Chapitre 34 - Les visions

Média : Goatfuzz – Goat

Vendredi 14 juillet 2017

Tandis que je me familiarise avec les sensations à l'intérieur de mon organisme, un chant en quechua résonne dans mes oreilles, il est de plus en plus proche, juste au-dessus de moi à présent. C'est Inkillay cette fois qui s'approche de mon corps, je reconnais sa voix enchanteresse. Elle porte sa pipe à sa bouche et me souffle une incantation en même temps que la fumée du tabac sur mes cheveux. Je sens aussitôt ma pression artérielle se calmer.

Maintenant mes yeux voient des couleurs comme à travers un kaléidoscope, c'est magique ! Les teintes se meuvent doucement, se mêlent entre elles dans un lent tourbillon. La spirale accélère le rythme, ça bouge de plus en plus vite, trop vite même, ma tête a le tournis. Mon estomac rejoint la danse et une boule de chaleur fait le yoyo dans mon œsophage. J'ai juste le temps de m'asseoir et d'attraper la bassine que je recrache le contenu de ma panse dans un cri libérateur.

Je me rallonge en pensant que tout va aller mieux maintenant que j'ai évacué la potion ingérée. Mais erreur de débutant, j'ai à peine posé la tête que j'ai l'impression que la terre tremble en dessous de moi, que le sol se dérobe et qu'une faille m'engloutit. L'ayahuasca agit encore en moi, tel un poison, elle s'est immiscée dans chaque cellule de mon organisme et je ne contrôle plus rien.

Mon corps tangue, ma vue se trouble, je suis le serpent de mer coincé sur un bateau. Personne ne doit connaître mon existence, ils ne doivent pas me capturer, moi le mythique, l'indomptable monstre marin. Je me débats pour retourner à l'eau car je suffoque loin de mon élément, je veux retrouver ma grotte sous-marine, mon refuge. Une vague plus puissante arrive et c'est la libération. Tandis que je bascule brusquement sur le côté, un second geyser de liquide sort de ma bouche et atterrit directement dans la cuvette.

Je me laisse retomber sur ma paillasse, je me sens vidé et pourtant mon estomac continue de danser la gigue et se tord dans tous les sens. Je suis parcouru de frissons alors que je crève de chaud. Mes veines sont toujours en feu, le venin est encore en moi. Même si les serpents se sont endormis, le prédateur guette inlassablement, terré au fond de mes entrailles. Lorsque j'entends des bruits de pas, mon esprit est sur le qui-vive, gare à celui qui ose s'approcher. Au moment où je me cabre prêt à attaquer, Inkillay passe un bâtonnet incandescent de sauge devant mon visage. L'épaisse fumée blanche m'aveugle, seules les intonations de son incantation me laissent percevoir sa présence à proximité de moi. Je respire profondément, la chaman ne me veut pas du mal, elle veille, elle me guide. Un nouveau nuage de fumée m'englobe, m'apaise.

Je m'allonge sur mon tapis en fredonnant l'air qu'elle entonne à côté de moi. Ces sonorités ethniques me transportent. Il faudra que j'essaye de me rappeler ces notes pour les transmettre à Jay, je suis sûr qu'avec son imagination il arrivera à plaquer des accords intéressants pour nous composer un sample exceptionnel.

Mon estomac est toujours secoué de spasmes mais je n'ai plus rien à vomir à part de la bile. Je me positionne sur le flanc, le visage à proximité de ma bassine pour pouvoir cracher ces reflux aussi amers que l'ayahuasca. Je ferme les yeux et bercé par la musique, je m'évade.

Lorsque je reprends conscience, je suis dans mon petit lit chez les parents de Mya. Il fait jour dehors et je n'ai absolument aucun souvenir de comment je suis arrivé jusque là. Ma tête est embrumée et seulement de vagues souvenirs me reviennent, enfin ce sont plutôt des sensations que mon esprit se rappelle.

Je m'assois sur le rebord et me prend la tête entre les mains, encore un peu déphasé. Je ne sais pas si j'ai rêvé de toutes ces scènes ou alors si j'ai vraiment vécu un trip hallucinogène très puissant. Il faut que je parle avec Inkillay. Elle seule pourra me répondre sans passer pour un dingue. Mais auparavant je dois manger, mon estomac se tord de faim et les crampes me font super mal au bide.

Je sors de ma chambre et je trouve Mya installée dans le coin détente en train de discuter avec sa mère.

— Hey ! Bonjour Greg, m'accueille la jeune brunette. Viens t'asseoir avec nous.

Je les salue toutes les deux en me pose sur le tapis face à elles.

— Ça va ? Tu te sens bien ? s'inquiète-t-elle.

— Ça peut aller sauf que je ne me souviens pas de grand-chose. Comment je suis rentré jusqu'ici par exemple ?

— Il paraît que tu as été très réceptif à la potion et c'est très bien, m'informe-t-elle. Comme tu as été le dernier à t'endormir, Inkillay a demandé à des jeunes de te porter pour te ramener dans ton lit. Elle préférait que tu récupères pendant que les autres faisaient la séance de partage ce matin. Avec ma mère nous t'avons veillé à tour de rôle mais tu as dormi paisiblement. Tu ne te sens pas différent ?

— Difficile à dire, avoué-je un peu paumé dans ce que je pense me rappeler. J'aimerais parler avec Inkillay pour comprendre certaines choses.

— C'est prévu. Lila doit venir te chercher lorsque tu pourras être reçu par la chaman. Installe toi, je vais t'apporter de la tisane et du riz.

— Encore ! m'exclamé-je dans un cri du cœur.

Ne me dites pas qu'on va recommencer la purification et tout le tintouin aujourd'hui parce qu'il y en ras le bol de leur rituel et de cette frustration qui me tenaille les entrailles. L'abstinence sexuelle, ça passe encore pour le moment, mais pas la bouffe bordel ! J'ai besoin de manger un vrai repas moi.

— Rassure-toi, c'est juste pour l'instant, se marre-t-elle face à ma mine de chien battu. Il faut laisser le temps à ton estomac de se remettre. Si tout se passe bien, ce soir tu dégusteras une de nos spécialités, m'encourage la jolie brunette en me donnant une tasse de décoction de plantes.

Puis elle me tend un bol de riz blanc comme la neige, toujours sans sauce ni accompagnement. C'est d'une tristesse. Ouais je sais il m'en faut peu pour me saper le moral. Alors pour me changer les idées, je décide de faire la conversation.

— Et ton père ça va ? Car je l'ai vu hier soir sous la cabane.

— La cabane, comme tu dis, s'appelle une maloca, se moque-t-elle. C'est notre lieu de regroupement et de cérémonie, m'explique-t-elle.

Puis elle fait la traduction à sa mère qui explose de rire en allumant sa pipe.

— Désolée, mais tu nous amuses. Papa va bien, reprend-t-elle plus sérieuse. C'est gentil de demander. Mon père est épileptique depuis qu'il est bébé à la suite d'une méningite. L'ayahuasca lui permet de se soigner de manière naturelle. Grâce aux plantes, il ne fait plus de crise.

— Ah oui quand même. Je ne pensais pas que cela pouvait être aussi puissant.

— Il ne faut pas douter de la force des esprits, tu sais.

Sa réponse me laisse dubitatif. Cependant, j'ai eu ma dose de mysticisme pour le moment alors je profite que sa mère ne parle pas ma langue pour dévier sur un autre sujet.

— Alors comme ça tu vas te marier ? la taquiné-je.

— Oui ! s'exclame-t-elle. C'est demain ! D'ailleurs, je t'invite à la fête, même si c'est encore sous la maloca, cela te changera d'ambiance, se marre-t-elle.

— Ouais c'est cool de ta part. Tu es sûre que ça ne te dérange pas de me présenter à ton mari après ce qui s'est déroulé dans la jungle ?

— Mais non ! Il va m'avoir pour lui toute sa vie alors ce qui est arrivé avant les noces n'a pas d'importance. Ne le prend pas mal, mais c'est comme ça chez nous. On ne s'encombre pas d'être jaloux du passé.

Je n'ai pas le temps de lui poser davantage de questions que nous sommes coupés par l'arrivée de Lila et de son oncle. Ces derniers nous saluent et Tupak prend place à côté de moi.

— Finis ton riz mon ami, Inkillay va te recevoir, m'encourage-t-il en passant un bras puissant autour de mes épaules.

Puis il m'attire vers lui en rigolant avant de me murmurer à l'oreille :

— Pas de vagues amigo, ok ?

Je hoche la tête courtoisement en me libérant de ses bras pour lui faire comprendre mes limites à son étrange familiarité. Je ne sais pas si son comportement est en rapport avec à sa maladie mais je finirai par le savoir. Je lève les yeux vers Lila qui n'a rien loupé de la scène et me regarde intriguée.

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