Piano
< Alors, pourquoi cette réaction ?
> Je n'en sais rien, pour l’instant.
< Une intoxication ?
> Provoquerait des vomissements.
< Une bactérie dans l'air ?
> Une hausse de la température.
< Le virus de l'hiver ?
> Hypothèse à exclure.
< Quel est ce mauvais sort ?
> Restons cartésiens.
< Pourquoi cette réaction, alors ?
> Pour l'instant, je n'en sais rien.
C'est une étrange comptine qui tire Laly du brouillard dans lequel elle se trouve.
Deux étudiants en médecine tournent en boucle dans la pièce jusqu'à ce qu'un gémissement interrompe leur refrain. La jeune femme s'agite dans son lit et émerge enfin. Elle marque un arrêt face à l'image dupliquée devant elle. Quatre pupilles bleues, cerclées de cheveux roux ébouriffés et de barbes éparses, la jaugent avec un intérêt curieux. L'effet miroir des jumeaux est bluffant.
< Madame, avez-vous mal ?
> Vous avez fait un malaise dans le hall de l'hôpital.
Si leur aspect est identique jusqu'au moindre de leurs gestes, leur tessiture est différente. En seulement quelques mots, Laly reconnaît que leurs cordes vocales vibrent sur celles d'une guitare. Sauf que l'un sonne comme une électrique, tandis que l'autre penche vers l'acoustique.
< Que vous est-il arrivé ?
> Elle est fatiguée. Laissons-la se reposer.
Le plus solaire des deux dégage un air de flamenco. De son vibrato de baryton se discerne presque le chant des cigales. Une chaude mélodie qui inspire la détente. De l'autre, basse beaucoup plus incisive, ne peut émerger qu'un rock des années 90. Un solo de guitare électrique endiablé qui hérisse les poils, voilà ce que Laly ressent lorsqu'elle se branche sur sa fréquence.
Si la jeune femme s'est passionnée si tôt pour la musicologie, c'est avant tout parce qu'elle est très sensible aux ondes de Solédo et aux nuances de chacun de ses habitants. Un don rare qui la rend réactive à chaque changement.
Voici un trio parfait pour un concert !
Les sosies l'examinent d'un même œil, inquiets de l'absence de réponse de leur patiente.
< Madame, vous nous entendez ?
> Madame, essayez de parler.
Les lèvres de Laly bougent, mais il lui faut un effort surhumain pour qu'un son en sorte.
— La… musique… articule-t-elle dans un soupir.
< Qu'a-t-elle dit ? s'étonne le premier, en ré mineur.
> Nous sommes tout ouïe, affirme le second, en sol majeur.
— La musique a changé.
Le duo fronce les sourcils.
> Je suis perplexe, je l'avoue.
< De quelle mélodie parlez-vous ?
— La ritournelle de l'univers est différente depuis ce matin, hésite-t-elle de son timbre soprane tremblotant. Et si j'en crois la légende, cela n'indique rien de bon.
Cette fois, les apprentis médecins sont hilares. S'ils font partie des rares érudits à avoir étudié les légendes, ils n'en demeurent pas moins cartésiens.
> Vous savez bien que c'est impossible, dédramatise le premier, la voix basse.
< Pourquoi ce sentiment si risible ? entonne le second, en raccord.
— Moquez-vous tant que vous voudrez, mais je vous assure que je ne me trompe pas, persiste la patiente. Je ressens un étrange vertige depuis ce matin. C'est ce qui a provoqué mon malaise, j'en suis certaine.
Pour lui donner raison, le destin choisit cet instant pour se manifester. Une alarme assourdissante tintinnabule dans chaque recoin du campus, l'aile médicale n'en faisant pas exception.
Une alerte tempête est donnée dans les haut-parleurs de la ville avec pour seule précision de ne pas quitter les bâtiments. Rapidement, des couplets paniqués résonnent dans les couloirs.
> Elle avait prévu le coup, accuse l'étudiant électrique.
< Comment saviez-vous ? questionne le frère acoustique.
— Je ne peux pas l'expliquer. Je suis apparemment née avec l'oreille absolue. Je perçois les notes de chaque créature vivante. Et depuis ce matin, il y a comme une divergence dans la mélodie originelle, précise-t-elle.
Si je n'en attendais pas moins de toi, cela n'en reste pas moins surprenant.
Troublés par la tournure des événements, les jumeaux reprennent leur ronde étrange sous les yeux d'une Laly penaude.
< Étonnant ?
> Fascinant !
< Quelle est cette légende que vous avez mentionnée ?
> Sûrement l'histoire oubliée.
< Comme celle que nous a racontée Cassy ?
> J'étais certain que ce n'était qu'une lubie.
< Tout ceci est peut-être une coïncidence ?
> Je ne pense pas que le destin mène la danse.
— Cessez cette valse qui me donne la nausée. Qui êtes-vous donc, à la fin ? les coupe la jeune femme.
De sa voix, dure comme le rock, l'électrique s'excite :
> Ce n'est pas une valse, mais une saltarelle. Et ça nous aide à réfléchir. Mon frère Paulin, étudiant dans la recherche, présente-t-il, plus calmement.
< Quel est le problème, si ça nous inspire ? Mon frère Robin, étudiant-analyste, imite son comparse.
> Voilà, j'analyse, confirme Robin.
< Et moi je recherche ? devine Paulin.
— Dans un domaine particulier ? s'intéresse Laly.
> Assurément, dans tout ce qu'il y a à analyser.
< Et probablement, dans tout ce qu'on peut rechercher ?
La discussion tourne à nouveau en rond, au grand dam de Laly qui sort de son lit, attrape ses vêtements et s'enferme dans la pièce adjacente, espérant que leur disque ne soit pas rayé.
— Qui est cette Cassy ? interroge-t-elle, de l'autre côté de la porte.
> Une amie. Elle aussi est doctorante.
< N’avoueras-tu donc jamais que tu la fréquentes ?
> Je ne vois pas de quoi tu parles.
< Alors pourquoi es-tu tout pâle ?
> Bref. Cassy étudie la théologie. La genèse, plus précisément.
Laly sort au même instant et semble très intéressée par le dernier argument.
— La genèse ? répète-t-elle.
> C'est le sujet de sa thèse.
— Voilà ce qu'il nous faut. Elle pourra confirmer la véracité de ma théorie. Où peut-on la trouver ?
> Vous n'allez pas aimer ce nom.
< Le père Basson ?
> Le père Basson.
— Je vous demande pardon ?
>< Le père Basson !!! s'exclament les frères, à l'unisson.
Cela devient intéressant.
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