🌟15. Mouille

— Sincèrement Rick ? « Mouille ! » ? s'insurgea Sara lorsqu'elle remarqua l'inscription sur mon tee-shirt blanc sans manche, que je portais avec un jean noir troué aux genoux.
Ce jour-là, j'avais remis mon piercing à la lèvre inférieure et songeais sérieusement à me percer l'arcade.
Je la rejoignis à la poupe du Yacht, dans une espèce de salle de séjour à ciel ouvert, avec un sourire goguenard.
— Hein ? Il a quoi mon « Mouille » ? m'amusai-je.

Je m'installai à côté d'elle, sur un sofa tellement confortable qu'il m'en donna presque immédiatement le sommeil. Puis je croisai mes bras derrière ma tête et déposai mes boots sur la table basse, située en face de la baie vitrée qui donnait sur le bar.
Les longs cheveux de ma compagne qu'elle portait en un demi-attaché étaient de temps en temps balayés par la brise marine. Et pour une fois, elle ne portait rien avec des fleurs, juste une petite robe bohème blanche. Je la trouvais magnifique.
– Non, mais c'est quand l'égo de quelqu'un arrive à une telle grosseur qu'il porte un tee-shirt inscrit « Mouille ! » ? En gros, toutes celles qui lisent ces caractères doivent mouiller leurs petites culottes ? T'es pas croyable ! « Mouille » ! répéta-t-elle d'un air incrédule, comme si elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle avait lu.
Moi, je me marrais devant son expression offusquée.
— Je-refuse-ce-tee-shirt ! clama-t-elle avec de grands gestes de la main, qui ne firent que redoubler mon hilarité.
— Mais, tout le monde aime mes tee-shirts, fis-je, hilare.

J'aimais ce genre de tee-shirts, non seulement parce que ça m'amusait, mais aussi parce que ça provoquait toujours des réactions chez les gens, drôles pour la plupart.
Je me rappelais de cette mamie dans un ascenseur qui avait rougi après avoir lu une inscription obscène à propos d'une position sur l'un de mes tee-shirts, puis qui avait frôlé une syncope lorsque je lui avais suggéré qu'on essaie.
Je plaisantais. Mais le choc sur son visage avait valu le coup de risquer un infarctus.
Et le nombre de fois que je n'avais même pas eu à parler pour obtenir les faveurs de certaines filles, grâce à mes précieux hauts aux légendes lascives.
En tout cas, je n'étais pas prêt de me départir de mes tee-shirts à slogans.
— Ne me dis pas que parfois ça marche ? voulut vérifier Sara en plissant les yeux. Genre, que t'arrives à pécho avec ce genre de truc ?
Je ne confirmai pas, mais mon sourire en coin dut me trahir, car elle s'exclama d'un air révolté :
— Berk !
Je lui fis un large sourire appuyé d'un clin d'œil plein de sous-entendus et elle finit par s'esclaffer :
— D'où tu dégotes des fringues pareilles ?
J'étais sur le point de lui répondre lorsque l'électricité dans le bateau s'arrêta, et que celui-ci s'immobilisa, me laissant plus que perplexe, car on était en pleine mer.
Le soleil était haut dans le ciel, ce qui rendait l'eau vraiment transparente. Santorin n'était plus qu'un point blanc dans le paysage.
On avait pris le large aux environs de neuf heures ce matin-là, au lieu de la veille dans l'après-midi, car notre pilote était arrivé très tard dans la soirée.
Je m'étais énervé et aurais sûrement abandonné, si je n'avais pas tant tenu à faire plaisir à Sara. Mais aussi, je m'étais souvenu que la compagnie ne remboursait pas et vu la somme astronomique que j'avais dépensée pour louer ce yacht, bon gré mal gré je m'étais résigné.
C'était un bateau vraiment magnifique, mais pour le moment, elle restait mystérieusement immobile sur l'eau.
Sara, aussi désemparée que moi, fronça les sourcils et me questionna du regard. Je haussai les épaules d'un air impuissant et on se dirigea ensemble vers la cabine de pilotage, qui bizarrement était vide.
Finalement, on monta sur le pont supérieur où on eut juste le temps de voir le pilote — un homme à la peau foncée — s'éloigner dans l'un des canots de sauvetage à moteur, avec un sac et un appareil photo autour du cou.
Je ramassai un bout de papier replié que j'avais remarqué dans un coin, et celui-ci confirma mes doutes et le début de mes problèmes.
« J'aimerais bien savoir comment tu vas expliquer le fait que toi et ton épouse dormez chacun dans une cabine différente pour votre lune de miel. Vous ne pourrez pas nier, j'ai des tas de preuves que ce mariage est une mise en scène. Quant à savoir pourquoi... C'est une merveilleuse question.
Coucou, de la part de Michael. »
L'histoire de ma rivalité avec ce rockeur remontait à plus de cinq ans.
Le concours grâce auquel j'avais décroché mon contrat avec Starecord — l'une des plus grandes maisons de disque de tout le pays — ce fut Michael qui l'avait gagné et qui aurait dû être le seul à être signé. Cependant, la maison de disque voulut quand même de moi, en voyant mon potentiel. Michael s'était énervé et était parti rejoindre Capitol records dont la concurrence avec mon label était connue de tous.
Alors, comme j'avais mieux réussi que lui, Michael estimait que je ne méritais pas ce succès. Depuis, il me vouait une grande haine et il ne le cachait pas.
Je n'avais pas non plus arrangé les choses, en couchant avec sa sœur, Elena. Ensuite, je lui avais envoyé une photo d'elle, endormie dans mes draps, en affirmant que c'était le pire coup de toute ma vie.
Je sais ! Je méritais largement ma réputation de connard auprès de la gent féminine.
Néanmoins, je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'il me fasse espionner. Pourquoi d'ailleurs ? Ça n'avait aucun sens.
Sara dut lire le papier en même temps que moi, car elle me toucha doucement le bras et me souffla :
— Ça va aller.
— Comment ? prononçai-je plus durement que je ne l'aurais souhaité. Désolé, ajoutai-je plus bas avant de me diriger vers le bar et de me servir un verre, après avoir jeté le morceau de papier à la mer.
Elle m'emboîta le pas et s'assit sur l'un des tabourets à dossier sans rien dire.
Je n'arrivais pas à croire que ça m'arrivait à moi ! Une haine profonde se réveilla en moi à l'égard de tout et tout le monde. À commencer par l'expéditeur de la lettre, Michael, ma vie, moi... Ce fut donc avec toute ma rage que j'envoyai mon verre s'écraser contre la porte de la cabine d'en face, et ça fit sursauter Sara.
— Calme-toi, Rick !
— Pardon ? sifflai-je. Que je me quoi ? C'est toute ma putain de vie qui vient de voler en éclat là. Tu comprends ça ? criai-je. Les gens vont se poser des questions et je peux t'assurer que quand les gens fouillent ils trouvent. Certaines personnes ne vivent que pour ta prochaine gaffe quand t'es connu, tu comprends cela ? Et là Sara, c'est une très, très grosse gaffe.
Dire que ce mariage était sensé sauver ma carrière au cas où. C'est ironique que ce soit lui qui va la détruire, pensai-je
Je sortis de derrière le bar et me pris la tête entre les mains.
— C'est fini ! Michael a gagné. Tout est fini, Sara.
— Ce serait donc si terrible s'ils découvrent que tu t'es marié pour une histoire d'héritage ? s'intrigua-t-elle avec circonspection.
Je me retournai pour lui faire face et ses grands yeux verts troublés croisèrent les miens. Merde ! J'avais oublié qu'elle ne savait pas vraiment pourquoi ce mariage avait eu lieu. Dans quoi l'avais-je embarquée ?
Ma tête était sur le point d'exploser.
Et lorsque je fis ce que je fis après, je ne le réalisai qu'après l'avoir fait. Mais il était trop tard, je ne pouvais plus me détacher d'elle. Il fallait que ces voix dans ma tête se taisent ; il fallait que j'arrête de penser au pire ; il fallait que j'oublie tout, ne serait-ce qu'un moment... et ses lèvres étaient la bouée de sauvetage que j'avais trouvé pour me soustraire de mon océan de malheurs.

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