23. Mo-Derne Cinéma
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Je devais bien l'admettre, je me demandais ce que je faisais là.
Enfin plutôt pourquoi j'étais là à cette heure-ci.
Axel avait tenu parole, il avait organisé notre prochain rendez-vous avant de m'inviter à le rejoindre au cinéma. Jusque-là rien d'anormal. La seule chose qui m'avait étonné, lorsque j'avais lu son message, c'est qu'il voulait que je vienne à 22h30. Et si je ne me trompais pas, c'était l'heure à laquelle la dernière séance se terminait. Alors pourquoi me demandait-il de le rejoindre ici alors que le cinéma allait fermer ? Peut-être voulait-il simplement qu'on se rendre ensemble sur le réel lieu de notre rendez-vous après son service ?
Cependant je me mis à douter de cette hypothèse une fois qu'Axel me fit rentrer à l'intérieur du bâtiment, tout sourire, en m'indiquant de me mettre à l'aise le temps qu'il range et éteigne les lumières principales du hall pour indiquer que le cinéma était fermé.
Je l'attendais alors, curieux et impatient. J'en profitai pour regarder autour de moi, observant avec un peu plus d'attention la décoration de ce hall. Ce n'était pas comme si quoi que ce soit avait changé depuis la dernière fois que j'étais venu mais, certainement à force d'habitude, nous ne faisions plus attention aux détails, venant simplement prendre un ticket avant de filer dans une des salles.
J'étais comme ça moi aussi, évidemment. Et peut-être était-ce pour ça que je n'avais jamais remarqué les deux portraits en noir et blanc accrochés au-dessus de l'accueil. C'était deux hommes qui semblaient avoir une trentaine d'année chacun. Ils souriaient à la caméra, un air fier au fond du regard. Je ne savais pas quand ces photos avaient été prises, ni ce qu'ils représentaient pour ce cinéma qui justifiait d'accrocher leur portrait dans ce hall. Je me promis de poser la question à Axel quand l'occasion se présentera.
D'ailleurs ce dernier ne tarda pas à revenir. Je le senti s'approcher de moi et cela me suffit pour me faire sortir de mes pensées. Il m'adressa ce si beau sourire qui faisait vibrer mon cœur et je remarquai qu'il s'était changé, ne portant plus l'uniforme destiné aux employés du cinéma. Il était habillé simplement, mais il m'apparaissait toujours aussi beau. Son jean fuselait ses jambes à la perfection et son simple tee-shirt blanc me faisait tourner la tête pour la seule raison que ses manches courtes me laissaient voir ses bras. C'était peut-être stupide, je paraissais peut-être fou, mais ses bras étaient beaux et surtout bien trop souvent cachés par des vestes malgré le temps qui se réchauffait.
J'étais un peu plus carré que lui, la pratique de la natation à un niveau de compétition ayant très certainement formé mon corps de cette façon, mais cela ne voulait pas dire qu'il n'était pas musclé. Je m'en rendais bien compte à cet instant, tout comme je m'en étais rendu compte vendredi dernier.
Je secouai discrètement la tête, il fallait absolument que je chasse ce genre de pensées. Ce n'était pas le moment. Je me raclai alors la gorge et me reconcentrai sur ce pourquoi nous étions là ce soir ; notre rendez-vous.
— Où est-ce qu'on va ? demandai-je alors, ne pouvant plus contenir mon impatience.
— Nulle part, on reste là, répondit instantanément Axel en me lançant un regard malicieux.
Ses yeux toujours ancrés dans les miens, un sourire habillant ses lèvres, il verrouilla la porte du cinéma depuis l'intérieur.
— Est-ce que tu comptes me tuer ? plaisantai-je en réalisant que nous étions désormais seuls, enfermés, et que la nuit tombait.
— Tu crois vraiment que si je voulais te tuer, je le ferais sur mon lieu de travail ? rétorqua-t-il, rentrant dans mon jeu. Il faudrait que je nettoie tout derrière moi, il resterait forcément des traces quelques part. En plus tous les employés savent que je faisais la fermeture ce soir et Jérémy t'a vu arriver. Je serais directement suspecté.
Il disait ça sur un ton léger, comme si de rien n'était, et je ne savais pas si j'étais amusé ou terrifié.
— Dis-moi, tu as pensé à tout, lui fis-je remarquer. Est-ce que tu as vraiment l'intention de me tuer quand une meilleure occasion se présentera ?
Axel s'approcha doucement de moi, à pas feutré, presque félin, son regard accroché au mien. Arrivé devant moi, il leva les yeux vers le plafond puis posa son index sur son menton, l'air de réfléchir. C'était un geste que j'avais déjà vu chez Noé, et un geste qui contrastait complètement avec celui qu'il avait eu précédemment, lorsqu'il s'était approché. Adorable.
— Non, trancha-t-il finalement. J'ai encore besoin de toi.
Je souris et l'attrapai par la taille.
— Tant mieux, soufflai-je contre ses lèvres. Parce que j'ai encore plein de choses à vivre, avec toi.
Je n'attendis pas plus longtemps et déposai mes lèvres contre les siennes. J'attendais ça depuis que j'étais arrivé. Les jours passés entre notre dernier baiser dans le parc er celui-ci avaient été trop longs. J'étais réellement, terriblement devenu accro.
— Sinon, est-ce que tu vas me dire pourquoi tu m'as fait venir ici à l'heure de la fermeture ? l'interrogeai-je une fois rassasié de ses lèvres.
— Une séance de ciné privée, ça te dit ?
— Maintenant ? Juste tous les deux ? m'étonnai-je alors qu'Axel hochait la tête dans un geste de confirmation. Mais tu as le droit de faire ça ? Tu ne vas pas avoir des ennuis si ton patron apprend que tu as utilisé le cinéma après l'horaire de fermeture ?
— T'inquiète pas pour ça. Jérémy est déjà au courant, et puis je suis autant légitime que lui d'être dans ce cinéma. Allez, détends-toi et suis-moi.
Avant que je ne puisse rajouter quoi que ce soit, avant de pouvoir lui demander ce qu'il entendait en indiquant être aussi légitime de se trouver ici que son patron, Axel attrapa ma main et m'entraîna à sa suite. Je le laissai me conduire sans rechigner, savourant le contact de sa paume contre la mienne.
Alors que je m'attendais à ce qu'il m'emmène dans une des salles, je réalisai rapidement que nous prenions un chemin que je n'avais jamais emprunté. Au lieu de passer la porte qui menait à la salle, Axel tourna à droite et ouvrit une porte dérobée que je n'avais jamais remarquée avant. Nous montâmes des escaliers étroits avant d'arriver dans une toute petite pièce, presque comme une cabine.
Je regardai autour de moi ébahi, par tout le matériel et les machines qui m'entouraient, je ne saurais même pas en nommer la moitié. Pourtant, je compris rapidement où nous nous trouvions. Je le devinai rapidement à la vue de ce projecteur et de cette petite vitre qui nous indiquait que nous ne trouvions au-dessus d'une des salles.
Axel venait de m'emmener là où il public ne pouvait pas accéder en temps normal. Il venait de m'emmener dans la salle de projection.
— Je voulais te montrer cet endroit, me dit Axel, enthousiaste, alors qu'il se retournait vers moi. J'ai pensé que ça t'intéresserait peut-être, et puis je voulais te montrer un peu plus en détail le monde dans lequel j'aime évoluer.
— T'as bien fait, assurai-je, toujours ébahi. C'est incroyable d'être dans une pièce comme celle-ci. Je me suis toujours demandé ce qu'il y avait derrière la projection d'un film à l'écran. Et tu sais faire fonctionner tout ça ?
Pour illustrer mes propos, je levai les bras pour désigner les machines autour de nous et l'ordinateur qui se trouvait à ma gauche.
— Oui, j'ai toujours baigné dans cet environnement, tu sais. J'ai grandi avec le cinéma, que ce soit la partie tournage avec mon père, ou la partie diffusion avec mon grand-père. J'ai tout appris de lui, et j'ai déjà fait fonctionner tout ça tout seul. C'est pas la première fois que je reste au cinéma après les heures d'ouverture pour regarder un film seul. J'aime cette ambiance, c'est calme, serein. Quand je rentre dans une salle, je laisse mes soucis derrière la porte, c'est un moment de pause. Il n'y a que les acteurs du film et moi. Et toi aussi ce soir.
— C'est un honneur, murmurai-je, sincère. Je suis heureux que tu partages tout ça avec moi.
Axel m'adressa un sourire éblouissant. Lui aussi avait l'air heureux de me voir intéressé. Bien sûr que je l'étais, tout ce qui passionnait Axel m'intéressait.
— Avec l'avancée des techniques et de la technologie, on a dû passer au numérique. On a été obligé de s'adapter si on ne voulait pas fermer. On est un petit cinéma mais on a nos habitués, et on ne voulait pas forcément devenir un cinéma qui ne diffusait plus que des vieux films ou être limités parce que l'utilisation de la pellicule se fait rare. Et puis, cet endroit, c'est une histoire de famille, il était hors de question de le fermer. Par contre, je peux te montrer autre chose !
Son enthousiasme me captivait, j'adorai le voir comme ça. Alors je le laissai attraper à nouveau ma main et m'entraîner dans cette aventure à travers le Mo-Derne Cinéma.
Nous revînmes sur nos pas jusqu'à atteindre à nouveau l'entrée. Axel tourna ensuite à gauche et nous empruntâmes un couloir, le même que celui à travers lequel il m'avait conduit lorsque nous avions mangé sur la petite terrasse qui était réservé au personnel. Sauf qu'au lieu de nous diriger vers la porte du fond, nous nous orientâmes sur une autre porte à notre gauche. Cette fois-ci il ne fallait plus monter mais descendre des escaliers. J'avais l'impression qu'Axel connaissait ce cinéma comme sa poche, qu'il était comme chez lui ici.
Ce fut lorsqu'Axel alluma la lumière que je me rendis compte que cette pièce était un peu plus grande que la précédente, et surtout elle était composée de grandes étagères chargées d'objets qui me semblaient précieux. Nous étions dans la réserve, les archives du cinéma.
Plusieurs étagères s'étendaient devant nous, et Axel ne perdit pas de temps avant d'en arpenter une, revenant ensuite avec une de ses boîtes rondes argentées qui colonisaient cette pièce. Il la posa sur une table en acier non loin de nous, à notre droite. Je le rejoignis sans attendre alors qu'il ouvrait méticuleusement la boîte. Il en sorti, avec tout autant de minutie et des gestes délicats, une bobine. J'avais devant moi une réelle pellicule de film.
— Même si on ne les utilise plus beaucoup, on a quand même pu garder quelques pellicules, me dit-il. Celui-ci est un vieux film de Charlie Chaplin. Évidemment je ne peux pas te sortir toute la bobine et je n'ai pas le matériel pour la lire ou l'analyser mais, regarde, si tu observes bien ce sont là où toutes les images sont figées, captées. Et quand on lit la pellicule, avec la vitesse du mouvement, les images se mettent en mouvement et défilent. La bande est recouverte de plusieurs produits chimiques réactifs à la lumière. J'ai toujours été captivé et impressionné par ce petit bout de technologie qui a créé le cinéma avant qu'on ait le numérique et qu'on développe toutes les techniques actuelles.
Oui, c'était fascinant. Mais je ne savais pas ce qui me fascinait le plus ; de voir cette pellicule devant moi et d'en apprendre plus sur son fonctionnement, ou d'être encore et toujours témoin de l'enthousiasme et la passion d'Axel. Dans les deux cas, ce qui était certain c'est que je ne m'en lasserai jamais.
Nous restâmes une quinzaine de minutes dans cette pièce, Axel m'en expliqua plus sur les pellicules et ses différents formats ainsi que sur la captation avec une caméra argentique. Il me montra même d'autres bobines. C'était réellement passionnant.
Une fois qu'il eut tout rangé, il se retourna vers moi avec son magnifique sourire. Il me paraissait si heureux de partager tout ça avec moi. Ça me rendait heureux aussi.
— Bon, on était là pour se faire une séance de ciné normalement, lança-t-il. Attends-moi dans la salle 2 le temps que je mette le film en route et je te rejoins.
J'obéis sans discuter et remontais jusqu'à la salle que m'avait indiqué Axel. Je profitai de l'heure plus que tardive et de l'endroit désert pour m'installer en plein milieu. J'attendais quelques minutes avant que l'écran devant moi ne s'éclaire et que défilent les premières images du film.
Cependant il manquait quelque chose, quelqu'un. Axel n'était toujours pas revenu et je commençai à m'inquiéter. Ce fut lorsque je m'apprêtais à me lever, les sourcils froncés par l'incompréhension, que je le vis passer la porte. Il avait dans les bras deux boîtes de pop-corn, ainsi que des sachets de bonbons et de gâteaux. Je crois qu'il venait de dévaliser l'accueil !
— Je me suis dit qu'on ne pourra pas pleinement profiter du film sans avoir quelque chose à grignoter, déclara-t-il en s'installant à côté de moi. Je t'ai même pris des réglisses, même si je ne comprends toujours pas ton amour pour ces choses.
— Je crois qu'on aura largement de quoi faire avec tout ça ! Et merci pour les réglisses, pouffai-je en le déchargeant d'une boîte de pop-corn et du paquet de bonbon qui m'intéressait.
Axel me sourit doucement avant de reporter son attention vers l'écran. Un jeune homme s'y tenait face à la mer le regard tourné vers le ciel. La caméra zooma sur sa main, il tenait une lettre manuscrite qui s'envola brusquement au grès du vent.
— C'est un film romantique au fait, lança soudainement Axel. Je t'ai même pas demandé ton avis, j'espère que ça te convient.
Je tournai la tête vers lui et l'observai un instant, amusé.
— Tu aimes beaucoup ça, pas vrai ? murmurai-je. Les films romantiques.
Axel croisa mon regard puis haussa les épaules. Quelques secondes passèrent avant qu'il ne capitule, hochant lentement la tête.
— Adorable, soufflai-je. Et t'inquiète pas, ça me convient parfaitement.
Je me penchai jusqu'à atteindre sa joue afin d'y laisser un léger baiser. Sa peau était chaude sous mes lèvres, et certainement rougie. Il me faisait fondre.
Les minutes passèrent, les scènes du film défilèrent et, comme à mon habitude lorsque j'étais avec lui, je finis par décrocher. Une demi-heure s'était écoulée et je regardais déjà Axel, les ombres qui se formaient sur son visage face à la simple lumière de l'écran, ses longs cils cachés derrière ses lunettes, cette mini fossette discrète qui apparaissait sur sa joue droite seulement lorsque son sourire était grand et sincère.
Pourquoi est-ce que ça m'arrivait à chaque fois ? Pourquoi est-ce que je finissais toujours plus intéressé par Axel que par le scénario qui se déroulait devant moi ? C'était un vrai problème.
— Tu sais que c'est devant nous que ça se passe, rit-il soudainement, me faisant presque sursauter. Je ne fais pas partie du film, tu devrais regarder devant toi si tu ne veux pas rater l'intrigue.
J'étais cramé. Mais ça ne me dérangeait pas plus que ça, je n'avais pas honte d'observer ce jeune homme que je trouvais beau. Au contraire, sa remarque me fit rire.
— Et si je préfère te regarder, toi ? rétorquai-je alors.
Un timide sourire et Axel baissa la tête, se concentrant sur ses mains qui piochèrent une poignée de pop-corn, comme pour s'occuper.
— Alors je te regarderai aussi, finit-il par contrer en plantant son regard dans le mien. Il n'y a pas de raison pour que tu sois le seul à profiter de la vue.
— Alors regarde-moi autant que tu voudras, le défiai-je, un rictus aux lèvres.
— T'es beau avec la simple lumière de l'écran pour éclairer ton visage. Ça me donne envie de te filmer.
Ça me fit sourire, sa première phrase me rappelait mes propres pensées.
— Alors vas-y, film-moi, soufflai-je. Je t'en donne l'autorisation.
— Me dit pas ça ou alors je vais te filmer constamment, couina-t-il. Je te l'ai déjà dit, j'adore filmer ce qui m'entoure, j'adore filmer Noé et tous les gens auxquels je tiens.
— Et moi je te dis que je te donne mon autorisation. Ce serait un honneur d'apparaître dans les films d'un futur grand réalisateur.
Axel souriait toujours mais je remarquai rapidement que ces yeux avaient perdu un peu de leur éclat, avant qu'il ne les baisse à nouveau. Est-ce que je venais de ruiner l'ambiance ?
— Je ne serais jamais un grand réalisateur, tu sais, baragouina-t-il.
— Axel, commençai-je en attrapant sa main pour capter à nouveau son attention. N'abandonne pas tes rêves. On en a déjà parlé, tu m'as dit que si ça ne gênait en rien la vie de Noé alors tu serais prêt à reprendre tes études. Je crois que tu devrais le faire. Je suis certain qu'on peut trouver des solutions. Et je peux t'aider, je compte rester dans ta vie un moment, tu sais. Prune et Cerise aussi peuvent t'aider, tu n'es pas tout seul. Et tu n'as pas besoin d'abandonner définitivement tes rêves.
— Je peux pas penser à ça maintenant, je ne veux pas me faire d'espoir maintenant, confia-t-il. Je veux juste me concentrer sur Noé et l'obtention de sa garde. Une fois que je serais certain qu'il sera dans un environnement sûr, alors peut-être que j'y réfléchirais.
— Très bien, alors je te rappellerai cette conversation à ce moment-là, assurai-je dans un haussement d'épaule, joyeux. Tu es fait pour le cinéma, Axel, n'importe qui peut s'en rendre compte, alors je n'arrêterai pas de te le rappeler. Tu dois en faire ton métier, quel qu'il soit, et même si ce n'est pas réalisateur.
— J'aurais pu reprendre ce cinéma, lança-t-il soudainement. J'aurais pu en être le co-directeur mais je n'ai pas voulu. Je ne me sens pas assez qualifié pour ça, et puis je veux créer le cinéma, pas simplement le diffuser.
Il regardait toujours droit devant lui, alors il n'avait certainement pas remarqué que j'avais brusquement tourné la tête vers lui, les yeux écarquillés.
— Comment ça co-directeur ? m'exclamai-je peut-être un peu trop fort.
Cette fois-ci les yeux d'Axel rencontrèrent les miens et il pouffa face à ma réaction. La tête que je faisais devait être hilarante.
— C'est mon grand-père et son meilleur ami qui ont fondé ce cinéma en 1972, m'expliqua-t-il. Alphonse Moreau et Yves Dernentton ont fondé ensemble ce qui est devenu le Mo-Derne Cinéma. Et depuis il est lié à nos deux familles qui se sont toujours promis que ce cinéma resterait aussi bien dans la famille Moreau que dans la famille Dernentton. Même si aujourd'hui c'est davantage les Dernentton qui en ont la direction. Jérémy est le petit-fils de Yves, et il est presque comme un cousin pour moi. Il m'avait bien proposé de l'épauler mais j'ai refusé, je n'ai pas les compétences pour diriger. Même si je suis fier de cet endroit.
— Tu peux l'être ! confirmai-je, ébahi. Ton grand-père et Yves ont battis tout ça seuls ?
— Oui, il se sont battus pour ce lieu, et le projet a mis des années à se concrétiser. Mais ils ont réussi. J'ai vu que tu observais les portraits tout à l'heure dans le hall, c'est eux. Mon grand-père est à gauche et Yves à droite. J'aime ces photos, ils ont l'air si heureux. Malheureusement Yves n'a pas pu en profiter longtemps, il est décédé d'une maladie fulgurante en 1977. Mon grand-père s'en ai jamais remis, il avait le cœur brisé. Tellement que ma grand-mère a fini par demander le divorce quelques années plus tard parce qu'elle avait l'impression d'être de trop entre son mari et le fantôme de son meilleur ami. Parfois je me demande s'il y avait plus qu'une relation amicale entre eux mais on n'évoque jamais ce sujet-là dans nos familles respectives.
Je ne rajoutai rien, je me contentais de l'écouter. Il se confiait sur l'histoire de sa famille et ça m'intéressait tout autant que lorsqu'il me parlait de sa passion. Tout ce qui le concernait ou concernait sa famille m'intéressait. Et puis maintenant qu'il prenait l'habitude de se confier davantage à moi, je n'allais pas en perdre une miette.
— Après ça, mon grand-père s'est réfugié dans ce cinéma, continua-t-il. Il y passait ses journées, et parfois ses nuits. Et moi j'y ai passé mon enfance. Les mercredis après-midi, les week-ends, les vacances, quand il me gardait lorsque mon père était en tournage, j'étais ici à chaque occasion. C'est lui qui m'a tout appris de ce que je t'ai montré ce soir. Quand je n'étais pas sur les plateaux de tournage avec mon père, j'étais ici avec mon grand-père.
— C'est incroyable ! m'époustouflai-je. Je les admire tellement pour t'avoir transmis toutes ces connaissances. Ton grand-père doit être très fier de toi !
Et j'eus à nouveau l'impression d'avoir dit une bêtise. L'expression d'Axel avait changé, devenant morose. Il ne souriait plus, ne me regardait plus, et jouais avec ses doigts, attaquant ses ongles.
Merde. J'aurais vraiment dû réfléchir avant de parler. Est-ce que son grand-père n'était plus de ce monde ?
— Il ne se souvient plus de moi, murmura-t-il d'une voix à peine audible. Il ne se souvient plus de nos moments passés ensemble, de tout ce qu'il m'a appris. On lui a diagnostiqué la maladie d'Alzheimer il y a cinq ans maintenant. C'est arrivé progressivement dans son cas mais maintenant je ne suis plus qu'un inconnu pour lui. Il est dans une maison spécialisée depuis deux ans et c'est très dur pour moi de lui rendre visite. Parfois il me demande qui je suis, parfois il me prend pour mon père, mais en tout cas je ne suis plus son petit-fils pour lui. Par contre il lui reste encore des vieux souvenirs. Il parle souvent de Yves, mais jamais de ma grand-mère. C'est ironique, pas vrai ? Il se souvient de la seule personne qui ne peut pas lui rendre visite et lui apporter, peut-être, un peu de réconfort.
Je ne savais pas quoi lui dire, je ne voulais pas lui sortir un banal "désolé" qui ne changerait rien. Néanmoins je me lançai en attrapant sa main avec douceur, la serrant dans la mienne, espérant lui transmettre un peu de réconfort.
— Je ne peux pas imaginer ce que tu dois ressentir, commençai-je. Mais dis-toi que toi, tu as encore ses souvenirs. Tu peux garder ces bons moments en mémoire pour vous deux. Garde tout le positif de la relation que vous avez eu. Et je suis sûr que, quelque part au fond de son cœur, il les détient toujours.
Axel leva des yeux brillant vers moi et m'adressa un très léger sourire ému. Je le laissai faire avec plaisir lorsqu'il posa sa tête sur mon épaule. Cette fois-ci, c'est avec mes doigts qu'il se mit à jouer.
— Entre ça et le divorce de mes parents, sans compter les questionnements sur mon orientation, j'ai l'impression d'avoir eu une adolescence sans répit d'un point de vue personnel et émotionnel, confessa-t-il. Et encore maintenant, quand je pensais avoir enfin trouvé un équilibre, il y a eu l'accident de Noé.
— Je suis là maintenant, tu peux compter sur moi pour t'épauler, lui rappelai-je.
— Je sais, assura-t-il en enfonçant un peu plus sa tête dans mon cou.
Et ça me rassura, ça faisait même grandir cette chaleur en moi. Un soupir m'échappa. Depuis le temps que je me battais pour qu'il m'accorde sa confiance et qu'il me laisse l'aider, j'étais soulagé de voir qu'il l'acceptait enfin. Je n'aurais pas supporté plus longtemps de le voir tout endosser sur ses épaules jusqu'à craquer. Parce que ça aurait été inévitable s'il avait continué de s'entêter.
— Le divorce de tes parents t'a beaucoup marqué, pas vrai ? voulus-je savoir subitement.
— Ma mère a trompé mon père, lâcha-t-il sans prévenir, une lueur de colère dans sa voix. C'est quand elle est tombée enceinte que mon père l'a su et que le divorce a été inévitable. J'étais du côté de mon père, j'ai une très mauvaise relation avec ma mère et pourtant j'ai été obligé d'aller vivre avec elle et son nouveau compagnon à cause du travail de mon père. Evidemment que ça m'a marqué. Je l'ai très mal vécu. J'avais une colère immense contre ma mère, j'avais l'impression qu'elle avait brisé notre famille et je ne lui ai jamais pardonné. Mon père non plus d'ailleurs, quoi que lui avait le cœur brisé. Ma mère était l'amour de sa vie et je ne suis même pas sûr qu'il s'en soit encore remis. A ce que je sache, il n'a eu personne depuis leur divorce. Mes parents se sont mariés très jeunes, mais je crois que ma mère n'était pas prête et qu'elle n'aimait pas autant mon père que lui l'aimait. Mon père pensait que le coup de foudre immédiat qu'il avait ressenti était réciproque.
— Alors ta mère était déjà avec le père de Noé avant de quitter ton père ? m'interrogeai-je.
Je ne comprenais pas comment on pouvait tromper la personne avec qui nous étions engagé. Je retins un frisson, ça me rappelait de mauvais souvenirs.
— Oui, confirma Axel. Je crois que Guillaume ne savait même pas qu'elle était mariée au début. J'ai voulu lui en vouloir, à Guillaume, quand je suis allé habiter avec eux, pour avoir volé ma mère. Mais c'était un homme tellement gentil. Il m'a toujours accueilli à bras ouvert et, ironiquement, c'est ma mère qui restait distante avec moi. On n'a jamais su communiquer elle et moi. Et Guillaume s'occupait si bien de Noé. Au début j'étais partagé entre la joie d'avoir un petit frère et la peine qu'on n'ait pas le même papa lui et moi, mais finalement je les ai aimé tous les deux, Guillaume et Noé.
— J'aurais aimé rencontrer Guillaume, il avait l'air d'être quelqu'un de bien, dis-je doucement.
— Il l'était. Et je suis sûr qu'il t'aurait apprécié, il était accueillant et chaleureux. Et puis tu aimes Noé, alors il t'aurait adoré.
Axel enfonça un peu plus sa tête dans le creux entre mon cou et mon épaule et poussa un grand soupir. Je ne poussai pas plus loin la conversation, je le laissai respirer avant de trouver un sujet plus joyeux qui pourrait lui faire retrouver son sourire que j'aimais tant. Je me rendais compte qu'Axel avait créé un vrai lien avec Guillaume, il l'aimait vraiment. Et lui aussi l'avait perdu. Et je crois qu'à force de se sacrifier et de s'occuper de Noé, il n'avait pas eu le temps de faire le deuil de cette personne qui était devenue chère à son cœur.
Les minutes défilèrent avant qu'Axel reprenne la parole, orientant cette fois-ci la conversation sur Noé. Je fus alors ravi d'y participer. Et c'est ainsi que notre soirée se termina, son sourire retrouvé.
Le film projeté devant nous était depuis bien longtemps oublié. Axel finit même par me filmer, un peu. Nous nous embrassâmes, beaucoup. Et j'avais l'impression que l'atmosphère était encore un plus légère qu'à mon arrivé. Comme si Axel s'était à nouveau soulagé d'un poids en se confiant à moi ce soir. Et ça me rendait heureux. Parce que c'était exactement ce que je voulais de notre relation, qu'il sache qu'il pouvait toujours compter sur moi pour se reposer.
⭐️⭐️⭐️
Hey !
Contente de vous retrouver à nouveau cette semaine !
J'aime beaucoup ce chapitre, mais en le relisant je me rends compte qu'il est peut-être un peu doux-amer. Il est mignon par ce rendez-vous, mais un peu triste par les souvenirs partagés par Axel. Mais au moins il se confie plus facilement à Camille maintenant, et il lui fait découvrir son univers aussi. J'espère que vous aurez apprécié ce moment.
Alors, ce chapitre, qu'en pensez-vous ?
Le rendez-vous entre nos deux tourtereaux ? Le cinéma, une bonne idée ?
Axel qui fait découvrir son univers à Camille, tout ce dans quoi il a baigné depuis petit ?
Ses confessions à propos du cinéma, de son grand-père, de ses parents ?
Camille et Axel sont de plus en plus chou ensemble, vous trouvez pas ?
Vraiment vraiment hâte de continuer à vous poster la suite de leur histoire, de partager tout ça avec vous !
Je vais justement aller écrire un peu pour vous retrouver au plus vite avec la suite de leur aventure :)
Bon week-end et à bientôt,
Tan 🦋
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