II

Le soleil commençait à se coucher sur Kyoto, baignant la ville d'une lumière dorée qui filtrait à travers les arbres du jardin familial des Hebiyama. Sayuri poussa doucement le portail, son uniforme de lycéenne impeccable, bien que son écharpe était légèrement de travers. Tandis qu'elle marchait lentement sur le chemin pavé, ses pensées étaient lourdes. La fatigue s'accumulait après une journée épuisante marquée par les examens et une pratique intense de kyūdō, son art martial préféré.

Elle serra les poings en repensant à l'attitude de ses camarades de classe féminines, dont les regards jaloux et les murmures à voix basse lui étaient devenus familiers. « Pourquoi ne peuvent-elles pas simplement m'ignorer ? », pensa-t-elle, la frustration bouillonnant en elle. Mais au lieu de laisser cette colère prendre le dessus, elle inspira profondément, ses pieds faisant un bruit feutré sur le pavé tandis qu'elle levait les yeux vers la demeure principale. Cette structure traditionnelle aux murs de bois sombre et aux toits en tuiles d'un noir profond représentait son sanctuaire, là où l'attendait toujours l'étrange confort du foyer.

« Mademoiselle ! » s'écria une voix chaleureuse et familière. Un membre du clan se précipita pour lui prendre son sac. « Vous avez l'air fatiguée, mademoiselle. Laissez-moi vous débarrasser de ça ».

Sayuri offrit un sourire poli, mais légèrement distrait.

« Merci, Ichiro-sama. C'était une longue journée ».

Elle entra dans la maison, retirant ses chaussures à l'entrée avant de glisser ses pieds dans des chaussons d'intérieur. L'odeur apaisante du bois de santal la submergea immédiatement. Alors qu'elle se dirigeait vers sa chambre, une autre voix, grave, mais bienveillante, l'interrompit.

« Sayuri, viens me voir dans mon bureau », dit Ryuuji, son grand-père.

Sa silhouette imposante était encadrée par la porte coulissante ouverte, sa posture droite et digne malgré son âge avancé.

Sayuri acquiesça sans hésitation, bien qu'une petite pointe de curiosité s'installa en elle. Elle suivit son grand-père dans le bureau, une pièce austère, mais élégante ornée de calligraphies et d'œuvres d'art japonaises. Les murs étaient garnis d'étagères remplies de livres anciens, et une table basse en bois laqué trônait au centre de la pièce. Une théière fumante était préparée sur un plateau.

Ryuuji s'installa sur un coussin, tapotant la place en face de lui pour inviter sa petite-fille à faire de même. Une fois assis, il remplit deux tasses de thé vert avec une précision méticuleuse.

« Alors, comment s'est passée ta journée ? demanda-t-il avec un sourire en coin. Tu as encore terrifié tes professeurs avec ton kyūdō ? »

Sayuri haussa un sourcil, un sourire discret apparaissant sur ses lèvres.

« Ils semblaient surtout impressionnés, grand-père. Ce n'est pas tous les jours qu'une élève défie tous les professeurs masculins du club de kyūdō et les bat avec facilité ».

Ryuuji laissa échapper un rire grave et chaleureux.

« Bien parlé. Mais n'oublie pas, la modestie est une vertu, même si tu es une Hebiyama ».

Il sirota son thé, observant sa petite-fille avec des yeux pénétrants, mais pleins de tendresse.

« Et au fait, as-tu été sage aujourd'hui, ou dois-je interroger ton professeur principal ? »

Sayuri roula des yeux, un rire discret éclatant finalement de ses lèvres.

« Tu n'oserais pas ».

« Tu veux parier ? » répliqua Ryuuji avec un clin d'œil complice. « Et tes camarades ? Aucun d'entre eux n'a osé te provoquer aujourd'hui, je suppose ? »

Sayuri secoua doucement la tête, son ton s'assombrissant légèrement : « Non, ils savent qu'il vaut mieux m'éviter. Je préfère ça, à vrai dire ».

Ryuuji posa sa tasse avec un soupir.

« Tu es forte, Sayuri. Plus forte que tu ne le crois. Mais la force ne suffit pas toujours. Le jour viendra où tu devras user de subtilité, de patience. Ces compétences seront ton véritable arc, et tes mots, tes flèches. Je comprends que tu veuilles garder tes distances. Mais parfois, une alliée inattendue peut s'avérer plus précieuse qu'une arme bien affûtée. Souviens-toi de cela ».

Elle fixa son grand-père, touchée par la gravité de ses paroles. Sayuri acquiesça, bien qu'une lueur d'incertitude traversa son regard. Ryuuji, remarquant immédiatement son trouble, fronça légèrement les sourcils.

« Merci, grand-père. Je m'en souviendrai ».

« Qu'est-ce qu'il y a, Sayuri ? Parle franchement. » Ryuuji tendit une main robuste, mais douce et tapota gentiment la sienne.

Sayuri hésita un instant avant de soupirer profondément : « Il y a des rumeurs, murmura-t-elle, sa voix teintée de colère et de honte. On dit que je coucherais avec n'importe qui pour de l'argent. C'est totalement faux, mais... elles persistent ».

Ryuuji resta immobile, ses yeux sombres s'intensifiant.

« Qui ose propager de telles absurdités ? Ces commérages ne sont qu'un reflet de leur jalousie envers toi. Ne te laisse pas atteindre. Tu es bien au-dessus de ça ».

Elle hocha doucement la tête, bien que ses poings se serraient involontairement. Ryuuji posa une main ferme, mais réconfortante sur son épaule.

« Laisse-moi m'occuper de cette affaire, et concentre-toi sur ce qui est important ».

Sayuri commença à se lever, mais Ryuuji leva une main pour l'arrêter. Un silence s'installa à nouveau, mais cette fois, Ryuuji reprit avec un ton plus grave, marquée par une rare gravité : « En parlant de choses importantes, attends un instant, Sayuri, il y a quelque chose dont je dois te parler. Reste assise ».

Sayuri releva les yeux, intriguée par le changement de ton de son grand-père. Elle se rassit lentement, intriguée par le changement de ton. Ryuuji resta silencieux pendant un moment, comme s'il pesait soigneusement ses mots.

   « Une conversation tardive que j'ai eue récemment avec un vieil ami, Renji Ginryu, dit-il lentement, pesant chaque mot. C'est quelque chose qui pourrait changer beaucoup de choses pour notre famille. Cela faisait des années que nous n'avions pas parlé, mais il m'a contacté avec une proposition... et une demande ».

Sayuri fronça légèrement les sourcils, attendant le prénom de cette personne. Elle n'avait plus entendu parler de cet individu depuis longtemps.

   « Renji Ginryu ? Le chef du clan de Tokyo ? »

Ryuuji hocha la tête.

   « Lui-même. Autrefois, lui et moi étions des amis proches, presque des frères. Mais les circonstances de nos vies nous ont poussés à devenir des rivaux acharnés. Pourtant, cette fois, il m'a tendu une main... inhabituelle ».

Sayuri resta silencieuse, attendant qu'il continue.

   « Il m'a proposé quelque chose d'aussi audacieux que risqué : un mariage arrangé entre toi et son petit-fils, Kazumi Ginryu. Selon lui, cette union mettrait fin à des décennies de conflit entre nos deux clans et ouvrirait la voie à une ère de prospérité commune ».

Sayuri sentit son estomac se nouer.

   « Un mariage arrangé ? » répéta-t-elle, sa voix tremblante d'indignation et d'incrédulité.

Ryuuji leva une main apaisante.

   « Je sais que cela peut te sembler insensé, et crois-moi, je ne prends pas cette idée à la légère. Mais avant de rejeter quoi que ce soit, je veux que tu comprennes la gravité de notre situation. Les temps changent, Sayuri, et nos clans font face à des menaces que nous ne pouvons plus ignorer seuls ». Il marqua une pause, laissant ses paroles s'imprégner. « Je ne te demanderais jamais de faire quelque chose contre ta volonté. Mais je te demande de réfléchir. Ce choix, bien que difficile, pourrait déterminer l'avenir de notre famille et de notre héritage ».

Sayuri fixa son grand-père, cherchant à décrypter l'émotion derrière ses mots. Elle voyait en lui non seulement le chef puissant du clan Hebiyama, mais aussi un homme vieillissant qui portait le poids de ses décisions passées.

   « Je réfléchirai, grand-père », répondit-elle finalement, sa voix calme, mais ferme.

Ryuuji hocha lentement la tête, satisfait de sa réponse.

   « C'est tout ce que je demande pour l'instant. Sache simplement que, quoi qu'il arrive, je suis fière de toi ».

Il savait que l'avenir serait complexe, mais il était certain que sa petite-fille avait tout ce qu'il fallait pour faire face. Elle quitta le bureau de son grand-père, ses pas lourds et mesurés. Alors qu'elle se dirigeait vers la salle à manger, son esprit était en ébullition. Les mots de son grand-père résonnaient dans sa tête, mêlés à une tempête d'émotions contradictoires. L'idée d'un mariage arrangé la révoltait, lui donnait la nausée, mais elle ne pouvait pas ignorer l'importance que son grand-père y attachait. Elle ne connaissait pas les risques de rencontrer un parfait inconnu, mais l'idée d'aller à Tokyo lui faisait remonter une vague de souvenirs sinistres.

Devant son repas soigneusement préparé par Ichiro Uchida, Sayuri réalisa qu'elle n'avait pas d'appétit. Le stress nouait son estomac, chaque bouchée semblant impossible à avaler. L'homme au corps imposant et au visage carré, aux traits durs et aux yeux sombres, remarqua son silence, mais n'osa rien dire, respectant l'introspection visible de la jeune femme.

« Comment puis-je me préparer à une chose pareille ? » pensa-t-elle, le regard perdu dans son bol de riz intact. Finalement, elle posa ses baguettes et se leva avec une politesse murmurée.

   « Excusez-moi, je vais me retirer ».

Dans sa chambre, Sayuri s'assit sur le bord de son futon, entourée par le calme de la nuit. Là, seule avec ses pensées, elle commença à peser le pour et le contre de ce que signifiait un tel engagement.

   « Un mariage arrangé... Avec un homme que je ne connais pas, dont la famille est notre rivale depuis des décennies. C'est absurde, dangereux même. »

Elle serra ses genoux contre sa poitrine, tentant de calmer l'angoisse qui montait en elle. Mais d'un autre côté, les paroles de son grand-père revenaient avec insistance : « Ce choix pourrait déterminer l'avenir de notre famille. »

Elle inspira profondément, laissant son esprit explorer les scénarios possibles. Si elle acceptait, elle pourrait peut-être renforcer la position de son clan, protégeant ainsi son héritage. Mais à quel prix ? Sa liberté ? Sa dignité ? Et que savait-elle vraiment de ce Kazuki Ginryu ? Une partie d'elle brûlait de curiosité face à cet homme qui semblait événementiel dans sa vie. Mais l'autre partie, plus forte, refusait de se laisser manipuler comme un pion. Sayuri se laissa tomber sur son futon, fixant le plafond en bois au-dessus d'elle. Le silence de la nuit semblait peser encore plus lourd sur ses épaules.

   « Que vais-je faire ? » murmura-t-elle, ses paupières devenant lourdes.

Bien qu'épuisée, elle savait que le sommeil serait difficile à trouver cette nuit. Il savait que l'avenir serait complexe, mais il était certain que Sayuri avait tout ce qu'il fallait pour faire face. Ne trouvant pas le sommeil, Sayuri alluma la lampe de chevet posée à côté de son futon et attrapa son ordinateur portable. La curiosité avait pris le dessus. Si elle devait réfléchir à ce mariage arrangé, autant commencer par comprendre qui était Kazuki Ginryu.

Elle se connecta rapidement et commença à chercher des informations sur les réseaux sociaux et les sites associés à la famille Ginryu. Les premières pages qu'elle consulta confirmèrent ce qu'elle redoutait : des articles relatant des incidents violents impliquant des membres du clan Ginryu, des allusions à leur brutalité et à leur domination dans les affaires douteuses de Tokyo. Sayuri fronça les sourcils. « Rien d'étonnant à ce que leur réputation les précède », pensa-t-elle, une boule se formant dans son estomac.

Elle poursuivit ses recherches, cette fois sur Kazuki lui-même. Son nom apparaissait souvent lié à son établissement scolaire, une école prestigieuse de Tokyo. Les clichés publiés par l'école le montraient sous un jour flatteur : un jeune homme sérieux, athlétique, et brillant. Une photo en particulier attira son attention : Kazuki en uniforme, recevant un prix lors d'une compétition sportive. Il arborait un sourire confiant, presque charmeur.

   « Tout cela semble trop parfait... », murmura Sayuri, méfiante.

Elle savait que ces informations étaient soigneusement orchestrées pour présenter une image idéale. Mais derrière cette façade, qu'en était-il vraiment ? Elle ne pouvait s'empêcher de se demander quel genre de personne était Kazuki Ginryu au-delà des apparences.

Son exploration dura une bonne partie de la nuit, entre articles et profils sociaux. Plus elle en apprenait, plus ses doutes grandissaient. L'écran de son ordinateur semblait refléter ses incertitudes. Sayuri referma finalement son appareil, se laissant tomber en arrière sur son futon.

   « Que cache cet homme ? Et comment pourrais-je me préparer à ce qui m'attend ? », murmura-t-elle, ses pensées s'éparpillant tandis que ses paupières s'alourdissaient à nouveau.

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