Prologue
Prostrée sur une surface dure et froide, la tête enserrée dans un étau de lames, une douleur plus intense que les autres me tire de ma léthargie brumeuse. Plongée dans les ténèbres, le corps meurtri, l'âme fissurée, la certitude de me trouver au Purgatoire se dissipe lorsque le ronronnement discret du réfrigérateur se fait entendre.
La cuisine.
Je suis toujours vivante, alors ?
Avec appréhension, j'appose une main glacée sur mon abdomen. Pour me rassurer, ou peut-être revenir à une réalité moins anxiogène. Lancinant, le tiraillement qui oppresse mon ventre s'accentue par à-coups irréguliers. J'attends, misérable. J'espère autant que je redoute un signe de toi.
À mesure que les secondes défilent, lentes, silencieuses, la panique se distille insidieusement dans mes veines. Le corps remué de soubresauts nerveux, j'ignore les larmes qui sillonnent mes joues et décale ma main sur le renflement qui déforme ma robe. Pétrie d'inquiétude, j'occulte tout ce qui n'est pas toi. La bouche pâteuse, je murmure ton nom, te supplie de répondre.
En vain.
Désemparée, j'essaie de me relever, mais renonce quand un déchirement aigu dans le bas du dos m'arrache une plainte étouffée. Écœurée par le goût métallique qui se déverse dans ma bouche alors que je mords ma lèvre tuméfiée, j'ébauche une seconde tentative, puis une troisième. Je m'interdis de rester immobile. Je dois lutter. Pour toi, pour nous.
À force d'obstination, je réussis tant bien que mal à me tourner sur le côté. La posture est pénible, mais au moins, je peux me déplacer. En appui sur mes avant-bras, je commence à me traîner, prenant sur moi pour refluer l'angoisse qui menace de m'envahir pour de bon. Ma progression s'avère laborieuse, mais je ne flanche pas, balayant de temps à autre l'espace qui m'entoure pour me repérer dans l'obscurité. Je contourne le bar, agrippe le barreau en acier d'un tabouret, trouve une flaque d'eau, sursaute quand d'infimes piqûres entaillent mon bras nu.
Des éclats de verre.
Une violente nausée me foudroie au moment où mes doigts effleurent le velouté délicat de ce que je devine être une fleur. Bleue, minuscule, la première d'une myriade d'autres, gages d'un amour que je pensais indestructible et qui, cette nuit, vient de me poignarder le cœur.
J'y croyais. Bon sang, je voulais tellement y croire...
Non, je n'ai pas le droit de me morfondre ! Pas maintenant, alors que je ne suis plus en état d'assurer ta sécurité. Il nous faut de l'aide, rapidement. Avant qu'il ne revienne et nous détruise à jamais. Pitoyable, j'essuie en reniflant les larmes qui inondent mes joues. Normalement, mon sac se trouve près de la table du salon. Je peux y arriver.
Déterminée, je repousse d'un geste sec les fleurs et les morceaux de verre. Reprends mon chemin à tâtons dans l'obscurité. J'ignore combien de temps il me faut pour rejoindre le salon. Trente secondes, cinq minutes, une demi-heure ? J'ai perdu toute notion de durée.
Enfin, mes doigts rencontrent le cuir familier de mon sac à main ! Plus encore qu'une victoire, je soupire de soulagement en agrippant mon portable. Illico, l'écran s'allume, et je déchiffre dessus le début d'un message me souhaitant une bonne nuit.
Alex. Merci, mon dieu...
Il n'habite pas loin d'ici. Il ne dort peut-être pas encore. De toute façon, il n'y a que lui qui comprendra.
Au moment où j'appuie sur le bouton d'appel, une douleur fulgurante me déchire les entrailles. La respiration coupée, mon corps se tend à l'extrême, comme écartelé. Oh, bon sang ! Infernale, insoutenable, dévastatrice, cette nouvelle souffrance m'emmène au bord du gouffre. Véritable loque humaine, j'oublie les raisons qui m'ont conduite à ce désastre et prie seulement pour que la torture cesse. Je n'arrive plus à me concentrer. Je n'arrive plus à lutter. Je voudrais mourir. D'ailleurs, c'est certainement en train de se produire.
Perdue entre inconscience et douleur, je reprends brutalement mes esprits lorsqu'un liquide chaud s'écoule entre mes cuisses.
Non...
Je glisse une main sous ma robe, pour la retirer aussitôt, terrorisée par ce que je devine et redoute par dessus tout. Tremblante, j'approche le téléphone de ma main poisseuse. L'odeur me happe avant même que la faible luminosité de l'appareil ne révèle cinq doigts teints d'une nuance sinistre.
Un gémissement de bête blessée s'étrangle dans ma gorge, rompant la dernière digue qui empêchait le désespoir de pulvériser mon âme. Cernée par les ombres, je m'effondre, vaincue.
Après l'épreuve du Purgatoire, ce sont les Enfers qui m'attendent.
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