle en tapant du pied. J'ai juste découvert une autre facette de sa personnalité que j'ignorais jusque-là, enchaîna-t-elle, furibonde. Je sais que tu as du mal à le croire, mais il peut être quelqu'un de bien... Oui, c'est vrai, il m'a aidée, il m'a fait cadeau d'une belle somme.
Elle se passa encore une fois les doigts dans les cheveux et poursuivit plus calmement après avoir soufflé par la bouche :
— Mais je ne suis pas là uniquement parce que je lui suis reconnaissante. Je suis là parce que je pense que tu dois découvrir cette part de lui, toi aussi.
Joli discours, mais non.
— Tu connais déjà ma réponse, et elle n'a pas changé. Et si c'est vrai que mon père est devenu quelqu'un d'autre, il l'a fait vingt-trois ans trop tard. J'étais content de te voir Daph, tranchai-je d'un ton catégorique en tournant les talons.
— Il va mourir, Rick ! cria-t-elle.
Je restai bloqué sur place.
— Il voulait te l'annoncer lui-même, embraya-t-elle d'un air contrit. Mais j'espère qu'il comprendra que je n'avais pas le choix. On lui a détecté une tumeur au cerveau et elle est complètement maligne. Il lui reste tout au plus quelques mois à vivre. Si ça ne te convainc pas d'aller le voir, rien ne le fera. Au revoir, Ricardo !
Je voulais m'en foutre ; je luttai pendant une bonne minute pour ne rien ressentir, mais j'échouai lamentablement. La nouvelle m'avait atteint.
Dant Rivera ne m'avait jamais témoigné de l'affection, ni n'avait manqué une occasion pour me rappeler que j'avais tué sa femme. Je le détestais, alors pourquoi ça... m'attristait ?
Comment était-ce possible ?
Je serais resté là, perdu dans mes pensées, si Sara n'avait pas posé une main sur mon bras. Je sursautai, pivotai et croisai son regard, et j'y lus un soupçon de pitié.
Je ne voulais pas paraître pitoyable. Pas pour Dant.
Je m'éloignai à grands pas, appelai Marcos pour lui dire que j'allais passer, mais je tombai sur son répondeur.
J'avais envie de cogner sur quelque chose. Je tentai les techniques de respiration que m'avait enseignées ma psy, mais rien n'y faisait. Mon père avait toujours le mérite de me mettre dans tous mes états.
C'était lui qui avait créé cette version de moi dont j'essayais de m'affranchir et que Turner voulait que je garde, sans savoir quel mal-être l'accompagnait.
J'avais envie de hurler. Tant pis si on me prenait à nouveau pour un dément. Personne ne savait la solitude que j'avais dû endurer pendant toute mon enfance. Je n'avais pas eu de mère, et même pas une seule photo d'elle. Pas de proches... rien qu'un père absent.
La seule façon que j'avais trouvée pour attirer l'attention de ce dernier, c'était de faire une connerie. Et là, il me disait des choses atroces, des choses qu'aucun gamin ne devait entendre... des paroles qui m'avaient brisé à un point où j'avais cessé d'espérer une guérison.
Et voilà qu'au moment où je commençais à aller mieux, il se sentait le droit de revenir dans ma vie. Et je devais accepter, parce qu'il allait soi-disant mourir ?
Qu'il aille se faire foutre ! Lui et toute la tristesse que je ressentais pour lui.
J'attrapai un vase dans le couloir et le fichai par terre. Puis je m'attaquai aux cadres et en arrachai les toiles. Je hurlais, je pleurais, la rage et la douleur ne faisant plus qu'un en moi.
Je m'étais retourné pour attraper une autre peinture, mais je tombai nez à nez avec Sara qui s'empressa de m'étreindre.
Elle m'enlaça de toutes ses forces par la taille et je me laissai aller dans ses bras menus. Je donnai libre cours à mes larmes en la serrant fort contre moi, comme si ma vie en dépendait.
— Je suis en colère, sifflai-je entre deux sanglots.
— Je sais.
— Contre moi-même, ajoutai-je en reniflant.
Je me foutais de paraître élégant. Il y avait de ces moments où la douleur était tellement intense qu'elle faisait taire toutes les pensées parasites.
— Ça va aller, me berça-t-elle d'une voix douce, en m'étreignant encore plus fort.
— J'ai envie d'aller le voir, malgré tout ce qu'il m'a fait. Tu ne peux pas avoir idée de ce qu'il m'a fait subir. Et pourtant, il a suffi que Daphney me parle de sa maladie pour que j'aie envie de courir le trouver. Pourquoi Sara ? Pourquoi suis-je comme ça ? Je me déteste.
— On ne choisit pas sa famille. Crois-moi, j'en sais beaucoup sur le sujet ! Mais que tu aies envie de le pardonner malgré tout ne fait pas de toi une mauvaise personne, bien au contraire, m'assura-t-elle le visage toujours contre mon torse.
Mes larmes avaient finalement cessé leur débitage incroyable. Ma respiration s'était calmée. J'avais l'esprit plus clair. Mais désormais, je me sentais tellement vulnérable, et honteux qu'elle eût assisté à cela.
Je me dégageai lentement de son étreinte et tentai un sourire peu convaincant devant sa mine inquiète.
– Merci. Je m'en vais. Je suis désolé que tu aies eu à voir ça. Ne t'inquiète pas. Les femmes de ménage vont nettoyer tout ça, assurai-je en désignant le bazar autour de nous.
Voulant échapper au plus vite aux multiples questions que je lus dans ses yeux verts ; je lui tournai le dos après une dernière grimace censée être rassurante, direction vers ma salle de musique.
Au moins cette situation avait eu le mérite de m'inspirer. J'avais une idée de chanson en tête, même si j'étais le seul à l'écouter.
— Pitié Rick, arrête de te comporter comme un connard fini ! s'énerva Sara. Tu me sautes, tu me remercies. Je suis là pour toi, tu t'échappes et tu me remercies comme une pute que t'as payée.
Je fis demi-tour, croisai son expression furibonde, mais ne trouvai rien à lui dire.
Je ne pensais pas qu'elle le voyait sous cet angle. En fait, je n'avais pas envisagé qu'elle le voyait sous un quelconque angle, puisque je n'y avais jamais pensé.
Putain ! Pourquoi est-ce que mon égoïsme foirait toujours tout ? Pourquoi je ne savais jamais quoi faire ?
Je ne comprenais pas pourquoi les gens croyaient que nous les célébrités, on réussissait parfaitement tout ce qu'on faisait. Regardez-moi !
J'aimerais tellement être comme ces gens dont on avait l'impression qu'ils étaient nés pour vivre. C'était comme s'ils avaient reçu à la naissance, le manuel « Comment toujours faire le bon choix ».
Ou alors ce n'était que dans ma tête. Peut-être que tout le monde galérait. Parce que d'après certaines personnes, je faisais partie de ces gens « parfaits ».
Elle dut interpréter mon silence à sa manière, car elle cingla, amère :
— Oh désolée, je comprends ! Qu'est-ce que je suis bête ? Bien sûr que tu me paies. Je suis ta chose.
— Sara, je suis désolé, je ne voulais pas...
— Ah Rick, s'il te plaît, la ferme ! coupa-t-elle en levant la main dans un geste exaspéré. Pourquoi tu penses que c'est mal de montrer qui tu es ? Qu'est-ce qui t'en empêche ? Est-ce si déplaisant d'avoir des défauts comme tout le monde ? De faire des erreurs ? De laisser sortir ce que tu ressens ? D'être humain ? Tu n'es pas qu'une star Rivera, tu es aussi une personne. Ça, tu l'as oublié, et tu as tort.
J'étais interloqué. J'avais l'impression qu'elle m'avait préparé ce discours depuis un bon moment déjà. Ses mots m'avaient touché plus qu'elle ne l'aurait cru, mais la réalité, ma réalité était loin d'être aussi simple qu'elle l'imaginait.
— C'est facile pour toi de parler comme ça, prononçai-je faiblement, après avoir dégluti. Tu ne sais pas ce que ça fait d'avoir constamment des yeux braqués sur toi. Ou de savoir qu'il y a des gens qui ne vivent que pour te voir tomber.
Je devais constamment être parfait, ou alors comme on attendait que je sois. Ma liberté n'était qu'une putain d'illusion.
— Tu ne vois donc pas comment fonctionne ce monde ? rétorqua-t-elle en plissant les yeux d'un air sage. Des gens se rendent malheureux pour être aimés par d'autres gens plus malheureux et ainsi de suite... Ça n'a aucun sens ! Je pense que ce serait plus simple si tout le monde décidait d'être eux-mêmes en étant heureux, même si ça leur attirait l'antipathie des autres...
Je n'avais pas de réponse, pas de répartie, rien ! Au fond je savais qu'elle avait raison, mais je refusais de l'admettre.
Elle me regarda une dernière fois avant de tourner les talons et dit simplement :
— Va voir ton père !
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