Chapitre 35 - La quête

Média : The Quest for the Enlightened One - Gypsybyrd

Samedi 15 juillet 2017

Après avoir avaler mon repas frugal, je salue mes hôtes et me lève rejoindre Lila que j'attrape par le bras pour quitter rapidement la pièce.

— Tu as dis quoi à ton oncle sur moi pour qu'il ne cesse de me faire des menaces déguisées ? chuchoté-je en sortant de la maison.

— J'allais te faire la même remarque. Je ne l'ai jamais vu aussi nerveux. Tu sais te faire des alliés toi, se moque-t-elle.

— Il sait que je suis un ami d'Harry ?

— Certainement pas, s'insurge-t-elle en regardant derrière elle pour vérifier que personne ne nous suit. Il m'a bien posé quelques questions sur toi, mais je lui ai simplement dit que tu es une connaissance de mon frère, un touriste arrivé en moto de Californie et que tu es musicien. Et pour la suite, je lui ai raconté la plongée et comment je t'ai invité à venir te soigner chez nous.

— Ok, alors il est juste méfiant. Mais il est quand même un peu flippant par moment.

— Depuis le décès de mon père, il est devenu en quelque sorte le chef du village comme ma mère ne veut pas se remarier. Alors il est très protecteur envers sa famille et sa tribu en général. Et puis je pense que ça lui déplaît de te voir tourner autour de sa fille.

— Pff n'importe quoi ! Elle se marie demain, il n'a rien à craindre de moi. D'ailleurs, je suis convié alors il n'a pas fini de faire la gueule si c'est ça qui le perturbe, me marré-je.

— On arrive chez ma mère. Concentre-toi à présent, me reprend-t-elle tandis que la mystérieuse hutte ronde nous fait face.

Lila frappe trois coups brefs sur la porte et ouvre sur une vaste salle plongée dans la pénombre. Je pénètre en silence à la suite de la jolie colombienne. La décoration intérieure est aussi rudimentaire que celle des parents de Mya. A l'exception qu'ici la pièce de vie est beaucoup plus grande. Je retrouve toutefois des similitudes avec la disposition d'hier soir sous la maloca. Je suppose que la maison de la chaman doit également servir de lieu de cérémonie.

Inkillay est assise les yeux fermés sur un large tapis rond très coloré entre des coussins tout aussi bariolés. Des bougies cernent la carpette et diffusent une lumière douce. Sur une table basse, je reconnais un bâtonnet de sauge qui se consume doucement, propageant une légère nuée blanchâtre autour de la chaman.

Lila m'incite à m'approcher de sa mère avant de quitter la pièce en me laissant seul face à la femme toujours en méditation. Ne sachant pas quoi faire, je reste planté comme un con à attendre un signe de sa part. Heureusement Inkillay lève son regard noir vers moi et dans un mouvement gracile de la main, elle m'invite à m'assoir en face d'elle.

Je me cale contre un coussin et observe la magnifique femme aux cheveux d'ébène qui allume sa pipe.

— Bienvenue chez moi Greg. Je suis enchantée de faire ta connaissance, m'accueille-t-elle avec un beau sourire découvrant des dents merveilleusement blanches malgré le tabac qu'elle fume en permanence.

— Merci, c'est un honneur pour moi également. J'ai beaucoup entendu parlé de vous.

— Ah bon ? s'étonne-t-elle en soufflant la fumée.

Merde, la gaffe. Elle m'impressionne tellement que comme un imbécile je me suis laissé emballer par les émotions.

— Oui, Anka et Lila ne tarissent pas d'éloges sur vous, me rattrapé-je.

— J'ai des enfants merveilleux, se ravit-t-elle. Alors Greg, comment te sens-tu aujourd'hui ?

— Pour être honnête, perdu. Je ne sais pas si j'ai rêvé ou si j'ai réellement vécu ces choses bizarres.

— Raconte-moi, m'encourage-t-elle en me tendant sa pipe.

J'aspire une bouffée de tabac qui m'arrache les poumons et je me rends compte que je n'ai pas fumer de cigarettes aujourd'hui. Finalement l'ayahuasca n'a pas que des effets étranges sur moi. La tête me tourne un peu, mais je commence à narrer lentement mon récit en expliquant les sensations que j'ai ressenti en moi tout au long de la cérémonie, la chaleur, les serpents, les couleurs, les spasmes et surtout les violents vomissements où j'ai cru que j'allais y laisser mes tripes.

Inkillay m'écoute attentivement avec son regard doux et son sourire bienveillant. Une fois que j'ai fini de lui relater ce dont je me souviens de la soirée, elle reprend calmement la parole.

— C'est très bien, se réjouit-elle. Les esprits t'ont aidé à littéralement expulser des émotions que tu avais bloquées en toi. Tu as été très résistant hier. Avec Killasisa, nous t'avons accompagné pourtant, mais tu es tenace. Ce que tu refoules est trop ancré en toi. Aussi, je pense que tu n'as pas encore tout extérioriser.

Tandis que j'écoute avec intérêt ses explications, je ne peux pas m'empêcher d'être déçu. Après ce que j'ai vécu comme profond trip, je ne dirai pas que je pensais être définitivement libéré mais je m'attendais vraiment à sentir un changement plus conséquent en moi.

— Si tu me fais confiance Greg, on peut essayer une autre méthode un peu plus profonde pour ouvrir ce carcan qui emprisonne ton âme.

Sur ces paroles pleine de mystère, elle me laisse à mon questionnement et se lève pour se diriger vers son coin cuisine. Je la suis du regard et l'observe piocher dans ses bocaux pour verser quelques pincées de plantes dans la bouilloire qu'elle dépose sur le poêle. Elle a un herbier impressionnant. Les étagères suivant l'arrondi de sa maison sont pleines de récipients du sol au plafond. Il n'y a aucune étiquette sur les boîtes, Inkillay a la parfaite maîtrise de sa collection de végétaux.

Dès que la bouilloire siffle, elle verse la tisane dans deux tasses qu'elle dépose sur la table basse à côté de nous. Elle saisit le bâtonnet de sauge encore incandescent et le passe machinalement au-dessus de nos boissons en récitant une incantation. Je sens une petite boule d'angoisse me nouer la gorge. Elle ne va quand même pas oser me refaire boire son tort boyaux tout de suite.

— Rassure-toi c'est juste une tisane pour ton estomac, me rassure-t-elle. Comme nous sommes encore sous l'emprise de l'ayahuasca, je préfère purifier l'infusion.

— Parce que vous aussi vous en avez bu ? m'intéressé-je en attrapant ma tasse.

— Il faut bien que les esprits me parlent pour chanter les icaros et vous guider.

C'est peut-être bête, mais quelque-part cela me console de savoir qu'elle a partagé le même état de transe que moi hier soir. Et je me sens prêt à la suivre dans la prochaine étape quand je la vois aussi sereine et sûre d'elle.

— Donc c'est quoi l'autre procédé pour m'aider ?

— Ce genre d'expérience se vit pleinement, je ne peux pas t'expliquer comme ça.

Tiens donc, je croirais entendre son fils.

— Ok, alors expérimentons.

— Très bien, je te remercie pour la confiance que tu m'accordes. Demain c'est le mariage de ma nièce donc je propose que lundi, on se repose et on se donne rendez-vous mardi près de la rivière. Je demanderai à Killasisa de te préparer le matin, conclut-elle en portant sa tasse fumante à ses lèvres.

Visiblement je n'en saurai pas plus aujourd'hui. Son programme me paraît envisageable, alors j'accepte en sirotant ma tisane tout en respectant son silence.

En sortant de chez elle, je n'ai pas envie de rentrer chez l'oncle de Lila, alors je décide de prendre le chemin que j'ai emprunté avec Mya pour aller à la cascade sans m'aventurer en dehors des sentiers battus afin de ne pas me perdre ou de rencontrer de bestioles peu amicales. J'espère juste ne pas tomber de nouveau sur Lila avec un mec, je ne suis pas d'humeur badine, je ressens juste le besoin d'être seul.

Au lieu de bifurquer pour crapahuter dans la jungle, je poursuis sur la route en terre qui s'enfonce dans la forêt. L'endroit est calme et ressourçant, juste le chant des oiseaux perce le silence. Je lève la tête pour m'imprégner de l'immensité de cet environnement sauvage. Au dessus de moi de magnifiques perroquets aux couleurs flamboyantes volent et se posent sur les branches d'un arbre. D'autres les rejoignent et les feuillages se recouvrent rapidement des teintes vives des ramages de ces gigantesques aras. J'ai l'impression d'avoir un sapin de noël avec des boules de décoration vivantes.

Je m'assois sur un rocher pour profiter de ce spectacle hors du commun. Je fais quelques photos pour capter ces instants uniques que je ne m'imaginais absolument pas vivre il y a quelques semaines lorsque j'ai décidé de partir en road trip jusqu'à Sacramento. J'ai l'impression qu'il y a un siècle qui s'est écoulé tellement j'ai vécu intensément chaque étape.

J'ouvre l'application pour vérifier les clichés que je viens de faire sur mon téléphone. Sans le vouloir, les images des haltes et des rencontres que j'ai faites défilent sous mes yeux jusqu'à la dernière photo que Jay m'a envoyée d'Amy. Je constate que mes amis me manquent bien sûr et j'ai hâte de faire la connaissance de ma filleule mais finalement cette pause me fait du bien. Cette déconnexion loin de ma réalité ne me rend pas malheureux. Au contraire, je me sens bien au milieu de cette nature si belle. Je suis apaisé par la contemplation de cette luxuriante végétation et de la faune splendide qui l'habite.

Je reste assis un moment à méditer sur la vie en perpétuel mouvement que je mène à Seattle. Je me rends compte que j'ai sans cesse besoin des autres pour avoir l'impression d'être épanoui. Cette émulation que j'affectionne tant, ne serait-ce finalement pas pour combler un vide ? Mais un manque de quoi ? Ma vie me semble bien remplie, j'ai tout pour être heureux. Et pourtant, je commence à apercevoir que la but de mon existence n'est pas de multiplier les rencontres, même si cela s'avère souvent enrichissant, mais de m'entourer des bonnes personnes.

L'agitation soudaine des ailes des perroquets me fait sursauter et me ramènent à la réalité. Le ciel s'est tout d'un coup obscurci, la pluie ne va pas tarder à tomber. Je range mon téléphone dans ma poche et reprends la route pour retourner au village. J'ai quelques jours devant moi et encore des expériences à vivre pour approfondir ma réflexion et cette quête sur la finalité de ma vie.

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