Mezzo piano

La carrure imposante de Philippe Basson a toujours impressionné ses pairs. Théologien réputé, si les étudiants se bousculent pour assister à ses oratoires, il n'en demeure pas moins un personnage des plus antipathiques.
Appuyé sur sa branche d'érable, il souffle gravement devant les dizaines d'ouvrages éparpillés sur son bureau.

~ Pourquoi ?
~ Comment ?

~ Quoi ?
~ Qui ?
~ OÙ ?

Les murs tonnent lorsque le père grogne.

— Maître Basson, son ! J'ai réuni toutes vos encyclopédies, dis !
~ Dérèglement ?
~ Défaillance ?

~ Légendes ?
~ Sciences ?
~ RIEN ?

Jusque dans les couloirs, sa voix résonne. Pourtant, l'étudiante qui le seconde ne semble pas ébranlée :
— Je le découvrirai, rai ! Quitte à y passer la nuit, ui !

Le groupe arrive au firmament de l'orage qui règne dans la classe et la porte claque derrière eux dans un courant d'air tempétueux.

~ Qui est LÀ ?
~ Que voulez-vous ?
~ Qui sont ces fous ?
~ Qui se manifeste devant moi ?

> Monsieur Basson, désolé de vous déranger.
< Auriez-vous quelques minutes à nous accorder ? s'aventurent les jumeaux, intimidés par sa prestance.
~ Parlez plus FORT.
~ Je n'entends pas bien.
~ Êtes-vous ténors ?
~ Ou bons à rien ?

Laly observe l'énergumène et elle ne pourrait pas trouver de meilleur surnom pour sa bonhomie.
Le timbre gras et essoufflé du professeur s'insinue dans les moindres recoins de son bureau, aussi morne que la mélodie qu'il insuffle. Aucun doute, un basson dans toute sa splendeur !
Appuyé sur sa canne, l'autre main sur la anche, ses clés frétillent, son pavillon bourdonne. Monsieur Basson, dur de la feuille, s'impatiente. Heureusement, Cassy prend les devants. La voix de l'assistante, non moins saccadée qu'une batterie, se fait écho :
— Merci d'être passé me saluer, les amis, mis ! Mais nous sommes en cellule de crise. La tempête approche et nous devons trouver l'origine du phénomène, mène !

— C'est justement la raison de notre venue, ose Laly pour la première fois.

Tous les regards se posent sur elle, ainsi qu'un poids sur ses épaules. Elle hésite à poursuivre.

~ ALORS ?
~ Je m'endors.
< Avez-vous consulté la genèse ?
> Il se peut que ce soit notre hypothèse.
~ Je suis sur le coup.
~ Revues, essais, informations,
~ Chaque publication.
~ J'étudie tout.
> Nous devons chercher du côté des légendes.
< Laly, pouvons-nous vous entendre ?
— L'univers change de rythme. La ritournelle est différente depuis ce matin, se lance la jeune femme, adagio.

Le vieux théologien en tombe sur la culasse :
~ Impossible ! Cela ne se peut.
~ Comment le sauriez-vous ? Ce n'est pas sérieux !
> Laly est hypersensible. Elle peut le sentir
< Peut-être ne faut-il pas en rire ? intervient le duo inséparable.
~ NON ! Si la vie perdure ainsi,
~ C'est grâce à la mélodie
~ Qui se répète à l'infini.
~ Il n'y a aucun moyen de…

Le père Basson s'interrompt. Il boîte jusqu'à la bibliothèque pour en saisir un imposant grimoire, avant de lire, moderato :
~ Une ancienne légende raconte que la partition originelle est née de la main du Compositeur…
— Et depuis la première croche, son assistant bat la mesure et donne le tempo à l'univers, vers !
~ On l'appelle…
— Le Chef d'orchestre, le coupe Laly.
~ LE CHEF D'ORCHESTRE !
< Le Chef d'orchestre ?
> Le Chef d'orchestre…
< Le Chef d'orchestre existe pour de vrai ?
> Ça m'étonnerait.
— J'ai étudié son histoire, toire ! explique Cassy. La musique lui confère une vie éternelle, nelle !
~ C'est exact. Tu connais bien ta leçon.
~ Quoi d'autre ? Nous t'écoutons.
— Le Compositeur est le maître de la création, tion ! C'est grâce à Lui, que les étoiles sonnent, que les planètes vibrent, que le disque de l'univers tourne. Sans Lui ce serait l'anarchie, chie !
— Heureuse de voir que l'histoire n'est pas totalement tombée dans l'oubli, félicite la professeure.
— Je ne connais pas toutes les légendes qui entourent ce mythe, mais je sais que dans l'antiquité, les hommes vivaient en harmonie avec la ritournelle, nelle ! Chacun était à l'écoute de son voisin, de la nature qui l'environnait. Puis ce don s'est perdu au fil des siècles, ècle ! Plus personne n'entend sa musique, à part quelques exceptions qui, pour je ne sais quelle raison, sont sensibles aux vibrations, tion !
— Monsieur Basson, que dit la suite de l'histoire ? s'enquiert Laly.

Celui-ci reprend, allegro :
~ Il est écrit que l'univers tourne inexorablement sur le même rythme, mais qu'un jour, la mesure sonnera différemment.
~ Se produiront alors, tempêtes, tsunamis et ouragans.
~ Aux quatre coins du monde, des cataclysmes qui mettront fin au cycle de la vie.
~ Tout redeviendra poussière pour ensuite renaître de ses cendres, et ce jusqu'à l'infini.
— Voilà qui n'est pas très réjouissant, sang !

Les mots de père Basson résonnent au plus profond de Laly et sa conviction que son don peut être utile à autrui ne fait que croître. Elle s'est toujours fixé pour devoir de partager son ressenti. De transmettre ses connaissances de la musique pour sensibiliser la population, qu'elle renoue avec les anciennes traditions. Cette fois, elle a l'opportunité de réaliser quelque chose de bien plus grand encore. Elle est une des premières à apprendre que l'humanité court à sa perte et peut-être la seule à pouvoir interagir avec le destin. Si sa particularité est aussi rare, c'est sûrement pour une bonne raison.

— Y a-t-il une solution ? Nous ne pouvons pas laisser les choses se dérouler ainsi.
< Peut-être que le Chef d'orchestre nous répondra ? s'avance Paulin.
> Allons le voir et on le saura, recule Robin.
~ Hélas ! Ce n'est pas aventure aisée, le coupe Basson, presto.
~ Il vous faudra traverser bien des contrées.
~ Néant,
~ Forêt,
~ Marée,
~ Volcan,
~ Créature sans état d'âme.
~ Avant d'atteindre le cœur de sa montagne.
< Est-ce donc si loin ? Cela vaut-il le coup de risquer nos vies ?
> Si nous ne faisons rien, il n'y a pas que la nôtre qui sera finie.
— Je connais le terrain et Laly nous alertera avec son ouïe, oui !
— Pour l'instant, la ritournelle poursuit une légère ballade en sourdine, remarque cette dernière.

Le père Basson se gratte le menton.
~ Alors, il vous reste encore du temps.
~ Profitez de l'interlude.
~ Elle ne durera qu'un moment.
~ C'est une certitude.

Se tournant vers son élève, il la conseille une ultime fois, larghetto :
~ Cassy, mon petit,
~ Je vous ai appris tout ce que je sais.
~ Vous et vos amis
~ Devez suivre votre destinée.
~ Vous connaissez par cœur la légende,
~ Vous pouvez le retrouver.
~ Et faites que l'on m'entende,
~ Vous sauverez l'humanité.

Ragaillardie de ces conseils, Cassy prend les commandes :
— Ne tardons pas, pas !
< Nous engagerons-nous sans être armés ?
> Venez, allons nous équiper.

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