XXI_ baby
ding ding.
Jouant furtivement de son pistolet à tatouer, Hoseok ne releva pas les yeux vers le nouvel arrivant, convaincu qu'il s'agit d'un client assez disjoncté que lui pour sortir sous les torrents pluvieux et faire face à la mélancolie divine de l'ether.
Le brun avait passé sa journée entre ses dessins et son matériel, plongé dans une sensation d'engourdissement frustrante dont il n'arrivait pas à se libérer. Dans un coin de la pièce adjacente, son téléphone jouait la discographie de son groupe de rock preferé, sa tête bougeant au rythme de la guitare électrique comme fond pour la voix émotive du chanteur. Il affectionnait particulièrement ces instants de solitude, de remise en question, pendant lesquels il n'est face qu'à lui-même, interrompu par le clapotement de l'eau contre les vitres fumées de la boutique.
Hoseok avait décidé de laisser le temps faire les choses, il finirait par se faire plus de mal que de bien à trop y réfléchir et chercher une solution alors que tout était clair à ses yeux : Jimin finirait par se protéger sous les ailes de ses parents, il choisira certainement la quiétude et la vie conforme aux valeurs morales de la société plutôt que d'être aux cotés de son amant d'autrefois, son premier petit ami et surtout, son meilleur ami. C'était ce qui faisait le plus de mal dans toute l'histoire, c'était ce sacrifice clair et net, cette aptitude à tout brûler et à les réduire à de simples connaissances, voire des étrangers portant sur leurs manches des souvenirs communs qu'ils refusent de reconsidérer, quitte a se regarder dans le blanc des yeux nostalgiquement dans une transe de regrets pénibles et vains, rongeant les tripes de l'un et de l'autre, mordant à pleines dents dans leurs heures perdues, leurs nuits et leurs rêves.
Dans la foulée, le bouclé soupira longuement en s'essuyant les mains moites sur son pull gris et il crut entrevoir des pieds nus, pâles, aux veines bleutées de froid, trainant une longue flaque humide derrière eux.
Un brin d'appréhension douloureuse lui avait pincé le coeur lorsqu'il relevait le regard.
" Jimin ? "
C'était sorti tout naturellement, tout seul, sa voix à peine stable au fur et à mesure de ses constatations, lorsque la silhouette du jeune homme se dessinait en détail au creux de ses orbes. Le rosé tremblait, il tremblait de froid ou de peur d'une émotion quelconque. Ses dents claquaient entre elles, ses belles lèvres pulpeuses viraient aux nuances vives, le sang s'y précipitant pour concerver une température normale. Ses cheveux étaient trempés, que dis-je, tout son corps était à essorer et à la manière dont il tenait debout, on croirait presque qu'il s'agit clairement d'un miracle.
Lentement, il porta ses petites mains vers ses épaules avec la volonté d'enlever sa veste qui pesait maintenant sur lui, l'eau l'ayant bien évidemment alourdie, mais avant même qu'il n'y arrive, de fortes crampes ravageaient ses bras et un faible cri de douleur dépassait la barrière de sa mâchoire. Bien vite, les bras d'Hoseok vinrent - bien qu'hésitant - l'aider dans sa tâche pour mettre le vêtement à sécher tout en l'invitant à s'asseoir là où il le désire.
Jimin finit par s'asseoir sur le banc où Hoseok avait l'habitude de le tatouer, ressentant bizarrement un confort familier, faisant ainsi face à la chaise où son ami devait s'asseoir. Son esprit divaguait bien vite, il se demandait par quoi commencer, quel mot devrait-il placer en premier, comment réagirait Hoseok sur tel ou tel point, quels sont les mots à ne pas dire pour ne pas le blesser indirectemebt, et surtout, qui des deux aura le dernier mot. Tout ça créait autour de lui un semblant de bulle, aussi solide qu'il n'entendait plus rien, ne sentait plus rien, il avait juste ce champ infini d'idées, de pensées contradictoires, de rangements visant la perfection si bien qu'il ne ressentit en aucun moment la couette se poser sur ses épaules où le bruit de la bouilloire résonner dans le vide.
Ce n'est que lorsque le plus vieux lui présentait une tasse sous les yeux qu'il se détacha de ses pensées pour se focaliser sur le présent, le présent qui lui annonçait qu'il était là, devant Hoseok, qu'il n'avait plus qu'à parler, que c'était le moment tant attendu : que c'était maintenant ou jamais.
" Je ne savais pas que tu aimes la pluie à ce point. "
Il fut rassuré lorsque la voix calme du bouclé s'était élevé, même si ce dernier ne lui accordait plus autant d'importance puisqu'il vérifiait ses cartouches d'encre colorées en parlant distraitement mais soit, c'était suffisant pour que le rosé se donne du courage et puis, ne pas avoir les deux pupilles de son amant sur lui, aussi déstabilisantes et intimidantes soient-elles, était plutôt un avantage pour lui : il ne voulait voir le jugement dans ses yeux.
" S'il ne pleuvait pas je n'aurais pas eu l'audace de venir ici, encore moins de te regarder dans les yeux. "
" Pourquoi ? Tu crois que tu as fait quelque chose de mal ? "
Ses sourcils se froncèrent naturellement alors qu'il en profita pour prendre une gorgée de la boisson que Hoseok lui avait préparé et qui n'était d'autre qu'un chocolat chaud sucré - comme il aimait le boire plus jeune.
Il fixa le dos du brun un instant avant de reprendre.
" Tu n'as plus à faire semblant, je sais ce que j'ai fait de mal Hoseok. Je sais que je n'ai pas le droit à la parole, je sais que j'aurais dû parler plus tôt mais que faire, je suis vraiment toujours aussi idiot et je n'ai pas pu répondre à ton message parce que ma mère était au dessus de ma tête. Maintenant que je suis là et que j'estime qu'on doit se parler aussi, on va en parler. "
Soupirant, Jimin récupérait son souffle pour parler de nouveau lorsque Hoseok lui accorda une oeillade avant de souffler des mots auxquels il ne s'attendait pas.
" Vous partez bientôt ? "
C'était donc ainsi. Hoseok avait déjà abandonné l'idée d'une seconde union, il avait déjà cédé, il ne voulait pas de Jimin et le lui disait indirectement ? En soi, les choses n'étaient pas de la sorte mais que faire, Jimin débordait déjà d'emotion et chaque parole sortant de cette bouche divine valait du platine. Le plus jeune se mordait l'intérieur des joues, finalement, il n'aimait pas tant que ça la nonchallance de son ami surtout maintenant qu'il peinait à aborder ce sujet sensible qui les concernait tout deux.
Face au silence du nouveau venu, le tatoueur frotta ses mains sur le tissu usé de son jean avant de se tourner vers lui, essayant de freiner son foutu rythme cardiaque qui s'affolait à la vue d'un Jimin aussi sérieux et attristé.
Levant ses mains au ciel, il soufflait du nez.
" Ok ok, tu veux en parler, on va en parler. Je t'écoutes d'accord ? Je vais pas t'interrompre, puis ca sera mon tour. "
Un faible hochement de tête, une gorgée de chocolat chaud réchauffant sa gorge douloureuse et Jimin croisa ses pieds avant de fixer le sol.
" Je n'ai jamais voulu t'abandonner, je n'ai jamais voulu partir. Après être rentré chez moi, il s'est passé des choses horribles, des choses vraiment horribles que j'aimerai oublier sincèrement. Je n'ai pas pu te chercher, je n'avais ni les moyens ni le courage après ce que je t'ai fait, après toute les menaces, j'avais peur pour toi. J'ai passé des années.. des putain de longues heures à me souler dans des boites de nuits, trainé par mes cousins pour me faire changer d'orientation sexuelle, des filles dont je me rappelle même pas du visage se frottaient contre moi en espérant m'exciter pour satisfaire les désirs de ma famille, des gens que je connais même pas qui me récitent par coeur les mêmes paroles, les mêmes attentes, les mêmes commandements comme si je finirai par y croire à force de l'entendre... mais j'y arrivais pas, dans un coin de mes pensées tu m'attendais toujours, tu étais là, sur la marche d'escalier, les joues au creux de tes mains, les sourcils froncés d'inquiétudes... tu étais là, tu m'attendais, tu vivais en moi..."
Douloureusement, Jimin relevait ses yeux pleins de larmes vers le regard statique d'Hoseok qui avait la mâchoire crispée et les doigts enfoncés dans l'éponge du fauteuil, les yeux virevoltant de place en place pour ne pas être tenté par le diable face à la peau melliflueuse qu'il avait sous les yeux.
" Je suis tellement desolé, et c'est la seule chose que je sais faire, la seule chose que je sais dire, ma seule manière de t'avouer que j'ai peur de te perdre à nouveau, de tout perdre encore une fois comme si j'étais plongé dans un cycle sans fin à chaque fois que je crois que tout va bien. "
Il était clair que ses paroles n'étaient pas sans effet sur le tatoueur qui ne le regardait plus dans les yeux depuis un bon moment, ses lèvres pincées sous l'effet de ses incisives alors qu'un sentiment de culpabilité revenait emplir son intérieur. Il roula de sa chaise jusqu'aux jambes pendantes de Jimin, soupirant, Hoseok surprit le plus jeune lorsqu'il posa ses mains de part et d'autre de son corps, l'encadrant sans lui laisser d'espace pour bouger.
Cette chaleur douce et familière qui naissait naturellement de leur proximité.
D'un simple susurre sur un ton doux, le brun prit la parole.
" Dix ans sont passés. Dix putain d'années et pendant tout ce temps, tu n'as pas cessé d'exister en moi. "
Tendrement, l'une de ses mains se leva jusqu'atteindre la pommette de Jimin qui ne put que frissonner sous ce toucher tant désiré, le dopant d'une rassurance sans semblable avant qu'un nouveau couplet de mots ne quitte ces lèvres qu'il contemplait depuis plusieurs secondes.
" Et tu finiras par t'envoler à nouveau, comme si tout ça n'est qu'une illusion. "
Et ça, ça le tuait au fond. C'était suffisant pour remuer le couteau dans la plaie, pour lui faire comprendre tout le mal que Hoseok avait pu ressentir - rien qu'au ton de sa voix, il y lisait comme dans un livre grand ouvert. Peut-être qu'il aurait voulu se defendre, lui répondre pour cracher sa rage d'être incompris, sa colère de ne pas être entendu, mais il ne put que retenir vainement ses larmes en levant les yeux au ciel, la lumière artificielle créant un ciel étoilé au creux de ses tristes pupilles.
Cependant, il fut surpris de sentir les doigts du brun relever son index tatoué, l'observant avec tant d'attention, de la même manière qu'il l'avait observé sous la pluie. Il le tatait, le repassait de ses phalanges, redessinait chaque trait, chaque feuille, chacune de ces épines qu'il avait lui même tracé au stylo puis à l'encre indélébile.
Toutefois, la surprise était double lorsque Hoseok se pencha un peu plus et que Jimin put déceler une nouvelle écriture sur la clavicule du tatoueur, une mot serpentin qu'il ne connaissait que trop bien. Beatudinem ou bonheur en latin, c'était la calligraphie qu'il avait lui-même élaborée en un soir dans cette boutique et son amant venait tout juste de se tatouer le modèle à l'endroit même où il le lui avait conseillé.
Leurs voix s'élevèrent en même temps.
" Tu te l'ai fait tatoué ? "
" Tu l'as toujours sur la peau ? "
Et sans savoir pourquoi, ils se mirent à rire ensemble d'un éclat de joie simultanée qui les connectait plus fort que jamais, comme s'ils n'étaient pas a deux doigts de se quitter, comme s'ils ne s'étaient jamais séparés.
Naturellement, leurs regards se perdaient l'un dans l'autre, un silence confortant sauvegardant cet instant à jamais.
Les doigts d'Hoseok venaient glisser sur la peau fraiche de Jimin en dessous de son t-shirt et les jointures de Jimin se pliaient sur les épaules de Hoseok, leurs bouches s'ouvrant dans une tentative de parole seulement pour se refermer juste après, leurs yeux se suffisant pour communiquer - que se soit les orbes bouffies de pleurs de l'étudiant ou les prunelles cernées du tatoueur.
" Aime-moi comme si demain n'existe pas. "
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