Chapitre 33 - La cérémonie

Média : La Frontera – Lagartijeando

Vendredi 14 juillet 2017

Nous arrivons vers le cours d'eau où j'ai fait ma douche de purification un peu plus tôt avec Mya. Je ralentis le pas car j'appréhende la suite. Ne me dites pas qu'on va remettre ça, je n'ai vraiment pas envie de me foutre à poil maintenant. La température a beaucoup chuté et avec l'humidité ambiante, je supporte bien mon sweat. Et puis surtout, maintenant je suis purifié donc ça ne sert à rien de se mettre encore plus l'eau à la bouche avec le corps de déesse de Lila qui est un appel à la tentation rien qu'en la regardant dans sa tenue moulante.

Heureusement, je suis vite rassuré de la voir continuer sa progression le long de la petite rivière. Elle s'enfonce ensuite dans la jungle avant de s'arrêter à l'orée d'une clairière afin que je la rejoigne. Je me positionne à côté d'elle et contemple la scène qui se déroule devant nous avec émerveillement mêlé à une pointe d'inquiétude face à l'incertitude de la suite des festivités.

Devant nous se trouve une grande hutte ronde sans murs, en fait c'est plus une sorte d'estrade protégée par un toit en paille. Des bougies sont disposées tout autour à même la terre diffusant une lumière douce et chaleureuse. Des tapis en laine et des couvertures multicolores sont installés un peu de partout sur le sol en bois de la cahute avec deux gros fauteuils qui trônent devant ce parterre recouvert de tentures. Sur l'un d'eux, une femme est assise avec un châle sur la tête. Je ne distingue pas son visage car elle a la tête baissée vers une petite table sur laquelle gît une marmite. Sans la connaître, je devine que c'est Inkillay. Il se dégage d'elle cette même aura mystique que sa fille mais avec une puissance encore plus forte. A moins que ce soit mon stress qui grimpe en flèche et me rende électrique.

— Je te présente ma mère, chuchote Lila. Elle chante une incantation à l'ayahuasca pour que les esprits viennent nous parler ce soir, m'explique-t-elle.

Des hommes et des femmes arrivent de part et d'autre dans notre dos et prennent place sur les tapis.

Tandis que j'observe cet environnement nouveau afin d'essayer de comprendre ce qui m'attend, Inkillay lève les yeux et braque son regard noir sur moi. Je ressens instantanément comme une onde de chaleur m'envelopper et une forme de bien-être m'envahir de l'intérieur. J'ai l'impression d'être aimanté par cette femme à la beauté ethnique comparable à celles de sa fille et d'Anka.

— Viens, je vais t'installer, m'interpelle Lila en me décrochant de la fascination que j'éprouve pour sa mère.

Je la suis en direction d'une couverture lorsque je remarque que son oncle prend également place parmi les participants. 

— Mets-toi ici, ainsi je serai près de toi pour te veiller, m'invite-t-elle à m'installer à côté du fauteuil laissé vacant.

Je suis surpris par sa subite bienveillance. En même temps, je commence à être habitué à ses changements soudains d'humeur, alors je ne rechigne pas. Pour être honnête, cela me rassure d'avoir à proximité de moi une personne qui m'est plutôt familière et surtout qui parle ma langue. Je me contente de m'asseoir sur ma couchette de fortune comme les autres convives.

Une fois que j'ai pris ma place, Lila s'éloigne et revient avec une pile de bassines qu'elle distribue à chaque personne présente dans l'assemblée. Puis elle repart vers une sorte d'autel disposé derrière sa mère que je n'avais pas encore remarqué, Elle réapparaît avec des petites coupelles en terre cuite remplies de tiges et de feuilles séchées qu'elle tend à nouveau à chaque participant avant de venir me rejoindre en dernier.

Elle s'accroupit à côté de moi et allume le contenu de la soucoupe qui s'embrase aussitôt. Elle souffle délicatement afin d'éteindre les flammes pour que l'encens naturel se consume doucement. Chaque personne autour de nous a allumé ses bâtonnets et une épaisse fumée blanche se répand sur le sol. J'observe ce spectacle à la fois féérique et inquiétant. Je n'ai toujours aucune idée de ce qui va se dérouler ce soir et cela commence sérieusement à me faire flipper.

Sentant mon inquiétude, Lila se penche vers moi et me chuchote :

— Ces feuilles de sauge sont la dernière étape de la purification. Inkillay va chanter une incantation pour chasser les mauvais esprits et attirer à la place ceux qui nous veulent du bien. Ensuite elle va procéder à la distribution de l'ayahuasca. Tu iras boire ta dose lorsque tu te sentiras prêt et tu t'installeras sur ta couchette pour laisser agir la potion en toi. Si tu ne te sens pas bien, tu as ta cuvette. Ok ? m'interroge-t-elle alors que sa mère commence à réciter une prière en espagnol.

J'opine de la tête sans être vraiment rassuré par ses explications. De toute façon, il est trop tard pour faire machine arrière, la cérémonie commence et tout le monde est concentré sur les paroles qui sortent de la bouche de la chaman. Lila se redresse aussitôt pour s'installer sur son fauteuil et chanter avec Inkillay. Je ne comprends pas un traître mot de ce qu'elles baragouinent mais le son est harmonieux et envoûtant. Je me surprends à fermer les yeux pour m'imprégner de la mélodie et de leurs voix enchanteresses accordées à l'unisson. Sans m'en rendre compte, j'entonne tout doucement le refrain lancinant de la litanie avec elle. Le son de ma gorge fait écho dans ma cage thoracique et m'apporte une plénitude qui détend mes muscles encore contractés par mes émotions et l'appréhension de cette soirée. La musique c'est mon élément donc forcément ça me parle.

Le bruit d'un gong me fait sursauter et me ramène à la réalité de l'instant présent. En fait, c'est tout simplement Inkillay qui a tapé sur la marmite avec sa louche pour annoncer le début de la distribution de l'ayahuasca. La pression remonte, je sens que le moment clé de la soirée se joue maintenant.

Une à une les personnes se lèvent pour se diriger chacune à leur tour vers la chaman. Celle-ci leur tend une petite tasse dans laquelle elle verse le liquide contenu dans la casserole tout en murmurant quelque chose à chaque participant qui retourne aussitôt sur sa couche après avoir bu le fameux breuvage.

Tout le monde est passé sauf moi. J'ai préféré attendre qu'ils se soient tous servis pour prendre le temps de canaliser mon appréhension ne sachant pas vraiment ce que je dois faire au cours d'une telle cérémonie. J'en ai également profité pour observer les réactions des autres convives après l'ingestion de cette décoction. Et contrairement à ce que m'a dit Lila, personne ne semble malade. Alors je prends mon courage et me lève doucement pour me rendre vers Inkillay.

J'imite les autres lors de leur passage et me mets à genoux devant elle en la regardant dans les yeux avec humilité. De près, sa beauté est subjuguante, ses traits sont fins et lisses comme si elle ne subissait pas les dommages du temps, alors qu'elle doit avoir quasiment le même âge qu'Harry. Elle m'observe et me sonde avec son regard noir et hypnotique. Puis un sourire bienveillant vient éclairer son visage d'une douceur réconfortante.

— Voici l'ayahuasca, laisse les esprits te guider, me murmure-t-elle dans un anglais parfait en transvasant le contenu de sa louche dans un petit gobelet qu'elle me remet.

Je l'attrape et je prends le temps d'observer ma dose tandis qu'Inkillay attend paisiblement que je la boive. Le liquide est marron foncé, presque noir. On dirait de l'encre et l'odeur n'est pas très agréable. Mais sans me poser de questions, je porte la timbale à mes lèvres et verse tout dans ma bouche. Il y a l'équivalent d'une gorgée que je sens passée tant l'amertume est forte. Cependant, je contiens ma grimace, je ne voudrais pas faire offense à la chaman ou aux esprits farceurs. Je retourne sur ma couche et m'installe plus serein maintenant que le plus dur est fait.

Enfin ça, c'est ce que je croyais car rapidement, je sens une intense sensation de chaleur se répandre de mon œsophage à mon estomac. La potion entre en action et mon rythme cardiaque s'accélère. Mon cœur bat si fort que je ressens les pulsations du sang dans mes veines comme si mon hémoglobine s'était transformée en lave. Puis petit à petit j'ai l'impression que mes vaisseaux sanguins prennent vie et bougent sous ma peau. Ce ne sont plus des veines, ce sont des serpents qui dansent dans mon corps. Bordel, le trip est vraiment puissant et pourtant je m'en suis tapé des délires hallucinogènes mais là ça dépasse tout ce que j'ai pu vivre et même que j'aurais pu imaginer.

Tandis que la sensation se propage jusqu'à l'extrémité de mes orteils, je suis scotché à mon tapis comme si mon corps était attiré par la terre. Je suis dans l'incapacité totale de bouger. En fait, je suis aimanté, c'est ça, avec seulement mon cœur qui tambourine et les serpents qui virevoltent sous mon épiderme. Mon esprit est là pourtant, attentif à chaque bruit, à chaque odeur. Il y a du mouvement autour de moi mais je ne peux pas tourner la tête pour voir ce qui se passe. Juste le son profond du râle de quelqu'un qui vomit ses tripes. Ça y est, une personne est malade.

Mais moi je me sens bien, je n'ai plus peur, je vois des couleurs. Le toit de la cahute devient orange puis rouge. J'entends qu'on court à côté de moi. Est-ce que la cabane aurait pris feu ? Non, il y aurait des cris et puis Lila et Inkillay nous aideraient à sortir de là. A moins que nous soyons offerts en sacrifices aux esprits par immolation. L'odeur de la fumée envahit mes narines et la panique me gagne. Cependant mon corps refuse toujours de se mettre en mouvement. Mon cœur s'emballe, j'ai l'impression de manquer d'air. Les flammes ne doivent pas être loin, je perçois leur chaleur qui irradie sur mon corps, qui lèche ma peau. J'ai chaud, très chaud, je transpire.

— Calme-toi, m'insuffle une voix douce à mon oreille.

C'est Lila. Elle pose délicatement sa main sur mon bras mais ça me brûle, mon sang entre en ébullition, ce sont les reptiles qui s'agitent en moi.

— Greg, je suis là, tout va bien. Ne résiste pas, m'intime-t-elle doucement.

Je suis le serpent et je vais attaquer ma proie.

— Laisse-moi, sifflé-je. Je suis un dangereux prédateur qui dévore tout sur son passage. Je ne butine pas la fleur de lune moi. Alors maintenant pars, exigé-je froidement.

Lila retire brusquement sa main, elle a ressenti la puissance de mon venin. C'est ça quand on veut dompter une bête sauvage, il faut accepter de flirter avec le danger. Au moins, elle aura compris le message, je n'ai pas besoin de son aide.

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