Chapitre 43 - Temazcal

Média : Run To Your Mama - Goat

Mardi 18 juillet 2017

Inkillay allume sa pipe et chante une incantation en soufflant la fumée de son tabac en direction du toit du dôme en pierre. Je reste debout à l'entrée pour ne pas la perturber, attentif au moindre de ses gestes graciles. Comme à chaque fois, je suis captivé de voir la chaman dans l'exécution de ses cérémonials. Cette parfaite connaissance de leurs rituels, que Lila doit également maîtriser en tant que digne héritière de sa mère, m'impressionne.

Une fois les volutes dispersées dans l'espace presque clos, elle s'assoit sur le banc en tapotant la place à côté d'elle pour m'inviter à m'approcher. Je descends les quelques marches afin de la rejoindre, je m'installe et la fixe dans l'expectative de la suite.

— Bienvenue dans le ventre de la Pachamama. Nous allons commencer la cérémonie du temazcal, m'informe-t-elle solennellement.

La chaman marque un temps d'arrêt.

Après avoir nourri la bouche de la Terre Mère, me voilà dans sa panse. Leur version du sauna est vraiment particulière ! J'essaye de rester sérieux et concentré lorsque Lila entre dans la hutte et tend une demi-calebasse empli de liquide à sa mère. Les deux femmes se regardent sans se parler. Elles se comprennent. La belle colombienne vide ensuite le contenu d'un seau en métal au centre de la cabane à même la terre. Avec l'aide de son tison, elle dispose en un tas bien rangé les fameux galets chauffés dans le four à bois. Puis avant de sortir, elle me jette un coup d'œil. J'aurais préféré qu'elle reste mais son regard empli de douceur me fait du bien et m'apaise. Elle est présente avec moi par la pensée, je le sens au fond de moi.

— A présent, nous allons prier ensemble, m'interpelle la chaman alors que je demeure toujours pensif en fixant la porte. Répète après moi « Déjame sentir el fuego de tu amor aquí en mi Corazón * ».

Inkillay me fait prononcer patiemment chaque mot pour que j'arrive à dire la phrase sans trop l'écorcher malgré mon accent pourri. Je savais que j'aurais dû choisir l'espagnol au collège. Mais comme toujours, j'ai écouté les conseils avisés de ma mère. C'était plus élitiste d'apprendre l'allemand. Sauf que je n'ai jamais pratiqué cette langue et maintenant je me paye une honte phénoménale en ayant l'air d'un illettré.

— Très bien, m'encourage-t-elle malgré tout. Continue de la réciter.

Elle termine à peine sa phrase qu'elle se lève et verse le contenu de la demi-calebasse sur les pierres chaudes avant de se diriger vers la sortie de la hutte. Sans que j'ai le temps de réaliser ce qu'il se passe, elle ferme la lourde porte me laissant seul dans le noir.

Je reste le visage tourné vers l'issue de la cabane à marmonner l'incantation. La température qui se dégage des galets commence à me faire suffoquer. Mais je suis sûr qu'Inkillay va revenir. Elle a juste poussé le battant pour conserver l'épais nuage de vapeur afin qu'il se répande dans le dôme.

En attendant, aucun rai de lumière ne perce à travers le bois et cette chaleur humide dans l'obscurité devient angoissante. Les battements de mon cœur s'accélèrent, je sens une crise de claustrophobie envahir petit à petit ma poitrine puis se loger dans ma tête me donnant des vertiges. Les premières gouttes de sueur perlent sur mon front avant de dévaler le long de mes joues. J'ai besoin d'air si je ne veux pas exploser de l'intérieur. Ne tenant plus, je me mets à hurler.

— Lila, ouvre-moi ! Je t'en supplie, aide-moi, je ne me sens pas bien. Je crois que je vais faire un malaise, terminé-je à bout de souffle.

J'attends en haletant dans l'espoir que la porte s'ouvre pour me délivrer de ce fourneau mais pas de réponse. Aucun bruit ne me parvient aux oreilles à part les pulsations de plus en plus fortes de mon sang dans mes tempes. Elles ne sont quand même pas parties en me laissant seul ici ? Ce n'est pas logique, pas après les déclarations que Lila m'a faites. Je tente de me raisonner mais je ne n'y parviens pas, cette nuée chaude m'étouffe. La pression monte encore d'un cran et j'ai l'impression que le sol tangue en dessous de moi. Il ne faut pas que je m'évanouisse, cette hutte ne sera pas mon tombeau, je dois rester conscient coûte que coûte et être patient.

Je suis sur le point de défaillir lorsque j'entends la voix de Lila réciter la prière que sa mère vient de m'apprendre. Ma déesse m'envoie un message. Je me focalise sur les paroles et le timbre si mélodieux de ma jolie colombienne. Tout doucement, j'arrive à canaliser la panique, je respire profondément l'air chargé d'humidité. Les essences de plantes que la chaman a versées sur les galets pénètrent dans chaque alvéole de mes poumons me donnant la sensation de me purifier de l'intérieur.

Je suis à peu près apaisé lorsque la porte s'ouvre enfin. Je m'attends à voir Lila me rejoindre mais c'est Inkillay qui vient s'asseoir à proximité de moi.

— Tu viens de passer la première étape, c'est ce que nous appelons une porte, m'explique-t-elle sereinement. Au total, il y a quatre portes qui correspondent à chaque élément, la Terre, l'Eau, le Feu et l'Air. A chaque fois je vais venir et nous réciterons la prière ensemble, ensuite je ressortirai pour te laisser méditer seul. D'accord ?

J'opine de la tête pour lui confirmer que j'ai bien saisi l'ampleur du rituel. Inkillay commence à psalmodier l'incantation, je la rejoins maladroitement dans la récitation et elle repart comme elle est venue après avoir de nouveau arrosé les galets avec sa décoction d'herbes médicinales.

Aussitôt la température augmente, je ressens encore une petite impression de suffocation lorsque la vapeur envahit la pièce mais je ferme les yeux et me raisonne. Je suis dans un sauna, certes quasiment sous terre et dans le noir mais je ne risque rien. Inkillay et Lila sont là, juste dehors, elles veillent sur moi. Je me concentre sur elles et en particulier sur ma jolie colombienne, ma Pocahontas qui me bouscule au plus profond de moi. Avec son tempérament bien trempé mais malgré tout son besoin d'affection, elle me ressemble. Même si elle, elle ne fuit pas le bonheur, elle l'attend.

Son visage de poupée s'imprime dans mon cerveau et je souris en repensant à notre complicité naissante et au chemin que nous avons parcouru depuis mon arrivée au Mexique jusqu'à présent. Je n'arrive pas à décrire ce que je ressens mais je suis bien avec elle, je suis moi-même. Elle connaît toute mon histoire et elle m'accepte comme je suis avec mes forces et mes faiblesses.

Je soupire de contentement lorsque la porte s'ouvre de nouveau. Finalement, les étapes passent vite. La chaman m'observe attentivement, sondant mon âme comme elle sait si bien le faire avec ses yeux d'ébène et prend la parole.

— Maintenant, tu sais ce qui te fait du bien, pense aussi à ce qui te fait mal. Et n'oublie pas de t'hydrater de temps en temps.

Elle récite la prière, renverse la demi-calebasse d'infusion de plantes sur les galets et ressort en fermant le battant en bois.

La température est à présent très élevée, mon corps n'est que sueur mais mon esprit est calme. Je n'ai plus peur d'être enfermé seul dans cette hutte de sudation. J'ai apprivoisé les sensations que ce lieu atypique me confère et je laisse mon cerveau vagabonder au gré des images qui me reviennent. Des flashbacks de toutes les occasions qui m'ont rendu heureux dans le passé. Je constate d'ailleurs qu'à aucun moment mes parents apparaissent dans mes souvenirs. Enfin si, une partie de golf avec mon père ressurgit subitement, un moment fugace de complicité avec lui. Soudain, je ne suis plus en colère en pensant à mes géniteurs mais mélancolique. Je suis triste pour eux car ils ne se rendent même pas compte de tous les instants de bonheur qu'ils ont ratés avec moi, leur fils unique. Et ces moments-là ne se représenteront plus jamais. Ils sont passés à côté de mon enfance et ont créé un chemin parallèle à ma vie d'adulte. A l'orée de mes trente ans, l'écart ne cesse de se creuser m'éloignant un peu plus d'eux à chaque intersection de nos existences.

Sans que je m'en rende compte, des larmes se sont mêlées aux gouttes de sueur, ruisselant le long de mes joues. A tâtons, j'attrape l'outre pour me rincer le visage et boire lorsqu'Inkillay apparaît à côté de moi. J'étais tellement absorbé par mes pensées et aveuglé par le sel qui me brûlait les yeux que je ne l'ai pas vu entrer.

Elle s'assoit à côté de moi et me saisit la main en me couvant du regard. Comme j'aimerais que ma mère me contemple de cette façon. Le sourire emplie de douceur de la chaman m'apporte le réconfort dont j'ai besoin. Je pourrais me sentir honteux qu'elle me trouve dans cet état pitoyable mais pas avec elle. Car je sais qu'elle ne me juge pas, elle est juste là pour me guider. Elle m'accompagne et m'initie à la rédemption.

Après quelques minutes de silence, elle récite l'incantation. Sa paume vibre contre la mienne au rythme des syllabes, comme si chaque mot prononcé me transmettait son énergie.

— A présent, tu as ressorti ce qui te faisait du mal. Tu peux réfléchir à la façon de trouver ton équilibre pour l'avenir.

Elle verse la décoction de plantes sur les pierres et repart une dernière fois.

De nouveaux nuages de vapeur brûlante envahissent l'espace mais je n'y prête même plus attention. Je reste bloqué sur les paroles d'Inkillay. Me projeter dans le futur. Elle en a de bonnes la chaman, j'ai toujours vécu au jour le jour. En tout cas, je ne sais pas si j'aurai des enfants mais une chose est sûre, je ne ressemblerai pas à mes géniteurs. Si l'occasion se présente pour moi de fonder une famille, je compte bien établir la même relation d'écoute et de confiance que Jay avec ses parents. Quitte à envisager les délires les plus fous, j'aimerais m'épanouir en couple en étant complice et fusionnel avec ma moitié comme le sont mon pote et sa femme. Et aussi je souhaite avoir une aussi belle et longue carrière avec les Seven Deadly Sins que Harry et son groupe. Le voilà mon équilibre parfait. En fait, mes potes sont dans le vrai. C'est moi qui suis à la ramasse en refusant de grandir, batifolant encore d'aventure en aventure comme un éternel adolescent.

D'ailleurs, si je devais dessiner le profil de ma compagne idéale, elle ressemblerait trait pour trait à Lila, une femme ayant du caractère pour me tenir tête quand je fais ma tronche de cochon mais aussi passionnée que moi dans tout ce qu'elle entreprend. Et avec son physique de déesse, je pense que je n'aurais pas assez d'une vie pour parcourir inlassablement les courbes de la belle colombienne.

Je soupire en attrapant l'outre pour me désaltérer et me remettre les idées en place. C'est bien beau de se laisser porter et d'imaginer le scénario de rêve, mais pour le moment, je ne sais pas trop où cette histoire va me mener avec Lila. Ni d'ailleurs si je suis vraiment prêt pour un quelconque engagement. Et puis, est-ce que je la mérite ? Toutefois, j'ai envie de la suivre et de profiter à fond de l'expérience que je dois vivre à ses côtés.

Je suis en pleine résolution lorsque la porte s'ouvre pour faire apparaître l'objet de tous mes désirs. Ma Pocahontas se matérialise au milieu de la vapeur telle la vision onirique parfaite qu'elle représente à mes yeux. Je n'ose pas bouger de peur de rompre ce mirage et la contemple tandis qu'elle me sourit à pleines dents. Je peux lire de la fierté dans ses yeux. Ce simple regard me comble et m'encourage dans ma décision. Elle croit en moi.

— Le temazcal est fini. Suis-moi, on va se baigner dans la rivière pour clore la cérémonie, m'invite-t-elle gentiment en me tendant la main.

Je m'en empare et me redresse doucement tant mon corps est lourd. J'aurais envie de la serrer tendrement dans mes bras pour lui témoigner toutes les émotions qui refluent en moi mais je pense qu'il est plus sage d'attendre que le rituel soit vraiment terminé. Je ne suis pas superstitieux mais je ne voudrais pas tout foutre en l'air par respect pour leurs croyances ancestrales.

Je progresse lentement jusqu'à la sortie de la hutte de sudation. Le poids de la chaleur dont mon organisme a dû faire face se fait à présent ressentir et j'ai l'impression d'avoir du lest à chaque jambe. Arrivés dehors, même si le soleil m'aveugle et me brûle les yeux, je suis satisfait de cette expérience inédite. Je me sens épuisé et vidé mais le cœur léger, comme libéré d'un fardeau.

* Déjame sentir el fuego de tu amor aquí en mi Corazón = Laisse-moi sentir le feu de ton amour ici dans mon cœur.

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