🌟11. Why

Je savais que ce moment allait arriver tôt ou tard, mais j'aurais vraiment préféré très tard.
Daphney pénétra dans le studio comme si elle possédait les lieux, se foutant totalement du fait qu'on travaillait.

Les gars la détaillèrent du haut de son mètre soixante-quinze et échangèrent des regards pleins de sous-entendus entre eux. Seul Ty détourna les yeux et eut l'air mal à l'aise.

Le guitariste au physique efflanqué, avec ses cheveux noirs gominés, toujours tirés en arrière et son corps presque entièrement recouvert de tatouages avait toujours été bizarre. Contrairement aux autres gars, Ty n'était pas très porté sur les filles. Très peu de choses l'intéressaient, en fait. Il n'empêchait que je trouvai son comportement assez étrange.

Daphney laissait rarement les gens indifférents, et le fait qu'elle s'habillait toujours comme une top modèle n'arrangeait pas les choses. La blonde aux yeux bleus était Instagrameuse. À part remplir son feed Instagram de plus de cinq cent mille abonnés — très peu, comparé au mien qui comptait plus de trente-trois millions — avec des photos de ses tenues, de ses destinations et de son mode de vie luxueux, je ne lui connaissais aucune autre compétence.

Ce jour-là, elle portait une combinaison cache-cœur blanche à manches trois-quarts qui mettait en valeur ses longues jambes terminées par des Louboutins couleur crème. Elle avait décidé de réunir sa longue chevelure blonde en une queue de cheval basse avec une raie au milieu afin de dégager ses oreilles où brillaient deux minuscules diamants et son visage aux traits sculptés.
Will, l'ingénieur du son, un grand homme au crâne rasé et à la peau brune, pour qui j'avais eu un crush pendant longtemps, me fixait, en l'attente de ma décision.

Je soupirai et me levai devant la table de mixage où les gars et moi étions occupés à analyser l'instrumentale de la chanson sur laquelle on travaillait. Je leur fis signe de tout arrêter, alors même que je détestais quand on interrompait mon travail. J'avais déjà eu du mal à me concentrer après la soirée de la veille avec Sara, et désormais, il fallait que je mette tout sur pause.

Daphney n'avait jamais vraiment eu de vrais boulots, alors ça ne m'étonnait même pas qu'elle n'ait aucun respect pour le travail des autres.

– Pourquoi ? me jeta-t-elle, en guise de salutation, après avoir jeté son sac sur l'énorme sofa gris anthracite en L, qui longeait les murs en bois mat.

Elle posa une main sur sa hanche et mit les journaux sous mon nez, comme si je ne les avais pas déjà lus ; comme si ce n'était pas moi qui avais fait en sorte que ces articles paraissent.

Il y avait des photos de nos virées à la plage, à moi et à Sara. Mais aussi des clichés de nous, au sortir du club, du festival, un autre de la pizzeria où on s'était arrêté la semaine dernière pour prendre la pizza préférée de Sara. Les paparazzis nous avaient même capturés lors de notre petite dispute le premier jour de notre rencontre – ou plutôt le deuxième, si on comptait celui du baiser.

Tous les articles étaient presque identiques. Les mêmes titres revenaient sans cesse : « Rick amoureux, ou encore une petite folie ? », « La nouvelle idylle du moment : un rockeur et une fan », « Fiançailles du rockeur le plus convoité de Los Angeles avec une inconnue », et ainsi de suite...
Sur les photos on ne pouvait nullement deviner qu'il s'agissait d'une comédie. Sara était une très bonne actrice, je devais l'avouer. Dans la photo sur la plage de Venice, on la voyait riant aux éclats en me tenant la main. Je ne me rappelais même pas vraiment avoir dit quelque chose qui pouvait provoquer une telle hilarité. Cependant, ce n'était pas moi qui allais m'en plaindre.

Ce fut Ty qui quitta le studio en premier, d'un pas vif, comme s'il voulait être le plus loin possible de nous. Lucas suivit en lançant un clin d'œil aguicheur à Daphney que celle-ci ignora. Jason, sûrement aussi agacé que moi d'avoir été interrompu, fusilla la blonde de ses émeraudes avant de sortir.

Sam et Will sortirent en dernier et nous laissèrent seuls dans le vaste studio où quelques heures plus tôt, j'enregistrais derrière la cabine blindée, relié à la régie.

Je m'appuyai sur le dossier de l'un des trois fauteuils pivotants devant la table de contrôle où Will s'occupait des réglages du son sur sa console, et me passai une main sur le visage, épuisé d'avance par la discussion qui allait suivre.

Comme je m'y attendais, à peine les gars eurent-ils refermé la porte que ma chère amie d'enfance reprit d'une voix stridente, mais qui n'avait aucune chance de franchir les murs à cause de l'isolation phonique :

— C'est quoi ce bordel, Ricardo ? T'as recommencé à te droguer ?

— Bonjour Daph. Merci de ta confiance, fis-je, d'un ton acerbe en contractant les mâchoires.

J'en avais vraiment marre qu'on remette à chaque fois ce dossier de drogue sur le tapis. J'avais tourné cette page de ma vie. Et si je fumais un joint de temps en temps c'était sous ordonnance de ma psy.
Oui, oui, une vraie psy, très sympa de surcroît. Sa thérapie consistait à remplacer une addiction par une autre, moins dangereuse jusqu'à l'éliminer totalement.

Ça avait marché, j'allais bien et je n'avais même pas éprouvé le besoin de retourner la voir, et ce depuis plusieurs mois. Donc à chaque fois qu'on me jetait ces souvenirs à la figure, je me sentais vexé, à cause de tous les efforts que j'avais déployés.

— Tu te fous de moi ? s'écria Daphney en parlant à grand renfort de gestes comme d'habitude. Si ce n'est pas la drogue, c'est quoi ? Moi qui te croyais plus réfléchi, plus mature... Qu'est-ce qui t'as pris de faire une chose pareille ?

— Fous-moi la paix, Bross ! la prévins-je, de plus en plus irrité, avec un regard menaçant.

Mais ça, c'était mal connaître Daphney. Elle ne s'arrêterait que lorsqu'elle l'aurait décidé, ou serait à court de venin, ce qui n'arrivait presque jamais.

— D'habitude quand tu dis ça c'est que j'ai raison, rétorqua-t-elle avec un regard insolent, une main sur la hanche.

— Je me drogue plus, OK ? finis-je par exploser. J'en ai marre de devoir répéter la même chose. J'ai failli mourir, putain ! J'ai appris la leçon. Lâchez-moi la grappe avec cette connerie.

Elle plissa les yeux, comme si elle considérait la possibilité de me croire ou non.

— La première fois, t'as dit la même...

— Tu sais quoi ! sifflai-je à bout de nerfs en lui tournant le dos. Va-t'en ! Ce n'est pas toi que j'ai choisi, accepte-le.

— Tu penses que c'est pour ça que je suis en colère ? formula-t-elle d'un ton aussi suffisant qu'incrédule qui attira toute mon attention. Je ne vois juste pas l'utilité de ce mariage, Rick.
Comment ça ? Elle savait pour la menace, non ? Qu'est-ce qui ne tournait pas rond chez elle ?

— Je te rappelle que j'ai reçu une lettre...

— On s'en fout de la lettre ! coupa-t-elle en faisant un geste d'exaspération avec les bras. C'est quoi le problème si les gens l'apprennent ?

— Tu te fous de moi Daph ? m'offusquai-je. Je vais perdre des fans... Ma carrière bordel !

— C'est ce que tu te racontes ?

— C'est ce qu'il en est, contrai-je avec conviction. Les gens ne s'attendent pas à ça.

Elle rit de manière hautaine, comme si elle me considérait comme une petite chose, en mettant ses doigts aux ongles parfaitement manucurés devant ses lèvres rehaussées d'un rouge à lèvres nude.

— Ces gens t'aiment Rick, enchaîna-t-elle comme si c'était évident. Rappelle-toi de cette fille en Angleterre qui t'as imploré de prendre la bague de sa famille, car elle affirmait que ta voix lui avait sauvé la vie. Et souviens-toi de tous les autres à travers le monde qui ont suivi. Tu serais infirme, qu'ils viendraient quand même te voir chanter. Tu sous-estimes vraiment l'amour de ces gens pour toi. Oui, leur annoncer que tu as un mec risquerait de briser le fantasme de plus d'un. Mais on n'est plus à l'école ; tu n'as plus à prouver à Crysta que t'es hétéro. C'est ta vie, c'est à toi de décider.

Elle ne comprenait pas. Ce n'était pas aussi simple que ça le paraissait. Elle n'y comprenait rien et je n'avais pas la force d'argumenter. Alors, ce fut le silence qui lui répondit et elle estima :

— C'est toi, pas vrai ? C'est toi qui n'assumes pas... Et lui, il en pense quoi ?

Elle n'obtint toujours pas de réponse et finit par soupirer en levant les yeux au ciel :

— Bon d'accord, comme tu veux. Mais pourquoi elle ?

— Parce que je veux, tranchai-je.

En fait, j'en voulais à mon amie d'enfance d'avoir un petit peu raison.
Daphney était souvent victime de préjugés. Physiquement, c'était l'archétype de la Barbie à la plastique parfaite, et donc tout le monde la supposait sans cervelle.

Cependant, malgré ses manières hautaines qui complétaient la liste des caractères que les gens attribuaient aux Barbies humaines que j'avais mentionnées plus haut, elle était loin d'être conne. À mon avis elle aurait pu faire carrière dans tout ce qu'elle voulait. Malheureusement, la nature avait décidé d'équilibrer sa formidable intelligence avec une grande paresse.

— Alors, tu l'aimes ? spécula-t-elle avec une expression dégoutée.

— Non, mais tu fais exprès ? gueulai-je en me prenant la tête entre les mains. Tu connais autant que moi le but de ce mariage. Non je ne l'aime pas, j'aime Marcos. Mais elle me plaît, je m'entends plutôt bien avec elle, elle est géniale...

— Plus que moi, compléta-t-elle en pinçant les lèvres d'un air vexé.

— Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit. Je t'aime comme ma sœur.

— Ah ça, ne t'en fais pas. J'ai appris la chanson, fit-elle avec une pointe de sarcasme dans la voix. Je sais que je n'ai aucune chance avec toi. Mais si ce n'est pas un mariage d'amour, alors ça aurait dû être moi. Je connais le schéma, Ricardo. Tu ne pourras pas t'empêcher de te la faire et après tu seras incapable de la voir en peinture, parce que tu lui en voudras de ne pas te combler. Ensuite, tu lui briseras le cœur comme toutes les autres, alors que ce n'est même pas elle le problème. Tu aimes les hommes, articula-t-elle en détachant chaque syllabe, comme si je risquais de l'oublier. Et Marcos dans tout ça ? Et si après votre divorce la personne à la lettre t'écrit de nouveau ? Ce mariage risque d'être en vain, Ricardo. J'espère que tu en as conscience, conclut-elle d'un ton grave.

Je fourrageai dans mes cheveux et m'étonnai de ne pas en ressortir avec une bonne poignée.

Elle venait juste de réveiller les interrogations que j'avais fait taire dans ma tête à coup de mensonges.
Sur le moment, l'idée du mariage m'avait semblé être la bonne solution. Mais plus le temps passait, plus j'avais eu envie de laisser tomber. Mais d'un autre côté, plus le temps passait, plus je m'attachais à Sara. Sara avec ses grands yeux verts. Sara qui la veille, m'avait dit « Je t'aime ».

J'aimais sa compagnie, son sens de l'humour, sa sincérité désarmante. Je ne voulais pas qu'elle quitte ma vie... pas encore.
Alors, c'était décidé, j'irais jusqu'au bout de ce mariage. Et après le divorce ?

Une chose à la fois, me conseillai-je.

— Combien de temps penses-tu qu'elle supportera ta double vie avant de craquer et de tout dévoiler par jalousie ? insista Daphney, obstinée.
Je me demandais pourquoi elle persistait autant, si soi-disant, ça ne la dérangeait pas de ne pas avoir été choisie. Elle savait bien qu'il était quasi impossible de me faire changer d'avis.

— Elle n'est pas au courant, répondis-je avec un soupir excédé. Je pense d'ailleurs que trop de personnes le sont déjà, jetai-je en crispant les mâchoires, d'un ton plein de sous-entendus.

La blonde plissa les yeux et arrondit la bouche dans une expression estomaquée.

— Attends ! Tu penses que j'ai quelque chose à voir avec cette histoire de lettre ? siffla-t-elle. Tu me prends pour une gamine ? Tu crois que je ferais ça juste pour te faire peur ? Putain t'es pas croyable ! débita-t-elle sans une pause, le visage rouge de colère.

Je l'avais blessée. J'en étais désolé, mais je n'avais tout simplement pas pu m'empêcher de douter.
Je soupçonnais tout le monde à cause de cette histoire. J'étais même arrivé à douter de Maryse ; ce qui, bien entendu, n'avait aucun sens.
La lettre en elle-même n'avait aucun sens. La personne ne disait pas ce qu'elle voulait, ni ce qu'elle attendait de moi. Elle m'avait juste annoncé qu'elle était au courant de ma relation avec Marcos et qu'elle risquait de tout balancer si un jour elle se réveillait de mauvaise humeur.

Ça ressemblait bien à une bonne blague, mais malheureusement elle ne m'avait pas fait rire. De plus, je n'avais aucun moyen de m'assurer que c'en était vraiment une. Sinon, je ne serais pas sur le point de me marier juste au cas où mon expéditeur serait sérieux.

– Je suis désolé. Je n'aurais pas dû dire ça, m'excusai-je. Tu ne m'aurais jamais fait ça, reconnus-je en tirant sur mon labret d'un air gêné.

Elle me scruta un long moment comme si elle voyait pour la première fois. Je ne sus pas trop comment le prendre. Cependant, je n'eus pas le temps de m'appesantir sur le sujet, car elle exigea en reprenant ses airs de diva :

— Ramène-moi K-pop plus tard.

Elle ne passerait pas l'éponge aussi facilement, à ce qu'il paraissait. Mais je savais qu'elle finirait quand même par me pardonner. Sinon, on ne serait pas restés potes pendant si longtemps.

— K-pop est dans la salle de billard à côté, l'informai-je dans un souffle las.

— Merci !

— Remercie Ty ! corrigeai-je.

Elle se figea quelques secondes, puis martella, furibonde en prenant le soin de détacher chaque mot :

— T'as confié mon bébé à Ty ?

Je ne voyais pas où était le problème. Le guitariste aimait vraiment la petite bête.

— Oui, confirmai-je avec un haussement d'épaules désinvolte. Il prend soin de lui mieux que...

— Tais-toi ! me coupa-t-elle en levant la main de façon théâtrale. Ne dis plus un mot ! Je te hais, Rick ! hurla-t-elle.

C'était quoi cette réaction ? D'abord Ty, ensuite elle. Quelque chose se passait entre ces deux-là, c'était clair.
La blonde attrapa abruptement son sac sur le sofa, et sortit en claquant violemment la porte.

Je décidai que je n'étais plus d'humeur à travailler après cette discussion et attrapai ma veste pour partir.
Sauf que mon amie d'enfance rentra dans la pièce quelques secondes plus tard, et me lança un tee-shirt noir au visage avant de repartir comme une furie.

Daphney savait que je collectionnais les tee-shirts à slogans ; en particulier ceux avec des inscriptions bien salaces. Elle m'en rapportait donc souvent de ses voyages.
Curieux, je dépliai celui-là pour en découvrir l'inscription et j'éclatai tout de suite de rire.

« Enfoirés de base, agenouillez-vous ! »

C'était sa façon de me dire que j'étais le roi des enfoirés. J'allais le porter avec fierté...

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